Décision n° 2020-882 QPC du 5 février 2021 - Communiqué de presse
Le Conseil constitutionnel valide des dispositions législatives soumettant à autorisation préalable l'exploitation des équipements de réseaux 5G
- L'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 novembre 2020 par le Conseil d'État d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de plusieurs articles du code des postes et communications électroniques, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2019-810 du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles.
Les dispositions contestées du paragraphe I de l'article L. 34-11 de ce code soumettent à autorisation du Premier ministre l'exploitation de certains équipements de réseaux radioélectriques mobiles. Le troisième alinéa du même paragraphe I précise que la liste de ces équipements est fixée par arrêté du Premier ministre pris après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. En application de l'article L. 34-12 du même code, le Premier ministre refuse l'octroi de l'autorisation en cas de risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale. Pour l'appréciation de ce risque, il prend en considération le niveau de sécurité des appareils, leurs modalités de déploiement et d'exploitation envisagées par l'opérateur et, en vertu des dispositions contestées de cet article, le fait que l'opérateur ou l'un de ses prestataires, y compris par sous-traitance, est sous le contrôle ou soumis à des actes d'ingérence d'un État non membre de l'Union européenne.
- Les critiques formulées contre ces dispositions
Selon les sociétés requérantes et intervenantes, ces dispositions méconnaîtraient la liberté d'entreprendre. Elles faisaient notamment valoir à cet égard que si ces dispositions s'appliquent théoriquement aux seuls équipements dédiés aux réseaux de cinquième génération (dite « 5G ») de communication mobile, elles obligeraient en pratique certains opérateurs souhaitant offrir des services relevant de cette nouvelle technologie, en cas de refus d'autorisation, à procéder au remplacement de tout ou partie de leurs équipements déjà installés au titre des réseaux des générations précédentes, en raison de contraintes techniques liées à l'absence d'interopérabilité des appareils. Ceci leur occasionnerait des charges excessives. De surcroît, ces dispositions auraient en réalité pour seul objet d'interdire aux opérateurs de se fournir en appareils 5G auprès de la société chinoise Huawei, ce qui les restreindrait dans le choix de leurs équipementiers et pénaliserait ceux d'entre eux ayant eu recours à cette société pour leurs équipements plus anciens.
Il était également reproché à ces dispositions de méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, motif pris de ce qu'elles feraient supporter par les opérateurs de communications électroniques, contraints de remplacer leurs équipements à leurs frais, une charge disproportionnée, qui devrait incomber à l'État puisqu'elle résulterait de choix faits au nom de la sécurité nationale.
Une autre critique adressée à ces dispositions était qu'elles méconnaissaient la garantie des droits, en venant s'ajouter au régime d'autorisation prévu à l'article 226-3 du code pénal et en remettant en cause les autorisations d'utilisation des fréquences délivrées par l'État aux opérateurs pour exploiter les réseaux des deuxième à quatrième générations de communication mobile.
- Le contrôle des dispositions faisant l'objet de la QPC
* Pour examiner les critiques formulées sur le terrain de la liberté d'entreprendre, le Conseil constitutionnel rappelle que, s'il est loisible au législateur d'apporter à cette liberté, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, c'est à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.
À l'aune de ce cadre constitutionnel, le Conseil constitutionnel juge que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, dans le but de préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale, prémunir les réseaux radioélectriques mobiles des risques d'espionnage, de piratage et de sabotage qui peuvent résulter des nouvelles fonctionnalités offertes par la cinquième génération de communication mobile. Ce faisant, ces dispositions mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation.
Le Conseil constitutionnel relève également que le champ de l'autorisation contestée est circonscrit, dès lors notamment que l'autorisation ne concerne que les entreprises qui, exploitant un réseau de communications électroniques au public, ont été désignées par l'autorité administrative comme opérateurs d'importance vitale au motif, selon l'article L. 1332-1 du code de la défense, qu'elles utilisent des installations dont l'indisponibilité risquerait de diminuer d'une façon importante le potentiel de guerre de la Nation, son potentiel économique, sa sécurité ou sa capacité de survie et qui, de ce fait, sont tenues de coopérer à la protection de ces installations contre toute menace.
Le Conseil constitutionnel se fonde en outre sur ce que l'autorisation ne peut être refusée que si le Premier ministre estime qu'il existe un risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale, dû à l'insuffisance des garanties du respect des règles relatives à la permanence, à l'intégrité, à la sécurité ou à la disponibilité du réseau ou relatives à la confidentialité des messages transmis et des informations liées aux communications. Il juge que, en prévoyant que, pour apprécier ce risque, le Premier ministre prend notamment en considération le fait que l'opérateur ou son prestataire est sous le contrôle ou soumis à des actes d'ingérence d'un État étranger, le législateur n'a visé ni un opérateur ou un prestataire déterminé ni les appareils d'un fabricant déterminé.
Enfin, le Conseil constitutionnel juge que si la mise en œuvre des dispositions contestées était susceptible d'entraîner des charges pour les opérateurs, liées à la nécessité de remplacer certains anciens équipements afin de les rendre matériellement compatibles avec les appareils dont l'exploitation est subordonnée à l'autorisation contestée, de telles charges résulteraient des seuls choix de matériels et de fournisseurs initialement effectués par les opérateurs, lesquels ne sont pas imputables à l'État.
De l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que l'atteinte portée à la liberté d'entreprendre par les dispositions contestées n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.
* Pour examiner les critiques formulées sur le terrain du principe d'égalité devant les charges publiques, la décision de ce jour rappelle que, si l'article 13 de la Déclaration de 1789 n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
Au regard du cadre constitutionnel ainsi précisé, le Conseil constitutionnel juge que la sécurisation des réseaux de communication mobile, par l'autorisation préalable de l'exploitation de certains appareils, est directement liée aux activités des opérateurs qui utilisent et exploitent ces réseaux afin d'offrir au public des services de communications électroniques. Dès lors, en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'a, en tout état de cause, pas reporté sur des personnes privées des dépenses qui, par leur nature, incomberaient à l'État. Il écarte en conséquence, et compte tenu des autres motifs évoqués plus haut, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques.
* En réponse au grief tiré de l'atteinte à la garantie des droits invoquée sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel juge notamment que, si, au moment de l'adoption des dispositions contestées, les opérateurs de communications électroniques étaient soumis au régime d'autorisation applicable à la détention et à l'utilisation de certains appareils, prévu à l'article 226-3 du code pénal, ils ne pouvaient, sur le seul fondement de ce régime d'autorisation, légitimement s'attendre à ce que ne soient pas instituées des règles d'exploitation des appareils permettant la connexion aux réseaux de nouvelles générations, à des fins de protection de la défense et de la sécurité nationale.
Les dispositions contestées sont ainsi jugées conformes à la Constitution.