Communiqué

Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 - Communiqué de presse

M. Rouchdi B. et autre [Mesures administratives de lutte contre le terrorisme]
Non conformité partielle - effet différé - réserve - non lieu à statuer

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 29 décembre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 226-1, L.227-1, L. 228-1, L. 228-2, L. 228-3, L. 228-4, L. 228-5 et L. 228-6, L. 229-1, L. 229-2, L. 229-4 et L. 229-5 du code de la sécurité intérieure et sur certaines dispositions de ses articles L. 511-1, L. 613-1 et L. 613-2, issus de la loi n° 2017 1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

Ont été ainsi soumises à l'examen du Conseil constitutionnel quatre séries de dispositions.

  • Les premières dispositions contestées étaient celles permettant au préfet d'instituer un périmètre de protection, au sein duquel l'accès et la circulation des personnes sont réglementés à des fins de sécurisation d'un lieu ou d'un événement exposé à un risque terroriste.

L'accès et la circulation peuvent y être conditionnés à la nécessité pour les personnes de se soumettre à des palpations de sécurité, à l'inspection visuelle ou à la fouille de leurs bagages et à la visite de leur véhicule.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel a jugé ces dispositions conformes à la Constitution sous trois réserves d'interprétation.

Le Conseil constitutionnel relève que s'il a permis d'associer des personnes privées à l'exercice de missions de surveillance générale de la voie publique, le législateur a prévu que ces personnes ne peuvent qu'assister les agents de police judiciaire et sont « placées sous l'autorité d'un officier de police judiciaire ». Par une première réserve d'interprétation, le Conseil constitutionnel juge qu'il appartient aux autorités publiques de prendre les dispositions afin de s'assurer que soit continûment garantie l'effectivité du contrôle exercée sur ces personnes par les officiers de police judiciaire.

Par la voie d'une deuxième réserve, il juge que s'il était loisible au législateur de ne pas fixer les critères en fonction desquels sont mises en œuvre, au sein des périmètres de protection, les opérations de contrôle de l'accès et de la circulation, de palpations de sécurité, d'inspection et de fouille des bagages et de visite de véhicules, la mise en œuvre de ces vérifications ne saurait s'opérer qu'en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes.

Par la voie d'une troisième réserve d'interprétation, il juge également que si le renouvellement d'un périmètre de protection est subordonné à la nécessité d'assurer la sécurité du lieu ou de l'événement et à la condition qu'il demeure exposé à un risque d'actes de terrorisme, à raison de sa nature et de l'ampleur de sa fréquentation, ce renouvellement ne saurait, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée, être décidé par le préfet sans que celui-ci établisse la persistance du risque.

  • Le deuxième ensemble de dispositions contestées étaient celles autorisant le préfet à fermer provisoirement des lieux de culte pour prévenir la commission d'actes de terrorisme, à raison de certains propos, idées, théories ou activités qui s'y tiennent.

Rappelant qu'il résulte de l'article 1er de la Constitution et de l'article 10 de la Déclaration de 1789 que le principe de laïcité impose notamment que la République garantisse le libre exercice des cultes, le Conseil constitutionnel juge que le législateur a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, la liberté de conscience et le libre exercice des cultes.

Il relève à cet égard, en particulier, que lorsque la justification de la mesure de fermeture d'un lieu de culte repose sur la provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination, il appartient au préfet d'établir que cette provocation est bien en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme. En autorisant la fermeture provisoire d'un lieu de culte, le législateur a ainsi poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. En outre, le Conseil constitutionnel a souligné l'existence de plusieurs garanties : le législateur a limité à six mois la durée de la mesure et n'a pas prévu qu'elle puisse être renouvelée. L'adoption ultérieure d'une nouvelle mesure de fermeture ne peut reposer que sur des faits intervenus après la réouverture du lieu de culte. La fermeture du lieu de culte doit être justifiée et proportionnée, notamment dans sa durée, aux raisons l'ayant motivée. Enfin, elle peut faire l'objet d'un recours en référé devant le juge administratif. Elle est alors suspendue jusqu'à la décision du juge de tenir ou non une audience publique. S'il décide de tenir cette audience, la suspension de la mesure se prolonge jusqu'à sa décision sur le référé, qui doit intervenir dans les quarante-huit heures.

  • Le troisième ensemble de dispositions contestées étaient celles relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance susceptibles d'être prononcées par le ministre de l'intérieur aux fins de prévenir la commission d'un acte de terrorisme et, en particulier, l'interdiction de fréquenter certaines personnes.

Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il n'y avait pas lieu pour lui à statuer sur les dispositions de l'article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure qu'il avait déjà spécialement examinées dans sa décision n° 2017-691 QPC du 16 février 2018.

Il a également jugé que les conditions de recours à ces mesures, fixées à l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, sont suffisamment précises.

S'agissant de la mesure d'interdiction de fréquenter certaines personnes, le Conseil constitutionnel relève que, en l'instaurant, le législateur a poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme et qu'il en a limité le champ d'application aux personnes soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Il juge que la menace présentée par les personnes nommément désignées, dont la fréquentation est interdite, doit être en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme.

Formulant trois réserves d'interprétation, le Conseil constitutionnel souligne qu'il appartient au ministre de l'intérieur de tenir compte, dans la détermination des personnes dont la fréquentation est interdite, des liens familiaux de l'intéressé et de s'assurer en particulier que l'interdiction de fréquentation ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale. Par ailleurs, comme il l'avait jugé dans sa décision du 16 février 2018 précitée, à propos de l'assignation à résidence, le Conseil constitutionnel indique que, compte tenu de sa rigueur, l'interdiction de fréquenter ne saurait, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois.

Enfin, comme dans la décision du 16 février 2018, le Conseil constitutionnel censure, pour méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, la disposition prévoyant que le juge administratif doit statuer sur les recours pour excès de pouvoir dirigés contre ces mesures dans un délai de quatre mois, en jugeant que le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge administratif soit tenu de statuer sur la demande d'annulation de la mesure dans de brefs délais. En outre, il censure pour le même motif la disposition permettant que la mesure contestée soit renouvelée au-delà de trois mois sans qu'un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne en cause, sur la régularité et le bien-fondé de la décision de renouvellement. Compte tenu des conséquences manifestement excessives qu'aurait l'application immédiate de la censure sur ce point, le Conseil constitutionnel juge que, afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter au 1er octobre 2018 la date de l'abrogation correspondante.

  • Enfin était contesté un ensemble de dispositions instituant un régime de visites et de saisies à des fins de prévention du terrorisme.
    Ces dispositions définissent les conditions dans lesquelles ces visites et saisies peuvent être autorisées par le juge des libertés et de la détention, sur saisine du préfet. Elles permettent également de retenir sur place, pendant le déroulement des opérations, la personne en cause. Elles fixent enfin les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut, à l'occasion de la visite, procéder à la saisie de documents, objets et données qui s'y trouvent, ainsi qu'à leur exploitation.

Le Conseil constitutionnel juge que le législateur, qui a à la fois strictement borné le champ d'application de la mesure qu'il a instaurée et apporté les garanties nécessaires, a assuré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le droit au respect de la vie privée, l'inviolabilité du domicile et la liberté d'aller et de venir. Il relève notamment à cet égard que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a poursuivi l'objectif de lutte contre le terrorisme, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public. Le législateur a énoncé un ensemble de garanties propres à limiter l'atteinte, notamment en définissant avec précision les conditions de recours aux visites et saisies et limité leur champ d'application à des personnes soupçonnées de présenter une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public. Il a soumis toute visite et saisie à l'autorisation préalable du juge des libertés et de la détention, qui doit être saisi par une requête motivée du préfet et statuer par une ordonnance écrite et motivée, après avis du procureur de la République. Les visites et saisies ne peuvent concerner les lieux affectés à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes et les domiciles de ces personnes. La visite doit être effectuée en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant et lui permet de se faire assister d'un conseil de son choix. En l'absence de l'occupant, les agents ne peuvent procéder à la visite qu'en présence de deux témoins qui ne sont pas placés sous leur autorité.

En revanche, le Conseil constitutionnel relève que les dispositions contestées permettent la saisie, au cours de la visite, non seulement de données et des systèmes informatiques et équipements terminaux qui en sont le support, mais aussi de « documents » et d'« objets ». Toutefois, à la différence du régime qu'il a défini pour les données et les supports, le législateur n'a fixé aucune règle encadrant l'exploitation, la conservation et la restitution des documents et objets saisis au cours de la visite. Ces dispositions relatives à la saisie de documents et d'objets méconnaissent donc le droit de propriété et sont déclarées contraires à la Constitution.