Décision

Décision n° 2013-333 QPC du 26 juillet 2013

M. Philippe M. et autres [Représentation des salariés au conseil d'administration]
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 mai 2013 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 1204 du 30 mai 2013), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Philippe M., M. Olivier D. et le syndicat SDMY-CFTC, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 225-27 et L. 225-28 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de commerce ;

Vu la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour les sociétés Renault SAS et Renault SA, parties en défense, par la SCP Célice - Blancpain - Soltner, avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 21 juin 2013 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 21 juin 2013 ;

Vu les observations produites par le syndicat requérant, enregistrées le 8 juillet 2013 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Damien Célice pour les parties en défense, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 16 juillet 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 225-27 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001 susvisée : « Il peut être stipulé dans les statuts que le conseil d'administration comprend, outre les administrateurs dont le nombre et le mode de désignation sont prévus aux articles L. 225-17 et L. 225-18, des administrateurs élus soit par le personnel de la société, soit par le personnel de la société et celui de ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français. Le nombre de ces administrateurs ne peut être supérieur à quatre ou, dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, cinq, ni excéder le tiers du nombre des autres administrateurs. Lorsque le nombre des administrateurs élus par les salariés est égal ou supérieur à deux, les ingénieurs, cadres et assimilés ont un siège au moins.
« Les administrateurs élus par les salariés ne sont pas pris en compte pour la détermination du nombre minimal et du nombre maximal d'administrateurs prévus à l'article L. 225-17 » ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 225-28 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 15 mai 2001 susvisée : « Les administrateurs élus par les salariés doivent être titulaires d'un contrat de travail avec la société ou l'une de ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français antérieur de deux années au moins à leur nomination et correspondant à un emploi effectif. Toutefois, la condition d'ancienneté n'est pas requise lorsque au jour de la nomination la société est constituée depuis moins de deux ans.
« Tous les salariés de la société et le cas échéant de ses filiales directes ou indirectes, dont le siège social est fixé sur le territoire français dont le contrat de travail est antérieur de trois mois à la date de l'élection sont électeurs. Le vote est secret.
« Lorsqu'un siège au moins est réservé aux ingénieurs, cadres et assimilés, les salariés sont divisés en deux collèges votant séparément. Le premier collège comprend les ingénieurs, cadres et assimilés, le second les autres salariés. Les statuts fixent la répartition des sièges par collège en fonction de la structure du personnel.
« Les candidats ou listes de candidats peuvent être présentés soit par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au sens de l'article L. 423-2 du code du travail, soit par le vingtième des électeurs ou, si le nombre de ceux-ci est supérieur à deux mille, par cent d'entre eux.
« Lorsqu'il y a un seul siège à pourvoir pour l'ensemble du corps électoral, l'élection a lieu au scrutin majoritaire à deux tours. Lorsqu'il y a un seul siège à pourvoir dans un collège électoral, l'élection a lieu au scrutin majoritaire à deux tours dans ce collège. Chaque candidature doit comporter, outre le nom du candidat, celui de son remplaçant éventuel. Est déclaré élu le candidat ayant obtenu au premier tour la majorité absolue des suffrages exprimés, au second tour la majorité relative.
« Dans les autres cas, l'élection a lieu au scrutin de liste à la représentation proportionnelle au plus fort reste et sans panachage. Chaque liste doit comporter un nombre de candidats double de celui des sièges à pourvoir.
« En cas d'égalité des voix, les candidats dont le contrat de travail est le plus ancien sont déclarés élus.
« Les autres modalités du scrutin sont fixées par les statuts.
« Les contestations relatives à l'électorat, à l'éligibilité et à la régularité des opérations électorales sont portées devant le juge d'instance qui statue en dernier ressort dans les conditions prévues par le premier alinéa de l'article L. 433-11 du code du travail » ;

3. Considérant que, selon les requérants, en excluant du corps électoral pour l'élection des représentants des salariés au conseil d'administration les salariés mis à disposition, alors même qu'ils seraient intégrés à la communauté de travail de l'entreprise, les dispositions contestées portent atteinte au principe de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail et à la gestion de l'entreprise ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail ;

5. Considérant que le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose en son huitième alinéa que : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ; qu'il ressort notamment de ces dispositions qu'il incombe au législateur de déterminer, dans le respect de ce principe et de la liberté syndicale, garantie par le sixième alinéa, les conditions et garanties de sa mise en oeuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise ; qu'à cette fin, le droit de participer « par l'intermédiaire de leurs délégués » à « la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » a pour bénéficiaires, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, même s'ils n'en sont pas les salariés ; que, toutefois, le huitième alinéa du Préambule de 1946 n'impose pas la présence de représentants des salariés au sein des organes de direction de l'entreprise ;

6. Considérant que les dispositions contestées permettent aux sociétés anonymes qui le souhaitent de prévoir dans leurs statuts la présence de représentants élus des salariés au sein de leur conseil d'administration ; qu'elles fixent les modalités de ces élections, et notamment la composition du corps électoral, qui comprend seulement les salariés de la société et éventuellement de ses filiales françaises ; qu'il en résulte que les salariés mis à disposition de la société sont exclus de ce corps électoral ;

7. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 225-35 du code de commerce : « Le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en oeuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d'actionnaires et dans la limite de l'objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent » ; que, si le législateur a entendu, par les dispositions contestées, permettre que la participation des travailleurs à la gestion des entreprises soit renforcée, il ne résulte pas du huitième alinéa du Préambule de 1946 que cette participation doit être mise en oeuvre dans les mêmes conditions selon qu'elle s'applique aux organes dirigeants de l'entreprise ou aux institutions représentatives du personnel ; qu'eu égard aux attributions du conseil d'administration, le législateur pouvait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, limiter le corps électoral pour l'élection des salariés à ce conseil aux seuls salariés de la société et, éventuellement, de ses filiales françaises ;

8. Considérant que les dispositions contestées, qui ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- Les articles L. 225-27 et L. 225-28 du code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, sont conformes à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance 25 juillet 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Mme Nicole MAESTRACCI.

Rendu public le 26 juillet 2013.

JORF du 28 juillet 2013 page 12663, texte n° 22
Recueil, p. 904
ECLI : FR : CC : 2013 : 2013.333.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
  • 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
  • 4.9.1.4. Principe de participation des travailleurs à la gestion des entreprises (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946)
  • 4.9.1.4.2. Représentativité des syndicats et institutions représentatives du personnel

Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose en son huitième alinéa que : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ". Il ressort notamment de ces dispositions qu'il incombe au législateur de déterminer, dans le respect de ce principe et de la liberté syndicale, garantie par le sixième alinéa, les conditions et garanties de sa mise en œuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise. À cette fin, le droit de participer " par l'intermédiaire de leurs délégués " à " la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises " a pour bénéficiaires, sinon la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, du moins tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu'elle constitue, même s'ils n'en sont pas les salariés. Toutefois, le huitième alinéa du Préambule de 1946 n'impose pas la présence de représentants des salariés au sein des organes de direction de l'entreprise.

(2013-333 QPC, 26 juillet 2013, cons. 5, JORF du 28 juillet 2013 page 12663, texte n° 22)

Les dispositions des articles 225-27 et 225-28 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques permettent aux sociétés anonymes qui le souhaitent de prévoir dans leurs statuts la présence de représentants élus des salariés au sein de leur conseil d'administration. Elles fixent les modalités de ces élections, et notamment la composition du corps électoral, qui comprend seulement les salariés de la société et éventuellement de ses filiales françaises. Il en résulte que les salariés mis à disposition de la société sont exclus de ce corps électoral.
Aux termes du premier alinéa de l'article L. 225-35 du code de commerce : " Le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en œuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d'actionnaires et dans la limite de l'objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent ". Si le législateur a entendu, par les dispositions contestées, permettre que la participation des travailleurs à la gestion des entreprises soit renforcée, il ne résulte pas du huitième alinéa du Préambule de 1946 que cette participation doit être mise en œuvre dans les mêmes conditions selon qu'elle s'applique aux organes dirigeants de l'entreprise ou aux institutions représentatives du personnel. Eu égard aux attributions du conseil d'administration, le législateur pouvait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, limiter le corps électoral pour l'élection des salariés à ce conseil aux seuls salariés de la société et, éventuellement, de ses filiales françaises.

(2013-333 QPC, 26 juillet 2013, cons. 6, 7, JORF du 28 juillet 2013 page 12663, texte n° 22)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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