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Cérémonie de vœux du Président de la République au Conseil constitutionnel

Le 3 janvier 2018, les membres du Conseil constitutionnel ont été reçus à l'Elysée par le Président de la République à l'occasion de la cérémonie de vœux.

Vœux du Conseil constitutionnel au Président de la République

Paris, Palais de l'Elysée
3 janvier 2018

Discours de M. Laurent Fabius,
Président du Conseil constitutionnel

Seul le prononcé fait foi


Monsieur le Président de la République,

Il est de coutume que les vœux du Conseil constitutionnel soient les premiers échangés en janvier à l'Elysée, après ceux du Gouvernement. Nous sommes sensibles au maintien de cette bonne tradition.

En 2017, l'activité du Conseil constitutionnel a été marquée par le départ de notre excellente collègue Nicole Belloubet que vous avez nommée Garde des sceaux, remplacée par Dominique Lottin, que nous avons accueillie avec plaisir. Notre nouveau Secrétaire général, Jean Maïa, a succédé à Laurent Vallée : hommage soit rendu à leur grande compétence.

Pour le pays comme pour le Conseil, 2017 fut électoralement très dense. Pour la première fois depuis 1958 avaient lieu en une même année l'élection présidentielle, les élections législatives et des élections sénatoriales.

Conformément à l'article 58 de la Constitution, le Conseil a veillé à ce que l'élection présidentielle fût juridiquement irréprochable. Nous avons donné notre avis sur les textes préparatoires ; reçu, validé et publié les « parrainages » ; établi la liste des candidats ; surveillé la régularité du scrutin ; examiné les réclamations ; et proclamé les résultats. La mise en œuvre du dispositif nouveau issu de la loi organique du 25 avril 2016 s'est opérée sans difficulté. Les questions de cyber-sécurité ont été prises en considération par le Conseil, elles devront faire l'objet pour la prochaine présidentielle d'une grande vigilance, notamment dans la perspective d'une possible transmission électronique des parrainages. Le Conseil est également juge de l'élection des députés et des sénateurs : à ce jour nous avons jugé 291 requêtes et prononcé 5 annulations. Bref, en 2017, cependant que vous agissiez puissamment pour que le changement politique soit réalisé, nous avons veillé à ce que, ce faisant, la règle de droit soit respectée.

Ces missions liées aux échéances électorales se sont ajoutées à notre activité juridictionnelle ordinaire.

En contrôle a priori, avec au total 11 décisions, nous nous sommes prononcés au premier semestre sur les ultimes textes de la législature précédente, notamment la loi, assez touffue, sur l'égalité et la citoyenneté, la loi dite « devoir de vigilance », la loi sur l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse. Au second semestre, nous avons eu à examiner les premières lois de la nouvelle législature : la loi organique et la loi ordinaire pour la confiance dans la vie politique ; la loi d'habilitation « travail », les lois de finances rectificatives, la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances pour 2018. Le Conseil n'a pas été saisi a priori de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, mais des QPC viennent de nous être transmises sur certaines de ses dispositions.

En QPC précisément, sur 74 décisions rendues, plusieurs sont importantes, qui concernent notamment le délit de consultation habituelle des sites Internet terroristes -- censuré à deux reprises --, l'indépendance du parquet, la contribution de 3 % sur les dividendes, la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévisions, la fin de vie. Nous nous sommes également prononcés sur les assignations à résidence et les interdictions de séjour prévues dans le cadre de l'état d'urgence, ainsi que sur le délit d'entreprise individuelle terroriste. Dans deux tiers des cas, nous avons jugé les dispositions législatives transmises par QPC conformes à la Constitution. Dans un tiers des cas, notre collège a prononcé des décisions de non-conformité partielle ou totale, annulant alors les dispositions contestées.

Parmi nos décisions marquantes de 2017, je citerai enfin celle sur l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne -- le CETA. En application de l'article 54 de la Constitution, au terme d'une instruction approfondie le Conseil, sans se prononcer sur le bien-fondé du texte car tel n'est pas notre office, a jugé que cet accord ne comportait pas de clause contraire à la Constitution.

A chaque décision nous avons cherché à concilier sagesse et célérité car, comme vous le savez, les délais prévus pour que nous nous prononcions sont brefs : en QPC trois mois au maximum, en contrôle a priori un mois ou même huit jours. Par rapport à la plupart de nos homologues c'est une spécificité notable, importante mais très exigeante. S'agissant du texte de la loi de finances, en général long et complexe, sans doute serait-il d'ailleurs opportun de permettre au Conseil de disposer d'un délai d'examen de deux semaines au lieu de moins d'une seule, en incitant le Parlement qui réfléchit à certaines modifications de ses méthodes de travail à adopter dans l'avenir la loi de finances dès la mi-décembre.

Monsieur le Président de la République,

Pour 2018, vous avez présenté aux Français vos vœux qui couvrent une vaste palette sociale, économique, éducative, nationale et internationale. Les décisions qui seront prises ou non en 2018 dans les domaines européen et climatique détermineront pour une large part notre futur. Vous avez également souhaité qu'il soit procédé à certaines transformations importantes pouvant inclure des dispositions constitutionnelles. A ce jour, elles ne sont pas encore publiques, je ne les commenterai pas.

En tout état de cause, 2018 sera une année remarquable pour notre Constitution puisque ce sera son soixantième anniversaire. Deux autorités y jouent un rôle particulier : vous-même, Monsieur le Président, qui, aux termes de l'article 5, veillez à son respect. Et le Conseil constitutionnel, dont c'est la raison d'être. C'est pourquoi il m'est apparu souhaitable, si vous l'acceptiez, que nous puissions célébrer cet anniversaire ensemble au Conseil constitutionnel. Vous avez bien voulu donner votre accord, je vous en remercie vivement. Nous serons très honorés de vous accueillir le 4 octobre 2018 pour ce soixantième anniversaire.

Monsieur le Président, l'avenue de la Constitution à Washington est une des plus belles de la capitale américaine. On pourrait faire le même constat dans de nombreuses démocraties. En revanche, on chercherait jusqu'ici en vain dans la capitale française -- comme dans la plupart de nos villes -- une avenue, un boulevard, une rue, voire une placette, qui porte le nom de « Constitution ». Cette remarque triviale pour introduire une observation qui, elle, ne l'est pas : le contraste entre le rôle prééminent que tient la Constitution dans l'esprit de nombreuses grandes démocraties et chez nous.

Aux Etats-Unis, le texte de la Constitution et les amendements qui y ont été apportés revêtent un caractère quasi sacré. Le fait que son adoption en 1787 ait coïncidé avec la naissance de la nation américaine, avec l'émancipation du colon britannique et avec l'adoption de principes nouveaux issus des Lumières y est évidemment pour beaucoup. En Allemagne, la Loi Fondamentale de 1949 bénéficie elle-aussi d'un grand prestige et consensus ; cette « loi fondamentale », dont les vingt premiers articles définissent les principes essentiels, marque la rupture avec le nazisme et la naissance de la nouvelle Allemagne. En Italie, en Espagne, dans plusieurs des anciennes « démocraties populaires », le prestige de la Constitution est, là aussi, très fort et fortement lié à une rupture totale avec le régime précédent.

La situation française est différente. La Constitution promulguée le 4 octobre 1958 est bien loin d'être historiquement la première. Son texte est surtout de nature institutionnelle, il traite plus de la régulation des pouvoirs publics que des principes fondamentaux de la Nation, lesquels, d'une part, ne s'affichent pas en rupture avec la période précédente et, d'autre part, sont surtout contenus dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, dans le Préambule de la Constitution de 1946, la Charte de l'Environnement de 2005 et les principes constitutionnels dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel : plutôt donc dans ce qu'on appelle « le bloc de constitutionnalité » que dans la Constitution elle-même. Etant surtout de nature institutionnelle, cette Constitution, qui a déjà connu elle-même 24 révisions mais permis une grande stabilité face à la multiplicité des situations et des crises, fait l'objet d'une certaine contestation politique, alors que les principes constitutionnels fondamentaux, eux, sont beaucoup plus consensuels. Dans ces conditions, il faut se féliciter que le Conseil constitutionnel ne suscite pas la même contestation, même si telle ou telle de nos décisions, dictée par le respect du droit, peut ne pas satisfaire une partie.

Dans ce contexte, il me paraît important de souligner -- et c'est l'observation que je voulais présenter en ce début d'année -- combien, en France comme ailleurs, une Constitution démocratique et le respect de celle-ci sont des éléments décisifs face aux menaces de toutes sortes. De multiples risques pèsent en effet sur nos sociétés, y compris -- on le voit -- en Europe, qui vont du terrorisme aux atteintes aux libertés, des ruptures d'égalité à la désagrégation institutionnelle et à la mise en cause de l'Etat de droit. Le rôle d'une « Constitution » rejoint alors son étymologie : « constituer » une nation, c'est-à-dire transformer une communauté d'individus en une société démocratique organisée, fixer les règles du bon fonctionnement de l'Etat et de la nation, garantir leur unité et leur pérennité. Il me semble que cette idée simple - la Constitution, entendue au sens large, est un ancrage, un repère, un rempart de la République - pourrait être utilement soulignée à l'occasion de ce soixantième anniversaire.

Monsieur le Président de la République, 2017 ne fut avare de changements ni pour la France ni pour vous-même. L'année 2018, nous souhaitons qu'elle soit pour les Français et pour vous à la fois heureuse et fructueuse. Fructueuse car, comme j'avais eu l'occasion de l'exprimer le 14 mai dernier dans la salle des fêtes voisine, « votre succès sera celui de la France » ; et, en même temps, une année heureuse sur le plan personnel et familial, tant il est vrai que le plus chaleureux des vœux -- tel est bien le nôtre pour 2018 - est que le bonheur soit le compagnon du succès.