Décision

Décision n° 88-7 I du 6 décembre 1988

Situation du président du conseil d'administration de l'ATIC au regard du régime des incompatibilités parlementaires (René GARREC)
Incompatibilité

Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 12 octobre 1988 par le président de l'Assemblée nationale au nom du bureau de cette assemblée dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article LO 151 du code électoral d'une demande tendant à apprécier si M René Garrec, député du Calvados, qui envisage de conserver ses fonctions de président de l'Association technique de l'importation charbonnière se trouve dans un cas d'incompatibilité ;

Vu les observations présentées par M René Garrec, enregistrées au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 4 novembre 1988 ;

Vu les observations présentées par le ministre de l'industrie et de l'aménagement du territoire et le ministre de la fonction publique et des réformes administratives et la réponse de M René Garrec à ces observations, enregistrées comme ci-dessus les 4, 15 novembre et 1er décembre 1988 ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu la Constitution, notamment ses articles 25 et 92 ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu l'ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires, modifiée et complétée par l'ordonnance n° 59-224 du 4 février 1959, la loi organique n° 61-1447 du 29 décembre 1961 et la loi organique n° 72-64 du 24 janvier 1972 ;

Vu le code électoral, notamment ses articles LO 146 et LO 151 ;

Vu l'article 5 de la loi organique n° 85-689 du 10 juillet 1985 relative à l'élection des députés des territoires d'outre-mer, de la collectivité territoriale de Mayotte et de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

Vu la loi organique n° 85-1405 du 30 décembre 1985 tendant à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives par les parlementaires ;

Vu l'article 6 de la loi n° 46-1072 du 17 mai 1946 relative à la nationalisation des combustibles minéraux ;

Vu le décret n° 48-125 du 24 janvier 1948 portant règlement d'administration publique pour l'application de l'article 6 de la loi du 17 mai 1946 et relatif au commerce de l'importation des combustibles minéraux solides ;

Vu la convention en date du 7 avril 1948 passée entre l'Etat et l'Association technique de l'importation charbonnière ;

Vu les statuts de l'Association technique de l'importation charbonnière en date du 7 novembre 1944, ensemble les modifications qui leur ont été ultérieurement apportées ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que la question posée au Conseil constitutionnel est de savoir si M René Garrec, en raison de ses fonctions de président du conseil d'administration de l'Association technique de l'importation charbonnière (ATIC), se trouve dans un des cas d'incompatibilité prévus par le code électoral ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article LO 146 du code électoral « sont incompatibles avec le mandat parlementaire les fonctions de chef d'entreprise, de président de conseil d'administration, de président et de membre de directoire, de président de conseil de surveillance, d'administrateur délégué, de directeur général, directeur général adjoint ou gérant exercées dans : 3 ° Les sociétés ou entreprises dont l'activité consiste principalement dans l'exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l'Etat, d'une collectivité ou d'un établissement public ou d'une entreprise nationale ou d'un Etat étranger » ;

3. Considérant que l'ATIC a été créée, le 7 novembre 1944, sous la forme d'une association déclarée sous le régime de la loi du 1er juillet 1901 ; qu'elle a été agréée en qualité de groupement d'importateurs chargé des opérations d'achat à l'étranger et de transport des combustibles minéraux solides par une décision interministérielle en date du 5 février 1948 prise sur le fondement de l'article 2 du décret n° 48-125 du 24 janvier 1948 portant règlement d'administration publique pour l'application de l'article 6 de la loi du 17 mai 1946 et relatif au commerce de l'importation des combustibles minéraux solides ; que, conformément aux dispositions de l'article 3 de ce décret, une convention, signée à la date du 7 avril 1948, a fixé les obligations réciproques du groupement agréé et de l'Etat ;

4. Considérant qu'en vertu de ses statuts, l'ATIC est ouverte à « tous groupes d'importateurs consommateurs de combustibles minéraux solides et tous représentants des importateurs revendeurs agréés par le ou les organismes les plus représentatifs de la profession » ; que son conseil d'administration se compose de représentants des diverses catégories d'associés dont le nombre et les droits de vote sont définis statutairement ; que l'Etat a la faculté de désigner un administrateur qui, dans le cas où cette faculté est exercée, est alors de plein droit président du conseil d'administration ;

5. Considérant que, aux termes des dispositions réglementaires, statutaires et conventionnelles qui lui sont applicables, l'ATIC a le monopole de conclure pour le compte de l'Etat et pour le compte des importateurs tous contrats d'achat de combustibles minéraux solides et d'effectuer toutes les opérations depuis l'achat jusqu'à la remise aux importateurs ; que, indépendamment des ristournes ou excédents assurant un équilibre financier automatique des achats et des ventes sur la base des différences entre les prix de revient et les prix de vente, l'ATIC est rémunérée pour la couverture de ses risques et de ses charges d'administration par une redevance forfaitaire par tonne de combustible importé dont le taux est fixé par arrêté interministériel ; que l'ensemble de ces mécanismes financiers ne tend en principe ni au partage, ni à la réalisation de bénéfices, mais à un équilibre général des charges et des ressources ;

6. Considérant que M René Garrec a été nommé pour cinq ans, le 5 septembre 1986, administrateur représentant l'Etat au sein de l'ATIC et, de ce fait, président du conseil d'administration de cet organisme ; que ses fonctions sont renouvelables ;

7. Considérant que les entreprises visées au 3 ° précité de l'article LO 146 du code électoral peuvent ne pas avoir de but lucratif comme le montrent a contrario les termes du 4 ° de ce même article qui, pour un autre cas d'incompatibilité, visent expressément les seules « sociétés ou entreprises à but lucratif » ; qu'au demeurant, les considérations qui justifient l'incompatibilité énoncée au 3 ° de l'article LO 146 n'impliquent pas que les fonctions visées soient exercées nécessairement dans une entreprise à but lucratif ; qu'en effet, l'incompatibilité édictée par l'article LO 146 (3 °) tend à interdire à un membre du Parlement d'exercer des fonctions de direction dans des entreprises dont les activités sont effectuées pour le compte ou sous le contrôle de l'Etat ;

8. Considérant qu'il est constant que l'ATIC a pour activité principale la prestation de fournitures et de services sous le contrôle de l'Etat ;

9. Considérant que, nonobstant sa forme juridique d'association, l'ATIC doit être regardée comme une entreprise au sens de l'article LO 146 (3 °) du code électoral ; qu'en effet, son activité est d'ordre économique ; qu'elle emploie plus de 100 salariés ; que les contrats d'achat qu'elle passe annuellement s'élèvent à plusieurs milliards de francs ; qu'elle possède des participations financières très importantes dans des sociétés françaises ou étrangères ; qu'au surplus, même si les associés de l'ATIC n'ont pas vocation annuelle à un partage de bénéfices proprement dit, l'article 28 des statuts ne leur réserve pas moins, en cas de dissolution de l'association, la possibilité de bénéficier sur l'actif net de la restitution de leurs versements ;

10. Considérant que le fait que M René Garrec ait renoncé à percevoir la rémunération afférente à ses fonctions de président du conseil d'administration de l'ATIC et ne soit pas rémunéré pour celles qu'il exerce dans les sociétés auxquelles l'ATIC participe ne saurait tenir en échec les dispositions de l'article LO 146 (3 °) du code électoral, car l'incompatibilité édictée par cet article n'est pas liée à la rémunération des fonctions qu'il vise,

Décide :

Article premier :
Les fonctions exercées par M René Garrec en qualité de président du conseil d'administration de l'Association technique de l'importation charbonnière sont déclarées incompatibles avec l'exercice par l'intéressé de son mandat de député.

Article 2 :
La présente décision sera notifiée au président de l'Assemblée nationale, à M René Garrec, député, et sera publiée au Journal officiel de la République française.

Journal officiel du 8 décembre 1988, page 15386
Recueil, p. 262
ECLI : FR : CC : 1988 : 88.7.I

Les abstracts

  • 10. PARLEMENT
  • 10.1. MANDAT PARLEMENTAIRE
  • 10.1.2. Incompatibilités
  • 10.1.2.4. Cumul avec l'exercice d'activités privées
  • 10.1.2.4.3. Sociétés travaillant pour le compte ou sous le contrôle d'une personne publique ou sociétés prévues à l'article L.O. 146, 3°

Les entreprises visées au 3° de l'article L.O. 146 du code électoral peuvent ne pas avoir de but lucratif comme le montrent a contrario les termes du 4° de ce même article qui, pour un autre cas d'incompatibilité, visent expressément les seules " sociétés ou entreprises à but lucratif " ; au demeurant, les considérations qui justifient l'incompatibilité énoncée au 3° de l'article L.O. 146 n'impliquent pas que les fonctions visées soient exercées nécessairement dans une entreprise à but lucratif ; en effet, l'incompatibilité édictée par le 3° de l'article L.O. 146 tend à interdire à un membre du Parlement d'exercer des fonctions de direction dans des entreprises dont les activités sont effectuées pour le compte et sous le contrôle de l'État ; l'Association technique de l'importation charbonnière (ATIC) a pour activité principale la prestation de fournitures et de services sous le contrôle de l'État ; nonobstant sa forme juridique, elle doit être regardée comme une entreprise au sens du 3° de l'article L.O. 146 du code électoral ; en effet, son activité est d'ordre économique ; elle emploie plus de 100 salariés ; les contrats qu'elle passe annuellement s'élèvent à plusieurs milliard de francs ; au surplus, même si les associés n'ont pas vocation annuelle à un partage des bénéfices, leur est réservée la possibilité, en cas de dissolution, de bénéficier sur l'actif net de la restitution de leurs versements ; le fait que le président du conseil d'administration de l'ATIC ait renoncé à percevoir la rémunération afférente à ses fonctions de président et ne soit pas rémunéré pour celles qu'il exerce dans les sociétés auxquelles l'ATIC participe, ne saurait tenir en échec les dispositions du 3° de l'article L.O. 146, l'incompatibilité édictée par cet article n'étant pas liée à la rémunération des fonctions qu'il vise.

(88-7 I, 06 décembre 1988, cons. 7, 8, 9, 10, Journal officiel du 8 décembre 1988, page 15386)

Le fait que M. Jean Gatel exerce ses fonctions à titre bénévole ne saurait tenir en échec les dispositions du 3° de l'article L. O. 146 du code électoral car l'incompatibilité qu'il édicte n'est pas liée à la rémunération des fonctions qu'il vise.

(88-7 I, 06 décembre 1988, cons. 10, Journal officiel du 8 décembre 1988, page 15386)
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