Décision

Décision n° 2012-288 QPC du 17 janvier 2013

Consorts M. [Qualité pour agir en nullité d'un acte pour insanité d'esprit]
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 novembre 2012 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1389 du 7 novembre 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par MM. Pierre et Philippe M., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 414-2 du code civil.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code civil ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour les requérants par Me Olivier Kuhn-Massot, avocat au barreau de Marseille, enregistrées le 29 novembre 2012 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 novembre 2012 ;

Vu les observations produites pour la société financière Roquebillière (SOFIROC) par la SCP Rouch-Astruc et associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 13 décembre 2012 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Georges Rudigoz, avocat au barreau de Marseille pour les requérants, Me Martine Belain, avocate au barreau de Paris pour la société défenderesse et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 janvier 2013 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 414-2 du code civil : « De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.

« Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :

« 1 ° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;

« 2 ° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;

« 3 ° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future.

« L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 1304 » ;

2. Considérant que, selon les requérants, en limitant les cas dans lesquels les héritiers peuvent demander la nullité d'un acte pour insanité d'esprit du défunt, ces dispositions portent atteinte au droit à un recours effectif ;

3. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer les règles relatives à la capacité des personnes et aux successions et de fixer les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; que cet article lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 414-1 du code civil : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte » ; que les dispositions de l'article 414-2 du même code désignent les personnes qui ont qualité pour agir sur ce fondement ; que le premier alinéa réserve cette qualité à l'intéressé, de son vivant ; que les deuxième à cinquième alinéas fixent les cas dans lesquels, après le décès de ce dernier, les actes autres que la donation entre vifs et le testament peuvent être attaqués par les héritiers ;

6. Considérant, en premier lieu, que, par les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer un équilibre entre, d'une part, les intérêts des héritiers et, d'autre part, la sécurité des actes conclus par le défunt et en particulier des transactions ; qu'il a également entendu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, éviter les difficultés liées à l'administration de la preuve de l'état mental d'une personne décédée ;

7. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées réservent aux héritiers la qualité pour agir en nullité pour insanité d'esprit dans le cas où l'acte « porte en lui-même la preuve d'un trouble mental », si l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice lors de la conclusion de l'acte litigieux ou si une action a été introduite avant le décès de l'auteur de l'acte aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future ; que, par ces dispositions, le législateur a précisément fixé la portée des limites au droit des héritiers d'agir en nullité d'un acte juridique pour cause d'insanité d'esprit conclu par le défunt ; que ces dispositions ne font pas obstacle à l'exercice, par les héritiers, des actions en nullité qui seraient fondées sur les règles du droit commun des contrats ; qu'elles ne font ainsi pas obstacle à ce que des actes passés au moyen de violences, de fraudes ou d'abus de faiblesse puissent être annulés ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en adoptant les dispositions contestées le législateur a, dans l'exercice de sa compétence, apporté au droit d'agir des héritiers des limitations justifiées par des motifs d'intérêt général et proportionnées au regard de ces objectifs ;

9. Considérant que les dispositions contestées ne portent atteinte à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,

D É C I D E :

Article 1er.- L'article 414-2 du code civil est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 janvier 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 17 janvier 2013.

JORF du 18 janvier 2013 page 1293, texte n° 88
Recueil, p. 103
ECLI : FR : CC : 2013 : 2012.288.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.3. Droit au recours
  • 4.2.2.3.1. Principe

Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ". Il résulte de cette disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction.

(2012-288 QPC, 17 janvier 2013, cons. 4, JORF du 18 janvier 2013 page 1293, texte n° 88)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.3. Droit au recours
  • 4.2.2.3.3. Procédure civile

Aux termes de l'article 414-1 du code civil : " Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte ". Les dispositions de l'article 414-2 du même code désignent les personnes qui ont qualité pour agir sur ce fondement. Le premier alinéa réserve cette qualité à l'intéressé, de son vivant. Les deuxième à cinquième alinéas fixent les cas dans lesquels, après le décès de ce dernier, les actes autres que la donation entre vifs et le testament peuvent être attaqués par les héritiers.
En premier lieu, par les dispositions contestées, le législateur a entendu assurer un équilibre entre, d'une part, les intérêts des héritiers et, d'autre part, la sécurité des actes conclus par le défunt et en particulier des transactions. Il a également entendu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, éviter les difficultés liées à l'administration de la preuve de l'état mental d'une personne décédée.
En second lieu, les dispositions contestées réservent aux héritiers la qualité pour agir en nullité pour insanité d'esprit dans le cas où l'acte " porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ", si l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice lors de la conclusion de l'acte litigieux ou si une action a été introduite avant le décès de l'auteur de l'acte aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future. Par ces dispositions, le législateur a précisément fixé la portée des limites au droit des héritiers d'agir en nullité d'un acte juridique pour cause d'insanité d'esprit conclu par le défunt. Ces dispositions ne font pas obstacle à l'exercice, par les héritiers, des actions en nullité qui seraient fondées sur les règles du droit commun des contrats. Elles ne font ainsi pas obstacle à ce que des actes passés au moyen de violences, de fraudes ou d'abus de faiblesse puissent être annulés.
Il résulte de ce qui précède qu'en adoptant les dispositions contestées le législateur a, dans l'exercice de sa compétence, apporté au droit d'agir des héritiers des limitations justifiées par des motifs d'intérêt général et proportionnées au regard de ces objectifs.

(2012-288 QPC, 17 janvier 2013, cons. 5, 6, 7, 8, JORF du 18 janvier 2013 page 1293, texte n° 88)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
Toutes les décisions