Décision n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023 - Communiqué de presse
Le Conseil constitutionnel censure l’insuffisante précision des dispositions déplafonnant les avoirs dus par les producteurs d’électricité à partir d’énergie renouvelable qui bénéficient de contrats de complément de rémunération
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juillet 2023 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.
L’objet de la question
En application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l’énergie, les exploitants de certaines installations de production d’électricité à partir d’énergie renouvelable peuvent bénéficier d’un contrat offrant un complément de rémunération conclu avec Électricité de France.
Les dispositions réglementaires prises pour l’application de ces dispositions prévoient le versement par Électricité de France d’une prime aux producteurs lorsque le prix du marché auquel ils vendent leur production est inférieur au tarif de référence fixé par le contrat ou par arrêté. Elles prévoient, à l’inverse, lorsque le tarif de référence est inférieur au prix du marché, le reversement à Électricité de France par les producteurs du montant correspondant à la différence entre ces deux prix, sous la forme d’une prime négative. Dans ce cas, l’article R. 314-49 du code de l’énergie, dans sa rédaction initiale, prévoyait un plafonnement du reversement de la prime négative à hauteur du montant total des aides perçues depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération.
Les dispositions législatives contestées prévoient que, de manière rétroactive, à compter du 1er janvier 2022, pour les contrats en cours qui intégraient un tel plafonnement, le reversement dû à Électricité de France n’est plus, dans certaines hypothèses, limité au montant total des aides perçues. Ce reversement est calculé en fonction d’un prix seuil, qui est déterminé, chaque année jusqu’à la fin du contrat, par arrêté conjoint des ministres chargés de l’énergie et du budget.
Les critiques formulées contre ces dispositions
Les requérantes reprochaient à ces dispositions de revenir, et ce de manière rétroactive, sur le plafonnement des reversements dus par les producteurs d’électricité à partir d’énergie renouvelable ayant conclu avec Électricité de France certains contrats offrant un complément de rémunération. En remettant ainsi en cause, sans justification, des contrats en cours d’exécution, ces dispositions portaient selon eux, notamment, une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et au droit au maintien des conventions légalement conclues.
Le contrôle des dispositions faisant l’objet de la QPC
Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789.
La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
À cette aune, le Conseil constitutionnel juge que, en modifiant en cours d’exécution les modalités contractuelles déterminant le montant des reversements dus par les producteurs lorsque la prime à l’énergie mensuelle est négative, les dispositions contestées portent atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues.
Il relève, en premier lieu, qu’il résulte des travaux préparatoires de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte que le législateur, en instituant un dispositif de complément de rémunération, a entendu soutenir la production d’électricité à partir d’énergie renouvelable en assurant aux producteurs une rémunération raisonnable des capitaux investis. Or la très forte augmentation des prix de l’électricité sur le marché à partir de septembre 2021, qui était imprévisible lors de la conclusion de ces contrats, a eu pour conséquence une augmentation considérable du profit généré par les installations de production d’électricité. En adoptant les dispositions contestées, dans un contexte de forte hausse des prix de l’électricité, le législateur a ainsi entendu corrigé les effets d’aubaine dont ont bénéficié les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d’atténuer l’effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général.
En second lieu, si la modification des modalités de calcul des reversements dus par les producteurs d’électricité bénéficiant d’un complément de rémunération affecte un élément essentiel de leurs contrats, il résulte de l’article L. 314-20 du code de l’énergie que leur est garantie, quelle que soit l’évolution des prix du marché, une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés tenant compte des risques inhérents à leur exploitation jusqu’à l’échéance de leur contrat.
Le Conseil constitutionnel en déduit ainsi que les dispositions contestées, en ce qu’elles reviennent sur le plafonnement auquel les producteurs pouvaient prétendre en vertu des contrats en cours, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues.
Il relève que, toutefois, ces dispositions se bornent à renvoyer à un arrêté ministériel la fixation d’un prix seuil en fonction duquel sont calculés les reversements dus par les producteurs bénéficiant d’un complément de rémunération au titre des contrats en cours d’exécution. Il juge dès lors que, en s’abstenant de définir lui-même les critères de détermination de ce prix, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit au maintien des conventions légalement conclues.
Par ces motifs, il déclare contraires à la Constitution les dispositions contestées. Cette déclaration d’inconstitutionnalité intervient à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette même date.