Communiqué

Décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021 - Communiqué de presse

Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire
Non conformité partielle

Saisi de six articles de la loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, le Conseil constitutionnel censure celui relatif à l'accès des directeurs d'établissements scolaires à des données de santé concernant les élèves, ainsi que des dispositions portant habilitation à prendre des ordonnances

Par sa décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur certaines dispositions de la loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, dont il avait été saisi par quatre recours émanant, pour deux d'entre eux, de plus de soixante députés et, pour les deux autres, de plus de soixante sénateurs.

* Étaient critiqués les articles 1er, 2 et 6 de cette loi prorogeant jusqu'au 31 juillet 2022, respectivement, l'applicabilité du régime juridique dit de l'état d'urgence sanitaire, la période durant laquelle le Premier ministre peut prendre certaines mesures relevant du régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, ainsi que l'application des systèmes d'information mis en œuvre pour lutter contre l'épidémie de covid-19.

- S'agissant de la prorogation du cadre juridique organisant le régime d'état d'urgence sanitaire, la décision du Conseil constitutionnel rappelle que la Constitution n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence sanitaire. Il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.

À cette aune, le Conseil constitutionnel relève que l'article 1er de la loi déférée se borne à reporter au 31 juillet 2022 le terme des dispositions organisant le cadre juridique de l'état d'urgence sanitaire. Cet article n'a ainsi ni pour objet ni pour effet de déclarer l'état d'urgence sanitaire ou d'en proroger l'application.

Au demeurant, d'une part, en vertu de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, l'état d'urgence sanitaire ne peut être déclaré sur tout ou partie du territoire qu'« en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Il est alors déclaré par décret en conseil des ministres, lequel peut être contesté devant le juge administratif. Par ailleurs, l'état d'urgence sanitaire ne peut, au-delà d'un délai d'un mois, être prorogé que par une loi qui en fixe la durée, après avis du comité de scientifiques prévu à l'article L. 3131-19 du même code. Cette loi peut être soumise au contrôle du Conseil constitutionnel.

D'autre part, en cas de mise en œuvre de l'état d'urgence sanitaire, les mesures susceptibles d'être prises par le pouvoir réglementaire ne peuvent l'être qu'aux seules fins de garantir la santé publique. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s'assurer que ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à la finalité qu'elles poursuivent.

- S'agissant de la prorogation de la période au cours de laquelle le Premier ministre peut, d'une part, prendre certaines mesures dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et, d'autre part, subordonner l'accès à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d'un « passe sanitaire », le Conseil constitutionnel juge, en premier lieu, que le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19.

Le législateur a en effet estimé, au regard notamment de l'avis du 6 octobre 2021 du comité de scientifiques prévu par l'article L. 3131-19 du code de la santé publique, qu'un risque important de propagation de l'épidémie persisterait à l'échelle nationale jusqu'au 31 juillet 2022.

Le Conseil constitutionnel rappelle à cet égard qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement et qu'il ne lui appartient pas de remettre en cause l'appréciation par le législateur de ce risque, dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, cette appréciation n'est pas, en l'état des connaissances, manifestement inadéquate au regard de la situation présente.

Le Conseil constitutionnel relève, en second lieu, d'une part, que les mesures susceptibles d'être prononcées dans le cadre de ce régime ne peuvent être prises que dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. Le juge est chargé de s'assurer que de telles mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées aux finalités poursuivies.

Il juge, d'autre part, que si ces mesures peuvent intervenir en période électorale, la présentation du « passe sanitaire » ne peut être exigée pour l'accès aux bureaux de vote ou à des réunions et activités politiques. Par ailleurs, ces mesures peuvent faire l'objet notamment d'un référé-liberté de nature à assurer le respect par le pouvoir réglementaire du droit d'expression collective des idées et des opinions.

Au surplus, le paragraphe VI de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021 prévoit que le Parlement est informé sans délai des mesures prises par le Gouvernement, qui est tenu de déposer notamment le 15 février 2022 puis le 15 mai 2022 un rapport exposant ces mesures ainsi que les raisons du maintien, le cas échéant, de certaines des mesures prises et les orientations de son action visant à lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19. Ce rapport peut faire l'objet d'un débat en commission permanente ou en séance publique.

Enfin, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de priver le Parlement du droit qu'il a de se réunir dans les conditions prévues aux articles 28 et 29 de la Constitution, de contrôler l'action du Gouvernement et de légiférer.

De l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées opèrent une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République.

- Pour des motifs analogues, le Conseil constitutionnel admet la conformité à la Constitution de la prorogation des dispositions permettant l'application des systèmes d'information mis en œuvre pour lutter contre l'épidémie de covid-19.

* Était également critiqué l'article 9 de la loi qui permettait aux directeurs des établissements d'enseignement scolaire d'accéder à des informations médicales relatives aux élèves et de procéder à leur traitement.

Par dérogation à l'exigence fixée à l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, ces dispositions prévoyaient que les directeurs des établissements d'enseignement scolaire des premier et second degrés pouvaient avoir accès aux informations médicales relatives aux élèves, pour une durée ne pouvant excéder la fin de l'année scolaire en cours. Elles les autorisaient à procéder au traitement des données ainsi recueillies, aux fins de faciliter l'organisation de campagnes de dépistage et de vaccination et d'organiser des conditions d'enseignement permettant de prévenir les risques de propagation du virus.

Le Conseil constitutionnel rappelle que la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Il résulte de ce droit que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités.

Il juge que, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu lutter contre l'épidémie de covid-19 par la mise en œuvre des protocoles sanitaires au sein des établissements d'enseignement scolaire. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

Toutefois, en premier lieu, les dispositions contestées permettent d'accéder non seulement au statut virologique et vaccinal des élèves, mais également à l'existence de contacts avec des personnes contaminées, ainsi que de procéder au traitement de ces données, sans que soit préalablement recueilli le consentement des élèves intéressés ou, s'ils sont mineurs, de leurs représentants légaux.

En deuxième lieu, ces dispositions autorisent l'accès à ces données et leur traitement tant par les directeurs des établissements d'enseignement scolaire des premier et second degrés que par « les personnes qu'ils habilitent spécialement à cet effet ». Les informations médicales en cause sont donc susceptibles d'être communiquées à un grand nombre de personnes, dont l'habilitation n'est subordonnée à aucun critère ni assortie d'aucune garantie relative à la protection du secret médical.
Le Conseil constitutionnel juge, en dernier lieu, que, en se bornant à prévoir que le traitement de ces données permet d'organiser les conditions d'enseignement pour prévenir les risques de propagation du virus, le législateur n'a pas défini avec une précision suffisante les finalités poursuivies par ces dispositions.

Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et les déclare contraires à la Constitution.

* Enfin, le Conseil constitutionnel a censuré comme contraires à l'article 38 de la Constitution plusieurs dispositions des articles 13 et 14 de la loi déférée, portant habilitation du Gouvernement à prendre des ordonnances.

Rappelant les termes de l'article 38 de la Constitution dont il résulte que seul le Gouvernement peut demander au Parlement l'autorisation de prendre de telles ordonnances, le Conseil constitutionnel relève que ces dispositions, introduites pour certaines par le projet de loi initial et pour d'autres par des amendements gouvernementaux, avant d'être supprimées en première lecture, ont été rétablies en nouvelle lecture par voie d'amendements parlementaires. Elles n'ont donc pas été adoptées à la demande du Gouvernement.