Communiqué

Décision n° 2021-952 QPC du 3 décembre 2021 - Communiqué de presse

M. Omar Y. [Réquisition de données informatiques par le procureur de la République dans le cadre d'une enquête préliminaire]
Non conformité totale - effet différé

Le Conseil constitutionnel censure des dispositions relatives à la réquisition de données de connexion dans le cadre d'une enquête préliminaire

L'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 septembre 2021 par la Cour de cassation d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale.

L'article 77-1-1 de ce code permet au procureur de la République ou, sur son autorisation, à un officier ou à un agent de police judiciaire, dans le cadre d'une enquête préliminaire, de requérir, par tout moyen, des informations détenues par toute personne publique ou privée, y compris celles issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, sans que puisse lui être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel.
L'article 77-1-2 prévoit que, sur autorisation du procureur de la République, l'officier ou l'agent de police judiciaire peut requérir d'un organisme public ou de certaines personnes morales de droit privé, par voie télématique ou informatique, la mise à disposition d'informations non protégées par un secret prévu par la loi, contenues dans un système informatique ou un traitement de données nominatives.

Les critiques formulées contre ces dispositions

Le requérant reprochait à ces dispositions de permettre au procureur de la République d'autoriser, sans contrôle préalable d'une juridiction indépendante, la réquisition d'informations issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, qui comprennent les données de connexion. Selon lui, il en résulterait une méconnaissance, d'une part, du droit de l'Union européenne et, d'autre part, du droit au respect de la vie privée, ainsi que des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif. Pour les mêmes motifs, il reprochait au législateur d'avoir en outre méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits précités.

Le contrôle des dispositions faisant l'objet de la QPC

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée.

En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il lui incombe d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infraction et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée.

À cette aune, le Conseil constitutionnel relève que, en permettant de requérir des informations issues d'un système informatique ou d'un traitement de données nominatives, les dispositions contestées autorisent le procureur de la République et les officiers et agents de police judiciaire à se faire communiquer des données de connexion ou à y avoir accès.

Il juge que, d'une part, les données de connexion comportent notamment les données relatives à l'identification des personnes, à leur localisation et à leurs contacts téléphoniques et numériques ainsi qu'aux services de communication au public en ligne qu'elles consultent. Compte tenu de leur nature, de leur diversité et des traitements dont elles peuvent faire l'objet, les données de connexion fournissent sur les personnes en cause ainsi que, le cas échéant, sur des tiers, des informations nombreuses et précises, particulièrement attentatoires à leur vie privée.
D'autre part, en application des dispositions contestées, la réquisition de ces données est autorisée dans le cadre d'une enquête préliminaire qui peut porter sur tout type d'infraction et qui n'est pas justifiée par l'urgence ni limitée dans le temps.

Le Conseil juge ensuite que, si ces réquisitions sont soumises à l'autorisation du procureur de la République, magistrat de l'ordre judiciaire auquel il revient, en application de l'article 39-3 du code de procédure pénale, de contrôler la légalité des moyens mis en œuvre par les enquêteurs et la proportionnalité des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, le législateur n'a assorti le recours aux réquisitions de données de connexion d'aucune autre garantie.

Le Conseil constitutionnel en déduit que, dans ces conditions, le législateur n'a pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre le droit au respect de la vie privée et l'objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions. Il déclare en conséquence les dispositions contestées contraires à la Constitution.

Relevant que l'abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives, le Conseil constitutionnel juge qu'il y a lieu de reporter au 31 décembre 2022 la date de l'abrogation de ces dispositions. Les mesures prises avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.