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Cérémonie de vœux du Président de la République au Conseil constitutionnel

Le 5 janvier 2017, les membres du Conseil constitutionnel ont été reçus à l'Élysée par le Président de la République à l'occasion de la cérémonie des vœux.

Vœux au Président de la République

Paris, Palais de l'Elysée, le 5 janvier 2017

Propos de M. Laurent Fabius, Président du Conseil constitutionnel

Seul le prononcé fait foi


Monsieur le Président de la République,

Par tradition, les vœux du Conseil constitutionnel sont - après ceux du Gouvernement - les premiers échangés en janvier à l'Elysée. Cette spécificité heureuse, outre le plaisir qu'elle nous donne de commencer l'année ensemble, marque l'importance des principes constitutionnels comme socle de notre République.

Pour le Conseil constitutionnel, 2016 fut une année de renouvellement.

Jean-Louis Debré, Guy Canivet et Renaud Denoix de Saint Marc ont achevé leur mandat marqué par l'entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité. Trois nouveaux membres les ont remplacés : Corinne Luquiens, Michel Pinault et moi-même, auquel vous avez fait l'honneur de confier la Présidence de cette haute institution.

Les membres du Conseil se renouvellent mais l'esprit collégial demeure. Nos parcours sont divers, notre ancienneté diffère, mais nous nous rejoignons dans l'exigence commune de notre mission : dire le droit constitutionnel et veiller au respect des principes fondamentaux de notre République. Nous sommes conscients que notre beau surnom de « Sages » ne relève pas de l'inné mais de l'acquis, et qu'il ne se maintient qu'à travers le soin constant apporté à la justesse de nos décisions.

Des décisions, notre Conseil en a rendu en 2016 123, dont exactement 100 au titre du contrôle de constitutionnalité : 19 pour le contrôle a priori et 81 pour les QPC. Le nombre de celles-ci a augmenté l'an dernier de 20 % par rapport aux trois années précédentes.

Les domaines traités dans nos décisions sont très variés. En contrôle a priori, nous avons été saisis des principaux textes de cette dernière année de législature : la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 » ; les lois « justice du XXIe siècle », « médias » et « biodiversité » ; la loi « travail », la loi « santé », la loi organique relative aux magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature, la loi organique de modernisation des règles de l'élection présidentielle, ainsi que les lois de finances et de financement de la Sécurité sociale.

En QPC, nous avons rendu plusieurs décisions importantes concernant notamment le cumul des sanctions fiscales et pénales dans la lutte contre la fraude fiscale, les perquisitions et les saisies administratives dans le cadre de l'état d'urgence, le travail dominical à Paris, les droits des détenus, la surveillance et le contrôle des transmissions hertziennes ou encore le délit de contestation de l'existence de certains crimes contre l'humanité. Dans deux tiers des cas, nous avons jugé les dispositions législatives transmises par QPC conformes à la Constitution. Pour un tiers des cas, nous avons prononcé des décisions de non-conformité partielle ou totale, annulant ainsi les dispositions contestées.

Le Conseil - aspect peu noté mais notable - juge rapidement. Les délais qui nous sont fixés sont respectés - trois mois maximum en QPC, un mois ou même huit jours en contrôle a priori. En 2016, le délai moyen a été de 83 jours pour nos décisions QPC, et de seulement 17 jours en contrôle a priori. Je salue à cet égard l'appui précieux et la grande compétence du Secrétaire général du Conseil, Laurent Vallée, et de son équipe.

Monsieur le Président,

Le rôle du Conseil constitutionnel dans le fonctionnement démocratique et la protection des libertés de notre pays est aujourd'hui admis, sa nature juridictionnelle reconnue, son autorité généralement peu contestée. Comme toute institution, le Conseil peut cependant sans doute faire l'objet d'améliorations, afin de s'affirmer sans cesse davantage en France, en Europe et au-delà comme une Cour constitutionnelle de référence. Dans ces dix premiers mois passés à la tête du Conseil, j'ai poursuivi ou engagé, avec le collège qui m'entoure, trois évolutions.

Concernant la juridictionnalisation, nous avons décidé d'améliorer la rédaction de nos décisions, en simplifiant leur style et en approfondissant leur motivation, quitte à rompre quelques habitudes réputées sacrées. Nous avons renforcé la dimension orale du procès constitutionnel en QPC, suscitant désormais un dialogue direct entre nous-mêmes, les membres du Conseil, et les parties. Nous avons aussi clarifié la portée de notre contrôle de constitutionnalité a priori : dans toutes nos décisions de ce type, nous insistons désormais expressément sur le champ exact des articles que nous jugeons, afin de ne plus laisser penser ou dire que le Conseil décernerait un blanc-seing de constitutionnalité à l'ensemble des dispositions que nous ne soulevons pas d'office.

Le soin apporté à l'activité internationale du Conseil constitue une autre orientation majeure. Non pas en fonction d'un tropisme personnel, mais parce que l'ouverture réciproque des juridictions, européennes et internationales, est aujourd'hui indispensable. Dans cet esprit, nous développons nos relations avec la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe. Nous renforçons nos échanges avec les Cours latines d'Italie, d'Espagne et du Portugal. Nous approfondissons le dialogue européen des juges, avec les Cours de Luxembourg et de Strasbourg. Nous faisons vivre les liens au sein de l'espace juridictionnel francophone. Et dans nos méthodes de travail, nous prenons désormais systématiquement en compte la dimension de « droit comparé ».

Une troisième orientation concerne l'ouverture du Conseil. Le cœur de notre mission est et demeurera bien sûr de rendre la justice. Mais il nous revient aussi de mieux faire connaître l'activité du Conseil et les principes fondamentaux de notre République. D'où notre choix de publier désormais un rapport annuel d'activité, tous les 4 octobre, jour anniversaire de la Constitution de 1958. D'où aussi la mise en ligne sur notre site internet - refondu au second semestre 2017 - de tous les comptes rendus de nos délibérations à ancienneté longue. A partir de cette année, nous organiserons également avec le ministère de l'Education nationale un concours « Découvrons notre Constitution », afin de sensibiliser sur l'ensemble de notre territoire les élèves de nos écoles et de nos collèges aux grands principes constitutionnels. Le Conseil doit être un lieu privilégié de rencontres et d'échanges : dans ce cadre, nous vivrons au Palais-Royal au dernier trimestre 2017 une « Nuit du droit » au cours de laquelle se dérouleront en présence d'un vaste auditoire des confrontations - qui resteront sages - sur des thèmes majeurs du débat public.

Tout cela, Monsieur le Président, dans un contexte électoral particulièrement chargé puisque, pour la première fois, se tiendront la même année l'élection présidentielle, les élections législatives et des élections sénatoriales -- dont le Conseil juge le contentieux.

S'agissant de l'élection présidentielle, l'article 58 de la Constitution nous fixe une mission générale : le Conseil « veille à la régularité de l'élection du Président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin ». Cette mission, nous la remplirons dans des conditions légèrement modifiées par la loi organique du 25 avril 2016, principalement concernant les « parrainages ». Ceux que nous validons, nous les publierons désormais à partir de février en intégralité et en continu sur notre site internet, chaque mardi et chaque vendredi. Nous remplirons bien sûr aussi nos tâches électorales traditionnelles : contrôle de la régularité des opérations de vote, examen des réclamations, proclamation des résultats du premier et du second tour, contentieux éventuel des comptes de campagne. Bref, je puis vous assurer que le Conseil constitutionnel sera le garant d'une élection présidentielle juridiquement irréprochable.

Ces missions liées aux échéances électorales coexisteront en 2017 avec notre activité juridictionnelle. Celle-ci devrait être importante, compte tenu du nombre généralement élevé des textes et des saisines a priori lors du début d'une législature. Puisque nous sommes en période de vœux, je formule celui-ci : que les lois adoptées dans le futur évitent le plus possible l'incontinence et la complexité trop souvent constatées dans le passé et qu'elles respectent l'utilité, la simplicité et la constitutionnalité qui forment le triangle de base de leur autorité. Dans leur examen, nous appliquerons pour notre part les principes qui doivent être ceux d'une Cour constitutionnelle : l'indépendance et l'impartialité ; la volonté de construire une jurisprudence à la fois stable et ouverte aux évolutions ; une conception exigeante des libertés publiques et de l'Etat de droit.

Monsieur le Président, au cours de ces deux dernières années, la France a fait face à des violences terroristes d'une ampleur inédite. Nos institutions ont fait la preuve de leur solidité - et vous y avez fortement contribué. A la place qui est la sienne, le Conseil continuera de veiller au respect des principes fondamentaux qui doivent nous rassembler. Au moment où l'on parle volontiers de « désarroi démocratique » et où beaucoup de nos concitoyens se disent désorientés, notre pays a besoin précisément d'institutions-repères qui sachent se situer au-dessus des polémiques et des modes, et qui incarnent une forme de continuité dans la « sagesse républicaine ». Le Conseil constitutionnel, vigie scrupuleuse de notre Etat de droit, peut et doit être l'une de ces institutions-repères.

L'année 2017 viendra clore un mandat que vous aurez accompli avec pour boussole - je peux en témoigner - le service des Français. Dans cet esprit, au nom de mes collègues et en mon nom, je vous adresse, Monsieur le Président de la République, nos vœux chaleureux pour votre personne et, à travers vous, nos vœux très ardents pour la France.


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