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1er mars 2011 : premier anniversaire de la QPC

Discours de Jean-Louis DEBRÉ au Conseil constitutionnel le 1er mars 2011

[seul le prononcé fait foi]

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Vice-président,
Monsieur le Procureur général,
Mesdames et Messieurs,

La question prioritaire de constitutionnalité fête son premier anniversaire. En un an, elle n'a pas seulement gagné un acronyme, QPC, connu de tous. Au-delà de ce sigle, que de chemin parcouru.

Souvenez-vous, même si cela vous semble remonter à l'âge de pierre, des anciennes critiques de divers beaux esprits. Certains nous promettaient l'insécurité juridique. D'autres redoutaient de confier un droit nouveau aux justiciables. D'autres encore justifiaient l'immobilisme par le contrôle de conventionnalité.

Face à ces réticences au progrès, qui ont si souvent empêché notre pays d'avancer, je veux rendre hommage au Président de la République, qui a conçu et voulu cette réforme, et au Parlement qui, sur tous les bancs, l'a modelée et votée. L'année 2010 leur a d'ores et déjà donné raison. Quelques chiffres le soulignent. De ces chiffres, je voudrais, dans un second temps, tirer divers enseignements.

En un an, le Conseil d'État et la Cour de cassation ont rendu 527 décisions en matière de QPC. Ils ont décidé du renvoi au Conseil constitutionnel de 124 de ces QPC, et du non-renvoi des 403 autres questions. Le taux de renvoi est donc légèrement inférieur à 1 sur 4. Sur la base des chiffres avancés par le Vice-Président du Conseil d'État devant l'Assemblée nationale, et en conservant cette proportion, ceci indique que plus de 2 000 QPC ont été posées devant les juges de première instance et d'appel.

Ainsi nous pouvons faire un premier constat réjouissant : la QPC a été comprise et adoptée partout et par tous. Ce premier constat est pour moi l'occasion de rendre hommage à tous les juges judiciaires et administratifs. Ils se sont formidablement approprié cette réforme. Comment pouvait-on d'ailleurs en douter alors que la QPC renforce la protection des droits et libertés ? Comment en douter alors que chez tous nos voisins, et depuis longtemps, ces juges sont compétents pour examiner les moyens de constitutionnalité et les transmettre à leur Cour constitutionnelle ?

Ces QPC, et c'est le deuxième constat de l'année écoulée, ont été traitées selon la procédure rapide voulue par le Parlement. Vous savez que le juge saisi doit statuer « sans délai ». Puis le Conseil d'État et la Cour de cassation ont trois mois pour se prononcer. Il en va de même pour le Conseil constitutionnel.

Ce dispositif a très bien fonctionné, conduisant notamment le Conseil d'État à saisir le Conseil constitutionnel des deux premières QPC le 14 avril 2010 soit six semaines seulement après l'entrée en vigueur du dispositif. Depuis un an, et je veux ici aussi leur rendre hommage pour tout ce travail, le Conseil d'État et la Cour de cassation ont toujours statué en moins de trois mois.

Ces nombreuses QPC et ce bon fonctionnement procédural ont permis, c'est mon troisième constat, au Conseil constitutionnel de remplir la nouvelle mission qui lui a été confiée. En un an, nous avons jugé 102 des 124 questions qui nous ont été renvoyées. Les 22 affaires en instance sont en cours d'instruction et seront jugées dans le délai moyen de deux mois qui est le nôtre sur l'année écoulée.

Cette maison s'est radicalement transformée. Elle a adopté un règlement de procédure, aménagé ses locaux, accueilli les parties et les avocats. D'aucuns nous attendaient au tournant. Sur ce point, comme sur d'autres, ils se sont trompés.

Je veux ici rendre hommage au secrétariat général du Gouvernement et aux avocats qui ont formidablement accompagné la QPC. Tant les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation que les avocats à la cour. Tous se sont appropriés avec succès la QPC. Songez que nous avons entendu ici des avocats de la plupart de régions de France. Pour prolonger ce mouvement, nous enverrons dans les jours à venir, à tous les avocats ainsi qu'à tous les magistrats, un cédérom regroupant la jurisprudence QPC de l'année 2010.

Je tiens également, Monsieur le Garde des Sceaux, à vous remercier pour pour votre soutien dans cette démarche ainsi que pour la mobilisation de vos services dans la mise en œuvre de la QPC.

Mon quatrième et dernier constat est à l'évidence le plus important : la QPC a permis des progrès dans la protection des droits et libertés sans mettre en cause la sécurité juridique.

D'une part, le Conseil constitutionnel a rendu d'importantes décisions abrogeant des dispositions législatives contraires aux droits et libertés constitutionnellement garantis. Vous connaissez tous nos décisions sur la garde à vue, la rétention douanière, la décristallisation des pensions, l'hospitalisation sans consentement··· Ces décisions ont porté sur la protection de la liberté individuelle, le droit pénal et la procédure pénale. Mais la QPC concerne tous les secteurs de notre vie collective. Les décisions que nous avons rendues portent sur des matières très diverses : droit social, droit électoral, droit commercial, droit de propriété, droit de la famille···

Des décisions d'abrogation ont ainsi concerné des champs aussi différents que les noms de domaines sur Internet, la taxe sur l'électricité, l'octroi d'allocations aux harkis ou la loi de validation du contrat de concession du Grand stade.

Si la QPC a permis ces progrès de l'État de droit, elle n'a, d'autre part, pas produit l'insécurité juridique crainte par certains. Le Conseil constitutionnel a rendu 56 % de décision de conformité à la Constitution, 34 % de non-conformité totale partielle ou de conformité avec réserve et 10 % de non-lieux. Ainsi il a rendu seulement 20 décisions de non-conformité. En outre, le Conseil a fait usage, conformément à la volonté du Parlement, de l'article 62 de la Constitution permettant de reporter les effets dans le temps d'une inconstitutionnalité pour remédier à celle-ci.

De ce quadruple constat, je voudrais, pour conclure, tirer trois enseignements.

Le premier est que la QPC renforce le Parlement. Lorsque la loi est contraire à la Constitution, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel d'opérer des choix à la place du législateur. Il lui appartient au contraire de s'en tenir à son seul rôle de juge et, le cas échéant, de donner le temps nécessaire au Parlement pour légiférer.

Le deuxième enseignement est que la QPC renforce le Conseil d'État et la Cour de cassation. Ces deux cours suprêmes sont les cours régulatrices de notre système juridictionnel. Elles sont renforcées dans ce rôle par la QPC. Lorsqu'une QPC est posée, c'est à elles de juger du caractère sérieux de la question. Elles le font en sachant la très grande proximité des protections constitutionnelle et conventionnelle. Depuis un an, beaucoup ont déjà compris qu'il n'est pas possible de se refuser de transmettre une question, au motif qu'elle ne serait pas sérieuse, pour exercer ensuite un contrôle de conventionnalité qui apparaîtrait comme soulevant une question sérieuse. De même, le Conseil constitutionnel est pleinement conscient qu'après une décision de conformité à la Constitution, il rend la main à ces juridictions qui peuvent alors exercer leur contrôle de conventionnalité.

Le troisième enseignement porte sur le Conseil constitutionnel. Celui-ci a trouvé sa nouvelle place. Il est la juridiction chargée en France de statuer sur la conformité de la loi à la Constitution et de protéger les droits et libertés constitutionnellement garantis. Il n'est, faut-il encore le redire, ni un juge conventionnel, ni une Cour suprême au-dessus du Conseil d'État et de la Cour de cassation.

Monsieur le ministre,
Mesdames et Messieurs,

Je veux vous remercier très sincèrement d'être présents ce soir. Je constate que nous sommes encore plus nombreux qu'il y a un an pour le lancement de la QPC. J'espère que nous serons encore plus nombreux dans un an pour le deuxième anniversaire de la QPC. Il n'est en effet jamais bon de rester au bord du chemin, surtout quand ce chemin est celui de la protection des droits et des libertés. Je vous remercie.