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Conseil d'Etat - Décision du 22 janvier 1988

CONSEIL D'ÉTAT

Décision du 22 janvier 1988

Conseil d'État statuant au contentieux

N° 80936

Assemblée

Association « Les Cigognes »

M Bouchet, Rapporteur
M Stirn, Commissaire du gouvernement
M Long, Président

Lecture du 22 Janvier 1988

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 4 août 1986 et 4 décembre 1986 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'association « LES CIGOGNES », dont le siège social est 287, route de Colmar à Strasbourg-Meinan (67100), agissant par sa présidente Mme Patricia Lavisse, et tendant à ce que le Conseil d'État :

1 °) annule le jugement du 17 juin 1986 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 1er mars 1985 du commissaire de la République du Bas-Rhin faisant opposition, en application des dispositions de l'article 61 du code civil local, à l'inscription de ladite association au registre des associations ;

2 °) annule cette décision ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code pénal, notamment en son article 353-1 ;
Vu la loi du 1er juillet 1901 ;
Vu la loi du 1er juin 1924 ;
Vu le code civil local et la loi locale du 19 avril 1908 sur les associations ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;

Après avoir entendu :

  • le rapport de M Bouchet, Conseiller d'État,
  • les observations de la SCP Rouvière, Lepitre, Boutet, avocat de L'ASSOCIATION « LES CIGOGNES »,
  • les conclusions de M Stirn, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l'article 7 de la loi du 1er juin 1924, mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, a maintenu en application dans ces départements les articles 21 à 79 du code civil local « ainsi que toutes autres dispositions sur les associations » ;

Considérant que, selon l'article 21 du code précité, les associations acquièrent la « capacité de jouissance des droits » par l'inscription au registre tenu à cet effet par le tribunal d'instance ; qu'en vertu de l'article 61, l'autorité administrative, représentée par le préfet, commissaire de la République, peut s'opposer à cette inscription notamment « lorsque l'association, d'après les règles du droit public sur le droit d'association, est illicite ou peut être interdite » ;

Considérant que le maintien en vigueur de la législation locale sur les associations procède de la volonté du législateur ; que si, postérieurement à la loi précitée du 1er juin 1924, les préambules des constitutions des 27 octobre 1946 et 4 octobre 1958 ont réaffirmé les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, au nombre desquels figure la liberté d'association, cette réaffirmation n'a pas eu pour effet d'abroger implicitement les dispositions de ladite loi ;

Considérant qu'il résulte des dispositions combinées de l'article 61 précité du code civil local et des articles 1 et 2 de la loi locale du 19 avril 1908 sur les associations , qui autorisent la formation des associations « pourvu que leur but ne soit pas contraire aux lois pénales », que l'illicéité d'une association, sur laquelle le représentant de l'Etat peut se fonderpour s'opposer à l'inscription de ladite association doit être appréciée au regard des seules règles du droit public constituées par les lois pénales ;

Considérant qu'aux termes de l'article 353-1 du code pénal : « Sera puni 1 °) Quiconque aura, dans un esprit de lucre, provoqué les parents ou l'un d'eux à abandonner leur enfant né ou à naître ; 2 °) Toute personne qui aurait fait souscrire ou tenté de faire souscrire, par les futurs parents ou l'un deux, un acte aux termes duquel ils s'engagent à abandonner l'enfant à naître, qui aura détenu un tel acte, en aura fait usage ou tenté d'en faire usage ; 3 °) Quiconque aura, dans un esprit de lucre, apporté ou tenté d'apporter son entremise pour faire recueillir ou adopter un enfant » ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de ses statuts, l'association dite « LES CIGOGNES » a pour objet : « 1 °) la défense des intérêts moraux et matériels des femmes qui se proposent d'aider une femme stérile en portant pour elle sa grossesse ; 2 °) la promotion et la valorisation morale de cette démarche ; 3 °) la recherche et la diffusion d'informations dans ce domaine ; 4 °) la mise en oeuvre de tous moyens susceptibles de concourir directement ou indirectement aux objets définis ci-dessus » ;

Considérant qu'il ressort du texte même de cet article que l'association n'a pas, contrairement à ses allégations, un objet limité à la seule défense des intérêts de ses membres, mais qu'elle s'est constituée également, comme l'a relevé le commissaire de la République, « afin de promouvoir et mettre en oeuvre l'activité des mères de substitution » ; qu'il résulte en outre des pièces du dossier que l'association fait partie d'un ensemble comprenant également une association de couples stériles dite Sainte-Sarah, une « banque de sperme » dénommée « CEFER », dont le rôle est notamment de « sélectionner » les futures mères avant de réaliser leur insémination, et une « structure intermédiaire de gestion » dénommée Alma Mater, chargée de gérer « les problèmes pratiques, notamment comptables » en recevant en dépôt la « compensation financière » à verser à la mère « lorsque tout est terminé », en vertu du « contrat sui generis » que constituerait le « prêt d'utérus » ;

Considérant que l'association requérante a ainsi pour objet de favoriser le développement et de permettre la réalisation de pratiques selon lesquelles une femme accepte de concevoir un enfant par insémination artificielle en vue de céder, dès sa naissance, l'enfant qu'elle aura ainsi conçu, porté et mis au monde à une autre femme ou à un couple ; que de telles pratiques comportent nécessairement un acte, quelle qu'en soit la forme, aux termes duquel l'un des parents s'engage à abandonner un enfant à naître ; que dès lors, en se fondant sur les dispositions de l'article 353-1-2 ° du code pénal, pour s'opposer par décision du 1er mars 1985 à l'inscription de l'Association « LES CIGOGNES », le préfet, commissaire de la République du Bas-Rhin n'a pas excédé les pouvoirs qu'il tient des dispositions législatives précitées ; qu'il s'ensuit que ladite association n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

DÉCIDE :

Article ler : La requête de l'Association « LES CIGOGNES » est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association « LES CIGOGNES », au Garde des sceaux, ministre de la justice, au ministre de l'intérieur et au ministre des affaires sociales et de l'emploi.

Publication : Publié au Recueil Lebon
Recours : Recours pour excès de pouvoir
Décision attaquée : Tribunal administratif de Strasbourg , 17 juin 1986, confirmation