Décision

Décision n° 2010-62 QPC du 17 décembre 2010

M. David M. [Détention provisoire : procédure devant le juge des libertés et de la détention]
Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 septembre 2010 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 4980 du 14 septembre 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. David M., relative à la conformité de l'article 148 du code de procédure pénale aux droits et libertés que la Constitution garantit.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 12 octobre 2010 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Jean-Emmanuel Nunes pour le requérant et M. Thierry-Xavier Girardot, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 7 décembre 2010 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 148 du code de procédure pénale : « En toute matière, la personne placée en détention provisoire ou son avocat peut, à tout moment, demander sa mise en liberté, sous les obligations prévues à l'article précédent.
« La demande de mise en liberté est adressée au juge d'instruction, qui communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions.
« Sauf s'il donne une suite favorable à la demande, le juge d'instruction doit, dans les cinq jours suivant la communication au procureur de la République, la transmettre avec son avis motivé au juge des libertés et de la détention. Ce magistrat statue dans un délai de trois jours ouvrables, par une ordonnance comportant l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de cette décision par référence aux dispositions de l'article 144. Toutefois, lorsqu'il n'a pas encore été statué sur une précédente demande de mise en liberté ou sur l'appel d'une précédente ordonnance de refus de mise en liberté, les délais précités ne commencent à courir qu'à compter de la décision rendue par la juridiction compétente. Lorsqu'il a été adressé plusieurs demandes de mise en liberté, il peut être répondu à ces différentes demandes dans les délais précités par une décision unique.
« La mise en liberté, lorsqu'elle est accordée, peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire.
« Faute par le juge des libertés et de la détention d'avoir statué dans le délai fixé au troisième alinéa, la personne peut saisir directement de sa demande la chambre de l'instruction qui, sur les réquisitions écrites et motivées du procureur général, se prononce dans les vingt jours de sa saisine faute de quoi la personne est mise d'office en liberté sauf si des vérifications concernant sa demande ont été ordonnées. Le droit de saisir dans les mêmes conditions la chambre de l'instruction appartient également au procureur de la République » ;

2. Considérant que, selon le requérant, la procédure devant le juge des libertés et de la détention pour l'examen des demandes de mise en liberté méconnaît le principe du contradictoire, le droit à une procédure juste et équitable et le respect des droits de la défense ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution » ; que sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ainsi que le respect des droits de la défense qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties ;

4. Considérant que l'article 145 du code de procédure pénale prévoit que la détention provisoire d'une personne mise en examen ne peut être ordonnée qu'à l'issue d'un débat contradictoire ; que ses articles 145-1 et 145-2 imposent également un tel débat pour la prolongation de la détention provisoire ; que son article 199 prévoit que l'appel d'une décision rejetant une demande de mise en liberté est également débattu contradictoirement devant la chambre de l'instruction ;

5. Considérant que l'article 148 du code de procédure pénale garantit à toute personne en détention provisoire le droit de demander à tout moment sa mise en liberté et de voir sa demande examinée dans un bref délai par le juge d'instruction et, le cas échéant, le juge des libertés et de la détention ; que cet article prévoit que, lorsque le juge d'instruction ne donne pas une suite favorable à la demande de mise en liberté, celle-ci est transmise au juge des libertés et de la détention qui statue au vu de cette demande, de l'avis motivé du juge d'instruction et des réquisitions du procureur de la République ; qu'ainsi, la demande de mise en liberté est examinée à l'issue d'une procédure écrite sans débat contradictoire ;

6. Considérant qu'eu égard au caractère contradictoire des débats prévus par les articles 145, 145-1, 145-2 et 199 du code de procédure pénale et à la fréquence des demandes de mise en liberté susceptibles d'être formées, l'article 148 du code de procédure pénale assure une conciliation qui n'est pas disproportionnée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et les exigences qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;

7. Considérant, toutefois, que l'équilibre des droits des parties interdit que le juge des libertés et de la détention puisse rejeter la demande de mise en liberté sans que le demandeur ou son avocat ait pu avoir communication de l'avis du juge d'instruction et des réquisitions du ministère public ; que, sous cette réserve d'interprétation, applicable aux demandes de mise en liberté formées à compter de la publication de la présente décision, l'article 148 du code de procédure pénale ne méconnaît pas les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ;

8. Considérant que l'article 148 du code de procédure pénale ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit,

DÉCIDE :

Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 7, l'article 148 du code de procédure pénale est conforme à la Constitution.

Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 décembre 2010, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Michel CHARASSE, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.

Rendu public le 17 décembre 2010.

Journal officiel du 19 décembre 2010, page 22372, texte n° 47
Recueil, p. 400
ECLI : FR : CC : 2010 : 2010.62.QPC

Les abstracts

  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.1. NOTION DE " DROITS ET LIBERTÉS QUE LA CONSTITUTION GARANTIT " (art. 61-1)
  • 4.1.1. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789
  • 4.1.1.12. Article 16

Le respect des droits de la défense qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et peut être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de Constitutionnalité.

(2010-62 QPC, 17 décembre 2010, cons. 3, Journal officiel du 19 décembre 2010, page 22372, texte n° 47)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.18. LIBERTÉ INDIVIDUELLE
  • 4.18.4. Contrôle des mesures portant atteinte à la liberté individuelle
  • 4.18.4.7. Détention provisoire
  • 4.18.4.7.3. Procédure en matière de détention provisoire

L'article 148 du code de procédure pénale prévoit que la demande de mise en liberté d'une personne mise en examen placée en détention provisoire est examinée par le juge des libertés et de la détention à l'issue d'une procédure écrite sans débat contradictoire. Si l'absence de débat contradictoire est justifié dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'équilibre des droits des parties interdit toutefois que le juge des libertés et de la détention puisse rejeter la demande de mise en liberté sans que le demandeur ou son avocat ait pu avoir communication de l'avis du juge d'instruction et des réquisitions du ministère public. Réserve.

(2010-62 QPC, 17 décembre 2010, cons. 4, 5, 6, 7, Journal officiel du 19 décembre 2010, page 22372, texte n° 47)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
  • 4.23.9.1. Fondement constitutionnel

L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 garantit le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ainsi que le respect des droits de la défense qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.

(2010-62 QPC, 17 décembre 2010, cons. 3, Journal officiel du 19 décembre 2010, page 22372, texte n° 47)
  • 4. DROITS ET LIBERTÉS
  • 4.23. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL ET DE PROCÉDURE PÉNALE
  • 4.23.9. Respect des droits de la défense, droit à un procès équitable et droit à un recours juridictionnel effectif en matière pénale
  • 4.23.9.6. Dispositions relevant de la procédure d'enquête et d'instruction
  • 4.23.9.6.3. Instruction

L'article 148 du code de procédure pénale garantit à toute personne en détention provisoire le droit de demander à tout moment sa mise en liberté et de voir sa demande examinée dans un bref délai par le juge d'instruction et, le cas échéant, le juge des libertés et de la détention. Cet article prévoit que, lorsque le juge d'instruction ne donne pas une suite favorable à la demande de mise en liberté, celle-ci est transmise au juge des libertés et de la détention qui statue au vu de cette demande, de l'avis motivé du juge d'instruction et des réquisitions du procureur de la République. Ainsi, la demande de mise en liberté est examinée à l'issue d'une procédure écrite sans débat contradictoire.
Eu égard au caractère contradictoire des débats prévus par les articles 145 du code de procédure pénale (lors du placement en détention provisoire), de ses articles 145-1, 145-2 (lors de la prolongation de la détention provisoire) et de son article 199 (lors de l'examen de l'appel devant la chambre de l'instruction) et à la fréquence des demandes de mise en liberté susceptibles d'être formées, l'article 148 du code de procédure pénale assure une conciliation qui n'est pas disproportionnée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et les exigences qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Toutefois, l'équilibre des droits des parties interdit que le juge des libertés et de la détention puisse rejeter la demande de mise en liberté sans que le demandeur ou son avocat ait pu avoir communication de l'avis du juge d'instruction et des réquisitions du ministère public. Réserve.

(2010-62 QPC, 17 décembre 2010, cons. 4, 5, 6, 7, Journal officiel du 19 décembre 2010, page 22372, texte n° 47)
  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.6. Portée des décisions dans le temps
  • 11.8.6.2. Dans le cadre d'un contrôle a posteriori (article 61-1)
  • 11.8.6.2.3. Réserve
  • 11.8.6.2.3.1. Réserve pérenne (voir Titre 16 Réserves d'interprétation)

Saisi de l'article 148 du code de procédure pénale qui prévoit que la demande de mise en liberté d'une personne mise en examen placée en détention provisoire est examinée par le juge des libertés et de la détention à l'issue d'une procédure écrite sans débat contradictoire, le Conseil constitutionnel juge que l'équilibre des droits des parties interdit que le juge des libertés et de la détention puisse rejeter la demande de mise en liberté sans que le demandeur ou son avocat ait pu avoir communication de l'avis du juge d'instruction et des réquisitions du ministère public. Sous cette réserve d'interprétation l'article 148 du code de procédure pénale ne méconnaît pas les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Le Conseil constitutionnel précise, pour la première fois, que cette réserve est applicable aux demandes de mise en liberté formées à compter de la publication de sa décision.

(2010-62 QPC, 17 décembre 2010, cons. 7, Journal officiel du 19 décembre 2010, page 22372, texte n° 47)
  • 16. RÉSERVES D'INTERPRÉTATION
  • 16.22. PROCÉDURE PÉNALE
  • 16.22.1. Code de procédure pénale
  • 16.22.1.4. Article 148 (JLD)

L'article 148 du code de procédure pénale prévoit que la demande de mise en liberté d'une personne mise en examen placée en détention provisoire est examinée par le juge des libertés et de la détention à l'issue d'une procédure écrite sans débat contradictoire Si l'absence de débat contradictoire est justifiée dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, l'équilibre des droits des parties interdit toutefois que le juge des libertés et de la détention puisse rejeter la demande de mise en liberté sans que le demandeur ou son avocat ait pu avoir communication de l'avis du juge d'instruction et des réquisitions du ministère public.
Sous cette réserve d'interprétation, applicable aux demandes de mise en liberté formées à compter de la publication de la décision n° 2010-62 QPC du 17 décembre 2010, l'article 148 du code de procédure pénale ne méconnaît pas les exigences de l'article 16 de la Déclaration de 1789.

(2010-62 QPC, 17 décembre 2010, cons. 7, Journal officiel du 19 décembre 2010, page 22372, texte n° 47)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Décision de renvoi Cass., Références doctrinales, Version PDF de la décision, Vidéo de la séance.
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