Décision n° 2021-821 DC du 29 juillet 2021 - Communiqué de presse
Le Conseil constitutionnel valide plusieurs dispositions de la loi relative à la bioéthique, en confirmant que l'interdiction légale des pratiques eugéniques tend à assurer le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine
Par sa décision n° 2021-821 DC du 29 juillet 2021, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur plusieurs dispositions de la loi relative à la bioéthique, dont il avait été saisi par plus de soixante députés.
* Au nombre des dispositions critiquées par les députés requérants figuraient celles de l'article 20 de la loi déférée réformant le régime juridique des recherches sur l'embryon humain et les cellules souches embryonnaires, afin de prévoir notamment que des recherches portant sur l'embryon humain ou sur les cellules souches embryonnaires peuvent désormais être menées non seulement à des fins médicales, mais aussi en vue d'« améliorer la connaissance de la biologie humaine ».
Les auteurs du recours faisaient valoir, en particulier, que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence faute d'avoir défini cette finalité nouvelle ainsi que la notion d'embryon humain. Ils soutenaient par ailleurs qu'en ne fixant « aucune limite opératoire » à ces recherches, le législateur n'aurait pas garanti la prohibition de l'eugénisme.
Le Conseil constitutionnel juge que, en se référant à « l'embryon humain », comme le prévoyait déjà la législation antérieure, le législateur a retenu des termes qui ne sont pas imprécis. D'autre part, en prévoyant que les recherches portant sur l'embryon humain ou les cellules souches embryonnaires pourront être, selon les cas, autorisées ou soumises à déclaration auprès de l'Agence de la biomédecine lorsqu'elles visent à « améliorer la connaissance de la biologie humaine », le législateur a entendu permettre que de telles recherches puissent être entreprises y compris lorsqu'elles ne présentent pas un intérêt médical immédiat. Ce faisant, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.
Le Conseil constitutionnel rappelle en outre que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels en soulignant d'emblée que : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Il en ressort que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle.
A cette aune, il juge que, en prévoyant une nouvelle finalité de recherche, les dispositions contestées ne dérogent pas à l'interdiction des pratiques eugéniques visant à l'organisation de la sélection des personnes, interdiction qui, prévue par l'article 16-4 du code civil, tend à assurer le respect du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et à laquelle les articles L. 2151-5 et L. 2151-6 du code de la santé publique soumettent toute recherche portant sur l'embryon humain ou sur les cellules souches embryonnaires.
* Etait également critiqué par les députés requérants l'article 23 de la loi déférée, qui réécrit le second alinéa de l'article L. 2151-2 du code de la santé publique relatif à la recherche sur l'embryon humain selon lequel « La création d'embryons transgéniques ou chimériques est interdite », afin de le remplacer par un alinéa ainsi rédigé : « La modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces est interdite ».
Les députés requérants reprochaient à ces dispositions de supprimer l'interdiction de la création d'embryons transgéniques sans fixer d'objectifs et de limites à ce procédé. Il en résultait selon eux une méconnaissance de l'intégrité de l'embryon et du patrimoine génétique de l'espèce humaine ainsi que du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. En outre, en substituant à l'interdiction de la création d'embryons chimériques une interdiction limitée à la modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces, ces dispositions autoriseraient désormais la modification d'un embryon animal par l'adjonction de cellules humaines. Selon eux, un tel procédé, qui porterait atteinte à la distinction entre l'homme et l'animal, méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement, le principe de précaution, la diversité biologique garantie par le cinquième alinéa du Préambule de la Charte de l'environnement ainsi que le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles au nombre desquelles figure, en particulier, le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Il juge que les dispositions contestées mettent fin à l'interdiction de créer des embryons transgéniques, c'est-à-dire des embryons dans le génome desquels une ou plusieurs séquences d'ADN exogène ont été ajoutées. Elles prévoient également que l'adjonction à l'embryon humain de cellules provenant d'autres espèces est interdite.
Il relève que, en premier lieu, il résulte du paragraphe I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique, d'une part, qu'aucune recherche sur l'embryon humain ne peut être entreprise sans une autorisation délivrée par l'Agence de la biomédecine et, d'autre part, que cette autorisation ne peut être délivrée qu'après qu'elle a vérifié que la pertinence scientifique de la recherche est établie, qu'elle s'inscrit dans une finalité médicale ou vise à améliorer la connaissance de la biologie humaine et qu'elle ne peut être menée, en l'état des connaissances scientifiques, sans recourir à des embryons humains. Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole de recherche doivent également respecter, en particulier, les principes fondamentaux énoncés aux articles 16 à 16-8 du code civil.
En application du paragraphe II du même article L. 2151-5, l'Agence de la biomédecine s'assure que la recherche est menée à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l'objet d'un projet parental et qui sont proposés à la recherche par le couple, le membre survivant du couple ou la femme dont ils sont issus. Son paragraphe III prévoit que les ministres chargés de la santé et de la recherche, destinataires des décisions de l'Agence de la biomédecine, peuvent demander à cet établissement un nouvel examen du dossier, notamment en cas de doute sur le respect des principes fondamentaux prévus par le code civil.
Le paragraphe IV dispose que les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation et qu'il est mis fin à leur développement in vitro au plus tard le quatorzième jour qui suit leur constitution.
Ainsi, les dispositions contestées ne permettent la création d'embryons transgéniques que dans le cadre de recherches sur l'embryon entourées de garanties effectives.
En second lieu, il ressort des travaux préparatoires de la loi déférée que les dispositions contestées, qui portent uniquement sur la recherche sur l'embryon humain, n'ont pas pour objet de modifier le régime juridique applicable à l'insertion de cellules humaines dans un embryon animal, qui est par ailleurs défini par les articles 20 et 21 de la loi déférée.
Le Conseil constitutionnel déduit de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine doit être écarté.
* Le Conseil constitutionnel écarte également des critiques contre les dispositions de l'article 25 de la loi déférée, relatives aux conditions d'information de la femme enceinte et, le cas échéant, de l'autre membre du couple, lors de la réalisation d'examens prénataux.
Les députés requérants soutenaient que, en subordonnant à l'accord de la femme enceinte l'information de l'autre membre du couple sur les résultats d'examens prénataux et en renvoyant la fixation des modalités d'information de ce dernier au pouvoir réglementaire, ces dispositions auraient méconnu le principe d'égalité et porté atteinte à la liberté personnelle, au droit de mener une vie familiale normale et au droit au mariage.
Le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions ont pour objet d'organiser la communication de résultats d'examens médicaux prénataux. Or, la femme enceinte se trouve, à cet égard, dans une situation différente de celle de l'autre membre du couple. Ce faisant, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui repose sur une différence de situation, est en rapport direct avec l'objet de la loi. Il écarte par ces motifs le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité et juge que ces dispositions, qui ne méconnaissent pas non plus la liberté personnelle, le droit de mener une vie familiale normale ou le droit au mariage, ni aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.