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Bilan du second tour de l'élection présidentielle de 2002

Le second tour de l'élection présidentielle de 2002 s'est déroulé le dimanche 5 mai sans incident majeur (en dehors de l'intrusion dans un bureau de vote de la Sarthe de deux individus cagoulés qui ont brisé une bouteille contenant une variété d'acide).

Le jour du scrutin, le Conseil constitutionnel a tenu, comme pour le premier tour, une permanence téléphonique de 8 heures à 22 heures.

Le Conseil a arrêté les résultats du second tour le 8 mai 2002. Ayant rassemblé sur son nom 62 % des inscrits et plus de 82 % des suffrages exprimés, Monsieur Jacques Chirac devient le Président le mieux élu de toute l'histoire de la Vème République. Le nouveau mandat du Chef de l'Etat commence le 17 mai à 0 heure, ainsi que le précise la décision relative à la proclamation.

Cette décision a été communiquée au Chef de l'Etat le jeudi 9 mai en fin de matinée par le Président du Conseil constitutionnel, Monsieur Yves Guéna. Le Président Guéna a procédé à la proclamation officielle des résultats le 9 mai à 17 heures, devant la presse et le représentant de Monsieur Chirac, dans le grand salon du Conseil constitutionnel.

La décision relative à la proclamation des résultats a été publiée au Journal officiel du 10 mai, c'est-à-dire dans les 24 heures de la proclamation officielle, comme le prévoit le deuxième alinéa du III de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel (« Le Conseil constitutionnel (...) proclame les résultats de l'élection qui sont publiés au Journal officiel de la République française dans les vingt-quatre heures de la proclamation. La déclaration de situation patrimoniale du candidat proclamé élu est jointe à cette publication »).

A été publiée au Journal officiel du 10 mai 2002, en même temps que la décision relative à la proclamation, la déclaration de patrimoine de « début de mandat » du Président de la République nouvellement élu.

Cette déclaration avait été remise au Conseil, sous pli scellé, comme celles des quinze autres candidats présents au premier tour, ainsi que le prévoit le quatrième alinéa du I de l'article 3 de la loi précitée du 6 novembre 1962. Le sceau a été rompu le jour de la proclamation. Auparavant (6 avril 2002), la déclaration de patrimoine de « fin de mandat » de Monsieur Jacques Chirac avait fait l'objet d'une publication au Journal officiel comme le veut la loi du 6 novembre 1962. Quant aux déclarations de patrimoine des autres candidats, elles leur seront restituées sans avoir été ouvertes.


Les résultats du second tour sont les suivants :

Électeurs inscrits :41 191 169
Votants :32 832 295
Suffrages exprimés :31 062 988
Majorité absolue :15 531 495
Blancs et nuls * :1 769 307
M. Jacques CHIRAC :25 537 956
M. Jean-Marie LE PEN :5 525 032

* : Y compris les suffrages exprimés dans les sept bureaux de vote ayant fait l'objet d'une annulation globale

Le taux d'abstention s'établit donc à 20,29 % et la proportion des blancs et nuls (par rapport aux votants) à 5,39 %.

La décision du 8 mai 2002 procède à l'annulation des suffrages émis dans sept bureaux de vote, situés dans cinq départements métropolitains :

  1. Au voisinage immédiat du bureau de vote de la commune de Villemagne (Aude), dans lequel 157 suffrages ont été exprimés, le maire de la commune a, d'une part, mis à la disposition des électeurs un dispositif symbolique de « décontamination », d'autre part, suscité un simulacre de vote invitant les électeurs à désigner un candidat ne figurant pas au second tour. Ces initiatives, annoncées et organisées par l'autorité même qui était chargée des opérations électorales dans la commune, sont incompatibles avec la dignité du scrutin et ont été de nature à porter atteinte au secret du vote ainsi qu'à la liberté des électeurs. Dans ces conditions, il y avait lieu d'annuler l'ensemble des suffrages émis dans cette commune.

  2. Dans les bureaux n° 1 de la commune de Furiani et n° 15 de la commune de Bastia (Haute Corse), dans lesquels 957 et 279 suffrages ont été respectivement exprimés, la commission départementale de recensement des votes a relevé des discordances importantes et non justifiées entre, d'une part, le nombre des bulletins déclarés blancs et nuls dans les procès-verbaux retraçant les résultats et, d'autre part, les bulletins blancs et nuls joints à ces mêmes procès-verbaux. En outre, les causes d'annulation de vingt-deux bulletins, dans le bureau n° 1 de la commune de Furiani, et de dix-neuf bulletins, dans le bureau n° 15 de la commune de Bastia, demeurent inexpliquées. Il résulte enfin de l'instruction que les conditions dans lesquelles ces bulletins blancs et nuls ont été annexés aux procès-verbaux ont méconnu les dispositions de l'article L. 66 du code électoral. Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel n'a pas été en mesure d'exercer le contrôle que lui confie la Constitution sur la régularité des opérations de vote. Là encore, il y avait lieu d'annuler l'ensemble des suffrages émis dans les bureaux susmentionnés.

  3. Dans le bureau de vote de la commune de Mettray (Indre-et-Loire), dans lequel 1 230 suffrages ont été exprimés, il n'a pas été procédé au dépouillement des votes dans les formes prévues par l'article L. 65 du code électoral. En l'espèce, cette irrégularité était de nature à entraîner des erreurs et pouvait favoriser des fraudes. Si aucune fraude n'a été alléguée et moins encore établie, pareille méconnaissance délibérée de dispositions destinées à assurer la sincérité du scrutin n'en a pas moins conduit le Conseil à annuler l'ensemble des suffrages émis dans cette commune.

  4. Dans les bureaux de vote n° 3 et 4 de la commune de Mazingarbe (Pas-de-Calais), dans lesquels 817 suffrages ont été exprimés, il n'a pas été procédé au contrôle d'identité des électeurs, en violation des articles L. 62 et R. 60 du code électoral. Cette irrégularité s'est poursuivie en dépit des observations faites à ce sujet par le magistrat délégué du Conseil constitutionnel. Devant cette méconnaissance délibérée et persistante de dispositions destinées à assurer la régularité et la sincérité du scrutin, il y avait lieu d'annuler l'ensemble des suffrages émis dans ces bureaux.

  5. Dans le bureau de vote n° 1 de la commune d'Erstein (Bas-Rhin), dans lequel 1 457 suffrages ont été exprimés, de nombreux électeurs ont été autorisés à voter sans être passés par l'isoloir en violation de l'article L. 60 du code électoral. En outre, il n'a pas été procédé au contrôle d'identité de tous les électeurs, contrairement à ce qu'exige, pour les communes de plus de 5 000 habitants, l'article R. 60 du même code et ce, malgré les observations du délégué du Conseil constitutionnel. Face à cette méconnaissance délibérée et persistante de dispositions destinées à assurer la régularité et la sincérité du scrutin, le Conseil a dû annuler l'ensemble des suffrages émis dans ce bureau.


Beaucoup de remarques, déjà présentées au lendemain du premier tour, peuvent être faites à nouveau pour le second :

  • Des retards anormaux ont été parfois observés dans l'acheminement postal des volets de procuration, ce qui a conduit le Conseil, eu égard à l'afflux des demandes de procurations entre les deux tours, à recommander une attitude libérale, allant jusqu'à admettre les volets transmis par télécopie à la mairie par les officiers de police judiciaire.
  • Une incompréhension a pu être ressentie par les Français inscrits dans un centre de vote à l'étranger lorsqu'il leur a été refusé de prendre part au scrutin présidentiel dans leur commune de rattachement en France. Ce refus est certes régulier, mais mal ressenti. La situation est plus grave lorsque nos compatriotes revenus de l'étranger, mais ne s'étant pas fait radier de leur centre de vote, découvrent qu'ils se trouvent toujours dans l'impossibilité de voter en France pour l'élection présidentielle. La solution à ce problème est sans doute multiple : meilleure information de nos compatriotes ; plus grande diligence des commissions administratives chargées de tenir à jour les listes électorales des centres de vote à l'étranger ; clarification et modernisation de la réglementation ; plus grande latitude donnée au juge d'instance pour statuer en faveur de l'inscription en France (pour toutes les consultations) d'un Français rentré définitivement de l'étranger.
  • Du fait du décalage horaire, la diffusion des résultats de métropole, alors que les opérations électorales n'étaient pas closes localement, a de nouveau provoqué l'irritation de nos compatriotes des Antilles, de Guyane, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Polynésie. Le problème ne peut trouver de solution que dans l'anticipation du scrutin dans ces collectivités. Elle semble être réalisable par simple arrêté ministériel dans les collectivités territoriales françaises d'Amérique, compte tenu de l'habilitation très large généralement donnée aux représentants de l'Etat par le décret de convocation (voir article 3 du décret n° 2002-346 du 13 mai 2002). S'agissant en revanche de la Polynésie française (et de certains pays étrangers), le scrutin devrait s'y dérouler le samedi plutôt que le dimanche, ce qui impose, sinon une révision de l'article 7 de la Constitution, à tout le moins une interprétation constructive de cet article.
  • En dépit de l'information à laquelle a procédé le Conseil constitutionnel avant le premier tour comme entre les deux tours, certaines commissions départementales de recensement persistent à retrancher des voix obtenues par les candidats les quelques suffrages exprimés irrégulièrement mais dont l'imputation ne peut être déterminée (faible écart entre émargements et enveloppes et bulletins trouvés dans l'urne ; vote d'électeurs non inscrits etc.). Ces retranchements outrepassent la compétence des commissions départementales de recensement. En pareil cas, le Conseil rétablit les chiffres figurant aux procès verbaux des communes, sauf à annuler l'ensemble des suffrages émis dans le bureau de vote en cause si l'irrégularité revêt trop d'ampleur.

Un certain nombre de problèmes inédits ont surgi entre les deux tours.

Il en a été ainsi des démarches spontanées prises en faveur d'un candidat ou en défaveur de l'autre par divers milieux professionnels. La nature de certaines d'entre elles n'est pas sans poser problème au regard de diverses dispositions relatives à la propagande électorale ou aux commentaires de la campagne par les services de communication audiovisuels (art. L. 49, L. 52-1, L. 90-1, L. 113-1 du code électoral ; recommandation du CSA du 23 octobre 2001...). La Commission nationale de contrôle a été saisie à cet égard par l'un des deux candidats, qui dénonçait un déséquilibre de ces initiatives en sa défaveur.


En revanche, et en partie grâce aux instructions données à ses délégués –qui ont été relayées par la presse et diffusées sur son site Internet- le Conseil constitutionnel a constaté qu'à de rares exceptions près (ainsi, s'agissant de la dignité de la consultation, pour la commune de Villemagne dans l'Aude), certaines des difficultés qu'il avait pu craindre pour le second tour ont pu être évitées.

Il en est ainsi :

  • de l'exercice effectif du droit de vote par les personnes ayant obtenu du juge d'instance, entre les deux tours, une décision favorable à leur inscription sur la liste électorale ;
  • du respect de la confidentialité des opérations de vote, lequel, aux termes de la circulaire du 1er août 1969 adressée aux maires par le ministre de l'intérieur, conduit à l'alternative suivante : soit l'utilisation d'un bulletin reçu à domicile, soit la prise des deux bulletins disposés sur la table de décharge avant de se rendre dans l'isoloir ;
  • du respect de la dignité de la consultation, du secret du vote et de la liberté du vote, qui s'oppose à toute manifestation ostentatoire de la part d'électeurs désireux d'exprimer publiquement, lors du déroulement même des opérations électorales, le sens qu'ils donnent à leur participation au scrutin.

A été également évitée, grâce aux interventions de la Commission nationale de contrôle et du CSA (recommandation n° 2002-5 du 30 avril 2002) l'annonce prématurée, le soir du scrutin, des résultats de ce dernier.


Un certain nombre d'électeurs ont fait annexer aux procès verbaux de leurs bureaux de vote de véritables recours, souvent fort argumentés, mettant en cause l'ensemble des opérations électorales.

Le Conseil a reconnu la recevabilité de tels recours au regard de l'article 30 du décret n° 2001-219 du 8 mars 2001, mais en tant seulement qu'ils étaient dirigés contre les opérations du second tour. La décision du Conseil désignant les deux candidats du second tour est en effet insusceptible de recours en vertu de l'article 62 de la Constitution et fait obstacle à la remise en cause des résultats du premier tour.

Sans réfuter explicitement les griefs présentés contre l'ensemble des opérations du second tour, le Conseil les a examinés et s'est convaincu qu'ils étaient infondés. La décision mentionne les réclamations en cause et les rejette globalement.

Il en allait ainsi, par exemple, en raison de l'écart des voix entre M. Chirac et M. Le Pen, du recours présenté par un électeur inscrit au 13ème bureau du 1er arrondissement de Lyon qui estimait viciée la sincérité du second tour, du fait du nombre élevé d'agissements tombant, selon lui, sous le coup de l'incrimination définie au III de l'article L. 113-1 du code électoral, aux termes duquel : « Sera puni d'une amende de 25 000 F et d'un emprisonnement d'un an, ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque aura, pour le compte d'un candidat ou d'un candidat tête de liste, sans agir sur sa demande, ou sans avoir recueilli son accord exprès, effectué une dépense de la nature de celles prévues à l'article L. 52-12 ».

Il convient de citer intégralement le passage de la décision qui rejette globalement de telles réclamations, car c'est la première fois qu'il figure dans une décision de proclamation :

« Après avoir examiné, parmi les réclamations portées par les électeurs aux procès-verbaux des opérations de vote, celles mettant en cause les opérations électorales dans leur ensemble, et conclu que les faits exposés, à les supposer établis, n'étaient de nature à porter atteinte ni à la régularité ni à la sincérité du scrutin ».