Décision n° 90-284 DC du 16 janvier 1991
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 19 décembre 1990, par MM Bernard Pons, Robert Pandraud, Jean Tiberi, Pierre Pasquini, Pierre Bachelet, Alain Peyrefitte, Georges Tranchant, Mmes Suzanne Sauvaigo, Michèle Alliot-Marie, MM Arthur Dehaine, Alain Cousin, Jean-Louis Goasduff, Henri de Gastines, Jacques Chaban-Delmas, Michel Inchauspé, Philippe Auberger, Arnaud Lepercq, Serge Charles, Jean-Yves Chamard, Lucien Guichon, Régis Perbet, Pierre Raynal, Lucien Richard, Jean-Louis Debré, Pierre Mazeaud, Eric Raoult, Jacques Toubon, Olivier Dassault, Bernard Debré, Jean-Michel Couve, Jacques Masdeu-Arus, Michel Péricard, Antoine Rufenacht, Jacques Godfrain, Bruno Bourg-Broc, Mme Nicole Catala, MM Claude Dhinnin, Michel Giraud, Jean-Paul Charié, Didier Julia, Claude-Gérard Marcus, Mmes Christiane Papon, Roselyne Bachelot, MM René Couveinhes, Jean Besson, Charles Millon, Jean-Marc Nesme, André Rossinot, André Santini, Jean-Yves Haby, Aimé Kergueris, Raymond Marcellin, Jean-Marie Caro, Jean Brocard, Francisque Perrut, Jean-Luc Préel, Georges Mesmin, Jean Seitlinger, Jean Bégault, Jean Rigaud, Xavier Hunault, Marc Reymann, Pascal Clément, Paul-Louis Tenaillon, Pierre-André Wiltzer, Philippe Mestre, Marc Laffineur, Georges Durand et Alain Griotteray, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative au conseiller du salarié ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi n° 89-549 du 2 août 1989 modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion, notamment son article 30 ;
Vu le code du travail ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant que la loi déférée au Conseil constitutionnel comprend, pour l'essentiel, deux séries de dispositions ; d'une part, elle tend à préciser et organiser l'intervention d'un conseiller du salarié dans la procédure de licenciement lorsqu'il n'y a pas d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise ; d'autre part, elle dote le conseiller du salarié d'un statut comportant un ensemble de droits et obligations ;
2. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que les droits reconnus au conseiller du salarié sont exorbitants du droit commun ; qu'ils imposent à certains employeurs des charges manifestement trop lourdes au regard de l'intérêt général ; qu'en effet, les garanties d'emploi dont doit bénéficier le conseiller du salarié constituent un sacrifice manifestement disproportionné avec le but poursuivi ; que le conseiller du salarié n'ayant d'autre mission que d'assister le salarié et de l'informer sur l'étendue de ses droits, il apparaît tout à fait disproportionné de lui accorder des garanties identiques à celles des représentants du personnel ;
3. Considérant qu'en vertu du quatrième alinéa de l'article 34 de la Constitution la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du droit syndical ; que, dans l'exercice de cette compétence, il est loisible au législateur d'investir des personnes de fonctions particulières dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs et de doter ces personnes d'un statut destiné à leur permettre un exercice normal de leurs fonctions ; que les règles que le législateur édicte à cette fin peuvent soumettre à certaines limites les droits et libertés des employeurs dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à leur substance ;
- SUR LES ATTRIBUTIONS DU CONSEILLER DU SALARIE :
4. Considérant que l'article 2 de la loi déférée modifie et complète l'article L. 122-14 du code du travail qui concerne l'obligation faite à l'employeur qui envisage de licencier un salarié de le convoquer au préalable par lettre recommandée afin de lui indiquer le ou les motifs de la décision envisagée et de recueillir les explications de l'intéressé ; qu'une première adjonction apportée à l'article L. 122-14 prescrit qu'en l'absence d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié a la faculté de se faire assister au cours de l'entretien préalable par un conseiller de son choix et que cet entretien ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation au salarié de la lettre recommandée de convocation ou sa remise en main propre ; qu'en vertu des dispositions de l'article L. 122-14 telles qu'elles sont modifiées par l'article 2 de la loi, le conseiller auquel le salarié entend faire appel doit être inscrit « sur une liste dressée par le représentant de l'État dans le département après consultation des organisations représentatives visées à l'article L. 136-1 dans des conditions fixées par décret » ; qu'il est spécifié par l'article 2 de la loi que la liste comporte notamment le nom, l'adresse, la profession ainsi que l'appartenance syndicale éventuelle des conseillers ; que ne peuvent y être inscrits des conseillers prud'hommes en activité ; qu'une autre adjonction au texte de l'article L. 122-14 fait obligation à l'employeur dans la lettre de convocation du salarié à l'entretien préalable, non seulement de l'informer de la faculté de se faire assister par un conseiller, mais aussi de porter à sa connaissance l'adresse des services où la liste des conseillers est tenue à la disposition des salariés ;
5. Considérant qu'en édictant ces prescriptions le législateur a entendu que, dans le cadre de la procédure individuelle de licenciement, un salarié puisse faire appel à un conseiller chargé de l'assister et de l'informer sur l'étendue de ses droits lors de l'entretien préalable à un éventuel licenciement, s'il n'existe pas au sein de l'entreprise d'institutions représentatives du personnel ;
6. Considérant que les dispositions définissant les attributions du conseiller du salarié ont donc pour effet de l'investir d'une fonction particulière dans l'intérêt des travailleurs employés dans les entreprises dépourvues d'institutions représentatives du personnel ; que de telles dispositions ne sont contraires à aucune règle non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle ;
- SUR LES DROITS CONFERES AU CONSEILLER DU SALARIE :
7. Considérant que la loi, dans ses articles 6 à 9, qui ajoutent au code du travail des articles L. 122-14-14 à L. 122-14-17, a entendu doter le conseiller du salarié d'un statut destiné à lui permettre l'exercice normal de ses fonctions ;
. En ce qui concerne les articles 6 et 7 :
8. Considérant que l'article 6 de la loi insère dans le code du travail un article L. 122-14-14 aux termes duquel « l'employeur, dans les établissements où sont occupés au moins onze salariés, est tenu de laisser au salarié de son entreprise investi de la mission de conseiller du salarié... le temps nécessaire à l'exercice de sa mission dans la limite d'une durée qui ne peut excéder quinze heures par mois » ; que l'article 7, qui ajoute un article L. 122-14-15 au code du travail, prévoit que le temps passé hors de l'entreprise pendant les heures de travail par le conseiller du salarié pour l'exercice de sa mission est assimilé à une durée de travail effectif pour la détermination de sa rémunération et de ses droits à des prestations sociales ainsi qu'au regard de tous les droits liés à l'ancienneté du salarié dans l'entreprise ;
9. Considérant que, dans son dernier alinéa, l'article L. 122-14-15 du code du travail prescrit le remboursement par l'État des salaires maintenus ainsi que des avantages et des charges sociales y afférents pendant le temps d'absence de l'entreprise du conseiller du salarié motivé par l'exercice de ses fonctions ; qu'ainsi et en tout état de cause les dispositions prévoyant un crédit d'heures et le maintien de la rémunération et des avantages annexes au profit du conseiller du salarié ne créent pas, au détriment de l'employeur, une rupture de l'égalité de tous devant les charges publiques ;
. En ce qui concerne l'article 8 :
10. Considérant que l'article 8 introduit dans le code du travail un article L. 122-14-16 qui comporte deux alinéas ; que le premier alinéa pose en principe que l'exercice de la mission de conseiller du salarié ne saurait être une cause de rupture par l'employeur du contrat de travail ; que le second alinéa subordonne le licenciement par l'employeur d'un conseiller du salarié aux mêmes exigences que celles prévues pour le licenciement d'un délégué syndical, lequel ne peut légalement intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ou de l'autorité qui en tient lieu ;
11. Considérant que ces prescriptions ne sauraient être regardées comme portant atteinte aux droits et libertés de l'employeur dans la mesure où ce dernier a la faculté de contester devant le juge de l'excès de pouvoir la décision par laquelle l'autorité compétente refuse l'autorisation de procéder au licenciement ;
. En ce qui concerne l'article 9 :
12. Considérant que l'article L. 122-14-17, ajouté au code du travail par l'article 9 de la loi, ouvre à un salarié inscrit sur la liste départementale des conseillers du salarié, le droit d'obtenir pour les besoins de sa formation « des autorisations d'absence dans la limite de deux semaines par période de trois ans suivant la publication de cette liste » ; que ces congés sont soumis, pour l'essentiel, aux dispositions régissant, en vertu de la loi n° 85-1409 du 30 décembre 1985, le congé de formation économique, sociale et syndicale ; qu'il suit de là que ces congés doivent, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 451-1 du code du travail, donner lieu à une rémunération par les employeurs, dans les entreprises occupant au moins dix salariés, à la hauteur de 0,08 p. 1000 du montant des salaires payés pendant l'année en cours ;
13. Considérant qu'il résulte du troisième alinéa de l'article L. 451-1 du code du travail que les dépenses ainsi exposées par les entreprises sont déductibles, dans la limite prévue au deuxième alinéa du même article, du montant de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue en application de la loi n° 84-130 du 24 février 1984 ; que, de surcroît, la durée sur une année d'un congé au titre de l'article L. 122-14-17, cumulée avec celle d'un congé de formation économique, sociale et syndicale ne saurait, ainsi que le prescrit le quatrième alinéa de l'article L. 451-1, excéder douze jours ; que, dans ces conditions, l'article 9 de la loi n'entraîne pas pour les entreprises une contrainte qui dépasserait, par son ampleur, les charges qui peuvent leur être imposées dans l'intérêt général ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'argumentation des auteurs de la saisine ne saurait être accueillie ;
Décide :
Article premier :
La loi relative au conseiller du salarié n'est pas contraire à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.Journal officiel du 18 janvier 1991, page 923
Recueil, p. 20
ECLI : FR : CC : 1991 : 90.284.DC
Les abstracts
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.9. DROITS CONSTITUTIONNELS DES TRAVAILLEURS
- 4.9.1. Droits collectifs des travailleurs
- 4.9.1.2. Liberté de négociation collective (alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946)
- 4.9.1.2.2. Consécration de la liberté de négociation collective
4.9.1.2.2.3. Rôle des autres acteurs sociaux
Dans l'exercice de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, il est loisible au législateur d'investir des personnes de fonctions particulières dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs et de doter ces personnes d'un statut destiné à leur permettre un exercice normal de leurs fonctions ; les règles édictées à cette fin peuvent soumettre à certaines limites les droits et libertés des employeurs dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à leur substance. Prescriptions par lesquelles le législateur prévoit que, dans le cadre de la procédure individuelle de licenciement, un salarié puisse faire appel à un conseiller chargé de l'assister et de l'informer sur l'étendue de ses droits lors de l'entretien préalable à un éventuel licenciement, s'il n'existe pas au sein de l'entreprise d'institutions représentatives du personnel. Les dispositions qui définissent les attributions du conseiller du salarié ont donc pour effet de l'investir d'une fonction particulière dans l'intérêt des travailleurs employés dans les entreprises dépourvues d'institutions représentatives du personnel ; de telles dispositions ne sont contraires à aucune règle non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle.
- 4. DROITS ET LIBERTÉS
- 4.21. LIBERTÉS ÉCONOMIQUES
- 4.21.2. Liberté d'entreprendre
- 4.21.2.6. Principes découlant de la liberté d'entreprendre
4.21.2.6.2. Droits et libertés de l'employeur
Dans l'exercice de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, il est loisible au législateur d'investir des personnes de fonctions particulières dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs et de doter ces personnes d'un statut destiné à leur permettre un exercice normal de leurs fonctions ; les règles édictées à cette fin peuvent soumettre à certaines limites les droits et libertés des employeurs dès lors qu'il n'est pas porté atteinte à leur substance. Dispositions du code du travail prévoyant: l'exercice de la mission du conseiller du salarié ne saurait être une cause de rupture par l'employeur du contrat de travail ; le licenciement par l'employeur d'un conseiller du salarié est soumis aux même exigences que celles prévues pour le licenciement d'un délégué syndical, lequel ne peut légalement intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail ou de l'autorité qui en tient lieu. Ces prescriptions ne sauraient être regardées comme portant atteinte aux droits et libertés de l'employeur dans la mesure où ce dernier a la faculté de contester devant le juge de l'excès de pouvoir la décision par laquelle l'autorité compétente refuse l'autorisation de procéder au licenciement.
Dispositions ouvrant à un salarié inscrit sur la liste départementale des conseillers du salarié le droit d'obtenir pour les besoins de sa formation " des autorisations d'absence dans la limite de deux semaines par période de trois ans suivant la publication de cette liste " ; ces congés sont soumis, pour l'essentiel, aux dispositions régissant, en vertu de la loi n° 85-1409 du 30 décembre 1985, le congé de formation économique, sociale et syndicale ; il suit de là que ces congés doivent, en vertu du deuxième alinéa de l'article L. 451-1 du code du travail, donner lieu à une rémunération par les employeurs, dans les entreprises occupant au moins dix salariés, à la hauteur de 0,08 p. 1000 du montant des salaires payés pendant l'année en cours. Il résulte du troisième alinéa de l'article L. 451-1 du code du travail que les dépenses ainsi exposées par les entreprises sont déductibles, dans la limite prévue au deuxième alinéa du même article, du montant de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue en application de la loi n° 84-130 du 24 février 1984 ; de surcroît, la durée sur une année d'un congé au titre de l'article L. 122-14-17, cumulée avec celle d'un congé de formation économique, sociale et syndicale ne saurait, ainsi que le prescrit le quatrième alinéa de l'article L. 454-1, excéder douze jours. Dans ces conditions, le droit ouvert à un salarié inscrit sur la liste départementale des conseillers du salarié d'obtenir pour les besoins de sa formation " des autorisations d'absence dans la limite de deux semaines par période de trois ans suivant la publication de cette liste " n'entraîne pas pour les entreprises une contrainte qui dépasserait par son ampleur, les charges qui peuvent leur être imposées dans l'intérêt général.
- 5. ÉGALITÉ
- 5.4. ÉGALITÉ DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES
- 5.4.2. Champ d'application du principe
- 5.4.2.3. Égalité en dehors des impositions de toutes natures
5.4.2.3.4. Droit social
Dispositions législatives prévoyant le remboursement par l'État des salaires maintenus des conseillers du salarié ainsi que des avantages et des charges sociales y afférentes pendant leur temps d'absence de l'entreprise motivé par l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ainsi que celles prévoyant un crédit d'heures ne créent pas, au détriment de l'employeur, une rupture de l'égalité de tous devant les charges publiques.