Décision

Décision n° 93-1327/1360 AN du 25 novembre 1993

A.N., Yvelines (5ème circ.)
Rejet

Le Conseil constitutionnel,

Vu 1o la requête présentée par M. Stéphane Diemert, demeurant à Sartrouville (Yvelines), enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 8 avril 1993 sous le numéro 93-1327, et tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 21 et 28 mars 1993 dans la 5e circonscription des Yvelines pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale ;

Vu 2o la requête présentée par Mme Marie-Thérèse Bouffard, demeurant à Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis), enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 8 avril 1993 sous le numéro 93-1360, et tendant à l'annulation des opérations électorales auxquelles il a été procédé les 21 et 28 mars 1993 dans la 5e circonscription des Yvelines pour la désignation d'un député à l'Assemblée nationale ;

Vu le mémoire en défense présenté par M. Jacques Myard, député, enregistré au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 4 mai 1993 ;

Vu les observations présentées par le ministre de l'intérieur, enregistrées comme ci-dessus les 6 mai 1993 et 2 juin 1993 ;

Vu le mémoire en réplique présenté par M. Diemert, enregistré comme ci-dessus le 16 juin 1993 ;

Vu le mémoire en duplique présenté par M. Myard, enregistré comme ci-dessus le 28 juin 1993 ;

Vu la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, enregistrée comme ci-dessus le 28 juillet 1993 approuvant le compte de campagne de M. Myard ;

Vu le mémoire en triplique présenté par M. Diemert, enregistré comme ci-dessus le 2 août 1993 ;

Vu le mémoire en réplique aux observations du ministre de l'intérieur, présenté par M. Diemert, enregistré comme ci-dessus le 12 août 1993 ;

Vu le mémoire complémentaire présenté par M. Myard, enregistré comme ci-dessus le 3 septembre 1993 ;

Vu les mémoires complémentaires présentés par M. Diemert, enregistrés comme ci-dessus le 23 septembre 1993 et les 4, 6 et 8 octobre 1993 ;

Vu le nouveau mémoire en défense présenté par M. Myard, enregistré comme ci-dessus le 22 octobre 1993 ;

Vu les nouveaux mémoires en réponse présentés par M. Diemert, enregistrés comme ci-dessus les 3, 9 et 15 novembre 1993 ;

Vu l'article 59 de la Constitution ;

Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu le code électoral ;

Vu le règlement applicable à la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour le contentieux de l'élection des députés et des sénateurs ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que les requêtes présentées par M. Diemert et par Mme Bouffard portent sur des opérations électorales qui se sont déroulées dans une même circonscription ; qu'il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par une même décision ;

Sur la requête de M. Diemert :

En ce qui concerne le grief tiré des investitures dont s'est prévalu le candidat proclamé élu :

2. Considérant en premier lieu qu'il résulte des pièces du dossier que, bien que M. Wetzel ait été informé par écrit tant par le secrétaire général de l'Union pour la démocratie française (U.D.F.) que par le président du Centre des démocrates sociaux (C.D.S.) qu'il avait été, au cours d'une réunion des instances de l'Union pour la France (U.P.F.), désigné comme candidat unique des formations politiques regroupées au sein de celle-ci, aucune confirmation de cette investiture commune ne lui a été notifiée par l'U.P.F., alors que le Rassemblement pour la République (R.P.R.), pour sa part, a donné son investiture à M. Myard, que dès lors celui-ci, en se prévalant de cette dernière investiture, ne peut être regardé comme s'étant livré à une manoeuvre ;

3. Considérant en deuxième lieu que l'existence d'une compétition entre un candidat du R.P.R. et un candidat de l'U.D.F. n'a pas été admise dans la circonscription en cause par les instances dirigeantes de l'U.D.F. et que, dès lors, c'est inexactement que tant M. Myard que des responsables politiques le soutenant ont pu laisser croire à la reconnaissance d'une telle compétition par les deux composantes de l'U.P.F.; que toutefois M. Wetzel a répliqué à plusieurs reprises à de telles allégations au cours de la campagne électorale ; que les circonstances ci-dessus relatées n'ont pas été de nature à altérer les résultats du scrutin ;

4. Considérant en troisième lieu que si le requérant soutient que M. Myard s'est abusivement prévalu de l'investiture du Centre national des indépendants (C.N.I.), alors que M. Wetzel avait obtenu, du bureau directeur de la fédération des Yvelines de cette formation, ladite investiture, il résulte des pièces du dossier que M. Myard avait également pour sa part reçu notification d'une telle investiture par les instances nationales du C.N.I., lesquelles se déclarent seules habilitées par les statuts à délivrer les investitures aux élections législatives ; que dès lors le grief doit être écarté

En ce qui concerne le grief tiré d'irrégularité de la propagande électorale :

5. Considérant en premier lieu que si la profession de foi de M. Myard pour le deuxième tour mettait en cause la bonne foi de M. Wetzel dans l'usage fait par lui au cours de la campagne électorale de l'investiture du R.P.R., il résulte de ce qui a été indiqué plus haut que cette mise en cause ne faisait que reprendre un élément de la polémique électorale à laquelle l'intéressé avait pu répliquer et n'a pu dès lors altérer les résultats du scrutin ;

6. Considérant en deuxième lieu que si M. Myard s'est prévalu à tort de ce que la cour d'appel de Versailles qu'il avait saisie pour lui demander d'interdire à M. Wetzel de se prévaloir de toute investiture de l'U.P.F. et du R.P.R., lui aurait donné raison, cette manoeuvre à laquelle M. Wetzel a eu tout le temps de répondre n'est pas de nature à avoir altéré les résultats du scrutin ;

7. Considérant en troisième lieu que si M. Myard s'est livré à une propagande irrégulière sous forme de distribution de tracts, d'affichage sauvage et d'apposition de bandeaux sur les affiches électorales de M. Wetzel, en mettant en cause la bonne foi et la personnalité de ce dernier dans des conditions dépassant les limites de la polémique électorale, notamment s'agissant de l'apposition sur les panneaux électoraux de celui-ci de photocopies agrandies d'un article de presse touchant à sa vie privée, il n'apparaît pas que ces irrégularités, bien qu'appelant une particulière réprobation, aient eu pour effet, eu égard à l'écart de voix et dès lors que les attaques dirigées contre M. Wetzel n'ont pas revêtu le caractère de manoeuvre de dernière minute, les différents éléments de la polémique ainsi soulevée ayant marqué toute la campagne électorale, de modifier les résultats du scrutin ;

8. Considérant en quatrième lieu que l'utilisation des couleurs bleu, blanc et rouge dans le sigle R.P.R. d'un bandeau apposé sur les panneaux électoraux de M. Myard n'était pas de nature à conférer un caractère officiel à la candidature de l'intéressé

9. Considérant en cinquième lieu que le tract défavorable à la candidature de M. Wetzel, diffusé par trois anciens adjoints au maire de Sartrouville, dont le contenu ne dépassait pas les limites de la polémique électorale et dont il n'est pas allégué que la diffusion ait été massive, n'a pas constitué une manoeuvre de nature à altérer les résultats du scrutin ;

10. Considérant en sixième lieu que l'enlèvement entre les deux tours de scrutin des panneaux électoraux des candidats non présents au deuxième tour n'a pas constitué une irrégularité

11. Considérant en septième lieu que si le requérant soutient que M. Wetzel a été victime de prises de position défavorables de la part de la presse dans un ouvrage publié à la veille des élections par un ministre en exercice, les organes de presse en cause comme l'auteur de l'ouvrage incriminé n'ont fait qu'user de la liberté d'expression qui leur est reconnue ; qu'au demeurant les articles en cause consacrés à des éléments bien connus de la polémique électorale dans la circonscription n'ont pu altérer la sincérité du scrutin ;

En ce qui concerne le grief tiré de pressions sur les électeurs :

12. Considérant en premier lieu que la lettre adressée par le secrétaire général du R.P.R. plusieurs jours avant le premier tour de scrutin, dont l'authenticité n'est au demeurant pas douteuse et qui ne présentait aucun caractère officiel, n'est pas, bien qu'elle fasse inexactement état d'une décision de l'U.P.F. d'organiser une compétition entre le R.P.R. et l'U.D.F. dans la circonscription, constitutive d'une pression sur les électeurs de nature à altérer les résultats du scrutin ;

13. Considérant en deuxième lieu que s'il n'appartient pas aux juridictions de l'ordre judiciaire d'enjoindre à un candidat de cesser d'utiliser une dénomination figurant sur les bulletins de vote diffusés par la commission de propagande ou de faire obstacle directement ou indirectement à l'utilisation de ces bulletins par les électeurs, il apparaît que l'utilisation faite par Mme Bouffard de la dénomination « Génération Verte » dans sa propagande électorale était de nature à susciter la confusion dans l'esprit des électeurs, avec les dénominations « Génération Ecologie » et « Les Verts » déjà utilisées ; que ce risque de confusion était encore aggravé par le choix du graphisme employé sur les documents électoraux ; que dès lors, dans les circonstances de l'espèce, l'intervention de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles faisant interdiction à Mme Bouffard d'utiliser la mention « Génération Verte » dans le graphisme qui avait été retenu et ordonnant l'affichage de l'arrêt en caractères très apparents au-dessus des bulletins de vote dans chaque bureau de vote, ne doit pas être considérée comme ayant eu pour effet d'altérer la sincérité du scrutin ;

14. Considérant en troisième lieu que si des lettres privées adressées par le député de la circonscription voisine à M. Wetzel et au député sortant qui le soutenait et très polémiques à l'encontre des destinataires ont été rendues publiques et leur contenu repris dans la presse nationale et locale, ladite manoeuvre, pour regrettable qu'elle soit, ne peut être regardée eu égard notamment à la date à laquelle elle est intervenue, bien antérieurement au premier tour, comme une pression sur les électeurs de nature à porter atteinte aux résultats du scrutin ;

En ce qui concerne le grief tiré de l'irrégularité du compte de campagne de M. Myard :

15. Considérant que le requérant fait valoir que les dépenses de campagne de M. Myard, candidat proclamé élu à l'issue du second tour, ont dépassé le plafond des dépenses électorales fixé par l'article L. 52-11 du code électoral ; que ce plafond est de 500 000 F par candidat pour l'élection des députés dans les circonscriptions dont la population est égale ou supérieure à 80 000 habitants ; que M. Diemert demande au Conseil constitutionnel de constater le dépassement du plafond des dépenses autorisées, de prononcer l'inéligibilité de M. Myard ainsi que de son suppléant en tant que député pour une durée d'un an à compter de l'élection et d'annuler celle-ci ;

16. Considérant que le compte de campagne de M. Myard a été déposé, conformément aux prescriptions du deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral, dans le délai de deux mois suivant le tour du scrutin à l'issue duquel il a été proclamé élu ; que, par une décision en date du 28 juillet 1993, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, après réformation, approuvé le compte de l'intéressé en l'établissant, en recettes, à la somme de 391 952 F et, en dépenses, à la somme de 328 569 F ;

17. Considérant que la commission mentionnée ci-dessus est une autorité administrative et non une juridiction ; qu'il en résulte que la position qu'elle adopte lors de l'examen des comptes de campagne d'un candidat ne saurait préjuger la décision du Conseil constitutionnel, juge de la régularité de l'élection en vertu de l'article 59 de la Constitution ;

18. Considérant que M. Diemert fait grief à M. Myard d'avoir omis de faire figurer sur son compte de campagne certains chefs de dépense et, en particulier, un sondage d'opinion, des frais de justice et le coût de certains journaux et d'avoir minoré le coût de certaines dépenses exposées par lui ou pour son compte ;

En ce qui concerne le sondage d'opinion :

19. Considérant qu'un sondage a été pratiqué à la demande du Centre national du R.P.R. auprès d'un échantillon d'électeurs représentatifs de la 5e circonscription des Yvelines entre le 30 septembre et le 2 octobre 1992 ; que les questions posées portaient sur le profil souhaité du futur député, sur la popularité de diverses personnalités locales et sur les intentions de vote au premier tour et à un éventuel second tour ;

20. Considérant qu'un sondage effectué en vue de déterminer les chances de succès d'éventuels candidats à une élection ne constitue pas une dépense au sens des dispositions susmentionnées de l'article L. 52-12, dès lors que les résultats de ce sondage ne font pas ultérieurement l'objet d'une quelconque exploitation à des fins de propagande électorale et n'ont pas servi à l'orientation de sa campagne électorale dans la circonscription ;

21. Considérant qu'il ressort des questions posées dans le sondage que celui-ci a eu pour seul objet d'éclairer la formation politique commanditaire du sondage sur le choix du candidat ; que dès lors conformément à ce qu'a décidé la Commission nationale des comptes de campagne le coût dudit sondage n'avait pas à figurer au compte de campagne de M. Myard ;

En ce qui concerne la réintégration de frais de justice :

22. Considérant que les frais de l'action engagée par M. Myard devant le président du tribunal de grande instance de Versailles et devant la cour d'appel de Versailles ne constituent pas des dépenses électorales au sens du chapitre V bis du titre Ier du code électoral ; qu'il n'y a dès lors pas lieu de les intégrer dans le compte de campagne de l'intéressé

En ce qui concerne le journal municipal de Maisons-Laffitte no 15 et l'opération de communication « Allô monsieur le Maire » :

23. Considérant que le journal municipal de Maisons-Laffitte, journal de la commune dont M. Myard est maire, constitue une publication régulière qui relève de la politique d'information de ladite collectivité locale ; que toutefois si le numéro en cause est dans sa conception générale analogue aux précédents numéros, il se propose, comme il est relevé dans son éditorial, de faire le point sur les projets importants de Maisons-Laffitte et se présente ainsi partiellement comme un bilan de mandat qui revêt le caractère d'une propagande électorale ; qu'il y a lieu dans ces conditions d'intégrer dans le compte de campagne de M. Myard le coût correspondant à l'équivalent de huit pages de ce journal soit une somme de 39 830 F ;

24. Considérant qu'il y a lieu d'intégrer également dans le compte de campagne de M. Myard les frais engagés sous forme de tract pour le lancement de l'opération d'information et de communication « Allô Monsieur le maire », opération revêtant un caractère de propagande électorale, soit une somme de 11 180 F ;

En ce qui concerne les autres documents dont l'omission est contestée :

25. Considérant que la lettre des élus Le Vésinet demain, le document intitulé « Explication de texte », et La lettre du R.P.R.-5e circonscription ainsi que le tract diffusé pour annoncer la visite de deux personnalités politiques ont, eu égard à leur contenu, un caractère de propagande électorale ; que leur coût qui s'établit à 38 000 F doit dès lors être intégré dans le compte de campagne de M. Myard ;

26. Considérant que le journal cantonal de M. Myard Pour Maisons-Laffitte - Le Mesnil-le-Roi de décembre 1992 contient pour l'essentiel des informations générales ; que cependant certaines des pages de ce numéro comportent des éléments rédactionnels et des photographies consacrés à la promotion de l'action de M. Myard ; que lesdites pages revêtent un caractère de propagande électorale ; que le coût y afférent correspondant à l'équivalent de trois pages sur seize, soit une somme de 8 437,50 F, doit figurer dans les dépenses retracées par le compte de campagne de l'intéressé

27. Considérant que la dépense correspondant à la mise à disposition gratuite d'une salle municipale de Maisons-Laffitte au dirigeant d'une formation politique présentant un autre candidat que M. Myard dans la circonscription n'a pas à figurer au compte de celui-ci ;

En ce qui concerne la minoration des dépenses réellement engagées :

28. Considérant que le requérant soutient que le montant des dépenses déclarées par M. Myard au titre de l'édition de ses documents électoraux est sous-évalué qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'eu égard au caractère partiel de la prise en compte des publications ci-dessus analysées ce montant révèle une sous-évaluation ;

29. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le montant des dépenses du compte de campagne de M. Myard s'établit à 426 016,50 F ; qu'il y a dès lors lieu d'écarter le grief tiré d'un dépassement du plafond autorisé des dépenses électorales ;

Sur la requête de Mme Bouffard :

30. Considérant que comme il a été indiqué ci-dessus l'intervention de l'arrêt du 19 mars 1993 de la cour d'appel de Versailles n'a pas eu pour effet d'altérer les résultats du scrutin ; que dès lors l'unique grief de Mme Bouffard doit être rejeté,

Décide :
Article premier :
Les requêtes de M. Stéphane Diemert et Mme Marie-Thérèse Bouffard sont rejetées.
Article 2 :
La présente décision sera notifiée à l'Asssemblée nationale et publiée au Journal officiel de la République française.

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 novembre 1993, où siégaient : MM. Robert BADINTER, président, Robert FABRE, Maurice FAURE, Marcel RUDLOFF, Georges ABADIE, Jean CABANNES, Jacques LATSCHA, Jacques ROBERT et Mme Noëlle LENOIR.
Le président,
Robert BADINTER

Journal officiel du 28 novembre 1993, page 16456
Recueil, p. 489
ECLI : FR : CC : 1993 : 93.1327.AN

À voir aussi sur le site : Voir décision 93-1327/1360R AN.
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