Communiqué

Décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000 - Communiqué de presse

Loi de finances rectificative pour 2000
Non conformité partielle

Saisi par plus de soixante sénateurs et par plus de soixante députés de la deuxième loi de finances rectificative pour 2000, le Conseil constitutionnel en a censuré quatre dispositions : l'article 3, qui transférait le produit du droit sur les tabacs au fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC) au titre de l'exercice 2000 ; l'article 37, qui étendait la taxe générale sur les activités polluantes aux produits énergétiques ; les dispositions de l'article 48 qui mettaient à la charge des opérateurs des réseaux de télécommunications le coût des « interceptions de sécurité » ; enfin l'article 64, qui prévoyait un plan d'apurement de la dette sociale au seul bénéfice des exploitants agricoles installés en Corse.
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Les deux saisines mettaient en cause de nombreuses dispositions. Le Conseil constitutionnel s'en est tenu aux griefs et n'a donc soulevé aucune question d'office.
Les principales questions tranchées sont les suivantes :
1) L'article 3 de la loi déférée affecte au FOREC le reliquat du droit de consommation sur les tabacs manufacturés perçu par l'Etat au titre de l'année 2000.
Le transfert du reliquat du produit du droit de consommation sur les tabacs du budget de l'Etat vers le FOREC est évalué à trois milliards de francs. Ce transfert, en raison de son ampleur, modifierait de façon significative les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale pour l'année 2000, alors qu'aucune loi de financement de la sécurité sociale n'a pris en compte cette incidence et qu'aucune ne pourra plus le faire d'ici à la fin de l'exercice.
L'article 3 a donc été censuré
2) Le I de l'article 37 de la loi déférée étend la taxe générale sur les activités polluantes instituée à l'article 266 sexies du code des douanes à l'énergie fossile et à l'électricité. Les saisines le critiquaient à titre principal comme contraire au principe de l'égalité devant l'impôt.
Le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que la loi établisse des impositions spécifiques ayant pour objet d'inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d'intérêt général, pourvu que les règles qu'il fixe à cet effet soient directement en rapport avec ces objectifs.
En l'espèce, l'objectif de la mesure contestée est de renforcer la lutte contre l'« effet de serre », dans le cadre des engagements internationaux de la France, en incitant les entreprises à maîtriser leur consommation de produits énergétiques.
C'est donc en fonction de l'adéquation des dispositions critiquées à la poursuite de cet objectif d'intérêt général qu'il convenait de répondre aux griefs tirés de la rupture de l'égalité devant l'impôt.
Or, d'une part, les modalités de calcul de la taxe arrêtées par l'article 37 pouvaient conduire à ce qu'une entreprise soit taxée plus fortement qu'une entreprise analogue, alors même qu'elle aurait consommé une moindre quantité de produits énergétiques.
D'autre part, l'assujettissement de l'électricité méconnaissait le fait que, compte tenu de la nature des sources de production de l'électricité en France, et de l'autosuffisance de celle-ci en énergie électrique, la consommation d'électricité ne contribue que très faiblement au rejet de gaz carbonique et que sa substitution à la consommation de produits énergétiques fossiles doit donc être au contraire encouragée pour lutter contre l'effet de serre.
En raison de ces inadéquations manifestes entre l'assiette de la taxe et sa finalité, le Conseil a censuré le I de l'article 37 (et ses II et III inséparables du I) comme contraires au principe de l'égalité.
3) L'article 48 mettait à la charge des opérateurs de réseaux de télécommunications le coût d'investissement et une partie - déterminée par décret en Conseil d'Etat - du coût de fonctionnement des dispositifs d' « interception de sécurité » dont l'article L. 35-6 du code des postes et télécommunications prévoyait jusqu'ici le remboursement par l'Etat.
S'il est loisible au législateur, dans le respect des libertés constitutionnellement garanties, d'imposer aux opérateurs de réseaux de télécommunications de mettre en place et de faire fonctionner les dispositifs techniques permettant les interceptions justifiées par les nécessités de la sécurité publique, le concours ainsi apporté à la sauvegarde de l'ordre public est étranger à l'exploitation des réseaux de télécommunications. Les dépenses en résultant ne sauraient dès lors, en raison de leur nature, incomber directement à leurs opérateurs
4) L'article 64, issu d'un amendement gouvernemental, prévoyait que les exploitants agricoles installés en Corse, affiliés auprès de la filiale de la caisse de mutualité sociale agricole de Corse au 1er janvier 2001, pouvaient bénéficier, sous certaines conditions, d'un plan d'apurement de leurs dettes relatives aux cotisations patronales de sécurité sociale.
Le Conseil constitutionnel a cherché en vain dans les débats parlementaires la raison, particulière à la Corse, qui justifierait que le bénéfice de cette mesure d'apurement de la dette sociale soit réservé aux exploitants agricoles qui sont installés dans cette île et non aux exploitants agricoles installés sur le continent et placés dans une situation analogue.
Ne peut constituer une telle justification la seule circonstance que les retards observés dans le paiement des cotisations sociales en Corse y soient plus importants qu'ailleurs.
5) Ont été notamment rejetés les griefs dirigés contre la sincérité des prévisions de recettes de la loi déférée, ainsi que contre les dispositions suivantes :

- L'article 2, qui, à la suite d'un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 12 septembre 2000, place les sociétés concessionnaires d'autoroutes sous un régime de TVA conforme au droit communautaire à compter du 1er janvier 2001, tout en leur permettant, si elles y trouvent leur intérêt et en font la demande, de reconstituer leur situation au regard du nouveau régime de TVA pour la période comprise entre le 1er janvier 1996 et le 12 septembre 2000. Le fait que la TVA ayant grevé les travaux réalisés avant le 1er janvier 1996 reste non déductible n'a été jugée contraire à aucun principe constitutionnel. La date ainsi fixée par le législateur pour « remonter dans le temps » a paru raisonnable au Conseil.

- L'article 6, qui prévoit un abandon de créances détenues par l'Etat, au titre du « fonds de développement économique et social » (FDES), sur la société éditrice du quotidien « l'Humanité » n'est pas contraire au principe d'égalité dès lors que le FDES pratique habituellement de tels abandons de créance s'agissant d'entreprises en difficulté et qu'une telle opération concourt au surplus à la sauvegarde de pluralisme des quotidiens d'opinion.

- L'article 35, qui modifie les taux, l'assiette et les seuils d'exonération de la taxe sur les achats de viande (dite « taxe d'équarrissage ») sans contrevenir ni au principe d'égalité devant l'impôt (dès lors que les nouveaux critères sont objectifs et rationnels), ni à l'exigence de précision incombant au législateur (dès lors que la définition précise des « autres produits à base de viande », soumis à la taxe par les nouvelles dispositions, se trouve dans une directive communautaire).