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Présentation de la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne

Michel FROMONT - Professeur émérite à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 15 (Dossier : Allemagne) - janvier 2004

Depuis sa création en 1949, la Cour constitutionnelle fédérale a beaucoup contribué au développement de la justice constitutionnelle en Europe depuis cinquante ans et au rayonnement du droit public allemand dans le monde.

La Cour constitutionnelle fédérale n'est pas la seule juridiction à exercer la justice constitutionnelle en Allemagne(1). Les Cours constitutionnelles des Länder(2) exercent également la justice constitutionnelle, car elles ont pour mission de veiller à l'application correcte des règles contenues dans leurs constitutions propres, que celles-ci portent sur l'organisation de leurs pouvoirs publics ou sur la protection des droits fondamentaux. De même, toutes les juridictions allemandes de droit commun (Fachgerichte) ont pour mission d'appliquer l'ensemble du droit en vigueur, donc y compris le droit constitutionnel, ce qui vaut principalement pour les droits fondamentaux des individus ; elles exercent donc également la justice constitutionnelle entendue au sens matériel du terme. Néanmoins, comme nous le montrerons par la suite, la Cour constitutionnelle fédérale joue le rôle majeur en matière de justice constitutionnelle, ce qui justifie qu'elle seule fera l'objet de cette étude.

La Cour constitutionnelle fédérale n'a que des antécédents lointains dans l'Allemagne d'avant 1949, puisque la Constitution de Weimar n'avait prévu qu'une Cour d'État ayant des compétences très étroitement limitées à certains conflits entre organes constitutionnels et que les tribunaux de droit commun ne développèrent que timidement un contrôle du respect des droits fondamentaux par le législateur entre 1925 et 1933(3). En réalité, les auteurs de la Loi fondamentale se sont inspirés à la fois du modèle autrichien, tel qu'il avait été expérimenté de 1921 à 1930 et du modèle américain, tel qu'il s'était développé après la guerre de Sécession. Au modèle autrichien fut emprunté le principe même d'une juridiction spécialisée dans les litiges constitutionnels et, de fait, les règles d'organisation et de fonctionnement sont souvent assez proches de celles de la Cour constitutionnelle d'Autriche ; il en est de même pour une partie des titres de compétences relatifs au fonctionnement des pouvoirs publics. Au contraire, l'idée selon laquelle la Cour constitutionnelle fédérale doit être en mesure de veiller à ce que toutes les juridictions appliquent correctement la Constitution fédérale, et spécialement les règles constitutionnelles protectrices des droits fondamentaux des individus, est incontestablement une idée empruntée au modèle américain, même si, à certains égards, l'exemple du recours de droit public suisse ou celui du recours individuel de la Bavière de 1919 ont influencé également les constituants allemands(4).

I. L'organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle fédérale

Régie par les articles 94 et 95 de la Loi fondamentale du 23 mai 1949(5) et par la loi du 12 mars 1951(6), la Cour constitutionnelle fédérale a une organisation et des règles de fonctionnement qui sont à la hauteur de ses tâches. Le statut des juges se caractérise par la volonté de combiner compétences techniques, légitimité démocratique et indépendance. Le fonctionnement de la Cour se caractérise par son autonomie, des formations de jugement suffisamment nombreuses pour faire face au grand nombre d'affaires et une procédure juridictionnelle dominée notamment par le principe du contradictoire.

A. Le statut des juges : compétence technique, légitimité démocratique et indépendance

1) Le recrutement des juges

En premier lieu, comme en Autriche, les juges doivent être recrutés parmi les juristes, car, ce qui est demandé à des juges placés pratiquement, comme nous le verrons, au sommet de la hiérarchie des juridictions allemandes, c'est d'abord d'être de bons connaisseurs du droit.

C'est pourquoi les juges de la Cour sont nécessairement choisis parmi les personnes qui ont fait les longues études de droit, mi-théoriques, mi-pratiques, requises pour exercer les fonctions de juge, d'avocat ou de haut fonctionnaire. Bien plus, parmi les 16 juges que comprend la Cour, un certain nombre d'entre eux, soit six, doivent être recrutés parmi les juges appartenant à l'une des cinq cours de cassation(7).

En second lieu, la légitimité démocratique des juges constitutionnels est assurée par la règle selon laquelle le Parlement fédéral a seul le droit de proposer des noms à la nomination par le Président de la Fédération. Plus précisément, le choix des juges incombe pour moitié à l'une des deux chambres du Parlement fédéral : huit sont choisis par le Bundestag, qui est une assemblée élue au suffrage universel direct, et huit le sont par le Bundesrat, qui est plutôt un conseil des ministres des Länder, puisque chaque Land y est représenté par des membres de son gouvernement(8). Pour assurer une plus forte légitimité, le législateur a posé la règle de la majorité des deux tiers. En réalité, en raison de la puissance des partis politiques dans le système politique allemand, cette règle a conduit les deux grands partis, dont l'un d'eux est généralement dans l'opposition, à s'entendre entre eux pour se partager les « droits de proposition », étant entendu qu'un parti refuse parfois d'entériner la proposition de l'autre parti. Dans la pratique, les deux grands partis, qui sont en général presque à égalité au Parlement, se partagent par moitié les « droits de proposition » et celui qui est au pouvoir rétrocède généralement l'un de ses « droits » au petit parti avec lequel il fait coalition (le Parti libéral pour la démocratie chrétienne, les Verts pour le parti social-démocrate). En outre, il est convenu depuis de longues années que chaque parti propose que pour les huit juges qui lui « reviennent », six soient titulaires de la carte du parti et que deux soient neutres. La politisation du recrutement est ainsi évidente.

Cette constatation doit toutefois être nuancée par trois considérations. En premier lieu, l'appartenance à un parti politique est fréquente dans la magistrature et elle a d'ailleurs une moindre signification qu'en France du fait que le nombre des adhérents d'un parti est beaucoup plus important. En second lieu, le parti partenaire s'est toujours réservé le droit de refuser la proposition de nomination d'une personne jugée avoir des opinions extrêmes ou simplement trop marquées. En troisième lieu, cette politisation est atténuée par les garanties d'indépendance qui sont accordées aux juges ainsi nommés.

2) L'indépendance des juges

L'indépendance est évidemment nécessaire à l'exercice d'une fonction exclusivement juridictionnelle(9). L'indépendance des juges est assurée par les règles relatives à la durée des fonctions et par celles relatives aux incompatibilités.

Les juges de la Cour constitutionnelle fédérale étaient nommés autrefois à vie, c'est-à-dire jusqu'au moment où ils atteignent l'âge normal de la retraite, soit soixante-huit ans. Depuis la réforme de 1970, une modification est intervenue : l'âge de la retraite demeure fixé à soixante-huit ans, mais la durée des fonctions des juges ne peut pas excéder douze ans en toute hypothèse et le mandat n'est évidemment pas renouvelable. Du fait de ces règles, tout juge constitutionnel exerce ses fonctions, soit jusqu'à l'âge de soixante-huit ans, soit jusqu'à la fin de son mandat de douze ans. En conséquence, la Cour constitutionnelle fédérale ne fait jamais l'objet d'un renouvellement intégral, mais seulement de renouvellements partiels qui interviennent de façon irrégulière(10).

Le régime des incompatibilités est classique : le juge constitutionnel ne peut exercer aucune fonction dans un gouvernement ou une assemblée législative de la Fédération ou d'un Land et il ne peut exercer aucune profession à l'exception toutefois de celle de professeur de droit dans une université. En revanche, dans la pratique, certains juges constitutionnels n'hésitent pas à exprimer leurs opinions dans des conférences ou des écrits ; parfois même, quoique cela soit assez rare, ils participent aux activités d'un parti politique.

1) L'autonomie de la Cour

La Cour constitutionnelle est, aux termes du § 1 de la loi sur la Cour, « une juridiction indépendante et autonome par rapport à tous les autres organes constitutionnels ». Elle a ainsi une double nature : organe constitutionnel et juridiction.

En raison de sa qualité d'organe constitutionnel, elle jouit d'une autonomie administrative et financière comme une assemblée parlementaire : le personnel n'est pas rattaché à un ministère, pas même le ministère de la Justice, et le budget de la Cour est distinct de ceux du gouvernement et du Parlement. À ce titre également, la Cour a le pouvoir de se donner un règlement intérieur, qui prend la forme d'une décision de l'assemblée plénière.

En raison de sa qualité de juridiction, la Cour fait partie du pouvoir judiciaire et d'ailleurs les dispositions constitutionnelles la concernant se trouvent dans la partie de la Loi fondamentale intitulée « Le pouvoir judiciaire ».

2) Les diverses formations de jugement

L'organisation des formations de jugement de la Cour constitutionnelle fédérale respecte scrupuleusement le principe constitutionnel du juge légal qui est posé par l'article 101 de la Loi fondamentale : les attributions et la composition des différentes formations de jugement sont définies à l'avance soit par la loi soit par le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle fédérale. Trois types de formation de jugement sont prévus par la loi : l'Assemblée plénière (Plenum), les deux Chambres (Senate) et les Sections (Kammern).

L'Assemblée plénière ne se réunit que si elle est saisie par une chambre qui « souhaite s'écarter de la position juridique adoptée dans une décision par l'autre chambre » (§ 16 de la loi), le quorum requis étant des deux tiers ; dans la pratique, les décisions de cette assemblée sont extrêmement rares (4 jusqu'à la fin de l'année 2002).

Les Chambres, qui sont au nombre de deux, constituent en principe la formation normale de jugement ; leurs attributions sont réparties entre elles par la loi et par le règlement intérieur. Dans la pratique, chacune d'elle apparaît comme une formation solennelle et rend un nombre restreint de décisions (34 en 2002, sans compter quelques ordonnances provisoires). Chacune comprend huit juges et six d'entre eux doivent être présents pour statuer.

Enfin la Section (Kammer) est une formation de jugement, qui, apparue en 1956 sous un autre nom (commission), est devenue progressivement la plus importante d'un point de vue quantitatif puisque la quasi-totalité des décisions sont rendues par les Sections (4346 en 2002). Selon la loi, chaque chambre doit constituer chaque année (dans la pratique, leur composition n'est modifiée que tous les trois ans) dans son sein plusieurs sections (dans la pratique, trois) composées chacune de trois juges. Chaque section statue sur la recevabilité, et parfois le bien-fondé, des demandes de contrôle de la constitutionnalité d'une règle de droit présentées par un juge et des recours individuels des personnes privées pour violation de leurs droits fondamentaux.

3) Le caractère juridictionnel de la procédure

Tout d'abord, la loi sur la Cour pose le principe selon lequel « les dispositions des titres 14 à 16 de la loi d'organisation judiciaire (applicable aux tribunaux civils et pénaux) sont applicables pour ce qui est de l'admission du public, de la police de l'audience, de la langue des débats, de la délibération et du vote » (§ 17 de la loi).

Ensuite et surtout, les règles générales de procédure qui sont posées par la loi et sont communes à tous les cas de saisine (§§ 18 à 35) illustrent la volonté du législateur de donner à la Cour un mode de fonctionnement aussi proche que possible de celui des autres juridictions.

En premier lieu, le principe d'oralité posé par la loi implique que soit organisée une séance publique où les auteurs de saisine et les organes constitutionnels concernés peuvent s'exprimer oralement (§ 25 de la loi). En réalité, la portée de cette règle est atténuée par le fait que soit les auteurs de la saisine, soit la Cour, selon les cas, peuvent y renoncer et, dans la pratique, seules les grandes affaires font l'objet de séances publiques.

En second lieu, la procédure est fondamentalement contradictoire ; cependant, ce principe est atténué, non seulement parce que la procédure est conduite par le juge comme d'ailleurs dans tous les pays romanistes, mais encore par la faculté reconnue à la Cour d'inviter aux débats, selon les cas, les organes constitutionnels qui ne sont pas directement concernés, les hautes juridictions, des experts ou même de simples représentants de groupes d'intérêts.

Une troisième caractéristique de la procédure devant la Cour est la possibilité de demander une ordonnance provisoire pour régler d'urgence la situation afin d'écarter une grave menace pour les individus ou le bien commun (§ 32 de la loi); dans la pratique, cette procédure de référé est assez souvent utilisée avec succès (123 décisions en 2002).

Une quatrième caractéristique est la possibilité donnée à d'assez nombreux auteurs de saisine de récuser l'un des juges lorsque celui-ci a déjà pris position publiquement sur le problème dont la Cour est saisie ; le juge concerné peut également se départir spontanément, du moins si la Chambre à laquelle il appartient donne son accord. Il est vrai que la pratique montre une certaine réticence de la Cour à accueillir les demandes de récusation ou d'auto-récusation(11).

Enfin, une cinquième caractéristique est la possibilité pour le juge qui participe à la décision d'une Chambre de rédiger une opinion dissidente (§ 30, al. 2, de la loi sur la Cour). Dans la pratique, cette possibilité, qui existe depuis 1971, a donné lieu jusqu'à présent à 115 opinions dissidentes. Il s'agit évidemment d'un emprunt aux méthodes judiciaires des pays de common law. Dans l'ensemble, malgré des craintes initiales, cette institution s'est révélée favorable au débat constitutionnel.

II. Les compétences de la Cour constitutionnelle fédérale

Les compétences de la Cour constitutionnelle fédérale sont établies ou prévues par la Loi fondamentale du 23 mai 1949 (principalement par l'art. 95) et sont rappelées dans la longue énumération du § 13 de la loi du 12 mars 1951 relative à la Cour. Elles sont au nombre de 18 et sont d'importance variable, ce qui explique qu'elles ne seront pas toutes présentées dans cette étude. Néanmoins l'ensemble de ces compétences donne à la Cour une compétence quasi générale en matière de droit constitutionnel, au moins pour statuer en dernier ressort.

Elles peuvent être regroupées en trois grandes catégories : il y a d'abord les compétences relatives au bon fonctionnement des pouvoirs publics ; il y a ensuite celles relatives au contrôle de la constitutionnalité des règles de droit ; il y a enfin une procédure, celle qui permet la saisine de la Cour par tout individu lésé dans l'un de ses droits fondamentaux par un acte quelconque de l'État. Dans la pratique, c'est ce dernier titre de compétence qui est le plus important, car c'est lui qui donne à la Cour une pleine maîtrise de tout l'appareil judiciaire allemand à l'image de la Cour suprême des États-Unis.

A. Les compétences relatives au fonctionnement des pouvoirs publics

Les compétences de la Cour concernent à la fois le fonctionnement du fédéralisme et les rapports entre organes constitutionnels fédéraux ainsi que le contrôle des élections et la protection de la Constitution contre ceux qui la violent ou la combattent.

1) Les conflits fédéraux

Il est bien connu que la justice constitutionnelle est née en premier lieu dans les États fédéraux comme les États-Unis ou la Suisse, car la structure fédérale rend nécessaire un règlement pacifique des conflits de compétences entre l'État fédéral et l'un des États membres. Ce fut également le cas en Allemagne : dès 1919, la Cour d'État, qui n'avait que des compétences limitées, était déjà compétente pour juger les litiges fédéraux.

Selon l'article 94, al. 1, n° 3 de la loi, « la Cour constitutionnelle fédérale statue en cas de divergences d'opinion sur les droits et obligations respectifs de la Fédération et des Länder, notamment en ce qui concerne l'exécution par les Länder du droit fédéral et l'exercice du contrôle fédéral ». L'affaire la plus célèbre a concerné la constitutionnalité des injonctions adressées par la Fédération à un Land au sujet de l'application de la loi sur l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire(12). Les affaires de ce type ne sont pas très nombreuses (seulement 39 affaires de 1951 à 2002), car une partie des litiges opposant les Länder à la Fédération sont jugés dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des règles de droit(13).

Si l'on compare avec le droit français, il est remarquable que l'apparition de quelques éléments de fédéralisme dans les relations entre la métropole, les collectivités d'outre-mer ou la Nouvelle-Calédonie a également entraîné l'apparition d'une nouvelle compétence du Conseil constitutionnel (art. 74, al. 3 et art. 77 de la Constitution)(14).

2) Les conflits entre organes constitutionnels

Les conflits entre organes constitutionnels de la Fédération peuvent faire également l'objet de saisines de la Cour constitutionnelle fédérale. Selon l'article 93, al. 1, n° l, de la Loi fondamentale, « la Cour constitutionnelle fédérale statue sur l'interprétation de la Loi fondamentale au sujet de litiges sur l'étendue des droits et obligations d'un organe fédéral suprême ou d'institutions dotées de droits propres par la Loi fondamentale ou le règlement intérieur d'un organe fédéral suprême ».

Contrairement au système français qui a été conçu dans le but exclusif de contrôler la constitutionnalité des agissements du Parlement, mais non ceux de l'Exécutif, ce titre de compétence ne permet pas seulement de porter devant la Cour les plaintes dirigées contre les décisions du Bundestag (par exempte, celle refusant à un petit nombre de parlementaires d'un même parti de former un groupe parlementaire(15)) ou du Bundesrat. Elle permet également de contester les décisions du gouvernement (par exemple, celle d'autoriser l'implantation de nouveaux missiles américains sur le territoire fédéral(16) ou d'envoyer des troupes hors d'Allemagne(17)), du président de la Fédération (par exemple, celle de dissoudre le Bundestag comme ce fut le cas à la fin de 1982(18)). En outre, la Cour constitutionnelle fédérale a entendu de façon large la notion d'« institutions dotées de pouvoirs propres », puisque les groupes parlementaires et les partis politiques se sont vu reconnaître le droit de saisine (de même bien sûr qu'un député isolé).

De 1951 à 2002, la Cour a été saisie de 134 affaires (soit moins de 3 affaires par an), mais n'en a finalement jugé que 72, les autres ayant fait l'objet d'accords entre les parties.

3) Les autres titres de compétence

Bien qu'il s'agisse d'une attribution portant à la fois sur des questions de constitutionnalité et de légalité, mentionnons brièvement le contentieux de la validité des élections au Bundestag (art. 41, al. 2, de la Loi fondamentale), contentieux qui n'est pas considérable compte tenu de ce que le Bundestag vérifie lui même la validité des mandats de ses membres et que le recours doit être formé par un électeur qui a l'appui de cent électeurs, d'un groupe parlementaire ou du dixième des députés du Bundestag(19). En fait, les questions constitutionnelles les plus importantes relatives au droit électoral ont été tranchées dans le cadre de procédures de contrôle d'une règle de droit(20).

Enfin, dans la rubrique des contentieux relatifs au fonctionnement des pouvoirs publics, il faut mentionner le contentieux de la protection de la Constitution contre ceux qui la violent ou la combattent. C'est une manifestation de la volonté des auteurs de la Loi fondamentale de doter la République fédérale de moyens de défendre la République fédérale contre les ennemis de la démocratie, ce qui est une réaction contre la facilité avec laquelle le parti national-socialiste et son chef Hitler prirent le pouvoir en 1933 sans rencontrer d'obstacles juridiques ou institutionnels.

L'on peut ranger dans cette catégorie de contentieux diverses demandes : la demande de destitution du président de la Fédération « pour violation délibérée de la Loi fondamentale ou d'une autre loi fédérale » (art. 61 de la Loi fondamentale) ou d'un juge pour contravention « aux principes de la Loi fondamentale ou à l'ordre constitutionnel d'un Land » (art. 98 de la Loi fondamentale), la demande de déchéance d'un droit fondamental dirigée contre une personne physique ou morale « qui en a abusé pour combattre l'ordre démocratique libéral et démocratique » (art. 18 de la Loi fondamentale) ou encore la demande d'interdiction d'un parti politique « qui, d'après ses buts ou le comportement de ses membres, tend à porter atteinte à l'ordre constitutionnel libéral, ou à le renverser, ou à mettre en péril l'existence de la République fédérale d'Allemagne » (art. 21 de la Loi fondamentale).

Dans la pratique, la Cour n'a jamais été saisie de demandes de destitution ; elle l'a été seulement quatre fois de demandes de déchéance, mais les demandes furent déclarées irrecevables. Quant aux demandes d'interdiction de partis, elles ont réussi à deux reprises dans les années cinquante (au détriment d'un parti néo-nazi et du premier parti communiste allemand de l'après-guerre)(21); mais depuis 1955, seulement six demandes ont été adressées à la Cour et elles ont toutes été rejetées pour irrecevabilité, soit parce que la personne morale visée n'était pas un véritable parti politique, soit parce que la demande était viciée par le fait que les témoignages invoqués par la demande d'interdiction émanaient de policiers infiltrés dans le parti(22).

B. Les compétences relatives à la constitutionnalité de règles de droit

Par règles de droit (Normen), il faut entendre soit une loi votée par la Parlement (la loi référendaire n'existe pas), soit un règlement administratif. En revanche, dans la conception allemande, le traité international n'est une règle de droit que pour autant qu'une loi fédérale l'a incorporé dans le droit national ; de même, le budget n'est considéré comme une règle de droit que pour autant qu'il fait l'objet de l'approbation par une loi. Inversement, la loi de révision constitutionnelle est susceptible d'être contrôlée comme toute règle de droit, mais seulement au regard de l'article 79 de la Loi fondamentale qui régit la révision constitutionnelle quant à la procédure et quant au fond.

Le contrôle de la constitutionnalité de ces règles de droit ne peut être déclenché qu'après l'entrée en vigueur de celles-ci : le contrôle est nécessairement a posteriori. Tantôt la Cour constitutionnelle fédérale est saisie directement de la question, c'est-à-dire sans qu'aucune contestation n'ait eu lieu devant un juge ordinaire. Tantôt la Cour constitutionnelle n'est saisie qu'à la suite de la décision d'un tribunal qui a déjà contrôlé la constitutionnalité de la règle de droit à l'occasion d'un procès concret déclenché par une personne privée.

1) La saisine directe de la Cour constitutionnelle fédérale

Il existe deux cas où la Cour constitutionnelle fédérale est saisie directement : celui du contrôle abstrait des normes, c'est-à-dire, celui de la saisine par des organes constitutionnels et celui du recours individuel formé directement contre une loi par le titulaire d'un droit fondamental affecté par celle-ci.

La saisine directe de la Cour constitutionnelle fédérale est normalement réservée aux organes constitutionnels (art. 93, al. l, n° 2 de la Loi fondamentale). Les organes titulaires du droit de saisine sont : le gouvernement fédéral, le gouvernement d'un Land, un tiers des députés au Bundestag(23). Cette liste est assez proche de celle des titulaires du droit de saisine du Conseil constitutionnel à une différence près : un tiers des députés représente une fraction beaucoup plus importante de l'assemblée que soixante députés français, lesquels correspondent à moins d'un dixième d'une Assemblée nationale composée de plus de 600 députés ; en outre, les sénateurs ont en France un droit de saisine qui ne peut avoir son équivalent en Allemagne, car les membres du Bundesrat sont des ministres régionaux dont le gouvernement auquel ils appartiennent a seul le droit de saisine.

En revanche, il convient de souligner le fait que la demande n'est enserrée dans aucun délai : il suffit que la loi ou le règlement ait été publié. Cependant en fait, ce sont surtout les lois qui viennent d'être votées qui sont contestées : en général, lois anciennes et règlements ne sont pas contestés. De plus, le caractère a posteriori du contrôle de constitutionnalité est très atténué lorsque les auteurs de la saisine sollicitent une ordonnance provisoire de suspension de la loi, ce qui s'est produit, par exemple, pour les deux lois libéralisant le régime pénal de l'avortement(24).

La loi contestée peut être une loi fédérale, telle que par exemple, la loi libéralisant le régime pénal de l'avortement(25). Elle peut être également la loi d'un Land, comme, par exemple, la loi du Schleswig-Hoslstein introduisant le vote des étrangers pour les élections communales(26). Parfois, comme il a déjà été dit, la loi contestée est une loi d'approbation d'un traité, telle que, par exemple, la loi approuvant le traité entre les deux États allemands(27).

Dans la pratique, les saisines directes de la Cour par les autorités politiques sont peu nombreuses (148 de 1951 à 2002, soit moins de 3 par an), en partie parce que les lois les plus importantes doivent être adoptées avec l'accord du Bundesrat, lequel comporte fréquemment une majorité de membres appartenant à l'opposition, et qu'elles ont donc été approuvées par l'opposition et aussi parce que le nombre de députés pouvant saisir la Cour est élevé (un tiers de l'assemblée).

La question posée est soit la conformité d'une règle de droit fédérale avec la Constitution fédérale (y compris, pour les règlements fédéraux, avec l'exigence d'une habilitation législative expresse), soit la conformité d'une règle de droit d'un Land non seulement avec la Loi fondamentale, mais encore avec l'ensemble du droit fédéral. Même dans ce dernier cas, la doctrine allemande considère que la question à résoudre est encore une question de constitutionnalité parce que l'article 31 de la Loi fondamentale pose le principe de la primauté du droit fédéral.

En second lieu, toute personne privée titulaire d'un droit fondamental (28) peut, en principe, contester une loi dans le cadre d'un recours individuel pour violation d'un droit fondamental (Verfassungsbeschwerde)(29). En effet, selon l'article 93, al. 1, n° 4a, de la Loi fondamentale, « quiconque estime avoir été lésé par la puissance publique dans l'un de ses droits fondamentaux » peut introduire un recours individuel devant la Cour constitutionnelle fédérale. Parmi les actes de la puissance publique visés par cette disposition figure évidemment la règle de droit (loi ou règlement) et si un particulier conteste la constitutionnalité d'une loi ou d'un règlement par cette voie, il doit le faire dans le délai d'un an (art. 83, al. 3, de la loi sur la Cour), ce qui a pour conséquence d'exclure tout recours individuel contre une règle de droit ancienne.

La Cour s'est efforcée de limiter le nombre des recours directs ; pour ce faire, elle a tout à la fois invoqué l'exigence d'un grief subi par le requérant pour éliminer tous les cas où l'application de la loi n'est qu'éventuelle ou peut être effacée rétroactivement ; elle a aussi invoqué l'idée selon laquelle le recours individuel devant elle est subsidiaire pour écarter pratiquement tous les recours dirigés contre des règlements, ceux-ci pouvant faire l'objet d'un contrôle incident par tous les tribunaux et même, dans certains Länder, d'un recours en annulation devant les tribunaux administratifs.

Dans la pratique, ce sont surtout les lois pénales qui peuvent faire l'objet de recours individuels directs. D'autres exemples peuvent néanmoins être cités : une loi organisant le recensement a pu faire l'objet d'un recours individuel avec succès ; on peut également citer l'exemple de la loi de Basse Saxe relative aux universités(30), de celle portant sur la loi instituant la cogestion des grandes entreprises(31) ou encore de la loi approuvant le traité de Maastricht dans laquelle la Cour a, de façon d'ailleurs contestable, estimé que le requérant était lésé dans son droit de vote dans la mesure où le traité de Maastricht aurait pour effet de priver le Parlement allemand d'une grande partie de ses compétences législatives et priverait ainsi de toute substance le droit de vote du requérant(32). Ces quelques exemples montrent que le nombre de recours individuels dirigés directement contre une règle de droit est loin d'être négligeable. Ainsi, en 2002, selon les statistiques de la Cour, il y aurait eu 7 recours individuels dirigés contre une règle de droit d'un Land et 75 recours dirigés contre une règle de droit de la Fédération.

Qu'il s'agisse des demandes de contrôle abstrait des règles de droit présentées par des autorités politiques ou des recours individuels directs contre une règle de droit, ces saisines sont certes quantitativement peu nombreuses, mais elles portent généralement sur des questions importantes, soit parce que les saisines des organes constitutionnels sont généralement dirigées contre des lois ayant fait l'objet de vives controverses, notamment au regard des droits fondamentaux (lois sur le droit d'asile, sur la radio et la télévision, sur l'avortement, etc.), soit parce que la Cour a admis la recevabilité d'un recours individuel direct précisément en raison de l'importance de la règle de droit contestée (traité de Maastricht). En revanche, les occasions de contrôle de la constitutionnalité de lois ayant déjà fait l'objet d'un examen de la part d'un tribunal ordinaire sont beaucoup plus nombreuses, mais elles ne présentent pas toujours la même importance pour l'évolution de la société allemande.

2) La saisine indirecte de la Cour constitutionnelle fédérale

Nous entendons par saisine indirecte les cas où la Cour constitutionnelle est saisie après qu'un tribunal ordinaire s'est déjà prononcé sur la compatibilité d'une règle de droit avec la Constitution fédérale. Les procédures sont au nombre de deux. Ou bien, le tribunal est convaincu de l'inconstitutionnalité de la loi qu'il doit appliquer au litige dont il est saisi alors que celle-ci est entrée en vigueur après la promulgation de la Loi fondamentale ; dans ce cas, il doit poser une question préjudicielle (Vorlage) à la Cour constitutionnelle fédérale. Ou bien, le tribunal a jugé que la loi postérieure à 1949 était compatible avec la Loi fondamentale ou encore il a exercé un contrôle incident sur la constitutionnalité d'une loi antérieure à 1949 ou d'un règlement et il a abouti soit à une déclaration de conformité, soit à une déclaration de non-conformité de la règle de droit contrôlée ; dans ce cas, l'une des parties au procès a la possibilité de contester le jugement devant la Cour constitutionnelle fédérale et celle-ci se prononcera alors sur la question de la constitutionnalité de la règle de droit appliquée au procès (recours individuel).

La question préjudicielle (art. 100 de la Loi fondamentale) est très fréquente : la plupart des lois (de la Fédération ou d'un Land) sont contrôlées par cette voie : par exemple, en 2002, la Cour a connu de 36 demandes et depuis 1951, elle a reçu 3210 demandes. Selon la loi sur la Cour, le tribunal qui pose la question doit démontrer qu'à ses yeux, la loi soumise à la Cour est inconstitutionnelle et que l'issue du procès dépend de l'application de cette loi. C'est une procédure objective puisqu'elle est déclenchée par un organe de l'État qui n'est pas partie au procès ; mais c'est une procédure concrète, car la question de constitutionnalité se pose à l'occasion de l'application d'une règle de droit à un litige en cours. En effet, il ne s'agit pas de rechercher si d'éventuels effets de la règle de droit seraient contraires à la Constitution, mais de dire si les effets concrètement produits par la règle de droit dans le litige qui est porté devant le juge ordinaire sont ou non compatibles avec la Constitution. Très logiquement, les parties peuvent faire connaître leur point de vue à la Cour.

Dans toutes les autres hypothèses, c'est-à-dire lorsque la règle de droit à appliquer est une loi antérieure à 1949 ou un règlement ou encore lorsqu'elle est une loi postérieure à 1949 qui lui paraît conforme à la Constitution, le tribunal ordinaire saisi d'un litige concret et ayant des doutes sur la constitutionnalité d'une règle de droit qu'il doit appliquer n'est pas tenu de poser une question préjudicielle à la Cour. Dans ces cas, il peut donc exercer lui-même un contrôle incident de constitutionnalité sur la règle de droit applicable. Mais, lorsque ce jugement a admis à tort la constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité de cette règle de droit et que celle-ci affecte le droit fondamental de l'une des parties au procès, celle-ci peut former contre le jugement un recours individuel pour violation de ce droit fondamental. Dans ce cas, la constitutionnalité de la règle de droit est examinée par la Cour constitutionnelle fédérale dans le cadre d'un recours individuel dirigé contre ce jugement.

Cette possibilité existe à deux conditions. En premier lieu, le jugement attaqué n'est susceptible d'aucun recours, soit qu'il ait fait l'objet d'un recours en cassation pour violation du droit (constitution et loi) qui a échoué, soit que l'affaire était de trop faible importance pour faire l'objet d'un tel recours. En second lieu, le dispositif du jugement aurait été différent si la question de la constitutionnalité de la règle de droit avait été tranchée autrement. Néanmoins, la Cour constitutionnelle a la faculté de déclarer le recours recevable même si toutes les voies de recours n'ont pas été épuisées, « à la condition qu'il s'agisse d'une question d'intérêt général ou que le requérant subirait un préjudice grave et inéluctable au cas où il devrait d'abord épuiser les voies de recours » (art. 90, al. 2, de la loi sur la Cour). En outre, le jugement doit être attaqué dans le mois suivant la notification (§ 93, al. l, de la loi sur la Cour).

Dans la pratique, chaque année, plusieurs recours individuels ont pour objet de mettre en cause la constitutionnalité d'une règle de droit appliquée dans un procès déterminé ; ainsi en 2002, il y a eu 48 recours individuels mettant en cause la constitutionnalité d'une règle de droit d'un Land et 136 mettant en cause une règle de droit de la Fédération.

Normalement le recours individuel est jugé par une section de trois juges statuant à l'unanimité selon une procédure écrite. Si le recours n'est pas déclaré recevable, la section rejette le recours par une décision qui est en principe non motivée. En revanche, si le recours est déclaré recevable et que la section aboutit à la conclusion que la loi sur laquelle est fondé le jugement attaqué est inconstitutionnelle, seule la Chambre à laquelle elle appartient est compétente pour constater l'inconstitutionnalité de cette loi (art. 93c de la loi sur la Cour) et celle-ci statuera par une décision motivée.

Ainsi le contrôle diffus de constitutionnalité qu'exercent les tribunaux ordinaires sur les règles de droit se fait sous la surveillance de la Cour constitutionnelle fédérale puisque celle-ci peut être saisie ultérieurement de la question de constitutionnalité par la partie qui est mécontente de l'issue du procès. Cette procédure de saisine de la Cour constitutionnelle fédérale est très proche de celle existant au profit de la Cour suprême des États-Unis : dans les deux cas, il y a possibilité de saisir une juridiction placée au sommet de la hiérarchie judiciaire pour faire vérifier le bien fondé d'une décision de justice par laquelle a été exercé le contrôle incident de la constitutionnalité d'une règle de droit applicable à un litige entre deux particuliers ou entre une personne publique et une autorité administrative de la Cour.

3) Le contenu et la portée de la décision de la Cour relative à la constitutionnalité d'une règle de droit

Dans l'hypothèse de la saisine directe, la décision de la Cour a nécessairement pour objet principal de répondre à la question de la constitutionnalité d'une loi ou d'un règlement.

Plusieurs réponses sont possibles.

Si la Cour constate la constitutionnalité de la règle de droit examinée, sa décision peut, selon les cas, soit faire sienne l'interprétation qu'en ont donnée jusqu'à présent les tribunaux, soit imposer une interprétation de la règle de droit différente de celle admise par les tribunaux ordinaires, mais permettant d'admettre la conformité à la Constitution de la règle de droit examinée (interprétation faite en conformité à la Constitution ou verfassungskonforme Auslegung). Cette technique de la directive d'interprétation de la règle de droit est proche de la réserve d'interprétation pratiquée par le Conseil constitutionnel français à une différence près : la Cour constitutionnelle a, comme nous le verrons, la possibilité de casser les jugements qui ne respecteraient pas l'interprétation qu'elle a donnée à la loi.

Si, au contraire, la Cour constate l'inconstitutionnalité de la règle de droit soumise à son examen, elle a le choix entre deux formules principales.

La première formule consiste à déclarer que la règle de droit examinée est nulle ; la nullité peut être totale, mais elle peut aussi être partielle, soit quantitativement (une partie de la phrase est déclarée nulle), soit qualitativement (la règle est annulée « pour autant » qu'elle s'applique ou ne s'applique pas à telle catégorie de cas). L'annulation a un effet rétroactif, car la règle de droit est considérée comme viciée depuis l'origine. Cependant, les décisions individuelles qui sont fondées sur la règle de droit déclarée nulle et sont devenues inattaquables demeurent valables quoiqu'elles ne soient plus susceptibles de faire l'objet d'une exécution forcée ; toutefois, les jugements pénaux peuvent faire l'objet d'une réouverture de la procédure (art. 79 et 95, al. 3, de la loi sur la Cour). Parfois, la Cour ne souhaite pas que le droit antérieur s'applique de nouveau et élabore alors elle-même des règles transitoires, comme elle le fit par exemple dans sa décision de 1975 sur l'avortement.

La seconde formule consiste en ce que la Cour se contente de déclarer que la règle de droit soumise à son examen est contraire à la Constitution, sans l'annuler ; dans ce cas, la règle continue de s'appliquer jusqu'à ce que son auteur la modifie et, le plus souvent, elle impartit au législateur un délai pour corriger la loi (art. 31, al. 2, de la Loi fondamentale). Cette dernière formule est surtout utilisée quand l'annulation de la loi est prononcée pour violation du principe d'égalité et que le rétablissement du droit antérieur aurait pour effet de priver la grande majorité des personnes concernées du bénéfice de la loi déclarée inconstitutionnelle.

Dans toutes les hypothèses, la décision rendue au sujet de la constitutionnalité d'une règle de droit a « force de loi » (art. 31, al. 2, de la Loi fondamentale), formule maladroite qui signifie seulement que la décision de la Cour a une autorité à l'égard de tous et que le dispositif doit être publié au Journal des lois fédérales (Bundesgesetzblatt). Cette autorité à l'égard de tous, combinée avec la règle selon laquelle « les décisions de la Cour constitutionnelle fédérale lient les organes constitutionnels de la Fédération et des Länder, ainsi que les tribunaux et les autorités administratives » (art. 31, al. l, de la loi sur la Cour) aboutit à conférer aux décisions de la Cour constitutionnelle fédérale une autorité assez proche de celle des décisions de la Cour suprême des États-Unis.

En 2002, il y a eu au total 11 lois fédérales, une loi de Land et deux règlements qui ont fait l'objet d'un contrôle. Les procédures de contrôle suivies ont été la procédure de contrôle abstrait (saisine par les autorités politiques) dans 4 cas, la procédure de contrôle concret (question préjudicielle d'un juge) dans 6 cas et enfin la procédure du recours individuel direct dans 4 cas. Compte tenu de ce que plusieurs dispositions d'un même texte étaient parfois contestées, les résultats ont été les suivants : 5 dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution, 15 ont été déclarées non conformes à la constitution et 6 ont été annulées (dont une loi entière).

C. Les compétences relatives à la constitutionnalité des jugements

Ce qui fait la grande originalité du système allemand de justice constitutionnelle, c'est incontestablement la possibilité pour tout titulaire d'un droit fondamental de contester la conformité à la Loi fondamentale d'un jugement car elle fait de la Cour constitutionnelle fédérale une véritable cour suprême. Les conditions d'exercice de ce droit de saisine sont assez simples ; en revanche, les pouvoirs de contrôle et de décision de la Cour sont particulièrement étendus et complexes.

1) Les conditions d'exercice du droit de saisine des personnes privées

En premier lieu, il faut que toutes les voies de droit aient été préalablement épuisées et que le recours soit formé dans le mois qui suit la notification du jugement. C'est pourquoi le contrôle de la Cour porte souvent sur les décisions rendues par l'une des cinq cours de cassation existant en Allemagne, notamment la Cour de justice fédérale (Bundesgerichtshof) compétente en matière civile et pénale et la Cour administrative fédérale (Bundesverwaltungsgericht) compétente en droit. De même, la règle de l'épuisement préalable des voies de recours explique que les décisions administratives qui sont pourtant des actes de l'État susceptibles de violer un droit fondamental ne peuvent pas être contestées directement devant le juge constitutionnel ; elles ne peuvent l'être qu'à travers les jugements des tribunaux administratifs qui se sont prononcés à leur sujet. Toutefois, la règle de l'épuisement préalable des voies de recours est assouplie par la faculté qu'a la Cour constitutionnelle fédérale de déclarer recevable un recours individuel dirigé contre un jugement susceptible de faire l'objet d'un appel ou d'un pourvoi en cassation lorsque l'affaire est d'intérêt général ou que le requérant subirait un grave préjudice au cas où il devrait épuiser toutes les voies de recours disponibles avant de saisir la Cour (§ 90, al. 2 de la loi sur la Cour).

En second lieu, il faut que le requérant fasse valoir qu'il est lésé par le jugement dans l'un de ses droits fondamentaux d'une façon contraire à la Constitution. Bien évidemment, toute atteinte illégale à un droit fondamental n'est pas susceptible de justifier un recours individuel pour violation d'un droit fondamental. Encore faut-il que cette atteinte illégale soit en même temps une atteinte inconstitutionnelle. La différence entre illégalité et inconstitutionnalité est parfois ténue ; il en est ainsi en particulier lorsque la règle légale violée ne fait que mettre en oeuvre une règle constitutionnelle, ce qui est le cas, par exemple, pour les règles contenues dans les lois sur le secret de la correspondance, de la loi sur le droit d'asile et des codes de procédure quant au respect du principe du contradictoire. En principe, il faut que l'illégalité soit suffisamment grave pour qu'il y ait une atteinte inconstitutionnelle au droit fondamental en cause.

En troisième lieu, le recours ne sera examiné au fond qu'après avoir franchi avec succès la procédure d'admission préalable qui est toute entière entre les mains d'une des Sections.

Selon le § 83 a de la loi sur la Cour (tel qu'il résulte d'une loi de 1993), le recours est admis à l'examen au fond soit « s'il présente une importance fondamentale en droit constitutionnel », soit « s'il est opportun pour assurer le respect d'un droit fondamental, ce qui peut notamment être le cas lorsque le refus de se prononcer au fond causerait au requérant un préjudice particulièrement grave ». Le refus d'examen est prononcé par une section de trois juges statuant à l'unanimité et n'a pas à être motivé. Dans la pratique, cette procédure permet d'écarter tous les recours sans grande importance, soit pour le respect de la constitution, soit pour celui des droits fondamentaux du requérant. Quant à l'examen au fond, il est l'affaire de la même section si les questions de droit constitutionnel soulevées par le recours ont déjà été tranchées par la Cour constitutionnelle fédérale à l'occasion d'autres recours ; dans le cas contraire, le dossier est transmis à la Chambre dont elle relève et celle-ci est alors seule compétente.

Cette procédure complexe a été imaginée pour permettre à la Cour constitutionnelle fédérale de maîtriser un nombre de recours qui est très élevé (proche de 5000 par an), quoique le greffe fasse beaucoup d'efforts pour décourager les plaideurs téméraires et que des amendes puissent être infligées pour recours abusif(33). Le résultat de ce filtrage est qu'un grand nombre de recours individuels ne sont pas admis à être examinés au fond : en 2002, sur un total de 4406 recours individuels (toutes catégories confondues), seulement 8 ont été rejetés après examen au fond et 113 ont été couronnés de succès ; tous les autres n'ont donc pas été examinés au fond et ont été rejetés a limine par une décision qui était d'ailleurs non motivée (formellement) dans presque trois quarts des cas. Ces recours sont dirigés soit contre des jugements émanant des juridictions suprêmes (en 2002, il y en a eu 107 et 19 d'entre eux ont été couronnés de succès), soit contre des jugements de tribunaux inférieurs (en 2002, il y en a eu 4128 et 100 d'entre eux ont été couronnés de succès).

2) Les pouvoirs de contrôle et de décision de la Cour constitutionnelle fédérale

La Cour peut relever toute sorte d'inconstitutionnalité affectant le jugement attaqué devant elle. Ce jugement peut être inconstitutionnel de plusieurs façons. En premier lieu, le jugement peut être inconstitutionnel parce qu'il se fonde à tort sur l'inconstitutionnalité d'une règle de droit qui aurait dû être déclarée constitutionnelle ou bien, au contraire, parce qu'il se fonde à tort sur une règle de droit qui aurait dû être déclarée inconstitutionnelle. Ce premier cas a été présenté dans le cadre du contrôle indirect de la constitutionnalité des règles de droit et n'a donc plus à être étudié.

En second lieu, le jugement peut être inconstitutionnel si le tribunal a donné de la règle de droit appliquée une interprétation qui ne tient pas compte de la portée des droits fondamentaux du requérant. Lorsqu'un texte législatif ou réglementaire peut faire l'objet de plusieurs interprétations, les tribunaux sont tenus de retenir « l'interprétation conforme à la Constitution » (verfassungskonforme Auslegung), c'est-à-dire l'interprétation qui rend la règle de droit compatible avec les exigences constitutionnelles. En conséquence, la Cour constitutionnelle fédérale casse le jugement qui interprète la règle de droit d'une façon qui viole la Constitution. Comme nous l'avons déjà indiqué, la Cour ne doit examiner que les questions de constitutionnalité et non celles de légalité. Or, quand elle contrôle l'interprétation donnée à une loi (ou un règlement) par un tribunal, la Cour constitutionnelle fédérale peut glisser assez facilement du terrain du contrôle de la constitutionnalité à celui du contrôle de la légalité. Or le contrôle de la légalité des jugements et donc de l'interprétation correcte de la loi incombe normalement aux juridictions de cassation placées au sommet de la hiérarchie de chacun des cinq ordres de juridictions ordinaires et non pas à la Cour constitutionnelle fédérale. C'est pourquoi la Cour constitutionnelle fédérale n'accepte de contrôler l'interprétation de la loi que si celle-ci pose un problème spécifique de droit constitutionnel. Mais si tel est le cas, la Cour n'hésite pas à s'immiscer dans l'interprétation des lois même si cela a pour effet d'infirmer une jurisprudence bien établie.

Par exemple, la Cour constitutionnelle fédérale tend de plus en plus à obliger la Cour fédérale de justice à modifier sa jurisprudence relative aux clauses léonines des contrats civils. Ainsi, elle a censuré un arrêt de la Cour fédérale de justice qui avait déclaré valable un engagement de caution pris par la femme d'un entrepreneur qui avait fait l'objet ensuite d'une liquidation judiciaire alors que l'inégalité entre la femme et la banque était manifeste et que l'engagement avait pour effet d'endetter jusqu'à la fin de sa vie une personne sans ressources propres. De même, elle a cassé un arrêt de la Cour fédérale de justice qui avait déclaré valable un contrat de mariage dans lequel une femme enceinte avait renoncé à l'avance à toute pension alimentaire en cas de divorce. Dans les deux arrêts, la Cour a estimé que le juge civil devait tenir compte du droit des parties cocontractantes au libre développement de leur personnalité et donc interpréter plus extensivement la disposition du code civil déclarant nul tout contrat violant la morale(34).

En troisième lieu, un jugement peut être inconstitutionnel lorsque le juge dispose d'un pouvoir d'appréciation et qu'il l'exerce sans tenir compte de la nécessité de respecter au mieux les droits fondamentaux en cause, spécialement s'il y en a plusieurs entre lesquels le juge doit opérer une conciliation optimale, ce que les juristes allemands appellent « la concordance pratique ». La pénétration du droit constitutionnel dans l'acte juridictionnel est alors particulièrement spectaculaire. Dans la pratique, la Cour constitutionnelle exerce un tel contrôle surtout en matière pénale. Par exemple, les 14 décembre 2000 et 15 mars 2001, la Cour constitutionnelle fédérale a cassé plusieurs décisions judiciaires ordonnant le prélèvement de cellules sur des inculpés soupçonnés d'une infraction pénale ; en effet, elle a jugé que ces mesures étaient excessives compte tenu de la personnalité des intéressés, de la gravité des infractions et donc du risque de récidive qui pouvait en résulter(35).

Dans tous les cas où la Cour constate l'inconstitutionnalité du jugement attaqué devant elle pour un vice autre que l'inconstitutionnalité de la règle de droit appliquée, elle casse celui-ci et l'affaire est normalement renvoyée au tribunal compétent (§ 95, al. 2, de la loi sur la Cour).

En général, le tribunal de renvoi s'incline devant la décision de la Cour constitutionnelle fédérale. Il y a cependant quelques exceptions. La dernière en date est celle qui concerne la publicité de Benetton représentant la fesse nue d'un homme sur laquelle était inscrit « HIV Positive » avec un tampon. La Cour fédérale de justice avait condamné le 6 juillet 1965 un organe de presse à ne pas publier cette publicité et le 12 décembre 2000, la Cour constitutionnelle fédérale avait cassé cette décision, déclarant qu'il y avait une atteinte à la liberté d'expression que ne justifiait pas une atteinte, somme toute limitée, à la dignité de la personne humaine(36). Or le 6 décembre 2001, la Cour fédérale de justice a de nouveau condamné l'organe de presse pour violation de la dignité de la personne humaine(37), et, le 25 mars 2003, la Cour constitutionnelle fédérale a de nouveau cassé l'arrêt de la Cour fédérale de justice(38).

Ce pouvoir de contrôler la constitutionnalité des jugements est incontestablement le pouvoir le plus original que détient la Cour constitutionnelle fédérale. En Europe occidentale, le contrôle de la constitutionnalité des jugements ne se rencontre guère qu'en Suisse et en Espagne(39). Dans ces trois pays, le juge constitutionnel apparaît comme une véritable Cour suprême spécialisée dans l'examen des recours en cassation pour violation de la Constitution.

Conclusion

La Cour constitutionnelle est une juridiction qui a l'immense privilège d'être dotée d'un statut qui en fait presque un quatrième pouvoir et de bénéficier de compétences qui permettent de contrôler parfaitement à la fois le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire et indirectement le pouvoir exécutif et les autorités administratives.

Dans l'ensemble, la Cour a exercé ce pouvoir avec sagesse, mais aussi avec fermeté. Par exemple, en posant la règle de l'unité de la Constitution et spécialement de l'ensemble des droits fondamentaux, elle a su combler les quelques lacunes de la Loi fondamentale. Ainsi, le droit au respect de la personnalité et les droits qui en sont dérivés, le droit à l'intimité, le droit à la maîtrise des données relatives à sa personne et le droit à connaître son ascendance(40) ont tous été tirés de la combinaison des articles 1 (dignité de la personne humaine) et 2 (droit au libre développement de la personne). De même, le principe de l'État de droit a donné naissance à de nombreux principes, parmi lesquels les principes de proportionnalité, de non-rétroactivité et de respect de la confiance légitime sont les plus remarquables(41). La Cour a su également donner un sens très riche à des principes traditionnels comme le principe d'égalité, en décidant que les différences de traitement devaient être justifiées par l'objectif poursuivi par la loi d'une façon cohérente et en respectant une certaine proportionnalité(42).

Par ailleurs, la jurisprudence constitutionnelle allemande a fourni les matériaux pour la construction d'une théorie générale des droits fondamentaux : ceux-ci imposent à l'État non seulement des limites à son action (effets négatifs), mais encore des devoirs de protection, parfois même des obligations de fournir une prestation (effets positifs) et ils créent un système de valeurs que le juge doit faire respecter par les particuliers (effet de rayonnement)(43). La démocratie allemande ne présenterait pas un caractère aussi libéral si la Cour constitutionnelle fédérale n'avait pas tenu la main pour que soient éliminées des théories ou des pratiques archaïques, qui ont parfois encore cours partiellement chez les voisins de l'Allemagne, telles que, par exemple, les mesures d'ordre intérieur ou l'abus des circulaires(44) ou encore le pouvoir du président d'une juridiction de répartir plus ou moins discrétionnairement les affaires entre les membres et les formations de jugement(45).

Certes, il est arrivé dans les années quatre-vingt-dix que certaines décisions soient mal accueillies par une partie des hommes politiques ou de la population comme les jugements censurant des condamnations pour atteinte aux symboles nationaux ou à l'armée(46) ou encore des arrêts annulant un règlement imposant l'apposition de croix dans toutes les écoles publiques (du moins celles dites communautaires) de Bavière(47). Il est arrivé aussi que quelques décisions soient inutilement contraignantes pour le pouvoir politique comme l'arrêt relatif au traité de Maastricht(48) ou certains arrêts relatifs au système fiscal allemand(49).

Mais il s'agit en quelque sorte d'exceptions qui confirment la règle : en général, les jugements de la Cour constitutionnelle fédérale sont bien accueillis dans l'opinion publique. De plus, ils ont fourni à la doctrine allemande des matériaux extrêmement riches pour construire le droit constitutionnel actuel et spécialement l'État de droit et une théorie des droits fondamentaux.

D'ailleurs, les États qui ont accédé à la démocratie depuis les années 1975, comme l'Espagne, le Portugal, la Grèce et la Belgique, ou encore depuis la chute du communisme en 1989 se sont beaucoup inspirés du modèle allemand de la justice constitutionnelle et de l'État de droit.

La jurisprudence constitutionnelle allemande est devenue également une source d'inspiration pour la plupart des juridictions constitutionnelles des pays de droit romanistes(50). De même, la Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l'homme ont souvent puisé leur inspiration dans la jurisprudence constitutionnelle allemande ; il suffît d'évoquer les principes de proportionnalité et de respect de la confiance légitime. Le Conseil constitutionnel français lui-même n'est pas resté insensible au formidable développement de la jurisprudence constitutionnelle allemande. Tantôt, il a dégagé presque sans appui textuel des principes auxquels la Cour allemande avait donné un grand retentissement comme le principe du respect de la dignité de la personne humaine ou celui de l'indépendance des professeurs d'Université. Tantôt, il s'est inspiré de l'interprétation donnée par la Cour allemande à certains droits fondamentaux comme la liberté de l'audiovisuel ou l'égalité en matière de suffrage(51). En cette année marquée par la célébration du cinquantième anniversaire du traité franco-allemand d'amitié, il est réjouissant de constater que le dialogue entre juristes allemands et français, qui était si fructueux au début du siècle dernier, connaît aujourd'hui un regain de vitalité.

(1) Le terme allemand de Bundesverfassungsgericht est traduit par Cour constitutionnelle fédérale conformément aux recommandations du gouvernement de la République fédérale d'Allemagne.
(2) Tous les Länder ont une juridiction compétente pour juger des litiges relatifs à leur Constitution à l'exception du Schleswig-Holstein, pour lequel la Cour constitutionnelle est compétente pour statuer sur certains litiges relatifs à la Constitution de ce Land. Sur la répartition des compétences entre la Cour constitutionnelle fédérale et les Cours constitutionnelles des Länder, v. J.-C. Béguin, Le contrôle de la constitutionnalité des lois en République fédérale d'Allemagne, Paris 1982, p. 43. Sur les juridictions constitutionnelles des nouveaux Länder, v. M. Fromont, « Le droit allemand depuis le traité d'Union du 31 août 1990 », RD publ., 1993.
(3) Sur ces prémisses, v. l'excellente étude de J.-C. Béguin, Le contrôle de la constitutionnalité des lois en République fédérale d'Allemagne, Paris 1982.
(4) Dans notre livre, La justice constitutionnelle dans le monde, Paris 1996, nous avons mis l'accent sur la nécessité d'adopter principalement une notion matérielle de la justice constitutionnelle : la justice constitutionnelle est nécessairement exercée, au moins en partie et parfois totalement, par les juridictions de droit commun. Les considérations organiques sont à nos yeux secondaires.
(5) Le champ d'application de la Loi fondamentale fut successivement étendu en 1955 au Land de Sarre, puis en 1990 aux nouveaux Länder issus de l'ancienne République démocratique allemande, à savoir le Brandebourg, le Mecklembourg-Poméranie occidentale, la Saxe, la Saxe-Anhalt et la Thuringe ainsi qu'aux districts de Berlin-Est qui furent intégrés au Land de Berlin (ouest).
(6) Cette loi a été maintes fois modifiée depuis cette date, ce qui a conduit le législateur à autoriser à plusieurs reprises le gouvernement de la Fédération à publier de nouveau l'ensemble du texte modifié. Actuellement, le texte en vigueur est celui publié le 11 août 1993 (BGBI. l. p. 1473) et modifié depuis cette date sur des points de détail tels que le montant des taxes ou le calcul de la rémunération des juges.
(7) Ces cinq cours de cassation, qui sont toutes gérées par le Ministère fédéral de la justice, se trouvent respectivement à la tête de la juridiction dite ordinaire, c'est-à-dire des juridictions civiles et pénales, de la juridiction administrative ou de l'une des trois juridictions respectivement spécialisées dans le droit du travail, le droit des assurances sociales ou des impôts. On notera que tous ces juges sont eux-mêmes choisis par le Parlement allemand dans la magistrature de l'un des Länder et ont donc nécessairement une assez longue expérience de juge ou de procureur (ou parfois de haut fonctionnaire d'un ministère de la justice).
(8) Le nombre des ministres représentant un Land varie de trois à six selon l'importance de la population.
(9) La loi de 1951 avait bien prévu une compétence consultative, mais comme l'avis pouvait porter sur une question qui pouvait ensuite faire l'objet d'une procédure contentieuse, cette compétence a été supprimée très rapidement (loi de 1956).
(10) Le rythme irrégulier des nouvelles nominations n'empêche pas les grands partis de respecter scrupuleusement les règles du jeu qu'ils ont fixées ensemble. Pour une étude de la pratique des nominations, nous renvoyons aux chroniques que nous consacrons à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale tous les ans (de 1968 à 1979) ou tous les deux ans (de 1980 à 2002) dans la RD publ..
(11) Pour des exemples récents, v. nos dernières chroniques à l'Annuaire international de justice constitutionnelle, notamment AIJC 2001, p. 423 ; AIJC 2000, p. 515 ; AIJC 1999, p. 380 ; AIJC 1998, p. 560, etc.
(12) Cour constitutionnelle fédérale, 22 mai 1990 et 10 avr. 1994, analyse Fromont, RD publ. 1993, p. 1580.
(13) Par exemple, la loi fédérale sur la responsabilité de l'administration fut annulée pour incompétence de la Fédération dans le cadre d'une procédure de contrôle abstrait des normes : Cour constitutionnelle fédérale, 19 octobre 1982, BVerfGE, tome 61, p. 149 ; analyse Fromont, RD publ. 1984, p. 1589. De même, plusieurs lois de Länder instituant un impôt écologique furent annulées dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes : Cour constitutionnelle fédérale, 7 mai 1998, BVerfGE, tome 98, pp. 83 et 206 ; analyse Fromont, RD publ. 2001, p. 145.
(14) Parmi les litiges fédéraux, il convient de ranger également une partie des « litiges de droit public entre la Fédération et un Land, entre différents Länder ou à l'intérieur d'un Land, lorsqu'il n'existe aucune autre voie de droit » visés par l'article 93, al. 1, n° 4. Dans la pratique, il s'agit principalement de litiges de droit administratif opposant la Fédération à un Land ou deux Länder entre eux. Ce titre de compétence tend à perdre toute importance et, de toute façon, il ne porte pas exclusivement sur des questions de droit constitutionnel ; au total, il y a eu 73 affaires de toutes sortes jusqu'en 1988 et aucune depuis.
(15) Cour constitutionnelle fédérale, 13 juin 1989, BVerfGE, tome 80, p. 188 ; analyse Fromont, RD publ. 1992, p. 1057.
(16) Cour constitutionnelle fédérale, 18 décembre 1984, BVerfGE, tome 68, p. 1 ; analyse Fromont, RD publ. 1986, p. 1222.
(17) Cour constitutionnelle fédérale, 12 juillet 1994, BVerfGE, tome 90, p. 286 ; analyse Fromont, RD publ. 1997, p. 377. V. pour la contestation d'une décision du gouvernement d'approuver le nouveau concept stratégique arrêté par l'OTAN en avril 1999 : Cour constitutionnelle fédérale, 22 novembre 2001, NJW 2002, p. 1559 ; analyse Fromont, RD publ. 2002, p. 1849.
(18) Cour constitutionnelle fédérale, 16 février 1983, BVerfGE, tome 62, p. 1 ; analyse Fromont, RD publ. 1983, p. 954.
(19) De 1951 à 2002, il y a eu 144 affaires enregistrées et 120 jugées. Comme exemples de décisions, citons celles du 20 oct. 1993, BVerfGE, tome 89, p. 243 et du 23 nov. 1993, BVerfGE, tome 89, p. 291 ; analyse Fromont, RD publ. 1995, p. 341.
(20) V., par exemple, les deux décisions du 10 avril 1997 relatives au système électoral (BverfGE, tome 95, pp. 335 et 408); analyse Fromont, RD publ. 1999, p. 528 ; ou encore celle du 8 févr. 2001 relative au tribunal de vérification des élections de Hesse, BVerfGE, tome 103, p. 111 ; analyse Fromont, RD publ. 2002, p. 1844.
(21) Cour constitutionnelle fédérale, 23 octobre 1952, BVerfGE, tome 2, p. 1 (Parti social du Reich) et 17 août 1956, BVerfGE, tome 5, p. 85 (Parti communiste d'Allemagne).
(22) Cour constitutionnelle fédérale, 18 mars 2003, DVBI. 2003, p. 593, note Volkmann.
(23) Dans le cas où la question soulevée est le respect du principe de subsidiarité lorsque la Fédération entend légiférer dans une matière relevant de la compétence concurrente des Länder et de la Fédération, l'assemblée parlementaire du Land peut également saisir la Cour ; en revanche, les députés au Bundestag ne le peuvent pas (art. 93, al. 1, n° 2a).
(24) Cour constitutionnelle fédérale, 25 févr. 1975, BVerfGE, tome 39, p. 1, analyse Fromont, RD publ. 1976, p. 344. Cour constitutionnelle fédérale, 27 juillet 1992, BVerfGE, tome 88, p. 203 ; analyse Fromont, RD publ. 1995, p. 327.
(25) V. note précédente.
(26) Cour constitutionnelle fédérale, 31 octobre 1990, BverfGE, tome 83, p. 37 ; analyse Fromont, RD publ. 1992, p. 1576.
(27) Cour constitutionnelle fédérale, 31 juillet 1973, BverfGE, tome 36, p. 1 ; analyse Fromont, RD publ. 1975, p. 116.
(28) Selon le système de la Loi fondamentale sont titulaires de droits fondamentaux tout d'abord les Allemands, qui seuls jouissent de la totalité de ceux-ci, ensuite les étrangers, qui sont titulaires de tous les droits fondamentaux à l'exception de la liberté d'association, de la liberté de circulation et d'établissement, de la liberté d'exercer une profession de son choix ainsi que des droits civiques (ce qui explique que les Allemands parlent de droits fondamentaux et non de droits de l'homme comme les Français), enfin les personnes morales allemandes, pour autant que la nature des droits fondamentaux le permet. En revanche ne sont pas susceptibles d'être titulaires de droits fondamentaux les personnes morales étrangères (ce qui ne manquera de soulever un jour une difficulté au regard du droit de l'Union européenne) et les personnes morales de droit public, même allemandes (à l'exception, selon la jurisprudence constitutionnelle, des universités pour la liberté de la science et de l'enseignement supérieur, les établissements de radio et de télévision pour la liberté d'expression et les Églises établies, notamment pour la liberté religieuse). Noter que la Loi fondamentale a reconnu aux communes le droit de défendre leur autonomie par un recours analogue au recours individuel (art. 93, al. l, n° 4b de la Loi fondamentale).
(29) Si le terme allemand de « Verfassungsbeschwerde » était traduit littéralement, il devrait être traduit par « recours constitutionnel ». Bien qu'elle soit parfois utilisée, une telle traduction est malheureuse. Outre le fait qu'elle est peu expressive, cette traduction est susceptible d'induire en erreur, car, en Espagne, le recours constitutionnel (recurso constitucional) désigne la demande de vérification de la constitutionnalité d'une loi présentée par une autorité politique, c'est-à-dire le contrôle abstrait des normes du droit allemand, et non le recours individuel qui est appelé recurso de amparo, terme qui pourrait être traduit par « recours en protection », mais qui généralement n'est purement et simplement pas traduit. C'est pourquoi nous préférons traduire par recours individuel, c'est-à-dire reprendre la terminologie de la Convention européenne des droits de l'homme.
(30) Cour constitutionnelle fédérale, 29 mai 1973, BverfGE, tome 35, p. 79 ; analyse Fromont, RD publ. 1975, p. 153.
(31) Cour constitutionnelle fédérale, 1er mars 1979, BverfGE, tome 50, p. 79 ; analyse Fromont, RD publ. 1981, p. 364.
(32) Cour constitutionnelle fédérale, 12 oct. 1993, BverfGE, tome 89, p. 155 ; analyse Fromont, RD publ. 1995, p. 349.
(33) Cette amende pour recours abusif peut s'élever jusqu'à 2600 euros ; en 2002, 25 requérants abusifs ont été ainsi condamnés. En réalité, outre le filtrage officiel, un filtrage discret est opéré par le greffe du tribunal qui s'efforce de dissuader les requérants trop téméraires ; ce filtrage est d'autant plus utile que le ministère d'avocat n'est pas obligatoire et que, dans la pratique, plus de la moitié des recours individuels sont formés sans aide d'un avocat ou d'un professeur de droit.
(34) Premier arrêt : Cour constitutionnelle fédérale, 19 oct. 1993, BVerfGE, tome 89, p. 214 ; v. M. Fromont, « L'autonomie de la volonté et les droits fondamentaux en droit privé allemand », in : Le rôle de la volonté dans les actes juridiques, Études en l'honneur d'Alfred Rieg, Bruxelles, 2000, p. 336. Deuxième arrêt : Cour constitutionnelle fédérale, 6 févr. 2001, BVerfGE, tome 103, p. 89, analyse Fromont, RD publ. 2002, p. 1825.
(35) Cour constitutionnelle fédérale, 14 déc. 2000 et 15 mars 2001, respectivement, NJW 2001, p. 2001 et p. 2320 ; analyse Fromont, RD publ. 2002, p. 1823.
(36) Cour constitutionnelle fédérale, 12 déc. 2000, BVerfGE, tome 102, p. 196 ; analyse Fromont in RD publ. 2002, p. 1830 (avec d'autres références).
(37) Cour fédérale de justice 12 déc. 2001, NJW 2002, p. 1200.
(38) Cour constitutionnelle fédérale, 11 mars 2003, NJW 2003, p. 1303.
(39) L'originalité de ce type de justice constitutionnelle a été particulièrement soulignée par le professeur Rubio Llorente, ancien vice-président du tribunal constitutionnel espagnol, in : F. Rubio Llorente, « Tendances actuelles de la juridiction constitutionnelle en Europe », AIJC 1996, p. 11-29.
(40) Cour constitutionnelle fédérale, 31 janv. 1989, BVerfGE, tome 79, p. 256 ; analyse Fromont, RD publ. 1991, p. 1048.
(41) Pour plus de détails, v. nos écrits antérieurs : « L'État de droit en République fédérale d'Allemagne », RD publ. 1984, p. 1203 ; « Le principe de proportionnalité », AJDA 1995, n° spécial, p. 156 ; « Le principe de sécurité juridique », AJDA, n° spécial, p. 178.
(42) Sur la jurisprudence allemande relative au principe de l'égalité, v. O. Jouanjan, Le principe d'égalité devant la loi en droit allemand, Paris 1992.
(43) Pour un bon exposé de cette théorie, v. D. Capitant, Les effets juridiques des droits fondamentaux, Paris 2001.
(44) Cour constitutionnelle fédérale, 14 mars 1972, BVerfGE, tome 33, p. 1 ; analyse Fromont, RD publ. 1975, p. 146.
(45) Cour constitutionnelle fédérale, 8 avr. 1997, BVerfGE, tome 95, p. 322 ; analyse Fromont, RD publ. 1999, p. 533.
(46) Cour constitutionnelle fédérale, 10 oct. 1995, BVerfGE, tome 93, p. 266 ; analyse Fromont, RD publ. 1997, p. 364.
(47) Cour constitutionnelle fédérale, 16 mai 1995, BVerfGE, tome 93, p. 1 ; analyse Fromont, RD publ. 1999, p. 511.
(48) Cour constitutionnelle fédérale, 12 oct. 1993, BVerfGE, tome 89, p. 155 ; analyse Fromont, RD publ. 1995, p. 149.
(49) Cour constitutionnelle fédérale, 22 juin 1995, BVerfGE, tome 93, pp. 121 et 165 (2 affaires); analyse Fromont, RD publ. 1997, p. 371.
(50) Et même parfois au-delà des pays de droit romaniste comme le montrent les exemples du Canada et de l'Afrique du Sud.
(51) V. M. Fromont, « Einfluss der deutschen Verfassungsrechtsprechung auf die Entscheidungen des Conseil constitutionnel », in : Grundgesetz und Verfassungsrechtsprechung im Spiegel ausländischer Verfassungsentwicklung (dirigé par Ch. Starck), Baden-Baden 1990, pp. 111-117.