Décision n° 73-49 DC du 17 mai 1973
Le Conseil constitutionnel,
Saisi, le 26 avril 1973, par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution, d'une résolution en date du 25 avril 1973, tendant à modifier les articles 36, 37, 42, 46, 48, 49, 64, 72, 78 et 82 du règlement du Sénat ;
Vu la Constitution, et notamment ses articles 27, alinéa 3, 31, premier alinéa, 44, premier alinéa, et 61 ;
Vu l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et notamment ses articles 17, alinéa 2, 19, 20 et 23, alinéa 2 ;
1. Considérant que le paragraphe I de l'article 2 de la résolution susvisée tend à insérer dans l'article 42 du règlement du Sénat un nouvel alinéa 7 bis commençant par les mots « La parole n'est accordée, sur l'ensemble d'un article, qu'une seule fois à chaque orateur » ;
2. Considérant que le paragraphe II du même article de la résolution tend à donner à l'alinéa 3 de l'article 46 du règlement une rédaction aux termes de laquelle « chaque orateur ne peut parler qu'une fois » sur les crédits budgétaires, en dehors de la discussion des amendements ;
3. Considérant que de telles restrictions du nombre des orateurs habilités à s'exprimer dans certaines phrases des débats doivent évidemment être comprises sous réserve des dispositions de l'article 31 de la Constitution, aux termes duquel les membres du Gouvernement sont entendus par les deux assemblées quand ils le demandent ;
4. Considérant que le paragraphe II de l'article 3 de la résolution susvisée tend à compléter l'alinéa 3 de l'article 48 du règlement du Sénat par une disposition ainsi conçue : « En outre, les sous-amendements ne sont recevables que s'ils n'ont pas pour effet de dénaturer l'esprit ou de contredire le sens des amendements auxquels ils s'appliquent » ;
5. Considérant que le droit de sous-amendement est indissociable du droit d'amendement, reconnu aux membres du Parlement et au Gouvernement par l'article 44, alinéa premier, de la Constitution ;
6. Considérant qu'une réglementation de la recevabilité des sous-amendements ne peut être jugée conforme à la Constitution que dans la mesure où elle ne risque pas d'aboutir à la suppression arbitraire du droit de présenter un sous-amendement ;
7. Considérant que l'irrecevabilité d'un sous-amendement ayant « pour effet de dénaturer l'esprit » de l'amendement auquel il s'applique risque d'aboutir à une telle suppression ; qu'en effet le dépôt d'un sous-amendement par un membre du Parlement ou par le Gouvernement implique un désaccord avec le texte qui fait l'objet de ce sous-amendement ; qu'on ne voit pas sur quel critère objectif pourrait s'appuyer le Sénat : juge de la recevabilité des sous-amendements par application d'une disposition de l'article 48, alinéa 4, de son règlement non modifiée par la résolution susvisée : pour apprécier si ce désaccord peut être qualifié de dénaturation de l'esprit ; qu'en somme, la notion de dénaturation de l'esprit d'un amendement par un sous-amendement présente un caractère éminemment subjectif et tellement imprécis qu'elle ne pourrait servir de fondement à l'appréciation par une assemblée parlementaire de la recevabilité d'un sous-amendement sans que fût compromis par là même l'exercice du droit d'amendement reconnu par la Constitution aux membres du Parlement et au Gouvernement ;
8. Considérant qu'il n'en va pas de même de l'irrecevabilité d'un sous-amendement ayant pour « effet de contredire le sens » de l'amendement auquel il s'applique ; qu'en effet le dépôt d'un tel sous-amendement équivaut en réalité à une prise de position défavorable à cet amendement, tendant simplement à éviter que cet amendement soit adopté, voire à provoquer son retrait, et qu'il ne saurait en conséquence être analysé comme une modalité véritable de l'exercice du droit d'amendement reconnu par l'article 44, alinéa premier, de la Constitution aux membres du Parlement et au Gouvernement, droit qui consiste à pouvoir proposer la modification et non, par un détournement de procédure, l'annulation d'un texte soumis à la discussion d'une assemblée ;
9. Considérant que le paragraphe I de l'article 4 de la résolution susvisée tend à donner à l'alinéa premier de l'article 64 du règlement une rédaction aux termes de laquelle la délégation de vote n'est pas valable pour les scrutins secrets ; que l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, dans son article premier, n'apporte aucune restriction à l'autorisation conférée aux membres du Parlement de déléguer leur droit de vote dans les cas qu'elle énumère ; qu'en conséquence, la disposition selon laquelle la délégation de vote n'est pas valable dans les scrutins secrets n'est pas conforme à l'article 27 de la Constitution en application duquel a été promulguée l'ordonnance susvisée ;
10. Considérant qu'aucune des autres dispositions de la résolution susvisée n'est contraire à la Constitution ;
Décide :
Article premier :
Sont déclarés non conformes à la Constitution les mots « de dénaturer l'esprit ou » figurant à l'article 48, alinéa 3, et les mots « Elle n'est pas valable pour les scrutins secrets », figurant à l'article 64, premier alinéa, du règlement du Sénat dans la rédaction donnée à ces articles par la résolution susvisée du 25 avril 1973.Article 2 :
Sont déclarées conformes à la Constitution les autres dispositions de la résolution susvisée du 25 avril 1973.Article 3 :
La présente décision sera notifiée au Président du Sénat et publiée au Journal officiel de la République française.Journal officiel du 27 mai 1973, page 5759
Recueil, p. 15
ECLI : FR : CC : 1973 : 73.49.DC
Les abstracts
- 10. PARLEMENT
- 10.3. FONCTION LEGISLATIVE
- 10.3.3. Organisation des débats
10.3.3.1. Prérogatives du Gouvernement
Des restrictions du nombre des orateurs habilités à s'exprimer dans certaines phases des débats, apportées par le règlement du Sénat, doivent être comprises sous réserve des dispositions de l'article 31 de la Constitution, aux termes duquel les membres du Gouvernement sont entendus par les deux assemblées quand ils le demandent.
- 10. PARLEMENT
- 10.3. FONCTION LEGISLATIVE
- 10.3.5. Droit d'amendement
10.3.5.3. Sous-amendement
Le droit de sous-amendement est indissociable du droit d'amendement. Pour être conforme à la Constitution, une réglementation du droit de sous-amendement ne doit pas aboutir à la suppression arbitraire du droit de présenter un sous-amendement. Ainsi est contraire à la Constitution la disposition du règlement du Sénat qui prévoit l'irrecevabilité d'un sous-amendement ayant " pour effet de dénaturer l'esprit " de l'amendement auquel il s'applique parce que le critère retenu présente un caractère imprécis et subjectif. En revanche, est conforme à la Constitution l'irrecevabilité d'un sous-amendement ayant " pour effet de contredire le sens " de l'amendement auquel il s'applique car le droit d'amendement reconnu par l'article 44, alinéa 1er, de la Constitution consiste à pouvoir proposer la modification et non l'annulation d'un texte soumis à la discussion d'une assemblée.
- 10. PARLEMENT
- 10.3. FONCTION LEGISLATIVE
- 10.3.7. Vote
- 10.3.7.2. Exercice du droit de vote personnel : Constitution, article 27
10.3.7.2.3. Scrutins secrets
La disposition du règlement du Sénat selon laquelle la délégation de vote n'est pas valable dans les scrutins secrets n'est pas conforme à l'article 27 de la Constitution, en application duquel a été promulguée l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique, parce que celle-ci n'apporte aucune restriction à l'autorisation de déléguer le droit de vote dans les cas qu'elle énumère.