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Le Conseil constitutionnel et les juridictions européennes, introduction

Dr. Dres. h.c. Hans-Jürgen PAPIER - Président de la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne

Cahiers du Conseil constitutionnel, hors série - Colloque du Cinquantenaire, 3 novembre 2009

Mesdames, Messieurs,

C'est un grand honneur pour moi d'avoir le privilège de présider dans le cadre du présent colloque la table ronde relative au « Conseil constitutionnel et les juridictions européennes ». Je vois dans cet honneur l'expression de l'amitié particulière entre la France et l'Allemagne et c'est dans le cadre de cette amitié que je voudrais vous transmettre, cher Monsieur le Président Jean-Louis Debré, mes vœux les plus chaleureux pour le Conseil constitutionnel.

Abordons à présent le sujet de notre table ronde, les rapports entre le Conseil constitutionnel, juridiction constitutionnelle de la France, avec l'Union européenne, ainsi qu'avec la Convention européenne des Droits de l'Homme. Le rôle d'une cour constitutionnelle est en premier lieu largement déterminé par les missions et les compétences qui lui sont attribuées par l'ordre juridique national auquel elle appartient. Cette cour examine-t-elle, à l'instar du Conseil constitutionnel français, la compatibilité avec la Constitution des lois votées par le Parlement et des engagements internationaux – comme par exemple les modifications des traités sur l'Union européenne – seulement avant leur entrée en vigueur, c'est-à-dire de manière abstraite et préventive ? Ou peut-elle, telle la Cour constitutionnelle fédérale allemande, être saisie également par les citoyens et les tribunaux ordinaires, qui, dans un cas concret, estiment qu'une loi viole des droits fondamentaux ?

La relation entre une cour constitutionnelle nationale et l'Union européenne, ainsi que la Convention européenne des Droits de l'Homme dépend en second lieu significativement du rang occupé par le droit communautaire et par la Convention au sein de la hiérarchie des normes de l'Etat membre. Ainsi par exemple, la Convention européenne des Droits de l'Homme revêt-elle dans certains Etats, tels que la France ou l'Allemagne, une valeur inférieure à la Constitution et aux droits fondamentaux qui y sont consacrés et ce, bien qu'elle contienne des garanties de droits fondamentaux. La question se pose alors de savoir si des techniques constitutionnelles ne peuvent être dégagées qui permettent à la Convention et aux décisions rendues à son sujet par le Cour européenne des Droits de l'Homme de servir, du moins dans une certaine mesure, de norme de référence pour le contrôle opéré par la Cour constitutionnelle.

Le droit communautaire en revanche prime, selon la jurisprudence ancienne et constante de la Cour de Justice des Communautés européennes, sur le droit national des Etats membres et ce, y compris à l'égard du droit constitutionnel. Cependant, ceci n'est – à ma connaissance – pas reconnu sans réserve par les cours constitutionnelles des Etats membres. Ainsi par exemple, la Cour constitutionnelle fédérale allemande se réserve-t-elle la compétence de vérifier si un acte juridique de la Communauté respecte le cadre des prérogatives de souveraineté transférées à celle-ci ou si cet acte de droit communautaire constitue un « acte outrepassant » lesdites prérogatives. En outre, si les cours constitutionnelles de nombreux Etats membres ont entre-temps renoncé à examiner des exigences communautaires inconditionnelles par rapport aux droits fondamentaux nationaux et limitent l'étendue du contrôle de conformité aux droits fondamentaux au domaine dans lequel demeure pour l'Etat membre une marge d'appréciation lors de la transposition, elles formulent en règle générale une réserve constitutionnelle y compris à l'encontre de ces exigences communautaires. Telle a été par exemple la démarche de la Cour constitutionnelle fédérale allemande dans sa jurisprudence dite « Solange », du Conseil constitutionnel, mais également du Conseil d'Etat dans certaines décisions rendues récemment.

Un tel partage de la protection des droits fondamentaux en Europe entre des tribunaux de différents niveaux est sans aucun doute nécessaire pour la réalisation de l'intégration européenne. Toutefois, la protection effective des droits fondamentaux de l'individu ne doit pas en pâtir. Les juridictions concernées doivent alors coopérer les unes avec les autres au niveau de la procédure et se compléter mutuellement par leur jurisprudence. Je suis maintenant curieux d'apprendre quelles réponses vont être données par mes collègues aux questions juridiques que je viens d'esquisser.