Décision n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 septembre 2012 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 5082 du 11 septembre 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Maryse L., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la requérante par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 10 octobre 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 10 octobre 2012 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Spinosi, dans l'intérêt de la requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 14 novembre 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 161 1 du code de procédure pénale : « Copie de la décision ordonnant une expertise est adressée sans délai au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour demander au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81, de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix figurant sur une des listes mentionnées à l'article 157 » ;
2. Considérant que, selon la requérante, en prévoyant que la notification de la copie de la décision ordonnant l'expertise est réservée aux avocats des parties et en plaçant les parties non assistées ou représentées par un avocat dans l'impossibilité de formuler des observations ou des demandes au vu de cette décision, la disposition contestée porte atteinte aux droits de la défense, au principe du contradictoire ainsi qu'au principe d'égalité des citoyens devant la loi ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que son article 16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense ;
4. Considérant que les dispositions contestées prévoient la notification au procureur de la République et aux avocats des parties de la décision de la juridiction d'instruction ordonnant une expertise afin que les destinataires de cette notification soient mis à même, dans le délai imparti, de demander au juge d'instruction de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre un expert de leur choix ; qu'en l'absence d'une telle notification, les parties non assistées par un avocat ne peuvent exercer ce droit ; que la différence de traitement ainsi instituée entre les parties selon qu'elles sont représentées ou non par un avocat ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs d'infraction, auxquels concourt le secret de l'instruction ; qu'elle n'est pas davantage compensée par la faculté, reconnue à toutes les parties par le troisième alinéa de l'article 167 du code de procédure pénale, de demander un complément ou une contre expertise ; que les articles 80-2, 80-3 et 116 du code de procédure pénale garantissent le droit des personnes mises en examen et des parties civiles de bénéficier, au cours de l'instruction préparatoire, de l'assistance d'un avocat, le cas échéant commis d'office ; que, toutefois, dès lors qu'est reconnue aux parties la liberté de choisir d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules, le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense impose que la copie de la décision ordonnant l'expertise soit portée à la connaissance de toutes les parties ; que, dans le premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale, les mots : « avocats des » ont pour effet de réserver aux avocats assistant les parties la notification de la copie de la décision ordonnant l'expertise et la faculté de demander au juge d'instruction d'adjoindre un expert ou de modifier ou compléter les questions qui lui sont posées ; que, par suite, ils doivent être déclarés contraires à la Constitution ;
5. Considérant que cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les décisions ordonnant une expertise prononcées postérieurement à la publication de la présente décision ;
6. Considérant que, pour le surplus, le premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale ne méconnaît aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'il doit être déclaré conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- Dans le premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale, les mots : « avocats des » sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 5.
Article 3.- Le surplus du premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 novembre 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT et M. Hubert HAENEL.
Rendu public le 23 novembre 2012.
Journal officiel du 24 novembre 2012, page 18549, texte n° 92
Recueil, p. 613
ECLI : FR : CC : 2012 : 2012.284.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
- 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
- 4.23.9.6. Dispositions relevant de la procédure d'enquête et d'instruction
4.23.9.6.3. Instruction
Il résulte des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense.
Les dispositions contestées prévoient la notification au procureur de la République et aux avocats des parties de la décision de la juridiction d'instruction ordonnant une expertise afin que les destinataires de cette notification soient mis à même, dans le délai imparti, de demander au juge d'instruction de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre un expert de leur choix. En l'absence d'une telle notification, les parties non assistées par un avocat ne peuvent exercer ce droit. La différence de traitement ainsi instituée entre les parties selon qu'elles sont représentées ou non par un avocat ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs d'infraction, auxquels concourt le secret de l'instruction. Elle n'est pas davantage compensée par la faculté, reconnue à toutes les parties par le troisième alinéa de l'article 167 du code de procédure pénale, de demander un complément ou une contre expertise. Les articles 80-2, 80-3 et 116 du code de procédure pénale garantissent le droit des personnes mises en examen et des parties civiles de bénéficier, au cours de l'instruction préparatoire, de l'assistance d'un avocat, le cas échéant commis d'office. Toutefois, dès lors qu'est reconnue aux parties la liberté de choisir d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules, le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense impose que la copie de la décision ordonnant l'expertise soit portée à la connaissance de toutes les parties. Dans le premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale, les mots : " avocats des " ont pour effet de réserver aux avocats assistant les parties la notification de la copie de la décision ordonnant l'expertise et la faculté de demander au juge d'instruction d'adjoindre un expert ou de modifier ou compléter les questions qui lui sont posées. Par suite, ils doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.2. ÉGALITÉ DEVANT LA JUSTICE
- 5.2.2. Égalité et droits - Garanties des justiciables
- 5.2.2.2. Égalité et règles de procédure
5.2.2.2.3. Equilibre des droits des parties dans la procédure
Il résulte des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense.
Les dispositions contestées prévoient la notification au procureur de la République et aux avocats des parties de la décision de la juridiction d'instruction ordonnant une expertise afin que les destinataires de cette notification soient mis à même, dans le délai imparti, de demander au juge d'instruction de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre un expert de leur choix. En l'absence d'une telle notification, les parties non assistées par un avocat ne peuvent exercer ce droit. La différence de traitement ainsi instituée entre les parties selon qu'elles sont représentées ou non par un avocat ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l'ordre public ou l'objectif de recherche des auteurs d'infraction, auxquels concourt le secret de l'instruction. Elle n'est pas davantage compensée par la faculté, reconnue à toutes les parties par le troisième alinéa de l'article 167 du code de procédure pénale, de demander un complément ou une contre expertise. Les articles 80-2, 80-3 et 116 du code de procédure pénale garantissent le droit des personnes mises en examen et des parties civiles de bénéficier, au cours de l'instruction préparatoire, de l'assistance d'un avocat, le cas échéant commis d'office. Toutefois, dès lors qu'est reconnue aux parties la liberté de choisir d'être assistées d'un avocat ou de se défendre seules, le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense impose que la copie de la décision ordonnant l'expertise soit portée à la connaissance de toutes les parties. Dans le premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale, les mots : " avocats des " ont pour effet de réserver aux avocats assistant les parties la notification de la copie de la décision ordonnant l'expertise et la faculté de demander au juge d'instruction d'adjoindre un expert ou de modifier ou compléter les questions qui lui sont posées. Par suite, ils doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.2. Abrogation
11.8.6.2.2.1. Abrogation à la date de la publication de la décision
La déclaration d'inconstitutionnalité des mots " avocats des " figurant au premier alinéa de l'article 161-1 du code de procédure pénale prend effet à compter de la date de publication de la décision. Elle est applicable à toutes les décisions ordonnant une expertise prononcées postérieurement à la publication de la présente décision.