Communiqué

Décision n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021 - Communiqué de presse

M. Ion Andronie R. et autre [Prolongation de plein droit des détentions provisoires dans un contexte d'urgence sanitaire]
Non conformité totale

Le Conseil constitutionnel censure les dispositions d'une ordonnance prolongeant de plein droit les détentions provisoires durant la première période de l'état d'urgence sanitaire

L'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 novembre 2020 par la Cour de cassation d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Ces dispositions ont prévu la prolongation, de plein droit et pour des durées variables selon la peine encourue, des détentions provisoires, au cours et à l'issue de l'instruction. Elles devaient s'appliquer aux détentions provisoires en cours ou débutant entre le 26 mars 2020 et la fin de l'état d'urgence sanitaire. Toutefois, la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire a inséré, au sein de l'ordonnance du 25 mars 2020, un article 16-1 qui a mis fin à l'application de ces dispositions pour les détentions provisoires venant à expiration à compter du 11 mai 2020. Ainsi, les dispositions contestées se sont appliquées aux seules détentions provisoires dont les titres devaient expirer entre le 26 mars et le 11 mai 2020. L'article 16-1 a également prévu que les détentions prolongées pour une durée de six mois en application des dispositions de l'article 16 devaient, dans un délai de trois mois à compter de leur prolongation, être confirmées par une décision du juge des libertés et de la détention.

Les critiques formulées contre ces dispositions

Selon les requérants, rejoints par les parties intervenantes, ces dispositions méconnaissaient notamment l'article 66 de la Constitution pour avoir prolongé, sans intervention systématique d'un juge dans un bref délai, toutes les détentions provisoires venant à expiration pendant la période d'état d'urgence sanitaire, alors qu'une telle mesure n'aurait été ni nécessaire ni proportionnée à l'objectif poursuivi de protection de la santé publique.

Le cadre constitutionnel

Dans sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle, sur le fondement de l'article 66 de la Constitution, que la liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis. Elle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible.

Le contrôle des dispositions faisant l'objet de la QPC

Au regard de ce cadre constitutionnel, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées visent à éviter que les difficultés de fonctionnement de la justice provoquées par les mesures d'urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 conduisent à la libération de personnes placées en détention provisoire, avant que l'instruction puisse être achevée ou une audience de jugement organisée. Elles poursuivent ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infraction.

Toutefois, le Conseil constitutionnel constate, d'une part, que ces dispositions maintiennent en détention, de manière automatique, toutes les personnes dont la détention provisoire, précédemment décidée par le juge judiciaire, devait s'achever parce qu'elle avait atteint sa durée maximale ou que son éventuelle prolongation nécessitait une nouvelle décision du juge.

Il souligne, d'autre part, que ces détentions sont prolongées pour des durées de deux ou trois mois en matière correctionnelle et de six mois en matière criminelle.

Il relève, enfin, que si les dispositions contestées réservent, durant la période de maintien en détention qu'elles instaurent, la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner la mise en liberté à tout moment, d'office ou sur demande du ministère public ou de l'intéressé, elles ne prévoient, durant cette période, aucune intervention systématique du juge judiciaire. Quant à l'article 16-1 de l'ordonnance du 23 mars 2020, il ne prévoit de soumettre au juge judiciaire, dans un délai de trois mois après leur prolongation en application des dispositions contestées, que les seules détentions provisoires qui ont été prolongées pour une durée de six mois.

Le Conseil constitutionnel en conclut que les dispositions contestées maintiennent de plein droit des personnes en détention provisoire sans que l'appréciation de la nécessité de ce maintien soit obligatoirement soumise, à bref délai, au contrôle du juge judiciaire.

Or, le Conseil constitutionnel juge que l'objectif poursuivi par les dispositions contestées n'est pas de nature à justifier que l'appréciation de la nécessité du maintien en détention soit, durant de tels délais, soustraite au contrôle systématique du juge judiciaire. Il précise que, au demeurant, l'intervention du juge judiciaire pouvait, le cas échéant, faire l'objet d'aménagements procéduraux.

De l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que les dispositions contestées méconnaissent l'article 66 de la Constitution. Il les déclare en conséquence contraires à la Constitution.

Constatant que ces dispositions ne sont plus applicables, le Conseil constitutionnel juge qu'aucun motif ne justifie de reporter la prise d'effet de la déclaration d'inconstitutionnalité. Ces dispositions sont donc immédiatement abrogées. Concernant les effets que ces dispositions ont produits, le Conseil considère que la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement de ces dispositions méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Il juge en conséquence que ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.