Décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 mars 2012 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 906 du 7 mars 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par l'association « Temps de vie », relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 2411-1, L. 2411-3 et L. 2411-18 du code du travail.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code pénal ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour l'association requérante par la SCP Meurice, avocat au barreau de Lille, enregistrées les 26 mars et 3 avril 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 mars 2012 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Meurice pour la requérante, Me Hélène Masse-Dessen, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation pour Mme Mireille L., défenderesse à la présente procédure, et M. Xavier Pottier désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 26 avril 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2411-1 du code du travail : « Bénéficie de la protection contre le licenciement prévue par le présent chapitre, y compris lors d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, le salarié investi de l'un des mandats suivants :
« 1 ° Délégué syndical ;
« 2 ° Délégué du personnel ;
« 3 ° Membre élu du comité d'entreprise ;
« 4 ° Représentant syndical au comité d'entreprise ;
« 5 ° Membre du groupe spécial de négociation et membre du comité d'entreprise européen ;
« 6 ° Membre du groupe spécial de négociation et représentant au comité de la société européenne ;
« 6 ° bis Membre du groupe spécial de négociation et représentant au comité de la société coopérative européenne ;
« 6 ° ter Membre du groupe spécial de négociation et représentant au comité de la société issue de la fusion transfrontalière ;
« 7 ° Représentant du personnel au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ;
« 8 ° Représentant du personnel d'une entreprise extérieure, désigné au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail d'un établissement comprenant au moins une installation classée figurant sur la liste prévue au IV de l'article L. 515-8 du code de l'environnement ou mentionnée à l'article L. 211-2 du code minier ;
« 9 ° Membre d'une commission paritaire d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail en agriculture prévue à l'article L. 717-7 du code rural et de la pêche maritime ;
« 10 ° Salarié mandaté, dans les conditions prévues à l'article L. 2232-24, dans les entreprises dépourvues de délégué syndical ;
« 11 ° Représentant des salariés mentionné à l'article L. 662-4 du code de commerce lors d'un redressement ou d'une liquidation judiciaire ;
« 12 ° Représentant des salariés au conseil d'administration ou de surveillance des entreprises du secteur public ;
« 13 ° Membre du conseil ou administrateur d'une caisse de sécurité sociale mentionné à l'article L. 231-11 du code de la sécurité sociale ;
« 14 ° Membre du conseil d'administration d'une mutuelle, union ou fédération mentionné à l'article L. 114-24 du code de la mutualité ;
« 15 ° Représentant des salariés dans une chambre d'agriculture, mentionné à l'article L. 515-1 du code rural et de la pêche maritime ;
« 16 ° Conseiller du salarié inscrit sur une liste dressée par l'autorité administrative et chargé d'assister les salariés convoqués par leur employeur en vue d'un licenciement ;
« 17 ° Conseiller prud'homme » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2411-3 du code du travail : « Le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.
« Cette autorisation est également requise pour le licenciement de l'ancien délégué syndical, durant les douze mois suivant la date de cessation de ses fonctions, s'il a exercé ces dernières pendant au moins un an.
« Elle est également requise lorsque la lettre du syndicat notifiant à l'employeur la désignation du délégué syndical a été reçue par l'employeur ou lorsque le salarié a fait la preuve que l'employeur a eu connaissance de l'imminence de sa désignation comme délégué syndical, avant que le salarié ait été convoqué à l'entretien préalable au licenciement » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2411-18 du code du travail : « Conformément à l'article L. 231-11 du code de la sécurité sociale, la procédure d'autorisation de licenciement et les périodes et durées de protection du salarié membre du conseil ou administrateur d'une caisse de sécurité sociale sont celles applicables au délégué syndical, prévues par l'article L. 2411-3 » ;
4. Considérant que, selon l'association requérante, en conférant aux salariés exerçant un mandat de membre du conseil ou d'administrateur d'une caisse de sécurité sociale une protection contre le licenciement sans que ces salariés soient tenus d'en informer leur employeur, ces dispositions portent aux droits des employeurs une atteinte qui méconnaît tant la liberté que le principe d'égalité devant la loi ;
5. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le 13 ° de l'article L. 2411-1 du code du travail, ainsi que sur ses articles L. 2411-3 et L. 2411-18 ;
6. Considérant qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ;
7. Considérant que les dispositions contestées prévoient que les salariés exerçant un mandat de membre du conseil ou d'administrateur d'une caisse de sécurité sociale ne peuvent être licenciés qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ; qu'en accordant une telle protection à ces salariés, le législateur a entendu préserver leur indépendance dans l'exercice de leur mandat ; qu'il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général ; qu'en subordonnant la validité du licenciement de ces salariés à l'autorisation de l'inspecteur du travail, les dispositions contestées n'ont porté une atteinte disproportionnée ni à la liberté d'entreprendre ni à la liberté contractuelle ;
8. Considérant que, si les dispositions du titre III du livre IV de la deuxième partie du code du travail prévoient des incriminations réprimant de peines délictuelles le fait de licencier un salarié protégé en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative du licenciement, ces dispositions n'ont pas pour effet de déroger au principe, prévu par l'article 121-3 du code pénal, selon lequel il n'y a pas de délit sans intention de le commettre ; que, par suite, les dispositions contestées n'exposent pas l'employeur à des sanctions pénales réprimant la méconnaissance d'obligations auxquelles il pourrait ignorer être soumis ;
9. Considérant qu'en outre, le licenciement d'un salarié protégé en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative est nul de plein droit ; qu'un tel licenciement expose l'employeur à l'obligation de devoir réintégrer le salarié et à lui verser des indemnités en réparation du préjudice subi du fait de son licenciement irrégulier ;
10. Considérant que la protection assurée au salarié par les dispositions contestées découle de l'exercice d'un mandat extérieur à l'entreprise ; que, par suite, ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, permettre au salarié protégé de se prévaloir d'une telle protection dès lors qu'il est établi qu'il n'en a pas informé son employeur au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement ; que, sous cette réserve, le 13 ° de l'article L. 2411-1 du code du travail et les articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du même code ne sont pas contraires à la liberté d'entreprendre ;
11. Considérant qu'enfin, les dispositions contestées, qui ne soumettent pas à des règles différentes des personnes placées dans une situation identique, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi ;
12. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'elles doivent être déclarées conformes à la Constitution sous la réserve énoncée au considérant 10,
D É C I D E :
Article 1er.- Le 13 ° de l'article L. 2411-1 du code du travail, ainsi que les articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du même code sont conformes à la Constitution sous la réserve énoncée au considérant 10.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 11 mai 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 14 mai 2012.
Journal officiel du 15 mai 2012, page 9096, texte n° 2
Recueil, p. 259
ECLI : FR : CC : 2012 : 2012.242.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.13. LIBERTÉ CONTRACTUELLE ET DROIT AU MAINTIEN DE L'ÉCONOMIE DES CONVENTIONS LÉGALEMENT CONCLUES
- 4.13.1. Liberté contractuelle
4.13.1.2. Portée du principe
Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.13. LIBERTÉ CONTRACTUELLE ET DROIT AU MAINTIEN DE L'ÉCONOMIE DES CONVENTIONS LÉGALEMENT CONCLUES
- 4.13.1. Liberté contractuelle
- 4.13.1.3. Conciliation du principe
4.13.1.3.1. Avec les exigences d'intérêt général
Les dispositions du 13° de l'article L. 2411-1 du code du travail et des articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du même code prévoient que les salariés exerçant un mandat de membre du conseil ou d'administrateur d'une caisse de sécurité sociale ne peuvent être licenciés qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. En accordant une telle protection à ces salariés, le législateur a entendu préserver leur indépendance dans l'exercice de leur mandat. Il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général. En subordonnant la validité du licenciement de ces salariés à l'autorisation de l'inspecteur du travail, les dispositions contestées n'ont porté une atteinte disproportionnée ni à la liberté d'entreprendre ni à la liberté contractuelle.
Le licenciement d'un salarié protégé en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative est nul de plein droit. Un tel licenciement expose l'employeur à l'obligation de devoir réintégrer le salarié et à lui verser des indemnités en réparation du préjudice subi du fait de son licenciement irrégulier.
La protection assurée au salarié par les dispositions contestées découle de l'exercice d'un mandat extérieur à l'entreprise. Par suite, ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, permettre au salarié protégé de se prévaloir d'une telle protection dès lors qu'il est établi qu'il n'en a pas informé son employeur au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement. Réserve d'interprétation.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
- 4.21.2. Liberté d'entreprendre
4.21.2.2. Portée du principe
Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, qui découlent de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
- 4.21.2. Liberté d'entreprendre
- 4.21.2.5. Conciliation du principe
4.21.2.5.2. Avec l'intérêt général
Les dispositions du 13° de l'article L. 2411-1 du code du travail et des articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du même code prévoient que les salariés exerçant un mandat de membre du conseil ou d'administrateur d'une caisse de sécurité sociale ne peuvent être licenciés qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. En accordant une telle protection à ces salariés, le législateur a entendu préserver leur indépendance dans l'exercice de leur mandat. Il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général. En subordonnant la validité du licenciement de ces salariés à l'autorisation de l'inspecteur du travail, les dispositions contestées n'ont porté une atteinte disproportionnée ni à la liberté d'entreprendre ni à la liberté contractuelle.
Le licenciement d'un salarié protégé en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative est nul de plein droit. Un tel licenciement expose l'employeur à l'obligation de devoir réintégrer le salarié et à lui verser des indemnités en réparation du préjudice subi du fait de son licenciement irrégulier.
La protection assurée au salarié par les dispositions contestées découle de l'exercice d'un mandat extérieur à l'entreprise. Par suite, ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, permettre au salarié protégé de se prévaloir d'une telle protection dès lors qu'il est établi qu'il n'en a pas informé son employeur au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement. Réserve d'interprétation.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
- 4.23.7. Responsabilité pénale
- 4.23.7.2. Élément intentionnel de l'infraction
4.23.7.2.1. Principe
Si les dispositions du titre III du livre IV de la deuxième partie du code du travail prévoient des incriminations réprimant de peines délictuelles le fait de licencier un salarié protégé en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative du licenciement, ces dispositions n'ont pas pour effet de déroger au principe, prévu par l'article 121-3 du code pénal, selon lequel il n'y a pas de délit sans intention de le commettre. Par suite, les dispositions du 13° de l'article L. 2411-1 du code du travail et des articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du même code n'exposent pas l'employeur à des sanctions pénales réprimant la méconnaissance d'obligations auxquelles il pourrait ignorer être soumis.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
- 5.1.3. Respect du principe d'égalité : absence de différence de traitement
- 5.1.3.9. Droit social
5.1.3.9.6. Droit du travail et droit syndical
Les dispositions du 13° de l'article L. 2411-1 du code du travail et des articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du même code, qui ne soumettent pas à des règles différentes des personnes placées dans une situation identique, ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi.
- 16. RÉSERVES D'INTERPRÉTATION
- 16.10. DROIT SOCIAL
16.10.18. Articles L. 2411-1 (13°), L. 2411-3 et L. 2411-18 du code du travail (licenciement d'un salarié protégé)
Le licenciement d'un salarié protégé en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative est nul de plein droit. Un tel licenciement expose l'employeur à l'obligation de devoir réintégrer le salarié et à lui verser des indemnités en réparation du préjudice subi du fait de son licenciement irrégulier.
La protection assurée au salarié par les dispositions du 13° de l'article L. 2411-1 du code du travail et des articles L. 2411-3 et L. 2411-18 du même code découle de l'exercice d'un mandat extérieur à l'entreprise. Par suite, ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, permettre au salarié protégé de se prévaloir d'une telle protection dès lors qu'il est établi qu'il n'en a pas informé son employeur au plus tard lors de l'entretien préalable au licenciement. Réserve d'interprétation.