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Manifestations d'opinion

« Le scrutin est secret » énonce l'article 3 (alinéa 3) de la Constitution.

La règle est reprise par l'article L.59 du code électoral, rendu applicable par l'article 8 du décret du 17 mars 2005 portant organisation du référendum.

Elle tend à protéger la liberté des électeurs.

Ainsi que le rappelle justement la circulaire du 1er août 1969 adressée aux maires par le ministre de l'Intérieur, et alors surtout que le choix ouvert à chaque électeur est binaire pour un référendum (comme au second tour de l'élection présidentielle), le respect de la confidentialité des opérations de vote conduit à l'alternative suivante :

  • soit l'utilisation d'un bulletin reçu à domicile, placé par avance dans une enveloppe afin que nul n'en connaisse ;
  • soit la prise des deux bulletins disposés sur la table de décharge avant de se rendre dans l'isoloir.

Tout autre procédé viole le principe du secret du vote, garantie essentielle de la sincérité de la consultation.

Dans une démocratie adulte comme la France, il ne saurait y avoir d'accommodement possible avec cette règle élémentaire du suffrage universel, l'une des premières que les organisations internationales et non gouvernementales cherchent à acclimater dans les sociétés en voie de transition démocratique.

La dignité du scrutin n'est explicitement prévue par aucun texte, mais elle est, elle aussi, consubstantielle au bon fonctionnement de la démocratie. Aussi le Conseil constitutionnel s'est-il fondé sur une atteinte à la « dignité du scrutin » pour annuler l'ensemble des suffrages d'une commune (Déc. du 8 mai 2002, dispositif de décontamination dans la commune de Villemagne). Il s'agit d'éviter tout ce qui peut tourner le scrutin en dérision. La neutralité des opérations est gage de leur authenticité.

" Le président du bureau de vote a seul la police de l'assemblée " dispose pour sa part l'article R.49 du code électoral, rendu applicable au scrutin des 28 et 29 mai 2005 par l'article 8 du décret du 17 mars 2005 portant organisation du référendum. Il peut à cet effet requérir les autorités civiles et militaires.

Comment ces textes et principes doivent-il être appliqués dans les diverses hypothèses de manifestations d'opinion ?

- pression sur les électeurs (port de vêtement avec « oui » ou « non », ou avec l'effigie d'une personnage politique connu pour son engagement pour le oui ou le non). Les solutions tiennent compte des circonstances de l'espèce et des données locales (12 juillet 1978, AN, Guadeloupe : port de maillots bleu, blanc, rouge avec le nom d'un candidat sans distribution de bulletins au nom du candidat : pas d'annulation / avec distribution de bulletins : annulation ; 9 oct. 1981, AN, Wallis et Futuna : port de maillot à l'effigie d'un candidat par des électeurs à l'intérieur d'un bureau de vote, pas d'annulation).

- atteinte à la dignité du scrutin : port de vêtement avec mention « réquisitionné » ou « pour le maintien du bureau de poste ». La solution dépend là aussi des circonstances et du degré atteint dans la provocation : attitude des membres, intensité de l'ostentation, résistance aux observations éventuelles du délégué...

- manifestations à l'intérieur des bureaux de vote : la solution est plus sévère lorsque ces actes sont le fait de membres du bureau (président : CE, 8 mars 2002, Vairao) ou d'électeurs présents en nombre et pendant une durée conséquente que s'il s'agit d'électeurs isolés ou d'évènements ponctuels (12 juillet 1978, AN, Guadeloupe précité et 9 oct. 1981, AN, Wallis et Futuna précité).

- manifestations à proximité des bureaux de vote : mêmes solutions (CC, 8 mai 2002, dispositif de décontamination « au voisinage immédiat du bureau de vote »).

L'annulation est prononcée si les agissement en cause dépassent une certaine gravité (cf. décisions précitées ; voir aussi : 25 nov. 1997, AN, Polynésie française, 2ème : personnes portant des vêtements aux couleurs du parti du candidat élu se tenant à proximité des bureaux de vote de la commune : pas d'influence suffisante pour modifier le résultat du scrutin) .

Cette gravité est appréciée en fonction :

  • d'éléments intrinsèques aux agissements eux-mêmes : organisateurs des manifestations (élus ou électeurs) ; persistance malgré les protestations d'électeurs, de délégués des formations habilitées ou du Conseil constitutionnel ; nombre et attitude des personnes en cause ; mentions au procès-verbal...
  • d'élément extrinsèques : comparaison des résultats du bureau de vote où se sont produits les actes en cause avec les résultats de bureaux de vote comparables : en l'absence de discordances notables, l'annulation peut être évitée si la manifestation n'a pas revêtu un caractère inacceptable.

En cas d'annulation, la motivation est du type suivant : Considérant que dans la commune de... des manifestations d'opinion ont eu lieu le jour du scrutin (aux abords immédiats OU : à l'intérieur même) des bureaux de vote sous la forme de... ; que ces agissements (rappel éventuel de circonstances d'espèce : organisés par...) (sont incompatibles avec la dignité du scrutin et) ont été de nature à porter atteinte tant au secret du vote qu'à la liberté des électeurs ; qu'il y a lieu d'annuler l'ensemble des suffrages exprimés dans ces bureaux ;

La persistance des manifestations en dépit des observations du délégué du Conseil constitutionnel, alors que le président du bureau de vote peut y mettre fin en vertu de son pouvoir de police, incline à l'annulation. Le Conseil relève souvent cette circonstance dans ses décisions de proclamation de résultats.