Décision

Décision n° 2006-20/21 I du 20 juillet 2006

Situation de deux députés et de quatre sénateurs au regard du régime des incompatibilités parlementaires (Messieurs Jacques PELISSARD et Xavier PINTAT, députés ; Messieurs Jean GAUBERT, Michel CHARASSE, Pierre HERISSON et Paul RAOULT, sénateurs)
Incompatibilité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
1 °) Saisi le 22 juin 2006 par le Président de l'Assemblée nationale, au nom du Bureau de cette assemblée, dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article L.O. 151 du code électoral, d'une demande tendant à apprécier si MM. Jacques PÉLISSARD et Jean GAUBERT, députés, se trouvent dans un cas d'incompatibilité ;
2 °) Saisi le 27 juin 2006 par le Président du Sénat, au nom du Bureau de cette assemblée, dans les mêmes conditions, d'une demande tendant à apprécier si MM. Xavier PINTAT, Michel CHARASSE, Pierre HÉRISSON et Paul RAOULT, sénateurs, se trouvent dans un cas d'incompatibilité ;

Vu les observations produites par M. CHARASSE, enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 3 juillet 2006 ;

Vu les observations produites par M. PÉLISSARD, enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 12 juillet 2006 ;

Vu les pièces desquelles il résulte que communication des saisines a été faite aux autres parlementaires, lesquels n'ont pas produit d'observations ;

Vu les autres pièces produites et jointes aux dossiers ;

Vu la Constitution ;

Vu le code électoral, notamment ses articles L.O. 146, L.O. 147, L.O. 151 et L.O. 297 ;

Vu les statuts modifiés de l'association Service public 2000 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que la question posée au Conseil constitutionnel par le Président de l'Assemblée nationale et par le Président du Sénat est de savoir si les fonctions de co-président de « Service Public 2000 », exercées par MM. PÉLISSARD et PINTAT, et les fonctions de membre du conseil d'administration de cette association, exercées par MM. GAUBERT, CHARASSE, HÉRISSON et RAOULT, sont compatibles avec leur mandat de parlementaire ; qu'il y a lieu de joindre les deux saisines pour statuer par une seule décision ;

- SUR LA SITUATION DE MM. PÉLISSARD ET PINTAT :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L.O. 146 du code électoral, applicable aux sénateurs en vertu de l'article L.O. 297 du même code : « Sont incompatibles avec le mandat parlementaire les fonctions de chef d'entreprise, de président de conseil d'administration, de président et de membre de directoire, de président de conseil de surveillance, d'administrateur délégué, de directeur général, directeur général adjoint ou gérant exercées dans : ... 3º les sociétés ou entreprises dont l'activité consiste principalement dans l'exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l'Etat, d'une collectivité ou d'un établissement public ou d'une entreprise nationale ou d'un Etat étranger » ;

3. Considérant que les entreprises visées au 3 ° de l'article L.O. 146 du code électoral peuvent ne pas avoir de but lucratif comme le montrent a contrario les termes du 4 ° de ce même article qui, pour un autre cas d'incompatibilité, mentionnent expressément les seules « sociétés ou entreprises à but lucratif » ; qu'au demeurant, les considérations qui justifient l'incompatibilité énoncée au 3 ° de l'article L.O. 146 n'impliquent pas que les fonctions visées soient exercées nécessairement dans une entreprise à but lucratif ;

4. Considérant que les fonctions de direction au sein d'une entreprise ainsi définie entrent dans le champ d'application de l'article précité dès lors que ladite entreprise a une activité consistant principalement dans l'exécution de travaux ou la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l'Etat, d'une collectivité ou d'un établissement public, d'une entreprise nationale ou d'un Etat étranger ;

5. Considérant, en l'espèce, que l'association Service public 2000 a été fondée par l'Association des maires de France et la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies ; qu'aux termes de l'article 2 de ses statuts : « L'association a pour objet l'expertise technique, économique, juridique et financière des services publics locaux. Elle apporte à la demande de personnes morales de droit public des capacités d'analyse, de négociation et d'aide à la décision leur permettant une meilleure maîtrise des services publics locaux » ; qu'elle intervient dans un cadre concurrentiel au moyen de prestations intellectuelles qu'elle facture ; qu'elle est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et à l'impôt sur les sociétés ;

6. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'association Service public 2000 doit être regardée comme une entreprise qui a pour activité principale la prestation de services pour le compte de collectivités locales ;

7. Considérant, dès lors, que les fonctions exercées par M. PÉLISSARD, député, et M. PINTAT, sénateur, en qualité de co-président de Service Public 2000 entrent dans le champ d'application de l'incompatibilité définie par le 3 ° de l'article L.O. 146 précité ; que le fait qu'ils exercent leurs fonctions à titre bénévole ne saurait tenir en échec les dispositions dudit article dès lors que l'incompatibilité qu'il édicte n'est pas liée à la rémunération des fonctions qu'il vise ;

- SUR LA SITUATION DE MM. GAUBERT, CHARASSE, HÉRISSON et RAOULT :

8. Considérant qu'aux termes de l'article L.O. 147 du code électoral, applicable aux sénateurs en vertu de l'article L.O. 297 du même code : « Il est interdit à tout député d'accepter, en cours de mandat, une fonction de membre du conseil d'administration ou de surveillance dans l'un des établissements, sociétés ou entreprises visés à l'article L.O. 146 » ;

9. Considérant que MM. GAUBERT, CHARASSE, HÉRISSON et RAOULT ont été désignés ou renouvelés dans les fonctions de membre du conseil d'administration de Service public 2000 le 14 avril 2005, soit à une date postérieure à leur réélection comme député ou sénateur ; que, dans ces conditions, ils doivent être regardés comme ayant accepté en cours de mandat lesdites fonctions au sens de l'article L.O. 147 du code électoral ;

10. Considérant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que l'association Service public 2000 entre dans le champ d'application du 3 ° de l'article L.O. 146 précité du code électoral ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fonctions de membre du conseil d'administration de Service public 2000 doivent être regardées, en application de l'article L.O. 147 du code électoral, comme incompatibles avec l'exercice par M. GAUBERT, député, et par MM. CHARASSE, HÉRISSON et RAOULT, sénateurs, de leur mandat de parlementaire,

Décide :
Article premier.- Les fonctions de co-président du conseil d'administration de Service public 2000 sont incompatibles avec l'exercice par M. Jacques PÉLISSARD et M. Xavier PINTAT de leur mandat de parlementaire.
Article 2.- Les fonctions de membre du conseil d'administration de Service public 2000 sont incompatibles avec l'exercice par M. Jean GAUBERT, M. Michel CHARASSE, M. Pierre HÉRISSON et M. Paul RAOULT de leur mandat de parlementaire.
Article 3.- La présente décision sera notifiée au Président du Sénat, au Président de l'Assemblée nationale, à MM. PÉLISSARD, PINTAT, GAUBERT, CHARASSE, HÉRISSON et RAOULT et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 juillet 2006, où siégeaient : M. Pierre MAZEAUD, Président, MM. Jean-Claude COLLIARD, Olivier DUTHEILLET de LAMOTHE et Valéry GISCARD d'ESTAING, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Pierre JOXE et Jean-Louis PEZANT, Mme Dominique SCHNAPPER, M. Pierre STEINMETZ et Mme Simone VEIL.

Journal officiel du 25 juillet 2006, page 11110, texte n° 62
Recueil, p. 85
ECLI : FR : CC : 2006 : 2006.20.I

Les abstracts

  • 10. PARLEMENT
  • 10.1. MANDAT PARLEMENTAIRE
  • 10.1.2. Incompatibilités
  • 10.1.2.4. Cumul avec l'exercice d'activités privées
  • 10.1.2.4.3. Sociétés travaillant pour le compte ou sous le contrôle d'une personne publique ou sociétés prévues à l'article L.O. 146, 3°

La Société centrale pour l'équipement du territoire (SCET) a, aux termes de ses statuts, principalement pour objet de faciliter les initiatives des collectivités territoriales dans les domaines de leurs compétences. À cet effet, elle intervient soit directement auprès des collectivités, soit auprès de leurs émanations (sociétés d'économie mixte, associations) ; elle fournit des prestations de conseil au niveau des études préalables ; elle met à leur disposition des services d'assistance administrative, financière, technique, juridique et fiscale ; elle concourt à la réalisation de toutes opérations d'aménagement, de construction d'ouvrages ou de bâtiments de toute nature, à l'exploitation de tous services publics à caractère industriel et commercial ou de services d'intérêt général. En raison de cet objet social, la SCET doit être regardée comme entrant dans le champ d'application du 3° de l'article L.O. 146 du code électoral. En conséquence, l'article L.O. 147 du même code s'oppose à ce qu'un député accepte, en cours de mandat, d'exercer les fonctions de membre du conseil d'administration de cette société.

(2006-20/21 I, 20 juillet 2006, cons. 7, Journal officiel du 25 juillet 2006, page 11110, texte n° 62)

Les entreprises visées au 3° de l'article L.O. 146 du code électoral peuvent ne pas avoir de but lucratif comme le montrent a contrario les termes du 4° de ce même article qui, pour un autre cas d'incompatibilité, mentionnent expressément les seules " sociétés ou entreprises à but lucratif ". Au demeurant, les considérations qui justifient l'incompatibilité énoncée au 3° de l'article L.O. 146 n'impliquent pas que les fonctions visées soient exercées nécessairement dans une entreprise à but lucratif.

(2006-20/21 I, 20 juillet 2006, cons. 3, Journal officiel du 25 juillet 2006, page 11110, texte n° 62)

Les fonctions de direction au sein d'une entreprise visée au 3° de l'article L.O. 146 du code électoral entrent dans le champ d'application de cet article dès lors que ladite entreprise a une activité consistant principalement dans l'exécution de travaux ou la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l'État, d'une collectivité ou d'un établissement public, d'une entreprise nationale ou d'un État étranger. En l'espèce, il résulte de ses statuts, de son intervention dans un cadre concurrentiel au moyen de prestations intellectuelles qu'elle facture et de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée et à l'impôt sur les sociétés que l'association en cause doit être regardée comme une entreprise qui a pour activité principale la prestation de services pour le compte de collectivités locales.

(2006-20/21 I, 20 juillet 2006, cons. 4, 5, 6, Journal officiel du 25 juillet 2006, page 11110, texte n° 62)
  • 10. PARLEMENT
  • 10.1. MANDAT PARLEMENTAIRE
  • 10.1.2. Incompatibilités
  • 10.1.2.4. Cumul avec l'exercice d'activités privées
  • 10.1.2.4.8. Cas particulier des administrateurs (L.O. 147)

Les parlementaires concernés ont été désignés ou renouvelés dans les fonctions de membre du conseil d'administration de l'association en cause à une date postérieure à leur réélection comme député ou sénateur. Dans ces conditions, ils doivent être regardés comme ayant accepté en cours de mandat lesdites fonctions au sens de l'article L.O. 147 du code électoral. Par suite, les fonctions de membre du conseil d'administration qu'ils s'exercent dans une association entrant dans le champ d'application du 3° de l'article L.O. 146 doivent être regardées, en application de l'article L.O. 147, comme incompatibles avec l'exercice de leur mandat de parlementaire.

(2006-20/21 I, 20 juillet 2006, cons. 9, 10, 11, Journal officiel du 25 juillet 2006, page 11110, texte n° 62)
À voir aussi sur le site : Communiqué de presse, Commentaire, Dossier documentaire, Références doctrinales, Version PDF de la décision.
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