Communiqué

Décision n° 2017-674 QPC du 1er décembre 2017 - Communiqué de presse

M. Kamel D. [Assignation à résidence de l'étranger faisant l'objet d'une interdiction du territoire ou d'un arrêté d'expulsion]
Non conformité partielle - effet différé - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 septembre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la dernière phrase du huitième alinéa et sur la troisième phrase du neuvième alinéa de l'article L. 561 1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

La dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 permet à l'autorité administrative d'assigner à résidence, sans limite de durée, un étranger faisant l'objet d'une interdiction judiciaire du territoire ou d'un arrêté d'expulsion, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation de quitter le territoire. La troisième phrase du neuvième alinéa du même article permet également à cette autorité de fixer en tout point du territoire les lieux d'assignation à résidence des étrangers en cause ou de ceux sous le coup d'une interdiction administrative de territoire, quel que soit l'endroit où ils se trouvent.

Le requérant, rejoint en intervention par l'association Gisti et par la Ligue des droits de l'Homme, reprochait aux dispositions contestées, notamment, de ne pas fixer de limite de durée à cette assignation à résidence et de ne prévoir ni réexamen périodique de la situation de l'étranger ni recours effectif contre la décision d'assignation. Il en résultait, selon eux, une méconnaissance de la liberté d'aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et du droit à une vie familiale normale. Le requérant et les associations intervenantes dénonçaient en outre la violation du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale qu'aurait constitué la possibilité reconnue à l'administration de changer discrétionnairement le lieu d'assignation à résidence de l'étranger. Ils faisaient par ailleurs valoir que, compte tenu de la durée indéfinie et des modalités de l'assignation à résidence qu'elles prévoyaient, les dispositions contestées portaient à la liberté individuelle une atteinte contraire à l'article 66 de la Constitution.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l'autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et, d'autre part, le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de cette déclaration et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Faisant application de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel relève, en l'espèce, qu'en prévoyant que sont susceptibles d'être placés sous le régime d'assignation à résidence, sans limite de temps, les étrangers faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire, le législateur a plus particulièrement entendu éviter que puisse librement circuler sur le territoire national une personne non seulement dépourvue de droit au séjour, mais qui s'est également rendue coupable d'une infraction ou dont la présence constitue une menace grave pour l'ordre public. Cette mesure est ainsi motivée, à un double titre, par la sauvegarde de l'ordre public.

Le Conseil constitutionnel juge en conséquence qu'il était loisible au législateur de ne pas fixer de durée maximale à l'assignation à résidence afin de permettre à l'autorité administrative d'exercer un contrôle sur l'étranger compte tenu de la menace à l'ordre public qu'il représente ou afin d'assurer l'exécution d'une décision de justice.

Il relève que le maintien d'un arrêté d'expulsion, en l'absence de son abrogation, atteste que l'étranger représente une menace persistante à l'ordre public. Le placement sous assignation à résidence après la condamnation à l'interdiction du territoire français peut toujours être justifié par la volonté d'exécuter la condamnation dont l'étranger a fait l'objet. En revanche, faute que le législateur ait prévu qu'au-delà d'une certaine durée, l'administration doive justifier de circonstances particulières imposant le maintien de l'assignation aux fins d'exécution de la décision d'interdiction du territoire, le Conseil constitutionnel censure comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et de venir les mots « au 5 ° du présent article » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1, qui renvoient au cas de l'étranger sous le coup d'une interdiction judiciaire du territoire.

S'agissant du reste des dispositions contestées, applicables à l'étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion, le Conseil constitutionnel formule deux réserves d'interprétation. Suivant la première réserve, il appartient à l'autorité administrative de retenir des conditions et des lieux d'assignation à résidence tenant compte, dans la contrainte qu'ils imposent à l'intéressé, du temps passé sous ce régime et des liens familiaux et personnels noués par ce dernier. Suivant la seconde réserve, la plage horaire d'une astreinte à domicile incluse dans une mesure d'assignation à résidence ne saurait dépasser douze heures par jour sans que cette mesure soit alors regardée comme une mesure privative de liberté, contraire aux exigences de l'article 66 de la Constitution en l'absence de toute intervention du juge judiciaire.

Concernant les effets dans le temps de la censure partielle prononcée par sa décision, le Conseil constitutionnel rappelle qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement et qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications qui doivent être retenues pour qu'il soit remédié à une inconstitutionnalité qu'il constate. Compte tenu des conséquences manifestement excessives qu'aurait une abrogation immédiate, le Conseil constitutionnel reporte au 30 juin 2018 la date de l'abrogation des mots « au 5 ° du présent article » figurant à la dernière phrase du huitième alinéa de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers.