Décision

Décision n° 82-137 DC du 25 février 1982

Loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions
Non conformité partielle

Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 28 janvier 1982 et le 4 février 1982, d'une part, par MM Claude Labbé, Gabriel Kaspereit, Pierre Raynal, Jacques Marette, Régis Perbet, Claude Marcus, Marc Lauriol, Jean Falala, Georges Tranchant, René La Combe, Roger Corrèze, Didier Julia, Mme Hélène Missoffe, MM Pierre Weisenhorn, Michel Barnier, Etienne Pinte, Jean-Louis Masson, Philippe Séguin, Roger Fossé, Georges Gorse, Jacques Chaban-Delmas, Emmanuel Aubert, Jean Narquin, Louis Goasduff, Jean de Lipkowski, Mme Florence d'Harcourt, MM Serge Charles, Christian Bergelin, Jean Valleix, Gérard Chasseguet, François Fillon, Jacques Godfrain, Robert Galley, Robert-André Vivien, Pierre-Charles Krieg, Bernard Pons, Jean Foyer, Jean-Paul Charié, Roland Nungesser, Robert Wagner, Germain Sprauer, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Maurice Couve de Murville, Michel Cointat, Camille Petit, Gilbert Gantier, Jean-Marie Daillet, Charles Fèvre, Georges Mesmin, Henri Baudouin, Claude Birraux, François Léotard, Pascal Clément, Jacques Barrot, Joseph-Henri Maujoüan du Gasset, Jean Bégault, Jacques Fouchier, Marcel Bigeard, Francis Geng, Charles Millon, François d'Aubert, Jacques Chirac, Pierre Mauger, Jean-Paul de Rocca Serra, Jacques Lafleur, Pierre Messmer, Hyacinthe Santoni, Michel Debré, Maurice Cornette, Antoine Gissinger, Pierre-Bernard Cousté, Olivier Guichard, Michel Inchauspé, Yves Lancien, Jean Tiberi, Georges Delatre, Pierre de Benouville, Bruno Bourg-Broc, Alain Peyrefitte, Jacques Toubon, Edouard Frédéric-Dupont, Henri de Gastines, Daniel Goulet, députés, et d'autre part, le 28 janvier 1982, par MM Adolphe Chauvin, Philippe de Bourgoing, Charles Pasqua, Adolphe Arzel, Maurice Blin, Charles Bosson, Jean Cauchon, Pierre Ceccaldi-Pavard, Henri le Breton, Jean Cluzel, Jean Colin, Marcel Daunay, Charles Ferrant, Jean Francou, Jacques Genton, Rémy Herment, Yves Le Cozannet, Bernard Lemarié, Louis Le Montagner, Roger Lise, Georges Lombard, Jean Madelain, Kléber Malécot, Daniel Millaud, Claude Mont, Jacques Mossion, Dominique Pado, Raymond Poirier, Roger Poudonson, André Rabineau, René Monory, Pierre Salvi, Paul Séramy, René Tinant, Georges Treille, Pierre Vallon, Joseph Yvon, Bernard Barbier, Pierre Croze, Paul d'Ornano, Jean Chamant, André Bettencourt, Guy de La Verpillière, Roland Ruet, Marcel Lucotte, Michel Sordel, Jean Puech, Paul Guillard, Michel Crucis, Pierre Louvot, Pierre Sallenave, Michel d'Aillières, Jacques Ménard, Serge Mathieu. Jean-Pierre Fourcade, Pierre-Christian Taittinger, Louis Lazuech, Jean Bénard Mousseaux, Paul Guillaumot, Frédéric Wirth, Marc Castex, Louis Boyer, Jacques Descours Desacres, Lionel Cherrier, Richard Pouille, Michel Miroudot, Albert Voilquin, Jean-François Pintat, Hubert Martin, Louis Martin, Louis de la Forest, Henri Olivier, Marc Jacquet, Amédée Bouquerel, Maurice Lombard, Jean Amelin, Henri Belcour, Jacques Braconnier, Georges Repiquet, Paul Kauss, Jacques Delong, Pierre Carous, Raymond Brun, Jean Chérioux, Edmond Valcin, René Tomasini, Michel Chauty, Paul Malassagne, Christian Poncelet, Louis Souvet, François Collet, Henri Portier, Jean Natali, Charles-Edmond Lenglet, Jacques Moutet, Paul Girod, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61 (alinéa 2) de la Constitution du texte de la loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement, et notamment ses articles 2, 3, 4, 45, 46, 47, 69 et 70 ;

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Ouï le rapporteur en son rapport ;

1. Considérant que, pour contester la conformité à la Constitution de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, les auteurs des saisines soutiennent que ses articles 2, 3 et 4 relatifs aux communes, 45, 46 et 47 relatifs aux départements, et 70 relatifs aux régions seraient contraires à l'article 72, alinéas 2 et 3, de la Constitution, en ce qu'ils ne confèrent au délégué du Gouvernement dans les départements et régions, à l'égard des délibérations et des actes illégaux des autorités territoriales, d'autre pouvoir que celui de les déférer au tribunal administratif , au terme d'un délai d'attente, sans que ce recours ait de plein droit effet suspensif et qu'ainsi le délégué du Gouvernement ne pourrait plus exercer le contrôle administratif, assurer le respect de la loi et préserver la liberté des citoyens ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 72, alinéa 2 de la Constitution, les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi » ; que l'alinéa 3 du même article précise quen « dans les départements et territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois » ;

3. Considérant que le principe de légalité exige à la fois le respect des attributions du législateur et celui des règles supérieures de droit par lesquelles la Constitution adoptée par le peuple français a proclamé l'indivisibilité de la République, affirmé l'intégrité du territoire et fixé l'organisation des pouvoirs publics ;

4. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 72 de la Constitution que si la loi peut fixer les conditions de la libre administration des collectivités territoriales, c'est sous la réserve qu'elle respecte les prérogatives de l'Etat énoncées à l'article 3 de cet article ; que ces prérogatives ne peuvent être ni restreintes ni privées d'effet, même temporairement ; que l'intervention du législateur est donc subordonnée à la condition que le contrôle administratif prévu par l'article 72, alinéa 3, permette d'assurer le respect des lois et, plus généralement, la sauvegarde des intérêts nationaux auxquels, de surcroît, se rattache l'application des engagements internationaux contractés à cette fin ;

5. Considérant que les articles 3, 46 et 69 de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel prévoient que le représentant de l'Etat défère au tribunal administratif les délibérations, arrêtés, actes et conventions pris ou passées par les autorités communales, départementales et régionales qu'il estime contraires à la légalité ; que ce contrôle vise l'intégralité des objectifs fixés à l'article 72 (alinéa 3) de la Constitution, comme le précisent les articles 34, paragraphe I (alinéa 4), et 79 (alinéa 5) de la loi et comme l'impliquent ses articles 5 (alinéas 1er et 2), 48 (alinéas 1er et 2) et 59 (alinéa 6) ; que, dès lors, en donnant au représentant de l'Etat la faculté de soumettre au contrôle juridictionnel tous les actes dont il s'agit, les articles 3, 46 et 69 de la loi n'ont pas restreint la portée de l'article 72 (alinéa 3) de la Constitution ;

6. Considérant cependant qu'en déclarant ces actes exécutoires de plein droit avant même leur transmission au représentant de l'Etat, c'est-à-dire alors qu'il n'en connaît pas la teneur et n'est donc pas en mesure de saisir la juridiction administrative d'un recours assorti d'une demande éventuelle de sursis à exécution, les articles 2 (alinéa 1er), 45 et 69, paragraphe I (alinéa 1er), de la loi privent l'Etat, fût-ce temporairement, du moyen d'exercer les prérogatives qui lui sont réservées par l'article 72 (alinéa 3) de la Constitution ; qu'il en est de même des dispositions des articles 3 (alinéa 2), 46 (alinéa 2) et 69, paragraphe I (alinéa 3), qui frappent d'irrecevabilité le recours introduit avant l'expiration du préavis de vingt jours auquel est astreint le représentant de l'Etat, alors que, pendant ce délai, l'acte dont il s'agit conserve son caractère exécutoire ; que cette impossibilité temporaire d'agir qui, dans les dispositions précitées de la loi, frappe le représentant de l'Etat, même à l'égard d'un acte manifestement illégal, demeure, en dépit de ses articles 3 (alinéa 5), 46 (alinéa 5) et 69, paragraphe I (alinéa 6), pour tous les cas où la protection du respect des lois ou des intérêts nationaux n'est pas liée à la sauvegarde d'une liberté publique ou individuelle ;

7. Considérant, en conséquence, que les articles 2 (alinéa 1), 3 (alinéas 2 et 5), 45, 46 (alinéas 2 et 5) et 69, paragraphe I (alinéas 1, 3 et 6) de la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel doivent être regardés comme non conformes à la Constitution, pour autant qu'ils font obstacle à ce que le représentant de l'Etat soit en mesure de connaître la teneur des actes visés par eux au moment où ils sont rendus exécutoires et puisse, s'il y a lieu, saisir sans délai la juridiction administrative ;

8. Considérant que ces dispositions sont séparables du reste de la loi, à l'exception des abrogations énoncées aux articles 17, 21 et 58 de dispositions auxquelles étaient substituées celles déclarées non conformes à la Constitution ;

9. Considérant qu'en l'espèce, il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen,

Décide :
ARTICLE 1ER - Sont déclarées non conformes à la Constitution, dans la mesure indiquée dans les motifs de la présent décision, les dispositions des articles 2 (alinéa 1), 3 (alinéas 2 et 5), 45, 46 (alinéas 2 et 5) et 69, paragraphe I (alinéas 1, 3 et 6) de la loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.
ARTICLE 2 - Sont déclarées conformes à la Constitution les autres dispositions de cette loi, à l'exclusion des abrogations énoncées aux articles 17, 21 et 58 de dispositions auxquelles
étaient substituées celles déclarées non conformes à la Constitution.
ARTICLE 3 - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Journal officiel du 3 mars 1982, page 759
Recueil, p. 38
ECLI : FR : CC : 1982 : 82.137.DC

Les abstracts

  • 11. CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET CONTENTIEUX DES NORMES
  • 11.8. SENS ET PORTÉE DE LA DÉCISION
  • 11.8.4. Caractère séparable ou non des dispositions déclarées inconstitutionnelles
  • 11.8.4.3. Inséparabilité des dispositions non conformes à la Constitution et de tout ou partie du reste de la loi
  • 11.8.4.3.2. Inséparabilité d'un article de loi et d'autres articles (exemples)
  • 11.8.4.3.2.3. Cas particulier de l'abrogation de la législation antérieure

L'article 21 de la loi portant réforme du régime juridique de la presse abrogeait l'ordonnance du 26 août 1944 sur l'organisation de la presse française et la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse. Le Conseil constitutionnel ayant déclaré non conforme à la Constitution l'article 11 de la loi qui le remplace a estimé qu'il ne lui appartenait pas de déterminer dans quelle mesure le législateur aurait entendu prononcer de telles abrogations au vu de la déclaration de non-conformité de l'article 11 et qu'ainsi les dispositions de l'article 21 doivent être regardées comme inséparables des dispositions déclarées contraires à la Constitution.

(82-137 DC, 25 février 1982, Journal officiel du 3 mars 1982, page 759)
  • 14. ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE
  • 14.1. PRINCIPES GÉNÉRAUX
  • 14.1.6. Rôle de l'État
  • 14.1.6.1. Contrôle de légalité

En vertu de l'article 72, alinéa 3 de la Constitution, dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. Le principe de légalité exige à la fois le respect des attributions du législateur et celui des règles supérieures de droit par lesquelles la Constitution a proclamé l'indivisibilité de la République, affirmé l'intégrité du territoire et fixé l'organisation des pouvoirs publics. Si la loi peut, en vertu de l'article 72, alinéa 2, de la Constitution, fixer les conditions de la libre administration des collectivités territoriales, c'est sous la réserve qu'elle respecte les prérogatives de l'État énoncées à l'alinéa 3 de l'article 72. Ces prérogatives ne peuvent être ni restreintes ni privées d'effet, même temporairement. L'intervention du législateur est donc subordonnée à la condition que le contrôle administratif prévu à l'article 72, alinéa 3, permette d'assurer le respect des lois et, plus généralement, la sauvegarde des intérêts nationaux auxquels, de surcroît, se rattache l'application des engagements internationaux contractés à cette fin. La loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, qui prévoit que le représentant de l'État défère au tribunal administratif les actes des autorités locales qu'il estime contraires à la légalité, vise l'intégralité des objectifs fixés à l'article 72, alinéa 3. Mais les dispositions de la loi qui rendent ces actes exécutoires de plein droit avant leur transmission au représentant de l'État privent ce dernier temporairement du moyen d'exercer les prérogatives qui lui sont réservées par l'article 72, alinéa 3. Il en est de même des dispositions frappant d'irrecevabilité le recours introduit par le représentant de l'État avant l'expiration du délai de préavis de vingt jours auquel est astreint le représentant de l'État, alors que, pendant ce délai, l'acte conserve son caractère exécutoire.

(82-137 DC, 25 février 1982, cons. 2, 3, 4, 5, 6, 7, Journal officiel du 3 mars 1982, page 759)
À voir aussi sur le site : Saisine par 60 sénateurs, Saisine par 60 députés, Références doctrinales.
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