Décision

Décision n° 2011-118 QPC du 8 avril 2011

M. Lucien M. [Biens des sections de commune]
Conformité

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 janvier 2011 par le Conseil d'État (décision n° 330481 du 28 janvier 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Lucien M., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2411-12-1 du code général des collectivités territoriales.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites pour le requérant par Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 14 février 2011 ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 14 février 2011 ;

Vu les observations produites pour la commune de Saint-Martin d'Arrossa par la SCP Hélène Masse-Dessen et Gilles Thouvenin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 25 février 2011 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 22 mars 2011 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2411-12-1 du code général des collectivités territoriales : « Le transfert à la commune des biens, droits et obligations d'une section de communes est prononcé par le représentant de l'État dans le département sur demande du conseil municipal dans l'un des trois cas suivants :
« - lorsque depuis plus de cinq années consécutives, les impôts ont été payés sur le budget communal ou admis en non-valeur ;
« - lorsque les électeurs n'ont pas demandé la création d'une commission syndicale alors que les conditions pour une telle création, telles qu'elles sont définies aux articles L. 2411-3 et L. 2411-5, sont réunies ;
« - lorsque moins d'un tiers des électeurs a voté lors d'une consultation » ;

- SUR LE DROIT DE PROPRIÉTÉ :

2. Considérant que le requérant fait valoir que ces dispositions ne prévoient aucune indemnisation des membres de la section de commune en cas de transfert de propriété de ses biens ou droits à la commune ; qu'ainsi, elles porteraient atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

3. Considérant, en premier lieu, que la propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ; qu'aux termes de son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ; qu'en l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi ;

4. Considérant que, selon l'article L. 2411-1 du code général des collectivités territoriales, une section de commune est une personne morale de droit public possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune ; qu'en vertu de l'article L. 2411-10 du même code, les membres de la section ont, dans les conditions résultant soit des décisions des autorités municipales, soit des usages locaux, la jouissance de ceux des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature ; qu'ainsi, ils ne sont pas titulaires d'un droit de propriété sur ces biens ou droits ; que, par suite, doit être rejeté comme inopérant le grief tiré de ce que le transfert des biens d'une section de commune porterait atteinte au droit de propriété de ses membres ;

5. Considérant, en second lieu, que le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques ainsi que la protection du droit de propriété, qui ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi la propriété de l'État et des autres personnes publiques, résultent, d'une part, des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 et, d'autre part, de ses articles 2 et 17 ; que le droit au respect des biens garanti par ces dispositions ne s'oppose pas à ce que le législateur, poursuivant un objectif d'intérêt général, autorise le transfert gratuit de biens entre personnes publiques ;

6. Considérant que les dispositions contestées ont pour objet de permettre le transfert des biens ou droits de la section à la commune afin de mettre un terme soit au blocage de ce transfert en raison de l'abstention d'au moins deux tiers des électeurs soit au dysfonctionnement administratif ou financier de la section ; que, dès lors, elles ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles en matière de propriété des personnes publiques ;

- SUR LA GARANTIE DES DROITS :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par cet article s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant ;

8. Considérant que les dispositions contestées n'autorisent le transfert à titre gratuit des biens ou droits de la section que pour des motifs imputables aux membres de la section ou à leurs représentants ; qu'au demeurant, le législateur n'a pas exclu toute indemnisation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour les membres de la section une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ; que, dans ces conditions, ces dispositions n'affectent pas une situation légalement acquise dans des conditions contraires à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;

9. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,

D É C I D E :

Article 1er.- L'article L. 2411-12-1 du code général des collectivités territoriales est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23 11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 7 avril 2011, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 8 avril 2011.

Journal officiel du 9 avril 2011, page 6363, texte n° 91
Recueil, p. 191
ECLI : FR : CC : 2011 : 2011.118.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.1. NOTION DE " DROITS ET LIBERTÉS QUE LA CONSTITUTION GARANTIT " (art. 61-1)
  • 4.1.1. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
  • 4.1.1.12. Article 16

La garantie des droits, proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789, figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et peut être invoquée à l'appui d'une QPC.

(2011-118 QPC, 08 avril 2011, cons. 7, Journal officiel du 9 avril 2011, page 6363, texte n° 91)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.2. PRINCIPES GÉNÉRAUX APPLICABLES AUX DROITS ET LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLEMENT GARANTIS
  • 4.2.2. Garantie des droits
  • 4.2.2.4. Sécurité juridique
  • 4.2.2.4.1. Atteinte à un acte ou à une situation légalement acquise

Il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions. Ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles. En particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant.
Les dispositions de l'article L. 2411-12-1 du code général des collectivités territoriales n'autorisent le transfert à titre gratuit des biens ou droits de la section de commune que pour des motifs imputables aux membres de la section ou à leurs représentants. Au demeurant, le législateur n'a pas exclu toute indemnisation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour les membres de la section une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. Dans ces conditions, ces dispositions n'affectent pas une situation légalement acquise dans des conditions contraires à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

(2011-118 QPC, 08 avril 2011, cons. 7, 8, Journal officiel du 9 avril 2011, page 6363, texte n° 91)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.7. DROIT DE PROPRIÉTÉ
  • 4.7.1. Principe
  • 4.7.1.1. Fondements du droit de propriété

La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Aux termes de son article 17 : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ". En l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

(2011-118 QPC, 08 avril 2011, cons. 3, Journal officiel du 9 avril 2011, page 6363, texte n° 91)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.7. DROIT DE PROPRIÉTÉ
  • 4.7.2. Champ d'application de la protection du droit de propriété
  • 4.7.2.1. Titulaires du droit de propriété

Selon l'article L. 2411-1 du code général des collectivités territoriales, une section de commune est une personne morale de droit public possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune. En vertu de l'article L. 2411-10 du même code, les membres de la section ont, dans les conditions résultant soit des décisions des autorités municipales, soit des usages locaux, la jouissance de ceux des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature. Ainsi, ils ne sont pas titulaires d'un droit de propriété sur ces biens ou droits. Par suite, doit être rejeté comme inopérant le grief tiré de ce que le transfert des biens d'une section de commune, prévu par l'article L. 2411-12-1 du code général des collectivités territoriales, porterait atteinte au droit de propriété de ses membres.

(2011-118 QPC, 08 avril 2011, cons. 4, Journal officiel du 9 avril 2011, page 6363, texte n° 91)

Le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques ainsi que la protection du droit de propriété, qui ne concerne pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi la propriété de l'État et des autres personnes publiques, résultent, d'une part, des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 et, d'autre part, de ses articles 2 et 17. Le droit au respect des biens garanti par ces dispositions ne s'oppose pas à ce que le législateur, poursuivant un objectif d'intérêt général, autorise le transfert gratuit de biens entre personnes publiques.
Les dispositions de l'article L. 2411-12-1 du code général des collectivités territoriales ont pour objet de permettre le transfert des biens ou droits de la section à la commune afin de mettre un terme soit au blocage de ce transfert en raison de l'abstention d'au moins deux tiers des électeurs soit au dysfonctionnement administratif ou financier de la section. Dès lors, elles ne méconnaissent pas les exigences constitutionnelles en matière de propriété des personnes publiques.

(2011-118 QPC, 08 avril 2011, cons. 5, 6, Journal officiel du 9 avril 2011, page 6363, texte n° 91)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi CE, Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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