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Les délibérations 1980 - 1983 : Présentation

Xavier PHILIPPE, Professeur à l'Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III

Aurélie DUFFY-MEUNIER, Maître de conférence à l'Université Paris II Panthéon-Assas

Olivier LE BOT, Professeur à l'Université de Nice – Sophia Antipolis

Cahiers du Conseil constitutionnel, hors série 2009 (25 ans de délibérations) - 30 janvier 2009

Ouvrir les archives du Conseil constitutionnel a été une surprise et a parfois donné aux équipes de recherche le sentiment d'entrer « par effraction » au sein du Conseil constitutionnel. La période 19801983 présente deux caractéristiques spécifiques par rapport aux autres périodes : d'une part, elle fait partie de ce que l'on pourrait appeler l'« ère actuelle » du contentieux constitutionnel de la Vè République ; d'autre part, elle se situe au cœur de la première alternance politique depuis 1958 : allait-on retrouver « juridiquement » dans les délibérations les ondes du choc politique qu'avait provoqué l'élection de François Mitterrand le 10 mai 1981 ?

Les comptes-rendus de cette période révèlent un Conseil constitutionnel qui, en étant placé au cœur de la vie politique, réussit à renforcer sa position en tant que garant de la Constitution tout en refusant de se transformer en « quatrième pouvoir ». Ces traits dominants sont perceptibles tant avant qu'après l'alternance. Ils ont conduit à des choix apparaissant naturels et logiques aujourd'hui mais qui n'ont pas toujours été perçus ainsi ! Il serait faux de dire que la situation était simple et que les solutions se sont imposées d'elles-mêmes. Les délibérations révèlent ces interrogations, ces doutes et ces difficultés au cœur de l'institution. Cependant, les « juges de la loi » n'ont jamais renoncé à faire face à leurs responsabilités lorsqu'ils ont été confrontés à cette situation inédite en France.

Qu'apporte la connaissance des délibérations à l'analyse des décisions de cette période ? Le dépouillement des comptes-rendus révèle deux séries d'enseignements : les uns – juridiques – permettent une meilleure compréhension de la jurisprudence ; les autres – sociologiques ou politiques – amènent à relativiser la déconnexion du Conseil constitutionnel des réalités qui l'entourent. Deux enseignements liminaires peuvent ainsi être relevés.

Le premier enseignement que révèle l'ouverture des archives et que ne peut restituer un commentaire, est la prise de conscience de l'ambiance dans laquelle les séances se déroulaient. On s'y croirait : l'ambiance pré-électorale de 1981, le changement produit par l'alternance peuvent se sentir à la lecture des comptes-rendus de séances. Mais contrairement au débat politique existant à l'extérieur du Conseil, celui auquel on assiste est un « débat raisonné », où la passion a peu de place et où les oppositions se font davantage entre « normativistes » et « réalistes » sans d'ailleurs que la ligne de partage en matière de vote ne se fasse totalement au profit d'un clan ou d'un autre. Le Conseil constitutionnel veut rester au contact de la réalité qui se trouve derrière les textes qui lui sont soumis. Le caractère abstrait du contrôle que l'on peut appréhender dans les décisions ne se retrouve que partiellement dans les délibérations. Le Conseil remet en perspective le texte dont il est saisi.

Le second enseignement général tient à la révélation des personnalités : il y a, dans chaque délibéré, une place importante à faire aux acteurs. Chaque conseiller, chaque rapporteur y cultive et développe son propre style. Les membres du Conseil constitutionnel ne se désintéressent pas de la réalité du terrain. De ce point de vue, la composition du Conseil constitutionnel ressemble un peu à un melting pot : un grand nombre sont juristes ou l'ont été mais tous ont eu des parcours très diversifiés qui se retrouvent dans leurs réflexions et constituent l'originalité de chacun (ambassadeur, ministre, maire, juge, professeur de droit ...). On comprend alors mieux les différences d'approche des questions de constitutionnalité.

Si certains ont une approche strictement juridique, d'autres ont une approche plus politico-juridique. Toutefois, ces différences ne conduisent pas à des blocages mais plutôt à un échange d'arguments et une recherche de compréhension du poids et de la valeur de chaque argument. Ceci débouche souvent sur un consensus quant à la solution adoptée même s'il subsiste certaines divergences quant à la motivation de la décision. De façon plus anecdotique, certains membres ont une attirance (ou à l'inverse un manque d'intérêt) pour certaines questions ou matières (procédure législative ou lois de finance) qui les amènent à prendre un rôle très actif ou au contraire assez passif lorsque certaines questions sont évoquées.

Parallèlement à ces enseignements généraux, on décèle des enseignements plus spécifiques. On relèvera deux tendances complémentaires : d'une part, le Conseil constitutionnel veut affermir et renforcer sa position juridictionnelle ; d'autre part, le Conseil constitutionnel refuse de devenir un nouvel acteur politique et manifeste – dès qu'il le peut – une certaine prudence.

I. Le renforcement de la cohérence et de la rigueur dans la construction des décisions

Confronté à de nouveaux défis, le Conseil s'est d'abord attaché à asseoir et raffermir sa position de juge constitutionnel ainsi qu'à renforcer la construction de ses décisions et raisonnements juridiques.

A. L'amplification des avancées antérieures

On retrouve dans la période considérée le souci de poursuivre l'œuvre entamée depuis une décennie. La décision du 16 juillet 1971 et la réforme du 27 octobre 1974 sur la saisine sont passées par là ! Les délibérations révèlent une volonté d'implantation et d'ancrage de ces réformes à travers un affermissement des débats sur les sources constitutionnelles et la cohérence des décisions.

Les sources constitutionnelles et les méthodes utilisées pour élaborer les décisions sont progressivement encadrées. La définition de critères de reconnaissance des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et des modalités de l'évocation d'office [1] en témoignent. Ainsi, les critères d'identification des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, déjà évoqués dans la délibération Interruption volontaire de grossesse, refont surface lors de la délibération Sécurité et Liberté des 19 et 20 janvier 1981 dans le rapport de Georges Vedel. Ce dernier souligne en effet que ce principe doit être « fondamental dans l'ordre politique et social » et doit avoir « été la base de lois républicaines antérieures à 1946 ». Ceci préfigure en partie les conditions qui seront posées dans la décision du 20 juillet 1988, Loi portant amnistie. Plus tard[2], il dessinera les traits d'une politique jurisprudentielle mesurée de recours aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Le tournant de la rigueur juridique se fait sentir.

Le Conseil constitutionnel attache également une importance particulière à la cohérence de ses décisions. L'articulation logique entre les décisions est ainsi assurée par la mise en place de politiques jurisprudentielles, mais également par le recours assez fréquent aux précédents jurisprudentiels. Ces derniers témoignent d'un souci de maintenir une continuité non seulement des décisions, lorsque le Conseil se réfère par exemple à la décision Interruption volontaire de grossesse, mais également de ses avis, tel celui relatif à l'organisation des opérations relatives à l'élection du président de la République. Le Conseil constitutionnel s'estime également lié par des positions adoptées lors de délibérés antérieurs [3]. Les débats révèlent donc une élaboration des décisions se forgeant autour de la solidité et de la cohérence du raisonnement juridique qui vont progressivement marquer les contours de sa jurisprudence. Parallèlement, les délibérations révèlent une volonté d'affermir la cohérence à travers une plus grande juridictionnalisation de la procédure.

Le renforcement de la procédure juridictionnelle constitue un aspect auquel les membres apparaissent particulièrement attachés. Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, le Conseil s'assure ainsi de la régularité de la saisine des requérants. Il se prononce sur la recevabilité des mémoires complémentaires. Une référence est faite, à diverses reprises, au caractère contradictoire de la procédure, et – signe de la sensibilité aux standards d'une bonne justice – les membres s'imposent personnellement une exigence d'impartialité. Ainsi, lors de la délibération Quotas par sexe, Georges Vedel rappelle aux autres membres qu'il a pris position sur la question de la mixité dans un article paru dans le journal Le Monde trois ans plus tôt. Ne voulant pas se retrouver à la fois dans la position de juge et dans celle de partie, il choisit de ne pas siéger et préfère se retirer.

En tant qu'organe juridictionnel, le Conseil constitutionnel retient une conception stricte de ses compétences. De manière récurrente et dans les différents contentieux, les membres soulignent que le Conseil ne dispose que d'une compétence d'attribution. Il ne s'autorise à intervenir que si un texte fonde expressément sa compétence. Comme le déclare M. André Ségalat, résumant l'opinion générale, « nous ne sommes qu'un juge d'attribution, un juge qui connaît des seuls litiges qui lui sont clairement attribués par un texte ». Ainsi, lorsque le Premier ministre lui demande d'apprécier, sous la forme d'un avis, la constitutionnalité d'une loi déjà en vigueur, le Conseil rejette la demande, faute de texte lui attribuant une telle compétence. Il est incompétent pour procéder à un tel contrôle, même sous forme de consultation.

Ce travail sur les sources donne lieu plus fréquemment qu'auparavant à la gestion et la conciliation des contradictions au sein des textes constitutionnels. Ceci est palpable dans les délibérations relatives à la décision Loi de nationalisation I.

B. Un souci constant d'amélioration et de rigueur dans la construction du raisonnement des décisions

Dans la conception même du contrôle de constitutionnalité, l'époque comme les progrès induits par la répétition du travail juridictionnel vont conduire à une conception affinée de la construction du raisonnement constitutionnel. Elle se manifeste tant par la conception du contrôle de constitutionnalité que par un effort de construction des décisions et le développement des techniques d'interprétation.

De façon liminaire, on relève que la question de la nature du Conseil, en tant qu'organe, ne donne plus lieu à d'interminables discussions entre les membres comme par le passé. Elle est toujours présente dans le débat, mais est considérée comme tranchée. Les membres tiennent désormais pour acquis la qualité juridictionnelle de l'institution. Ils parlent d'ailleurs du Conseil comme d'un juge : un juge d'attribution, un juge électoral, un juge constitutionnel récent. Il doit privilégier une motivation brève parce qu'il est juge.

Ainsi, durant la période 1980-1983, le Conseil a pris pleinement conscience de sa nature juridictionnelle. Plusieurs conséquences en découlent dans la conception de son rôle et l'exercice de sa mission.

Tout d'abord, une méfiance à l'égard de l'événementiel et du conjoncturel est perceptible. Si les membres du Conseil constitutionnel s'intéressent de près au contexte des saisines – et cela constitue même une surprise pour une juridiction chargée d'un contrôle abstrait – le contexte politique n'infléchit pas la réflexion, le débat ou le raisonnement. Le Conseil n'est pas hermétique à l'environnement dans lequel ses décisions sont prises. Cependant, les données de nature politique auxquelles ont eu ponctuellement recours ses membres ont une importance accessoire dans la prise de décision. En réalité, le juge constitutionnel veille à ne pas paraître comme un obstacle aux ambitions réformatrices du Gouvernement. C'est pourquoi les considérations politiques utilisées ont surtout servi à contextualiser, nuancer ou conforter une solution juridiquement fondée. Le Conseil a ainsi pris en compte le contexte dans lequel sera accueillie une décision pour formuler des « considérants d'atténuation ». Dans la délibération Quotas par sexes du 18 novembre 1982, Achille Peretti considère qu'il faut rendre la décision moins abrupte en intégrant un considérant qui développerait l'idée que la participation des femmes à la vie politique est souhaitable. Une telle formule permet ainsi d'atténuer le « choc psychologique » provoqué par la décision.

Ensuite, le raisonnement de constitutionnalité s'opère le plus souvent par projection des effets futurs de la loi. Le Conseil constitutionnel envisage la question de constitutionnalité pour l'avenir et non par rapport à une situation présente ou passée. Cela l'amène le plus souvent à projeter un regard neutre sur le texte, comme ce fût le cas par exemple pour les textes sur les nationalisations (réflexion générale sur le secteur public et ses mouvements) ou la décentralisation (modification d'un système ancien).

Enfin, les effets de la décision s'opèrent le plus souvent dans un contexte dépassionné. S'il existe quelques exceptions (des pressions n'ont probablement pas été impossibles !), elles ne franchissent pas la porte de la salle de délibérations. Ceci amènera le Conseil constitutionnel à systématiquement refuser d'entrer dans le débat politique et de se placer en concurrent du Parlement ou du Gouvernement

L'affermissement de sa nature juridictionnelle se traduit par une sophistication et une diversification des techniques juridictionnelles de contrôle. La première est celle des réserves d'interprétation. Cette technique est ancienne en contentieux constitutionnel mais n'a quasiment pas été utilisée jusqu'alors. Le Conseil entend y recourir davantage. À une censure pure et simple de la loi, il souhaite privilégier le prononcé d'une réserve lorsque cela suffit à assurer sa constitutionnalité. Toutefois, les membres du Conseil, soucieux de ne pas empiéter sur la fonction normative du Parlement, s'imposent une limite à l'exercice de ce pouvoir : la réserve ne doit pas altérer la volonté du législateur ; elle ne doit pas conduire à donner au texte un sens contraire à la volonté initiale de son auteur. La deuxième technique de contrôle réside dans la possibilité pour le Conseil de se saisir d'office de dispositions non contestées par les requérants. Cette faculté est également ancienne puisque le Conseil s'est reconnu un pouvoir d'évocation dès la décision no 60-8 DC du 11 août 1960. Toutefois, depuis lors, il a répugné à en faire application. Les membres du Conseil estiment que le moment est venu. Dans quels cas et à quelles conditions convient-il d'user de ce pouvoir d'évocation ? Les membres s'accordent, pour les premières applications, à ne se saisir d'office que des dispositions dont l'inconstitutionnalité est évidente. Ce sera le cas, notamment, dans l'affaire des Quotas par sexe. La troisième et dernière technique, pour sa part, est entièrement nouvelle en contentieux constitutionnel. Empruntée au juge administratif, elle correspond au contrôle de l'erreur manifeste. La notion apparaît d'abord dans la délibération Sécurité et liberté, puis, de façon plus nette, à propos de la Loi de nationalisation. Fidèle à sa stratégie d'acceptation de la part des autres organes, il fait preuve de retenue dans un premier temps. Il considère que le législateur doit au préalable s'habituer à ce contrôle avant, le cas échéant, qu'une censure n'intervienne un jour sur ce fondement.

En définitive, durant cette période, le Conseil est à la recherche d'un équilibre entre sa volonté d'être accepté des acteurs institutionnels et son désir d'étendre l'efficacité de son contrôle. Cet enracinement institutionnel, doublé de prudence et de pédagogie, contribuera à forger son visage actuel.

II – Le refus du Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle incluant un pouvoir d'appréciation identique à celui du Parlement ou du Gouvernement

Le refus du contrôle d'opportunité revient de façon récurrente dans les débats. Il se double d'une appréciation des questions nouvelles de constitutionnalité au regard de la situation objective et non au regard des situations passées.

A. Le refus du contrôle d'opportunité

Le refus du contrôle d'opportunité n'est guère une nouveauté mais revient comme un leitmotiv chaque fois que les saisines essaient d'entraîner le Conseil constitutionnel sur cette pente. Comme le souligne le président Roger Frey, « le Conseil constitutionnel n'a pas le droit de se fonder sur des arguments politiques. Il doit ancrer sa décision sur des données constitutionnelles ». Cette exigence n'est pas nouvelle mais prend un relief particulier dans le contexte de l'alternance où le juge redoute plus qu'auparavant d'apparaître comme une troisième chambre législative. « Notre rôle, indiquera André Ségalat, consiste simplement à contrôler la conformité de la loi à la Constitution, c'est-à-dire à définir et sanctionner les excès de pouvoir du législateur mais pas à devenir une troisième chambre législative ». Aussi, durant cette période, les membres vont rappeler très fréquemment leur absence de pouvoir d'appréciation pour remettre en cause les choix politiques du législateur : le seuil d'un prélèvement fiscal, le choix d'un mode de scrutin, le bien-fondé des nationalisations. Sur ce dernier point, le rapporteur Georges Vedel sera très clair : « Le problème des nationalisations, indique-t-il, oppose une philosophie dirigiste à une philosophie libérale. Ce n'est pas au Conseil d'arbi-

trer, cela reviendrait à arbitrer entre deux politiques. Il sortirait alors de son domaine et usurperait un rôle qui n'appartient qu'au législateur ». Le Conseil est un juge et non un organe politique !

Si le principe est acquis et révèle une certaine sagesse, les délibérations révèlent une maîtrise encore assez sommaire des limites que les juges affectent à la constitutionnalité et à l'opportunité. Le recours à la technique de l'erreur manifeste (sans que l'on sache bien s'il s'agit d'une erreur d'appréciation ou d'interprétation ?) fait figure de formule incantatoire mais ne fait l'objet ni d'une définition très stricte, ni d'une méthode d'évaluation.

Trois points sont acquis. D'une part, personne ne veut se heurter au Parlement et au Gouvernement en faisant de la résistance politique : la partie serait perdue d'avance et risquerait d'entraîner une remise en cause de l'institution.

D'autre part, les relations sont plus difficiles avec le Parlement qu'avec le Gouvernement. Le secrétariat général du Gouvernement cherche à aplanir les difficultés non à les envenimer. Certains parlementaires auront en revanche la dent dure à l'égard du Conseil constitutionnel, cherchant à marginaliser l'institution.

Enfin, les débats révèlent une certaine difficulté à traduire dans les décisions certaines réflexions ou explications qui auraient pourtant permis de comprendre pourquoi le Conseil avait choisi telle ou telle option (la limite de l'erreur manifeste par exemple donne le sentiment d'un certain impressionnisme).

Le Conseil constitutionnel reste conscient durant toute cette période qu'il est au début d'un changement de rythme et de perception du contentieux constitutionnel : il souhaite conserver une marge de manœuvre dans la motivation de ses décisions, d'où sa volonté, dans certaines décisions de cette époque, de se cantonner au strict minimum. Prudent au regard du contexte politique, le Conseil l'est également dans l'élaboration de nouvelles solutions. La question de la sanction de la répartition du domaine de la loi et du règlement au moyen du contrôle de constitutionnalité l'illustre. Elle est soulevée dès la séance du 22 juillet 1980 sur la Loi portant validation d'actes administratifs, mais le rapporteur demande de réserver le débat en considérant qu'il ne faut pas trop en dire. Il ne veut pas céder « à la tentation de rendre un arrêt de principe qui dépasserait le cadre de la difficulté qui lui est soumise ». Les membres sont conscients qu'ils seront, pour citer Louis Gros, « les enfants de [leurs] décisions et qu'elles [les] lieront pour l'avenir ». Cette question a été soulevée par la suite lors de l'examen de la deuxième Loi de nationalisation[4] et de la Loi portant réforme de la planification[5]. Là encore, le Conseil décide d'en reporter l'analyse. Il la tranche finalement quelques jours plus tard lors de la séance du 30 juillet 1982, Blocage des prix et des revenus.

B. L'appréciation des nouvelles questions de constitutionnalité

La période 1980-1983 voit poindre de nouveaux débats qui placent le Conseil dans une position inédite. Il les aborde sans a priori en cherchant à les placer dans le contexte qu'il rencontre.

On relève tout d'abord un flux de questions nouvelles issues des réformes économiques et sociales, touchant également aux libertés fondamentales, qui sont transmises de façon quasi systématique par l'opposition parlementaire qui y voit un moyen d'empêcher la majorité de réaliser son programme. Au cœur de ce jeu politique, le Conseil constitutionnel refuse de tomber dans le piège. Les débats révèlent qu'il n'est pas dupe du jeu que l'on cherche à lui faire jouer et se font écho de certains regrets quant à la méthode employée. Ceci n'aurait guère de conséquences si certaines saisines étaient juridiquement fondées. Ce n'est pas toujours le cas... Elles font l'objet d'un examen rigoureux et parfois critique. La nature fantaisiste [6], le manque de pertinence[7] voire même le caractère surréaliste de certains griefs sont parfois soulignés. Lors de la séance du 27 juillet 1982 sur la Loi portant réforme de la planification, le rapporteur, le doyen Vedel, compare la saisine à une « coalition de professeurs de droit désireux de poser au Conseil constitutionnel une série de problèmes juridiques digne d'un examen de fin d'année ».

On voit également le Conseil, dans cette période où surgissent de nouvelles questions, s'intéresser aux solutions extérieures, qu'elles soient nationales ou comparées, européennes ou internationales. Devant la nouveauté, la technique est classique. Le recours à des sources d'information extérieures reste cependant encore balbutiant mais la démarche est acquise et s'affinera avec le temps. Elle ne transparaît évidemment pas à travers les décisions !


La période 1980-1983 a été politiquement en France une période de rupture. Le Conseil constitutionnel en a au contraire fait une période d'enracinement et d'affirmation de son identité. L'ouverture des archives aura permis de révéler certaines clefs d'explication de la jurisprudence mais aura surtout permis de comprendre la conception que le juge constitutionnel se faisait de son propre rôle. Au-delà des critiques de l'époque, son ancrage et sa reconnaissance actuelle démontrent que l'enjeu en valait la peine !


[1] Séance du 1er juillet 1980, Loi d'orientation agricole.

[2] Séance du 22 octobre 1982, Loi relative au développement des institutions représentatives du personnel.

[3] Séance du 24 octobre 1980, Loi organique relative au statut de la magistrature.

[4] Séance du 11 février 1982.

[5] Séance du 27 juillet 1982. 6. Séance du lundi 9 mars 1981, Décision du 9 mars 1981 sur une requête présentée par M. Raoul Nicolo relative au report de l'élection du Président de la République.

[6] Séance du lundi 9 mars 1981, Décision du 9 mars 1981 sur une requête présentée par M. Raoul Nicolo relative au report de l'électiondu Président de la République

[7] Séance du 31 décembre 1981, Quatrième loi de finances rectificative pour 1981, séance du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, séance du 11 février 1982, Loi de nationalisation II.