Communiqué

Décision n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021 - Communiqué de presse

M. Oussama C. [Information du prévenu du droit qu'il a de se taire devant le juge des libertés et de la détention en cas de comparution immédiate]
Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire

Faute d'information du prévenu sur son droit de se taire, le Conseil constitutionnel juge contraires à la Constitution des dispositions concernant la procédure de présentation devant le juge des libertés et de la détention dans le cadre d'une comparution immédiate

L'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 décembre 2020 par la Cour de cassation d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 396 du code de procédure pénale.

En application de l'article 395 du code de procédure pénale, le procureur de la République peut saisir le tribunal correctionnel selon la procédure de comparution immédiate pour le jugement de certains délits, lorsqu'il lui apparaît que les charges réunies sont suffisantes et que l'affaire est en état d'être jugée. Le prévenu est alors retenu jusqu'à sa comparution, qui doit avoir lieu le jour même. Si, toutefois, la réunion du tribunal est impossible ce jour-là et si le procureur de la République estime que les éléments de l'espèce exigent une mesure de détention provisoire, l'article 396 du même code permet à ce dernier de traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention en vue de procéder à un tel placement jusqu'à sa comparution devant le tribunal correctionnel, qui doit intervenir au plus tard le troisième jour ouvrable suivant. Aux termes des dispositions contestées, le juge des libertés et de la détention statue sur les réquisitions du ministère public aux fins de détention provisoire après avoir recueilli les observations éventuelles du prévenu ou de son avocat.

Les critiques formulées contre ces dispositions

Il était notamment reproché à ces dispositions de méconnaître le principe de la présomption d'innocence, dont découle le droit de se taire, ainsi que les droits de la défense dans la mesure où elles ne prévoient pas que le juge des libertés et de la détention, saisi aux fins de placement en détention provisoire dans le cadre de la procédure de comparution immédiate, doit notifier au prévenu qui comparaît devant lui son droit de garder le silence.

Le contrôle des dispositions faisant l'objet de la QPC

  • Par la décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que, selon l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire.

À l'aune de ce cadre constitutionnel, le Conseil constitutionnel relève en premier lieu que, s'il appartient uniquement au juge des libertés et de la détention, par application des dispositions contestées, de se prononcer sur la justification d'un placement en détention provisoire, il ne peut décider une telle mesure privative de liberté, qui doit rester d'application exceptionnelle, que par une ordonnance motivée, énonçant les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement par référence à l'une des causes limitativement énumérées aux 1 ° à 6 ° de l'article 144 du code de procédure pénale. Ainsi, l'office confié au juge des libertés et de la détention par l'article 396 du même code peut le conduire à porter une appréciation des faits retenus à titre de charges par le procureur de la République dans sa saisine.

En second lieu, lorsqu'il est invité par le juge des libertés et de la détention à présenter ses observations, le prévenu peut être amené à reconnaître les faits qui lui sont reprochés. En outre, le fait même que ce magistrat invite le prévenu à présenter ses observations peut être de nature à lui laisser croire qu'il ne dispose pas du droit de se taire. Or, si la décision du juge des libertés et de la détention est sans incidence sur l'étendue de la saisine du tribunal correctionnel, en particulier quant à la qualification des faits retenus, les observations du prévenu sont susceptibles d'être portées à la connaissance de ce tribunal lorsqu'elles sont consignées dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ou le procès-verbal de comparution.

De ces deux séries de motifs, le Conseil constitutionnel déduit que, en ne prévoyant pas que le prévenu traduit devant le juge des libertés et de la détention doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées portent atteinte à ce droit. Il déclare en conséquence les dispositions contestées contraires à la Constitution.

  • S'agissant des effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel juge que l'abrogation immédiate des dispositions contestées, qui aurait pour effet de supprimer la possibilité pour le prévenu de présenter des observations devant le juge des libertés et de la détention avant que ce dernier ne statue sur les réquisitions du procureur de la République aux fins de détention provisoire, entraînerait des conséquences manifestement excessives. Il reporte en conséquence au 31 décembre 2021 la date de l'abrogation des dispositions contestées.

Il précise en outre que la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

En revanche, afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, le Conseil constitutionnel juge que, jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi, le juge des libertés et de la détention doit informer le prévenu qui comparaît devant lui en application de l'article 396 du code de procédure pénale de son droit de se taire.