Décision n° 2017-680 QPC du 8 décembre 2017 - Communiqué de presse
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 septembre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Selon cet article, « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des sceaux, ministre de la justice. À l'audience, leur parole est libre ».
L'Union syndicale des magistrats, rejointe par plusieurs intervenants, reprochait à ces dispositions de méconnaître le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire qui découle de l'article 64 de la Constitution, au motif qu'elles placent les magistrats du parquet sous la subordination hiérarchique du garde des sceaux, alors que ces magistrats appartiennent à l'autorité judiciaire et devraient bénéficier à ce titre, autant que les magistrats du siège, de la garantie constitutionnelle de cette indépendance. Pour le même motif, le syndicat reprochait également à cet article 5 de méconnaître le principe de séparation des pouvoirs, dans des conditions affectant le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire.
La décision rendue ce jour par le Conseil constitutionnel rappelle le cadre constitutionnel en vigueur. Elle cite l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Elle rappelle qu'en vertu de l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation, notamment en ce qui concerne les domaines d'action du ministère public. Citant le premier alinéa de l'article 64 de la Constitution selon lequel « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire », le Conseil constitutionnel juge qu'il découle de l'indépendance de l'autorité judiciaire, à laquelle appartiennent les magistrats du parquet, un principe selon lequel le ministère public exerce librement, en recherchant la protection des intérêts de la société, son action devant les juridictions. La décision cite enfin les dispositions de l'article 64 de la Constitution selon lesquelles « les magistrats du siège sont inamovibles », ainsi que les quatrième à septième alinéas de l'article 65 de la Constitution sur les conditions respectives de nomination des magistrats du siège et du parquet et l'exercice du pouvoir disciplinaire à leur encontre.
Le Conseil constitutionnel juge qu'il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du parquet, dont découle le libre exercice de leur action devant les juridictions, que cette indépendance doit être conciliée avec les prérogatives du Gouvernement et qu'elle n'est pas assurée par les mêmes garanties que celles applicables aux magistrats du siège.
Dans le cadre constitutionnel ainsi précisé conformément à sa jurisprudence antérieure, la décision du Conseil constitutionnel contrôle la manière dont le législateur a mis en œuvre, pour la définition des relations entre le garde des sceaux et les magistrats du parquet, cette exigence de conciliation entre le principe d'indépendance des magistrats du parquet et les prérogatives du Gouvernement.
D'une part, l'autorité du garde des sceaux sur les magistrats du parquet se manifeste notamment par l'exercice de son pouvoir de nomination et de sanction. En application de l'article 28 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, les décrets portant nomination aux fonctions de magistrat du parquet sont pris par le Président de la République sur proposition du garde des sceaux, après avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. En application de l'article 66 de la même ordonnance, la décision de sanction d'un magistrat du parquet est prise par le garde des sceaux après avis de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. Par ailleurs, en application du deuxième alinéa de l'article 30 du code de procédure pénale, le ministre de la justice peut adresser aux magistrats du ministère public des instructions générales de politique pénale, au regard notamment de la nécessité d'assurer sur tout le territoire de la République l'égalité des citoyens devant la loi. Conformément aux dispositions des articles 39-1 et 39-2 du même code, il appartient au ministère public de mettre en œuvre ces instructions.
D'autre part, en application du même article 30 du code de procédure pénale, le ministre de la justice ne peut adresser aux magistrats du parquet aucune instruction dans des affaires individuelles. En vertu de l'article 31 du même code, le ministère public exerce l'action publique et requiert l'application de la loi, dans le respect du principe d'impartialité auquel il est tenu. En application de l'article 33, il développe librement les observations orales qu'il croit convenables au bien de la justice. L'article 39-3 confie au procureur de la République la mission de veiller à ce que les investigations de police judiciaire tendent à la manifestation de la vérité et qu'elles soient accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne suspectée. Conformément à l'article 40-1 du code de procédure pénal, le procureur de la République décide librement de l'opportunité d'engager des poursuites.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions contestées de l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 assurent une conciliation équilibrée entre le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et les prérogatives que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution. Elles ne méconnaissent pas non plus la séparation des pouvoirs.