Décision

Décision n° 2012-270 QPC du 27 juillet 2012

Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles du Finistère [Délimitation des zones de protection d'aires d'alimentation des captages d'eau potable et principe de participation du public]
Non conformité totale - effet différé

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 8 juin 2012 par le Conseil d'État (décision n° 357695 du 4 juin 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles du Finistère, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 5 ° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques ;

Vu la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour la fédération requérante par Me Franck Barbier, avocat au barreau de Rennes, enregistrées les 28 juin, 13 et 17 juillet 2012 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 2 juillet 2012 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Rémi-Pierre Drai, avocat au barreau de Paris, dans l'intérêt de la fédération requérante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 24 juillet 2012 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes du 5 ° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2006 susvisée, des décrets déterminent en particulier les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut : « Délimiter, le cas échéant après qu'elles ont été identifiées dans le plan d'aménagement et de gestion durable de la ressource en eau et des milieux aquatiques prévu par l'article L. 212-5-1, des zones où il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement actuel ou futur, ainsi que des zones dans lesquelles l'érosion diffuse des sols agricoles est de nature à compromettre la réalisation des objectifs de bon état ou, le cas échéant, de bon potentiel prévus par l'article L. 212-1, et y établir, dans les conditions prévues au 4 ° du présent article, un programme d'actions à cette fin » ;

2. Considérant que, selon la fédération requérante, en ne prévoyant pas les conditions dans lesquelles pourra s'exercer le droit de participation du public lors de la délimitation des zones de protection d'aires d'alimentation de captages d'eau potable et l'établissement, à l'intérieur de celles-ci, d'un programme d'actions, les dispositions contestées méconnaissent le principe de participation du public garanti par l'article 7 de la Charte de l'environnement ; qu'en ne prévoyant pas d'indemnisation au profit des propriétaires et exploitants de terrains inclus dans de telles zones et en imposant des restrictions à l'usage de ceux-ci, elles porteraient aussi atteinte à l'égalité devant la loi et les charges publiques, ainsi qu'au droit de propriété ; que le législateur n'aurait pas défini avec suffisamment de précision le champ d'application des dispositions contestées ;

3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé » ; que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

4. Considérant que l'article 7 de la Charte de l'environnement dispose : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » ; que ces dispositions figurent au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de la mise en oeuvre de ces dispositions ;

5. Considérant que l'article L. 211-3 du code de l'environnement prévoit qu'en complément des règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales déterminées par décret en Conseil d'État, des prescriptions nationales ou particulières à certaines parties du territoire sont fixées par décret en Conseil d'État afin d'assurer la protection des principes de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau mentionnés à l'article L. 211-1 du même code ; que les dispositions contestées du 5 ° du II de l'article L. 211-3 permettent à l'autorité réglementaire de déterminer en particulier les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut délimiter des zones où il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement, ainsi que des zones d'érosion et y établir un programme d'actions à cette fin ; que, par suite, les décisions administratives délimitant ces zones et y établissant un programme d'actions constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ;

6. Considérant, d'une part, que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions du 5 ° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement dans leur rédaction issue de la loi du 30 décembre 2006 ; que cette rédaction a ensuite été modifiée par la loi du 12 juillet 2010 susvisée ; que les dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, qui fixent les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics, sont issues de l'article 244 de cette même loi du 12 juillet 2010 ; qu'elles ne sont, en tout état de cause, pas applicables à la question renvoyée par le Conseil d'État au Conseil constitutionnel ;

7. Considérant, d'autre part, que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en oeuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause ; que, par suite, en adoptant les dispositions contestées sans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le 5 ° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement doit être déclaré contraire à la Constitution ;

8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

9. Considérant, qu'en l'espèce, la déclaration immédiate d'inconstitutionnalité pourrait avoir des conséquences manifestement excessives pour d'autres procédures sans satisfaire aux exigences du principe de participation du public ; que, par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la déclaration d'inconstitutionnalité de ces dispositions ; que les décisions prises, avant cette date, en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité,

D É C I D E :

Article 1er. - Le 5 ° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet le 1er janvier 2013 dans les conditions fixées au considérant 9.

Article 3. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 juillet 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 27 juillet 2012.

Journal officiel du 28 juillet 2012, page 12357, texte n° 72
Recueil, p. 449
ECLI : FR : CC : 2012 : 2012.270.QPC

Les abstracts

  • 3. NORMES LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES
  • 3.3. ÉTENDUE ET LIMITES DE LA COMPÉTENCE LÉGISLATIVE
  • 3.3.4. Incompétence négative
  • 3.3.4.1. Cas d'incompétence négative
  • 3.3.4.1.7. Autres droits et libertés
  • 3.3.4.1.7.6. Environnement

La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
D'une part, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions du 5° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques. Cette rédaction a ensuite été modifiée par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. Les dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, qui fixent les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics, sont issues de l'article 244 de cette même loi du 12 juillet 2010. Elles ne sont, en tout état de cause, pas applicables à la question renvoyée par le Conseil d'État au Conseil constitutionnel.
D'autre part, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause. Par suite, en adoptant les dispositions contestées sans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence.

(2012-270 QPC, 27 juillet 2012, cons. 3, 6, 7, Journal officiel du 28 juillet 2012, page 12357, texte n° 72)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.11. ENVIRONNEMENT
  • 4.11.6. Principes d'information et de participation
  • 4.11.6.2. Champ d'application du principe

L'article L. 211-3 du code de l'environnement prévoit qu'en complément des règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales déterminées par décret en Conseil d'État, des prescriptions nationales ou particulières à certaines parties du territoire sont fixées par décret en Conseil d'État afin d'assurer la protection des principes de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau mentionnés à l'article L. 211-1 du même code. Les dispositions contestées du 5° du II de l'article L. 211-3 permettent à l'autorité réglementaire de déterminer en particulier les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut délimiter des zones où il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement, ainsi que des zones d'érosion et y établir un programme d'actions à cette fin. Par suite, les décisions administratives délimitant ces zones et y établissant un programme d'actions constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

(2012-270 QPC, 27 juillet 2012, cons. 5, Journal officiel du 28 juillet 2012, page 12357, texte n° 72)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.11. ENVIRONNEMENT
  • 4.11.6. Principes d'information et de participation
  • 4.11.6.3. Méconnaissance du principe

L'article L. 211-3 du code de l'environnement prévoit qu'en complément des règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales déterminées par décret en Conseil d'État, des prescriptions nationales ou particulières à certaines parties du territoire sont fixées par décret en Conseil d'État afin d'assurer la protection des principes de gestion équilibrée et durable de la ressource en eau mentionnés à l'article L. 211-1 du même code. Les dispositions contestées du 5° du II de l'article L. 211-3 permettent à l'autorité réglementaire de déterminer en particulier les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut délimiter des zones où il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement, ainsi que des zones d'érosion et y établir un programme d'actions à cette fin. Par suite, les décisions administratives délimitant ces zones et y établissant un programme d'actions constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
D'une part, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les dispositions du 5° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques. Cette rédaction a ensuite été modifiée par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement. Les dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, qui fixent les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics, sont issues de l'article 244 de cette même loi du 12 juillet 2010. Elles ne sont, en tout état de cause, pas applicables à la question renvoyée par le Conseil d'État au Conseil constitutionnel.
D'autre part, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n'assurent la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques en cause. Par suite, en adoptant les dispositions contestées sans prévoir la participation du public, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence.

(2012-270 QPC, 27 juillet 2012, cons. 5, 6, 7, Journal officiel du 28 juillet 2012, page 12357, texte n° 72)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
  • 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
  • 11.8.6.2.2. Abrogation
  • 11.8.6.2.2.2. Abrogation reportée dans le temps

La déclaration immédiate d'inconstitutionnalité du 5° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement, qui permet à l'autorité réglementaire de déterminer les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut délimiter des zones où il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement, ainsi que des zones d'érosion et y établir un programme d'actions à cette fin, pourrait avoir des conséquences manifestement excessives pour d'autres procédures sans satisfaire aux exigences du principe de participation du public. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la déclaration d'inconstitutionnalité de ces dispositions.

(2012-270 QPC, 27 juillet 2012, cons. 9, Journal officiel du 28 juillet 2012, page 12357, texte n° 72)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
  • 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
  • 11.8.6.2.4. Effets produits par la disposition abrogée
  • 11.8.6.2.4.1. Maintien des effets

La déclaration immédiate d'inconstitutionnalité du 5° du II de l'article L. 211-3 du code de l'environnement, qui permet à l'autorité réglementaire de déterminer les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut délimiter des zones où il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement, ainsi que des zones d'érosion et y établir un programme d'actions à cette fin, pourrait avoir des conséquences manifestement excessives pour d'autres procédures sans satisfaire aux exigences du principe de participation du public. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la déclaration d'inconstitutionnalité de ces dispositions. Les décisions prises, avant cette date, en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

(2012-270 QPC, 27 juillet 2012, cons. 9, Journal officiel du 28 juillet 2012, page 12357, texte n° 72)
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