Décision

Décision n° 93-1919 AN du 15 mars 1994

A.N., Hauts-de-Seine (1ère circ.)
Inéligibilité

Le Conseil constitutionnel,

Vu, enregistrée sous le numéro 93-1919 au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 16 novembre 1993, la lettre du président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques par laquelle celui-ci communique la décision en date du 5 novembre 1993 de la commission de saisir le Conseil constitutionnel, juge de l'élection, de la situation de M. Roger Prevot, candidat lors de l'élection législative qui a eu lieu les 21 et 28 mars 1993 dans la 1re circonscription des Hauts-de-Seine ;

Vu la décision d'instruction complémentaire prise par la section d'instruction en date du 3 décembre 1993 ;

Vu les pièces produites et jointes au dossier dans le cadre de l'instruction complémentaire ;

Vu les observations présentées en défense par M. Prevot, enregistrées comme ci-dessus les 29 novembre 1993, 9 et 14 mars 1994 ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment son article 59 ;

Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code électoral ;

Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et sénateurs ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral « chaque candidat ou candidat tête de liste soumis au plafonnement prévu à l'article L. 52-11 est tenu d'établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, l'ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, par lui-même ou pour son compte, au cours de la période mentionnée à l'article L. 52-4 » qu'il est spécifié que : « Sont réputées faites pour son compte les dépenses exposées directement au profit du candidat et avec l'accord, même tacite, de celui-ci, par les personnes physiques ou morales, les groupements et partis qui lui apportent leur soutien » que le premier alinéa de l'article L. 52-12 exige enfin que « le candidat estime et inclut, en recettes et en dépenses, les avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié »

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 52-15 du code précité : « La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve et, après procédure contradictoire, rejette ou réforme les comptes de campagne » que le deuxième alinéa de l'article L.O. 128 du code électoral dispose dans une première phrase que : « Est... inéligible pendant un an à compter de l'élection celui qui n'a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits par l'article L. 52-12 et celui dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit », et énonce dans une seconde phrase que « Peut également être déclaré inéligible, pour la même durée, celui qui a dépassé le plafond des dépenses électorales tel qu'il résulte de l'article L. 52-11 » qu'enfin, il est spécifié à l'article L.O. 136-1 du code électoral : « La commission instituée par l'article L. 52-14 saisit le Conseil constitutionnel du cas de tout candidat susceptible de se voir opposer les dispositions du deuxième alinéa de l'article L.O. 128. Le Conseil constitutionnel constate, le cas échéant, l'inéligibilité... »

3. Considérant que le compte de campagne de M. Prevot a été déposé le 27 mai 1993, conformément aux prescriptions du deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral, dans le délai de deux mois suivant le tour de scrutin où l'élection a été acquise ; que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, après avoir retranché des frais de justice, a procédé à la réévaluation du poste de dépense relatif au fonctionnement de la permanence électorale du candidat et a en outre réintégré au compte une somme correspondant à l'édition d'un document électoral ; que, ce faisant, une fois établi le montant des dépenses à 504 845 F, elle a saisi le Conseil constitutionnel ;

4. Considérant que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques est une autorité administrative et non une juridiction ; qu'il en résulte que la position qu'elle adopte lors de l'examen des comptes de campagne d'un candidat ne saurait préjuger la décision du Conseil constitutionnel, juge de la régularité de l'élection en vertu de l'article 59 de la Constitution ;

5. Considérant que le compte de campagne de M. Prevot déposé à la préfecture s'élève à 498 726 F en dépenses ; qu'il comprend, d'une part, des frais de justice pour 3 481 F et, d'autre part, des frais d'expertise relatifs à son établissement pour 3 000 F, dépenses qui ne peuvent être regardées comme ayant été effectuées en vue de l'élection au sens de l'article L. 52-12 du code électoral ; que par suite le montant correspondant à ces frais de justice et d'expertise comptable doit être retranché du compte du candidat ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le supplément no 92 du journal L'Avenir de Colombes de mars 1993, constitué d'un feuillet simple comportant au verso une pleine page intitulée « Elisez Roger Prevot », présente le caractère d'un document de propagande électorale ; que la moitié de son coût toutes taxes comprises est de 10 114 F selon une facture de l'imprimeur en date du 24 mars 1993 ; que cette somme doit dès lors être inscrite dans le compte du candidat ;

7. Considérant que dans les numéros des mois de février et mars 1993 du journal L'Avenir de Colombes figurent plusieurs articles et encadrés dont le contenu se rattache étroitement à la campagne menée par le candidat dans la circonscription ; que lesdites insertions représentent ensemble quatre pages qui, toutes taxes comprises, correspondent, sur la base de documents fournis par l'éditeur, à un coût de 17 401 F ; que par suite cette somme doit être portée en dépenses dans le compte du candidat ;

8. Considérant que l'examen des pièces justificatives annexées au compte de campagne ne fait apparaître quasiment aucune dépense au titre du fonctionnement de la permanence du candidat ; qu'appelé à justifier son compte sur ce point M. Prevot n'a apporté aucune information nouvelle de nature à remettre en cause l'appréciation portée par la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques sur ce poste manifestement sous-évalué qu'il y a donc bien lieu de procéder à la réintégration dans les comptes du candidat de la somme forfaitaire de 5 000 F déterminée par la commission ;

9. Considérant qu'un local sis 17, rue Richelieu, à Gennevilliers, a été loué à l'association « Gennevilliers d'Abord ! » pour la somme de 10 F par mois par un bail entre M. Michel Piloquet, président de ladite association, qui, au moment des faits, était également secrétaire de l'Association pour le financement électoral de M. Roger Prevot, d'une part, et le président de l'office public départemental d'habitations à loyer modéré des Hauts-de-Seine, d'autre part ; qu'il ressort de l'instruction, et notamment des factures d'électricité et de téléphone versées au dossier, que ce local a en fait été utilisé de février à mars 1993 pour la campagne de M. Prevot ; qu'il y a donc lieu de réintégrer au compte du candidat, comme un avantage en nature, le montant des loyers et charges correspondant à la valeur d'usage d'un local de cette surface, qui peut être estimée pour deux mois à 7 000 F ; qu'ainsi, en définitive, le compte de campagne de M. Prevot s'établit en dépenses à 531 760 F, excédant le plafond des dépenses électorales autorisé de 31 760 F ;

10. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de prononcer l'inéligibilité de M. Roger Prevot,

Décide :
Article premier :
M. Roger Prevot est déclaré inéligible pour une durée d'un an à compter du 28 mars 1993.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée à M. Prevot, au président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 15 mars 1994, où siégeaient : MM. Robert BADINTER, président, Robert FABRE, Maurice FAURE, Georges ABADIE, Jean CABANNES, Jacques ROBERT et Mme Noëlle LENOIR.

Journal officiel du 23 mars 1994 page 4419
Recueil, p. 77
ECLI : FR : CC : 1994 : 93.1919.AN

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