Décision

Décision n° 2011-205 QPC du 9 décembre 2011

Patelise F. [Nouvelle-Calédonie : rupture du contrat de travail d'un salarié protégé]
Non conformité totale - effet différé

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 octobre 2011 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2231 du 12 octobre 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Patelise F, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, dans sa rédaction résultant de la loi du pays n° 2008-2 du 13 février 2008 relative au code du travail de Nouvelle-Calédonie.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie ;

Vu le code du travail de Nouvelle-Calédonie ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Waquet-Farge-Hazan, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 28 octobre 2011 ;

Vu les observations produites par le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, enregistrées le 27 octobre 2011 ;

Vu les observations produites par le président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie, enregistrées le 9 novembre 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 novembre 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Claire Waquet pour le requérant et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 29 novembre 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie : « Les dispositions du chapitre III du titre Ier du présent livre, relatives au droit d'expression des salariés, du chapitre III du titre II, relatives à l'exercice du droit syndical, du titre IV, relatives aux institutions représentatives du personnel et du titre V relatives aux dispositions spécifiques aux salariés protégés, ne sont pas applicables à l'État, à la Nouvelle-Calédonie, aux provinces, aux communes et aux établissements publics administratifs » ;

2. Considérant que le requérant fait valoir que ces dispositions instituent une différence de traitement sur le territoire de la Nouvelle Calédonie entre, d'une part, les agents de l'État, de la Nouvelle-Calédonie, des provinces, des communes et des établissements publics administratifs et, d'autre part, les salariés des entreprises privées et les agents des établissements publics industriels et commerciaux ; qu'ainsi, elles méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi ; qu'en outre, en privant les agents de ces administrations publiques du bénéfice de l'application des dispositions du code du travail de Nouvelle-Calédonie relatives au droit d'expression des salariés, à l'exercice du droit syndical, aux institutions représentatives du personnel et aux salariés protégés, les dispositions contestées porteraient atteinte à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail ;

3. Considérant qu'en vertu de l'article 21 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, l'État est compétent en matière de fonction publique de l'État ; qu'en vertu de l'article 22 de la même loi organique, la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de fonction publique de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'en matière de droit du travail et droit syndical ; qu'en outre, aux termes de l'article 99 de la même loi organique : « Les lois du pays interviennent dans les matières suivantes correspondant aux compétences exercées par la Nouvelle-Calédonie ou à compter de la date de leur transfert par application de la présente loi : . . . 3 ° Principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité sociale ; garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de la Nouvelle-Calédonie et des communes » ;

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi. . . doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;

5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ; que son huitième alinéa dispose : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises » ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il était loisible au législateur, pour mettre en oeuvre la liberté syndicale et le principe de participation, d'adopter des dispositions particulières applicables aux agents des administrations publiques salariés dans les conditions du droit privé s'agissant du droit d'expression des salariés, du droit syndical, des institutions représentatives du personnel et des salariés protégés ;

7. Considérant, en second lieu, que les dispositions contestées soustraient ces agents des administrations publiques du bénéfice des dispositions du code du travail de Nouvelle-Calédonie applicables aux relations collectives du travail ; que ni ces dispositions ni aucune loi du pays de Nouvelle-Calédonie n'assurent la mise en oeuvre, pour ces agents, de la liberté syndicale et du principe de participation des travailleurs ; que, par suite, les dispositions contestées portent une atteinte inconstitutionnelle aux exigences précitées du Préambule de 1946 ; qu'elles doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

8. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

9. Considérant que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir de même nature que celui du Congrès de Nouvelle-Calédonie ; qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modalités selon lesquelles il doit être remédié à l'inconstitutionnalité de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ; que, par suite, afin de permettre qu'il y soit remédié, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la date de cette abrogation ; que les contrats et les décisions pris avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité,

DÉCIDE :

Article 1er.- L'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie est contraire à la Constitution.

Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter du 1er janvier 2013 dans les conditions fixées au considérant 9.

Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 décembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 9 décembre 2011.

Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 95
Recueil, p. 584
ECLI : FR : CC : 2011 : 2011.205.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.1. NOTION DE " DROITS ET LIBERTÉS QUE LA CONSTITUTION GARANTIT " (art. 61-1)
  • 4.1.2. Préambule de 1946
  • 4.1.2.4. Liberté syndicale (alinéa 6)

Les dispositions de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie soustraient les agents contractuels des administrations publiques du bénéfice des dispositions du code du travail de Nouvelle-Calédonie applicables aux relations collectives du travail. Ni ces dispositions ni aucune loi du pays de Nouvelle-Calédonie n'assurent la mise en œuvre, pour ces agents, de la liberté syndicale et du principe de participation des travailleurs. Par suite, les dispositions contestées portent une atteinte inconstitutionnelle aux exigences découlant des sixième et huitième alinéas du Préambule de 1946.

(2011-205 QPC, 09 décembre 2011, cons. 7, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 95)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.1. NOTION DE " DROITS ET LIBERTÉS QUE LA CONSTITUTION GARANTIT " (art. 61-1)
  • 4.1.2. Préambule de 1946
  • 4.1.2.6. Principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail (alinéa 8)

Les dispositions de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie soustraient les agents contractuels des administrations publiques du bénéfice des dispositions du code du travail de Nouvelle-Calédonie applicables aux relations collectives du travail. Ni ces dispositions ni aucune loi du pays de Nouvelle-Calédonie n'assurent la mise en œuvre, pour ces agents, de la liberté syndicale et du principe de participation des travailleurs. Par suite, les dispositions contestées portent une atteinte inconstitutionnelle aux exigences découlant des sixième et huitième alinéas du Préambule de 1946.

(2011-205 QPC, 09 décembre 2011, cons. 7, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 95)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
  • 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
  • 4.9.1.3. Liberté syndicale (alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946)
  • 4.9.1.3.2. Liberté syndicale collective

Il était loisible au législateur, pour mettre en œuvre la liberté syndicale et le principe de participation, exigences constitutionnelles découlant du Préambule de 1946, d'adopter des dispositions particulières applicables aux agents des administrations publiques, salariés dans les conditions du droit privé, s'agissant du droit d'expression des salariés, du droit syndical, des institutions représentatives du personnel et des salariés protégés.
Les dispositions de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie soustraient les agents contractuels des administrations publiques du bénéfice des dispositions du code du travail de Nouvelle-Calédonie applicables aux relations collectives du travail. Ni ces dispositions ni aucune loi du pays de Nouvelle-Calédonie n'assurent la mise en œuvre, pour ces agents, de la liberté syndicale et du principe de participation des travailleurs. Les dispositions contestées portent une atteinte inconstitutionnelle aux exigences des sixième et huitième alinéas du Préambule de 1946.

(2011-205 QPC, 09 décembre 2011, cons. 6, 7, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 95)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
  • 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
  • 4.9.1.4. Principe de participation des travailleurs à la gestion des entreprises (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946)
  • 4.9.1.4.2. Représentativité des syndicats et institutions représentatives du personnel

Il était loisible au législateur, pour mettre en œuvre la liberté syndicale et le principe de participation, exigences constitutionnelles découlant du Préambule de 1946, d'adopter des dispositions particulières applicables aux agents des administrations publiques, salariés dans les conditions du droit privé, s'agissant du droit d'expression des salariés, du droit syndical, des institutions représentatives du personnel et des salariés protégés.
Les dispositions de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie soustraient les agents contractuels des administrations publiques du bénéfice des dispositions du code du travail de Nouvelle-Calédonie applicables aux relations collectives du travail. Ni ces dispositions ni aucune loi du pays de Nouvelle-Calédonie n'assurent la mise en œuvre, pour ces agents, de la liberté syndicale et du principe de participation des travailleurs. Les dispositions contestées portent une atteinte inconstitutionnelle aux exigences des sixième et huitième alinéas du Préambule de 1946.

(2011-205 QPC, 09 décembre 2011, cons. 6, 7, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 95)
  • 5. ÉGALITÉ
  • 5.1. ÉGALITÉ DEVANT LA LOI
  • 5.1.4. Respect du principe d'égalité : différence de traitement justifiée par une différence de situation
  • 5.1.4.10. Droit social
  • 5.1.4.10.7. Droit du travail et droit syndical

Il était loisible au législateur, pour mettre en œuvre la liberté syndicale et le principe de participation, d'adopter des dispositions particulières applicables aux agents des administrations publiques, salariés dans les conditions du droit privé, s'agissant du droit d'expression des salariés, du droit syndical, des institutions représentatives du personnel et des salariés protégés.

(2011-205 QPC, 09 décembre 2011, cons. 4, 5, 6, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 95)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.3. CHAMP D'APPLICATION DU CONTRÔLE DE CONFORMITÉ À LA CONSTITUTION
  • 11.3.2. Étendue de la compétence du Conseil constitutionnel
  • 11.3.2.3. Lois de pays

Le Conseil constitutionnel saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur une loi du pays de Nouvelle-Calédonie, a estimé qu'il ne disposait pas d'un pouvoir de même nature que celui du Congrès de Nouvelle-Calédonie et qu'il ne lui appartenait pas d'indiquer les modalités selon lesquelles il devait être remédié à l'inconstitutionnalité de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie. Afin de permettre qu'il y soit remédié, il a décidé qu'il y avait lieu de reporter au 1er janvier 2013 la date de l'abrogation de cet article et que les contrats et décisions pris avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne pouvaient être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

(2011-205 QPC, 09 décembre 2011, cons. 9, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 95)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
  • 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
  • 11.8.6.2.2. Abrogation
  • 11.8.6.2.2.2. Abrogation reportée dans le temps

Le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir de même nature que celui du Congrès de Nouvelle-Calédonie. Il ne lui appartient pas d'indiquer les modalités selon lesquelles il doit être remédié à l'inconstitutionnalité de l'article Lp. 311-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie. Par suite, afin de permettre qu'il y soit remédié, il y a lieu de reporter au 1er janvier 2013 la date de l'abrogation de cet article. Les contrats et décisions pris avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestés sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

(2011-205 QPC, 09 décembre 2011, cons. 9, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 95)
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