Décision n° 2011-174 QPC du 6 octobre 2011
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 juillet 2011 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 864 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Oriette P., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 3213-2 et L. 3213-3 du code de la santé publique.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011 ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 28 juillet 2011 ;
Vu les observations produites pour la requérante par Me Laurent Friouret, avocat au barreau de Castres, enregistrées le 5 août 2011 ;
Vu les observations en intervention présentées pour l'information Groupe information asiles par Me Corinne Vaillant, avocate au barreau de Paris, enregistrées les 26 juillet et 2 août 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Vaillant pour l'association intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 27 septembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge : « En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l'égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'État dans le département qui statue sans délai et prononce, s'il y a lieu, un arrêté d'hospitalisation d'office dans les formes prévues à l'article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l'État, ces mesures provisoires sont caduques au terme d'une durée de quarante-huit heures » ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à cette même loi du 5 juillet 2011 : « Dans les quinze jours, puis un mois après l'hospitalisation et ensuite au moins tous les mois, le malade est examiné par un psychiatre de l'établissement qui établit un certificat médical circonstancié confirmant ou infirmant, s'il y a lieu, les observations contenues dans le précédent certificat et précisant notamment les caractéristiques de l'évolution ou la disparition des troubles justifiant l'hospitalisation. Chaque certificat est transmis au représentant de l'État dans le département et à la commission mentionnée à l'article L. 3222-5 par le directeur de l'établissement » ;
3. Considérant que, selon la requérante, les conditions dans lesquelles l'hospitalisation d'office d'une personne peut être ordonnée en cas de danger imminent sont insuffisamment encadrées et méconnaissent les exigences constitutionnelles qui assurent la protection de la liberté individuelle ; que l'association intervenante fait en outre valoir que la possibilité d'ordonner l'hospitalisation d'une personne atteinte de troubles mentaux sur le fondement de la seule notoriété publique méconnaît ces mêmes exigences ;
4. Considérant que l'article 66 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, dans l'exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d'intervention de l'autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu'il entend édicter ;
5. Considérant qu'en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation garantit à tous le droit à la protection de la santé ; que l'article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
6. Considérant que l'hospitalisation sans son consentement d'une personne atteinte de troubles mentaux doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ; qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ; que les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ;
- SUR L'ARTICLE L. 3213-2 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE :
7. Considérant, en premier lieu, que, dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011 précitée, l'article L. 3213-1 du code de la santé publique prévoit qu'une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée d'office que si ses troubles nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ; que, dans sa décision du 9 juin 2011 susvisée, le Conseil constitutionnel a jugé que de tels motifs peuvent justifier la mise en oeuvre d'une mesure privative de liberté au regard des exigences constitutionnelles qui assurent la protection de la liberté individuelle ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que l'autorité administrative qui prend les mesures provisoires est tenue d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'État dans le département qui peut prendre un arrêté d'hospitalisation d'office dans les conditions et les formes prévues à l'article L. 3213-1 ; qu'à défaut, ces mesures sont caduques aux termes d'une durée de quarante-huit heures ; que, si l'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, il n'impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté ; que, par suite, la compétence du maire de la commune ou, à Paris, du commissaire de police, pour ordonner, en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, toutes les mesures provisoires, y compris des mesures portant atteinte à la liberté individuelle, ne méconnaît pas les exigences tirées de l'article 66 de la Constitution ;
9. Considérant, en troisième lieu, que l'article L. 3213-2 n'est applicable qu'en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes et ne s'applique qu'aux personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes ; que, dans ces conditions, le législateur pouvait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, permettre qu'une mesure de privation de liberté provisoire soit ordonnée après un simple avis médical ;
10. Considérant, toutefois, que la privation de liberté prévue par l'article L. 3213-2 est fondée sur l'existence de troubles mentaux ; qu'en permettant qu'une telle mesure puisse être prononcée sur le fondement de la seule notoriété publique, les dispositions de cet article n'assurent pas qu'une telle mesure est réservée aux cas dans lesquels elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à l'état du malade ainsi qu'à la sûreté des personnes ou la préservation de l'ordre public ; que, par suite, les mots : « ou, à défaut, par la notoriété publique » doivent être déclarés contraires à la Constitution ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, pour le surplus, l'article L. 3213-2 du code de la santé publique n'est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ;
- SUR L'ARTICLE L. 3213-3 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE :
12. Considérant que l'article L. 3213-3 se borne à imposer l'examen du malade dans les quinze jours puis un mois après l'hospitalisation et ensuite au moins tous les mois, par un psychiatre de l'établissement qui transmet son certificat médical au représentant de l'État dans le département et à la commission départementale des hospitalisations psychiatriques ; qu'en lui-même, cet article n'est contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'il doit être déclaré conforme à la Constitution ;
- SUR L'EFFET DANS LE TEMPS DE LA PRÉSENTE DÉCISION :
13. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que l'abrogation des mots : « ou, à défaut, par la notoriété publique » prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date,
D É C I D E :
Article 1er.- À l'article L. 3213-2 du code la santé publique, les mots : « ou, à défaut, par la notoriété publique » sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au considérant 13.
Article 3.- Le surplus de l'article L. 3213-2 et l'article L. 3213-3 du code la santé publique sont conformes à la Constitution.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 6 octobre 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 6 octobre 2011.
Journal officiel du 8 octobre 2011, page 17017, texte n° 73
Recueil, p. 484
ECLI : FR : CC : 2011 : 2011.174.QPC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.18. LIBERTÉ INDIVIDUELLE
- 4.18.4. Contrôle des mesures portant atteinte à la liberté individuelle
4.18.4.14. Hospitalisation sans consentement des malades mentaux
L'autorité administrative qui prend les mesures provisoires est tenue d'en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l'État dans le département qui peut prendre un arrêté d'hospitalisation d'office dans les conditions et les formes prévues à l'article L. 3213-1 du code de la santé publique. A défaut, ces mesures sont caduques aux termes d'une durée de quarante-huit heures. Si l'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, il n'impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Par suite, la compétence du maire de la commune ou, à Paris, du commissaire de police, pour ordonner, en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, toutes les mesures provisoires, y compris des mesures portant atteinte à la liberté individuelle, ne méconnaît pas les exigences tirées de l'article 66 de la Constitution.
L'hospitalisation sans son consentement d'une personne atteinte de troubles mentaux doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. Il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties. Au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire. Les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, l'article L. 3213-1 du code de la santé publique prévoit qu'une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée d'office que si ses troubles nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Dans sa décision n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que de tels motifs peuvent justifier la mise en œuvre d'une mesure privative de liberté au regard des exigences constitutionnelles qui assurent la protection de la liberté individuelle.
L'article L. 3213-2 n'est applicable qu'en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes et ne s'applique qu'aux personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes. Dans ces conditions, le législateur pouvait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, permettre qu'une mesure de privation de liberté provisoire soit ordonnée après un simple avis médical.
Toutefois, la privation de liberté prévue par l'article L. 3213-2 est fondée sur l'existence de troubles mentaux. En permettant qu'une telle mesure puisse être prononcée sur le fondement de la seule notoriété publique, les dispositions de cet article n'assurent pas qu'une telle mesure est réservée aux cas dans lesquels elle est adaptée, nécessaire et proportionnée à l'état du malade ainsi qu'à la sûreté des personnes ou la préservation de l'ordre public. Par suite, les mots : " ou, à défaut, par la notoriété publique " doivent être déclarés contraires à la Constitution.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
- 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
- 11.8.6.2.4. Effets produits par la disposition abrogée
- 11.8.6.2.4.2. Remise en cause des effets
11.8.6.2.4.2.1. Pour les instances en cours ou en cours et à venir
L'abrogation des mots : " ou, à défaut, par la notoriété publique " à l'article L. 3213-2 du code de la santé publique prend effet à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel et elle est applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date.
- 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
- 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
- 11.8.7. Autorité des décisions du Conseil constitutionnel
- 11.8.7.3. Portée des précédentes décisions
11.8.7.3.3. Motivation par renvoi à une autre décision
Dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, l'article L. 3213-1 du code de la santé publique prévoit qu'une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée d'office que si ses troubles nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public. Dans sa décision n° 2011-135-140 du 9 juin 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que de tels motifs peuvent justifier la mise en œuvre d'une mesure privative de liberté au regard des exigences constitutionnelles qui assurent la protection de la liberté individuelle.