Communiqué

Décision n° 2020-872 QPC du 15 janvier 2021 - Communiqué de presse

M. Krzystof B. [Utilisation de la visioconférence sans accord des parties devant les juridictions pénales dans un contexte d'urgence sanitaire]
Non conformité totale

Le Conseil constitutionnel censure des dispositions prises dans la première période de l'état d'urgence sanitaire, permettant l'utilisation de la visioconférence devant les juridictions pénales sans accord des parties

L'objet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 octobre 2020 par la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 5 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

Par dérogation à l'article 706-71 du code de procédure pénale, les dispositions contestées, applicables pendant l'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020 et pendant un mois après la fin de celui-ci (soit jusqu'au 10 août 2020), permettaient de recourir, sans l'accord des parties, à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l'ensemble des juridictions pénales autres que criminelles.

Les critiques formulées contre ces dispositions législatives

Il était reproché à ces dispositions par le requérant de permettre à la chambre de l'instruction de statuer par visioconférence sur la prolongation d'une détention provisoire, sans faculté d'opposition de la personne détenue, ce qui pouvait selon lui avoir pour effet de priver cette dernière, pendant plus d'une année, de la possibilité de comparaître physiquement devant son juge. Le requérant en concluait à une atteinte aux droits de la défense que les objectifs de bonne administration de la justice et de protection de la santé publique ne pouvaient suffire à justifier.

Le cadre constitutionnel

Dans sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que les droits de la défense sont garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Le contrôle des dispositions législatives faisant l'objet de la QPC

Le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées visent à favoriser la continuité de l'activité des juridictions pénales malgré les mesures d'urgence sanitaire prises pour lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et poursuivent ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et contribuent à la mise en œuvre du principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice.

Il juge toutefois, en premier lieu, que le champ d'application des dispositions contestées s'étend à toutes les juridictions pénales, à la seule exception des juridictions criminelles. Elles permettent donc d'imposer au justiciable le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle dans un grand nombre de cas. Il en va notamment ainsi de la comparution, devant le tribunal correctionnel ou la chambre des appels correctionnels, d'un prévenu ou de la comparution devant les juridictions spécialisées compétentes pour juger les mineurs en matière correctionnelle. Le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle peut également être imposé lors du débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire d'une personne ou à la prolongation d'une détention provisoire, quelle que soit alors la durée pendant laquelle la personne a, le cas échéant, été privée de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire.

En second lieu, si le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle n'est qu'une faculté pour le juge, les dispositions contestées ne soumettent son exercice à aucune condition légale et, qu'il s'agisse des situations mentionnées au paragraphe précédent ou de toutes les autres, ne l'encadrent par aucun critère.

Pour ces motifs et eu égard à l'importance de la garantie qui peut s'attacher à la présentation physique de l'intéressé devant la juridiction pénale et en l'état des conditions dans lesquelles s'exerce le recours à ces moyens de télécommunication, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées portent une atteinte aux droits de la défense que ne pouvait justifier le contexte sanitaire particulier résultant de l'épidémie de covid-19 durant leur période d'application. Il les juge donc contraires à la Constitution. C'est la première fois que le Conseil constitutionnel censure des dispositions issues d'une ordonnance non ratifiée par le Parlement. Concernant les effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel juge que la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.