Communiqué

Décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021 - Communiqué de presse

Loi pour une sécurité globale préservant les libertés
Non conformité partielle - réserve

Saisi de vingt-deux articles de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, le Conseil constitutionnel en valide quinze, tout en assortissant quatre d'entre eux de réserves d'interprétation, et en censure totalement ou partiellement sept. Il censure en outre d'office cinq autres dispositions ayant le caractère de « cavaliers législatifs »

Par sa décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, dont il avait été saisi par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs. Le Premier ministre avait en outre demandé au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de son article 52.

* Au nombre des dispositions déclarées conformes à la Constitution par la décision de ce jour, figurent notamment :

- l'article 4 de la loi déférée étendant à l'ensemble des manifestations sportives, récréatives ou culturelles la possibilité pour les agents de police municipale de procéder à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à des palpations de sécurité. Par une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé à cet égard que s'il était loisible au législateur de ne pas fixer les critères en fonction desquels sont mises en œuvre les opérations de palpations de sécurité, d'inspection et de fouille des bagages pour l'accès aux manifestations sportives, récréatives ou culturelles, la mise en œuvre de ces vérifications ainsi confiées par la loi à des agents de l'autorité publique ne saurait s'opérer qu'en se fondant sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes.

- l'article 21, étendant la possibilité d'infliger des pénalités financières à titre de sanction disciplinaire aux personnes physiques salariées exerçant des activités privées de sécurité ;

- l'article 23 instaurant une condition de durée de détention d'un titre de séjour pour les étrangers souhaitant exercer une activité privée de sécurité ;

- les dispositions de l'article 29 élargissant les cas dans lesquels des agents privés de sécurité peuvent exercer des missions de surveillance sur la voie publique en vue de la prévention d'actes de terrorisme visant les biens dont ils ont la garde. Par une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé que cette mission de surveillance itinérante ne saurait, sans méconnaître les exigences de l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, s'exercer au-delà des abords immédiats des biens dont les agents privés de sécurité ont la garde ;

- l'article 36 autorisant des agents privés de sécurité à détecter des drones aux abords des biens dont ils ont la garde ;

- les dispositions de l'article 40 étendant, sous certaines conditions, le champ des images prises par des systèmes de vidéoprotection sur la voie publique auxquelles peuvent accéder les policiers municipaux ainsi que certains agents de la Ville de Paris. Par une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne sauraient leur permettre d'accéder à des images prises par des systèmes de vidéoprotection qui ne seraient pas mis en œuvre sur le territoire de la commune ou de l'intercommunalité sur lequel ils exercent leurs missions ;

- l'article 45 relatif à l'utilisation de caméras individuelles par les agents de la police nationale, les militaires de la gendarmerie nationale et les agents de police municipale. Pour écarter le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée, le Conseil a tenu compte notamment de ce que les motifs permettant le recours à ces caméras excluent qu'il en soit fait un usage généralisé et discrétionnaire. De même, il a relevé que les circonstances susceptibles de faire obstacle à l'information des personnes filmées recouvrent les seuls cas où cette information est rendue impossible pour des raisons purement matérielles et indépendantes des motifs de l'intervention. Par une réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel a en outre jugé que, au regard de l'exigence constitutionnelle des droits de la défense et du droit à un procès équitable, ces dispositions ne sauraient s'interpréter, sauf à méconnaître les droits de la défense et le droit à un procès équitable, que comme impliquant que soient garanties jusqu'à leur effacement, l'intégrité des enregistrements réalisés ainsi que la traçabilité de toutes leurs consultations ;

- l'article 50 supprimant le bénéfice des crédits de réduction de peine prévus par l'article 721 du code de procédure pénale en cas de condamnation pour certaines infractions d'atteintes aux personnes, lorsque ces infractions ont été commises à l'encontre d'un élu, d'un magistrat, de représentants de la force publique ou d'autres personnes dépositaires de l'autorité publique ou à l'encontre de certaines personnes chargées d'une mission de service public ;

- l'article 53 prévoyant que l'accès à un établissement recevant du public ne peut pas être refusé à un fonctionnaire de la police nationale ou à un gendarme au motif qu'il porte son arme hors service.

* En revanche, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution, notamment :

- l'article 1er de la loi déférée permettant, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, aux agents de police municipale et gardes champêtres de certaines communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre d'exercer des attributions de police judiciaire en matière délictuelle.

Le Conseil constitutionnel a rappelé à cet égard qu'il résulte de l'article 66 de la Constitution que la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l'autorité judiciaire. Cette exigence ne serait pas respectée si des pouvoirs généraux d'enquête criminelle ou délictuelle étaient confiés à des agents qui, relevant des autorités communales, ne sont pas mis à la disposition d'officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes.

A cette aune, le Conseil constitutionnel a relevé que, si le procureur de la République se voit adresser sans délai les rapports et procès-verbaux établis par les agents de police municipale et les gardes champêtres, par l'intermédiaire des directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale, le législateur n'a pas assuré un contrôle direct et effectif du procureur de la République sur les directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale. Notamment, contrairement à ce que le code de procédure pénale prévoit pour les officiers de police judiciaire et nonobstant son pouvoir de direction sur les directeurs et chefs de service de police municipale, ne sont pas prévues la possibilité pour le procureur de la République d'adresser des instructions aux directeurs de police municipale et chefs de service de police municipale, l'obligation pour ces agents de le tenir informé sans délai des infractions dont ils ont connaissance, l'association de l'autorité judiciaire aux enquêtes administratives relatives à leur comportement, ainsi que leur notation par le procureur général. D'autre part, si les directeurs et les chefs de service de police municipale doivent, pour être habilités à exercer leurs missions de police judiciaire, suivre une formation et satisfaire à un examen technique selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'État, il n'est pas prévu qu'ils présentent des garanties équivalentes à celles exigées pour avoir la qualité d'officier de police judiciaire.

Le Conseil constitutionnel en a déduit que, en confiant des pouvoirs aussi étendus aux agents de police municipale et gardes champêtres, sans les mettre à disposition d'officiers de police judiciaire ou de personnes présentant des garanties équivalentes, le législateur a méconnu l'article 66 de la Constitution ;

- l'article 41 autorisant le placement sous vidéosurveillance des personnes retenues dans les chambres d'isolement des centres de rétention administrative et de celles en garde à vue, sous certaines conditions et pour certaines finalités.

Le Conseil constitutionnel a notamment relevé que les dispositions contestées permettent au chef du service responsable de la sécurité des lieux de décider du placement sous vidéosurveillance d'une personne retenue ou placée en garde à vue dès lors qu'il existe des motifs raisonnables de penser qu'elle pourrait tenter de s'évader ou qu'elle représenterait une menace pour elle-même ou pour autrui. En outre, cette décision de placement sous vidéosurveillance est prise pour une durée de quarante-huit heures. Elle peut être renouvelée sur la seule décision du chef de service responsable de la sécurité des lieux, et sous l'unique condition d'en informer le procureur de la République, aussi longtemps que dure la garde à vue ou le placement en chambre d'isolement dans un centre de rétention administrative. Or, la durée d'une garde à vue peut atteindre six jours et la durée du placement d'une personne en chambre d'isolement dans un centre de rétention administratif n'est pas limitée dans le temps.

Le Conseil constitutionnel en a déduit que le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, et d'autre part, le droit au respect de la vie privée ;

- certaines dispositions de l'article 47 déterminant les conditions dans lesquelles certains services de l'État et la police municipale peuvent procéder au traitement d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs circulant sans personne à bord.

En application de ces dispositions, les services de l'État et de police municipale peuvent mettre en œuvre des opérations de captation, d'enregistrement et de transmission d'images sur la voie publique dès lors qu'elles ne visualisent pas les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Les images captées peuvent être transmises en temps réel au poste de commandement du service utilisateur. Le public est informé par tout moyen approprié de la mise en œuvre du dispositif de captation d'images sauf lorsque les circonstances l'interdisent ou lorsque cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis.

Le Conseil constitutionnel a jugé à cet égard que, pour répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions, le législateur pouvait autoriser la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par des aéronefs circulant sans pilote à bord aux fins de recherche, de constatation ou de poursuite des infractions pénales ou aux fins de maintien de l'ordre et de la sécurité publics. Toutefois, eu égard à leur mobilité et à la hauteur à laquelle ils peuvent évoluer, ces appareils sont susceptibles de capter, en tout lieu et sans que leur présence soit détectée, des images d'un nombre très important de personnes et de suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. Dès lors, la mise en œuvre de tels systèmes de surveillance doit être assortie de garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée.

Or, le Conseil constitutionnel a relevé que, en matière de police judiciaire, il peut être recouru à ce dispositif pour toute infraction, y compris pour une contravention. En matière de police administrative, il peut y être recouru pour la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens, pour la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, pour la prévention d'actes de terrorisme, la protection des bâtiments et installations publics exposés à des risques d'intrusion ou de dégradation, la régulation des flux de transport, la surveillance des frontières et le secours aux personnes. S'agissant des services de police municipale, ils peuvent y recourir aux fins d'assurer l'exécution de tout arrêté de police du maire, quelle que soit la nature de l'obligation ou de l'interdiction qu'il édicte, et de constater les contraventions à ces arrêtés.

Il a également relevé que le législateur n'a lui-même fixé aucune limite maximale à la durée de l'autorisation de recourir à un tel moyen de surveillance, exceptée la durée de six mois lorsque cette autorisation est délivrée à la police municipale, ni aucune limite au périmètre dans lequel la surveillance peut être mise en œuvre et que n'a pas été fixé le principe d'un contingentement du nombre d'aéronefs circulant sans personne à bord équipés d'une caméra pouvant être utilisés, le cas échéant simultanément, par les différents services de l'État et ceux de la police municipale.

Par ces motifs, notamment, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée ;

- l'article 48 permettant aux forces de sécurité intérieure et à certains services de secours de procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras embarquées équipant leurs véhicules, aéronefs, embarcations et autres moyens de transport, à l'exception des aéronefs circulant sans personne à bord.

À cet égard, le Conseil a relevé, d'une part, que ces dispositions prévoient que les caméras embarquées équipant les moyens de transport précités peuvent capter, enregistrer et transmettre des images au sein de ces véhicules, sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, y compris, le cas échéant, de l'intérieur des immeubles ainsi que de leurs entrées. D'autre part, outre une information générale du public par le ministre de l'intérieur, le législateur n'a prévu pour seule information spécifique du public que l'apposition d'une signalétique lorsque les véhicules sont équipés de caméras. Cette dernière information n'étant pas donnée lorsque « les circonstances l'interdisent » ou lorsqu'elle « entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis », le Conseil a observé que de telles exceptions permettent de déroger largement à cette obligation d'informer et, plus particulièrement, en matière d'investigations pénales dès lors qu'une telle information est le plus souvent en contradiction avec l'objectif de recherche des auteurs d'infractions et de constatation de ces dernières.

Il a également constaté que les dispositions contestées peuvent être mises en œuvre pour prévenir les incidents au cours des interventions, faciliter le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves, assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public, faciliter la surveillance des littoraux, des eaux intérieures et des zones frontalières ainsi que le secours aux personnes et la lutte contre l'incendie, et réguler les flux de transport.

Enfin, le Conseil a considéré, d'une part, que si ces mêmes dispositions n'autorisent la mise en œuvre de ces caméras embarquées que pour la durée strictement nécessaire à la réalisation de l'intervention, le législateur n'a lui-même fixé aucune limite maximale à cette durée, ni aucune borne au périmètre dans lequel cette surveillance peut avoir lieu. D'autre part, la décision de recourir à des caméras embarquées relève des seuls agents des forces de sécurité intérieure et des services de secours. Elle n'est soumise à aucune autorisation, ni même à l'information d'une autre autorité.

Pour ces raisons, le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et le droit au respect de la vie privée ;

- le paragraphe I de l'article 52 réprimant de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende « la provocation, dans le but manifeste qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, à l'identification d'un agent de la police nationale, d'un militaire de la gendarmerie nationale ou d'un agent de la police municipale lorsque ces personnels agissent dans le cadre d'une opération de police, d'un agent des douanes lorsqu'il est en opération ».

Le Conseil constitutionnel a rappelé que, selon l'article 34 de la Constitution : « La loi fixe les règles concernant … la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ». Le législateur tient de l'article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789, l'obligation de fixer lui-même le champ d'application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire.

A cette aune, il a relevé que le délit contesté réprime la provocation à l'identification d'un agent de la police nationale, d'un militaire de la gendarmerie nationale ou d'un agent de la police municipale « lorsque ces personnels agissent dans le cadre d'une opération de police » et à l'identification d'un agent des douanes « lorsqu'il est en opération ». Le législateur a fait de cette dernière exigence un élément constitutif de l'infraction. Il lui appartenait donc de définir clairement sa portée. Or, ces dispositions ne permettent pas de déterminer si le législateur a entendu réprimer la provocation à l'identification d'un membre des forces de l'ordre uniquement lorsqu'elle est commise au moment où celui-ci est « en opération » ou s'il a entendu réprimer plus largement la provocation à l'identification d'agents ayant participé à une opération, sans d'ailleurs que soit définie cette notion d'opération. D'autre part, faute pour le législateur d'avoir déterminé si l'intention manifeste qu'il soit porté atteinte à l'intégrité physique du policier devait être caractérisée indépendamment de la seule provocation à l'identification, les dispositions contestées font peser une incertitude sur la portée de l'intention exigée de l'auteur du délit.

Le Conseil constitutionnel en a déduit que le législateur n'a pas suffisamment défini les éléments constitutifs de l'infraction contestée. Dès lors, le paragraphe I de l'article 52 méconnaît le principe de la légalité des délits et des peines.

* Enfin, le Conseil constitutionnel a censuré d'office comme « cavaliers législatifs », c'est-à-dire comme adoptés selon une procédure contraire aux exigences de l'article 45 de la Constitution, les articles 26, 57, 63, 68 et 69 de la loi déférée. La censure de ces dispositions ne préjuge pas de la conformité de leur contenu aux autres exigences constitutionnelles.