Décision

Décision n° 2011-204 QPC du 9 décembre 2011

M. Jérémy M. [Conduite après usage de stupéfiants]
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 octobre 2011 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt du 5 octobre 2011, n° 5447), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Jérémy M., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 235-1 du code de la route.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de la route ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Retali-Genisseux, enregistrées le 4 novembre 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28 octobre 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 29 novembre 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa, du paragraphe I de l'article L. 235-1 du code de la route : « Toute personne qui conduit un véhicule ou qui accompagne un élève conducteur alors qu'il résulte d'une analyse sanguine qu'elle a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants est punie de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende » ;

2. Considérant que, selon le requérant, en ne prévoyant ni taux de substance illicite détectable dans le sang ni durée entre la prise de stupéfiants et la conduite, ces dispositions portent atteinte au principe de légalité des délits et des peines ainsi qu'au principe de nécessité des peines ;

3. Considérant, d'une part, que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis ;

4. Considérant, d'autre part, que l'article 8 de la Déclaration de 1789 dispose : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. . . » ; que l'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que, si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ;

5. Considérant, en premier lieu, que, d'une part, il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour réprimer la conduite lorsque le conducteur a fait usage de stupéfiants ; qu'à cette fin, il a précisé que l'infraction est constituée dès lors que l'usage de produits ou de plantes classés comme stupéfiants est établi par une analyse sanguine ; que, d'autre part, il appartient au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge compétent, de fixer, en l'état des connaissances scientifiques, médicales et techniques, les seuils minima de détection témoignant de l'usage de stupéfiants ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu le principe de légalité des délits en omettant de préciser la quantité de produits stupéfiants présents dans le sang pour que l'infraction soit constituée doit être écarté ;

6. Considérant, en second lieu, que la disposition contestée réprime d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende le fait de conduire un véhicule alors qu'une analyse sanguine révèle que le conducteur a fait usage de stupéfiants ; que, compte tenu des risques induits par le comportement réprimé, les peines encourues ne sont pas manifestement disproportionnées ;

7. Considérant que le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 235-1 du code de la route n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,

DÉCIDE :

Article 1er.- Le premier alinéa du paragraphe I de l'article L. 235-1 du code de la route est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 8 décembre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 9 décembre 2011.

Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 94
Recueil, p. 582
ECLI : FR : CC : 2011 : 2011.204.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.2. Principe de la légalité des délits et des peines
  • 4.23.2.1. Compétence du législateur
  • 4.23.2.1.1. Principe

Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis.

(2011-204 QPC, 09 décembre 2011, cons. 3, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 94)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.2. Principe de la légalité des délits et des peines
  • 4.23.2.1. Compétence du législateur
  • 4.23.2.1.2. Applications
  • 4.23.2.1.2.1. Absence de méconnaissance de la compétence du législateur

D'une part, il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour réprimer la conduite lorsque le conducteur a fait usage de stupéfiants. A cette fin, il a précisé, à l'article L. 235-1 du code de la route, que l'infraction est constituée dès lors que l'usage de produits ou de plantes classés comme stupéfiants est établi par une analyse sanguine. D'autre part, il appartient au pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge compétent, de fixer, en l'état des connaissances scientifiques, médicales et techniques, les seuils minima de détection témoignant de l'usage de stupéfiants. Par suite, le moyen tiré de ce que le législateur aurait méconnu le principe de légalité des délits en omettant de préciser la quantité de produits stupéfiants présents dans le sang pour que l'infraction soit constituée doit être écarté.

(2011-204 QPC, 09 décembre 2011, cons. 5, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 94)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.3. Principes de nécessité et de proportionnalité
  • 4.23.3.1. Nature du contrôle du Conseil constitutionnel
  • 4.23.3.1.1. Contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation

L'article 61-1 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité des dispositions législatives soumises à son examen aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.

(2011-204 QPC, 09 décembre 2011, cons. 4, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 94)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.3. Principes de nécessité et de proportionnalité
  • 4.23.3.2. Absence de méconnaissance des principes de nécessité et de proportionnalité des peines
  • 4.23.3.2.1. Détermination des infractions et des peines

L'article L. 235-1 du code de la route réprime d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende le fait de conduire un véhicule alors qu'une analyse sanguine révèle que le conducteur a fait usage de stupéfiants. Compte tenu des risques induits par le comportement réprimé, les peines encourues ne sont pas manifestement disproportionnées.

(2011-204 QPC, 09 décembre 2011, cons. 6, Journal officiel du 10 décembre 2011, page 20991, texte n° 94)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
Toutes les décisions