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Bilan du premier tour de l'élection présidentielle de 2002

Le Conseil constitutionnel exerce, pour l'élection présidentielle, une double fonction :

  • Il est bureau national de recensement des votes. C'est lui (et lui seul) qui arrête les chiffres définitifs pour les quelque 64 000 bureaux et centres de vote.
  • Par ailleurs, il examine les réclamations portées aux procès-verbaux par les électeurs, les observations des commissions départementales de recensement, les rapports de ses délégués (2 000 magistrats) et, le cas échéant (il n'y en a pas eu cette fois) les recours directs des candidats ou des représentants du Gouvernement.

Le décret du 8 mars 2001 fixait une date butoir à l'intervention de la décision « déclarant » les résultats du premier tour : le mercredi suivant le dimanche du scrutin à 20 heures.

En 2002, les opérations incombant au Conseil se sont déroulées sans interruption depuis lundi matin, avec le concours de ses dix rapporteurs-adjoints membres du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes et celui de l'équipe des vérificateurs du ministère de l'intérieur.

La décision qui les parachève a été délibérée le 24 avril 2002 à 15 heures. Le même jour à 17 heures, le Président Guéna tenait une conférence de presse pour rendre publics les résultats du premier tour.

Voici ces résultats, dans l'ordre des voix obtenues :

Inscrits : 41 194 689
Votants : 29 495 733
Abstentions (inscrits - votants) : 11 698 956 Abst. : 28,40 %
Blancs et nuls (votants - exprimés) 997 262
M. CHIRAC Jacques 5 665 855 19,88 %
M. LE PEN Jean-Marie 4 804 713 16,86 %
M. JOSPIN Lionel 4 610 113 16,18 %
M. BAYROU François 1 949 170 6,84 %
Mme LAGUILLER Arlette 1 630 045 5,72 %
M. CHEVENEMENT Jean-Pierre 1 518 528 5,33 %
M. MAMERE Noël 1 495 724 5,25 %
M. BESANCENOT Olivier 1 210 562 4,25 %
M. SAINT-JOSSE Jean 1 204 689 4,23 %
M. MADELIN Alain 1 113 484 3,91 %
M. HUE Robert 960 480 3,37 %
M. MEGRET Bruno 667 026 2,34 %
Mme TAUBIRA Christiane 660 447 2,32 %
Mme LEPAGE Corinne 535 837 1,88 %
Mme BOUTIN Christine 339 112 1,19 %
M. GLUCKSTEIN Daniel 132 686 0,47 %

Jusque là, il était inexact de parler de « résultats officiels » ou de « résultats définitifs ».

À noter aussi que, le dimanche 21 avril, le Conseil a tenu une permanence téléphonique de 8 heures à 22 heures.

Dans l'ensemble, les opérations se sont déroulées de façon satisfaisante et ont donné lieu à un faible nombre de réclamations.

Les délégués du Conseil ont presque toujours été courtoisement accueillis par les bureaux de vote.

Dans deux cas cependant, l'attitude du bureau de vote a été telle qu'elle a conduit le Conseil, après avoir procédé à une instruction complémentaire, à annuler l'ensemble des suffrages émis dans ce bureau et à saisir le procureur de la République. Au-delà des deux espèces, il y a lieu de s'interroger sur l'institution d'un délit d'entrave à l'action des délégués du Conseil constitutionnel.

Diverses rectifications ont été opérées qui ne sont pas développées dans la décision du 24 avril 2002. Elles ont toujours porté sur de petits nombres et leur sommation n'a pas modifié le rang des candidats tel qu'il se dégageait des données brutes fournies par le ministère de l'intérieur dès lundi matin.

En revanche sont motivées dans la décision les quatre annulations de bureaux de vote auxquelles a procédé le Conseil :

  1. Dans le bureau de vote n° 1 de la commune de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône), dans lequel 889 suffrages ont été exprimés, il n'a pas été procédé au contrôle d'identité des électeurs prévu par les articles L. 62 et R. 60 du code électoral. Cette irrégularité s'est poursuivie en dépit des observations faites à ce sujet par le délégué d'un candidat ; devant cette méconnaissance délibérée de dispositions destinées à assurer la régularité et la sincérité du scrutin, l'ensemble des suffrages émis dans ce bureau a été annulé.

  2. Dans le bureau de vote n° 11 de la commune de Saint-Herblain (Loire-Atlantique), dans lequel 633 suffrages ont été exprimés, la commission départementale de recensement a relevé des discordances importantes et inexpliquées entre les chiffres inscrits dans le procès-verbal retraçant les résultats et ceux figurant dans les feuilles de pointage notamment entre le décompte des voix et le total des suffrages obtenus. Le Conseil constitutionnel n'étant pas en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité des votes, il a annulé l'ensemble des résultats dans le bureau susmentionné.

  3. Certains membres du bureau de vote n° 27 du treizième arrondissement de Paris, dans lequel 883 suffrages ont été exprimés, se sont opposés à ce que le magistrat délégué du Conseil constitutionnel, chargé de suivre sur place les opérations électorales, exerce la mission qui lui était impartie. Des pressions ont même été exercées à son encontre. Ces faits constituent une entrave à l'exercice du contrôle du Conseil constitutionnel. Qui plus est, les observations de ce magistrat ont été soustraites du procès-verbal transmis à la commission départementale de recensement. Dans de telles conditions, les suffrages exprimés dans ce bureau de vote ont été annulés.

  4. Dans le bureau de vote n° 1 de la commune du Cannet des Maures (Var), dans lequel 948 suffrages ont été exprimés, il n'a pas été procédé au dépouillement des votes selon les formes prévues par l'article L. 65 du code électoral. Cette irrégularité (qui était, en l'espèce, de nature à favoriser des fraudes) s'est poursuivie en dépit des observations faites à ce sujet par le magistrat délégué du Conseil constitutionnel. Devant cette méconnaissance délibérée et persistante de dispositions destinées à assurer la sincérité du scrutin, le Conseil a annulé l'ensemble des suffrages émis dans ce bureau.

Entre les deux tours de l'élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a été directement destinataire d'un assez grand nombre de recours émanant d'électeurs et tendant à l'annulation de l'ensemble des opérations électorales pour des motifs tirés de ce que la sincérité du vote du 21 avril 2002 aurait été altérée par diverses circonstances (diffusion prématurée outre-mer des résultats de métropole, publication de résultats de sondage d'opinion donnant M. Jospin présent au second tour etc.).

De tels recours sont irrecevables.

S'agissant en effet de l'élection présidentielle, les seules réclamations que peuvent former les électeurs à l'encontre des résultats sont celles portées par eux au procès-verbal du bureau de vote où ils sont inscrits.

Cela résulte clairement des termes de l'article 30 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 (dont les auteurs restent pleinement habilités à fixer de telles règles par la loi référendaire n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel) et qui reprend lui-même les dispositions analogues de l'article 28 de décret n° 64-231 du 14 mars 1964 :

« Tout électeur a le droit de contester la régularité des opérations en faisant porter au procès-verbal des opérations de vote mention de sa réclamation.

Le représentant de l'Etat dans les départements, en Polynésie française, aux îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans un délai de quarante-huit heures suivant la clôture du scrutin, défère directement au Conseil constitutionnel les opérations d'une circonscription de vote dans laquelle les conditions et formes légales ou réglementaires n'ont pas été observées.

Tout candidat peut également, dans le même délai de quarante-huit heures, déférer directement au Conseil constitutionnel l'ensemble des opérations électorales. »

L'irrecevabilité s'opposant à l'examen par le Conseil constitutionnel des recours que lui adressent directement de simples électeurs a été explicitement rappelée par la décision du Conseil constitutionnel du 12 mai 1995 proclamant les résultats de l'élection présidentielle de 1995 :

« Sur des réclamations adressées au Conseil constitutionnel par certains électeurs :

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 28 du décret susvisé du 14 mars 1964 que la faculté de saisir directement le Conseil constitutionnel est réservée aux candidats ainsi qu'au représentant de l'Etat ; qu'un électeur ne peut contester les opérations qu'en faisant porter au procès-verbal des opérations de vote mention de sa réclamation ; qu'il suit de là que les réclamations adressées directement au Conseil constitutionnel ne sont pas recevables. »

On comprend que, pour un scrutin de l'envergure de l'élection présidentielle, dont la préparation constitue pour la collectivité nationale une opération de très grande ampleur, et pour lequel le Conseil constitutionnel doit exercer dans des délais très brefs une double fonction du bureau national centralisateur et de juge des réclamations, il est inévitable que les règles régissant les voies de recours soient très strictes.

On observera cependant que les griefs du type de ceux invoqués par de simples électeurs à l'encontre des résultats globaux du 21 avril 2002 auraient pu être utilement soulevés par des candidats dans les quarante-huit heures suivant la clôture du scrutin du premier tour. Tel n'a pas été le cas.


Le déroulement du scrutin fait ressortir quelques problèmes récurrents :

  • L'exercice du vote par procuration a rencontré quelques difficultés, notamment s'agissant des personnes malades ou infirmes qui ont le droit de faire établir la procuration à leur domicile (R. 22 du code électoral) ;
  • Pour l'élection présidentielle, comme pour un référendum et pour les élections européennes, les Français établis à l'étranger inscrits dans un centre de vote à l'étranger ne peuvent participer au scrutin dans le bureau de vote où ils sont par ailleurs inscrits en France (où ils prennent part au vote, directement ou par procuration, lors des élections locales). Cette conséquence de la loi du 31 janvier 1976 sur le vote des Français de l'étranger à l'élection présidentielle a souvent été méconnue, en dépit du clair rappel de cette règle par le ministre de l'intérieur dans sa circulaire aux maires du 18 février 2002.
  • Il a été constaté que certains sous-traitants de l'Imprimerie nationale ont laissé passer des malfaçons dans le façonnage des bulletins de vote. Ces défauts n'ont heureusement n'a pas eu de conséquences dommageables, car le remplacement a pu être effectué à temps. Mais ils auraient pu en avoir s'ils avaient été interprétés comme des « signes de reconnaissance » par les bureaux de vote.
  • Quelques bureaux de vote ont eu des difficultés à siéger au complet. Le Conseil n'en pas tiré de conséquences en l'espèce, mais il conviendrait de prendre toutes mesures appropriées pour prévenir ou pallier le renouvellement de cette situation au second tour ou lors de scrutins ultérieurs.
  • L'obligation de justifier de son identité dans les communes de plus de 5 000 habitants (R. 60 du code électoral) est parfois méconnue. Elle a entraîné une annulation cette fois-ci lorsque l'irrégularité s'est poursuivie en dépit des remarques du délégué d'un candidat.
  • Une autre obligation est souvent aussi ignorée : celle de n'émarger qu'après avoir voté. L'émargement constate en effet l'accomplissement du vote et lui est donc postérieur (art. L. 62-1 du code électoral).
  • En présence de suffrages irrégulièrement exprimés (irrégularité de la procuration, électeurs radiés ayant participé au vote, Français inscrits dans un centre de vote à l'étranger mais ayant voté en France etc.), mais non attribuables à tel ou tel candidat, certains bureaux de vote et même quelques commissions départementales de recensement ont opéré des retranchements (selon le cas : au candidat arrivé en tête dans le bureau, ou à tous les candidats, ou selon une règle de prorata). De tels retranchements sont arbitraires et, lorsqu'ils sont le fait des commissions départementales de recensement, excèdent les compétences de celles-ci. Lorsque le nombre de tels votes irréguliers est faible et en l'absence de fraude, le Conseil constitutionnel s'en tient aux suffrages effectivement émis dans le bureau. Dans le cas inverse, il annule l'ensemble des suffrages émis dans le bureau. S'agissant d'un scrutin dont la circonscription est nationale, le retranchement n'aurait de sens que dans le cadre d'un raisonnement hypothétique pratiqué au niveau national par le Conseil constitutionnel lui-même. Le 21 avril 2002, en raison de l'amplitude des écarts constatés, le retranchement (ou l'addition) hypothétiques de tous ces suffrages « douteux » n'aurait ni modifié le classement des trois candidats arrivés en tête au plan national, ni fait franchir à tel ou tel des autres le seuil de 5 % des voix exprimées au-delà duquel le remboursement forfaitaire des dépenses de campagne est porté du vingtième à la moitié du plafond.
  • S'agissant de la couverture du scrutin par les moyens audiovisuels, on peut faire les remarques suivantes :
    • Certaines chaînes de télévision ont livré implicitement les résultats du scrutin avant la clôture des opérations. Le CSA s'est à juste titre saisi de cette affaire.
    • Compte tenu du décalage horaire, nos compatriotes de Polynésie, des Antilles, de Guyane, de Saint-Pierre-et-Miquelon et d'une partie des pays étrangers connaissent les résultats de métropole avant même d'avoir voté. Cette situation irritante n'est qu'en partie traitée par l'interdiction faite aux moyens d'information français par l'article L. 52-2 du code électoral de diffuser localement des résultats avant la clôture du dernier bureau de vote en métropole. Restent les médias étrangers, le téléphone et Internet. La meilleure solution serait d'organiser le scrutin le samedi dans ces régions. Mais elle appelle une modification de l'article 7 de la Constitution.
    • Sur ces deux points, la Commission nationale de contrôle a publié le 29 avril 2002 un communiqué caractérisant les manquements constatés à l'article L.52-2 du code électoral et rappelant que la raison d'être de cette disposition était d'équilibrer le droit à l'information avec « l'absolue nécessité de maintenir le respect de la libre expression du suffrage de chaque citoyen à l'écart de toute pression de personnes ou de circonstances ».

Conformément à l'article 7 de la Constitution et aux articles 9, 10 et 29 du décret du 8 mars 2001 :

  • La décision du Conseil déclarant les résultats du premier tour a été publiée au Journal officiel du jeudi 25 avril.
  • Dans les 24 heures suivant la publication des résultats du premier tour, les deux candidats arrivés en tête doivent confirmer au Conseil leur intention de se maintenir ou non au second tour.
  • Le jeudi 25 avril, le Conseil constitutionnel a désigné les deux candidats du second tour, au vu des décisions de maintien de MM Chirac et Le Pen.
  • L'ordre dans lequel les deux noms figurent sur cette liste est, conformément aux pratiques antérieures, celui du nombre des suffrages obtenus au premier tour.
  • La décision désignant les deux candidats du second tour a été publiée au Journal officiel le lendemain, soit le vendredi 26 avril. Cette publication marque le début de la campagne du second tour.
  • Le même jour, après avis de la Commission nationale de contrôle, le Conseil constitutionnel a examiné la grille des émissions de la campagne radiotélévisée officielle du second tour préparée par le CSA.

Les services du Conseil constitutionnel ont été saisis sur le site Internet de celui-ci de questions assez nombreuses émanant de particuliers. Il ne leur est matériellement pas possible de répondre à toutes ces questions. En tout état de cause, ils s'interdisent d'engager la position future du Conseil constitutionnel lui-même, se contentant de rappeler des éléments de texte, de jurisprudence ou de simple fait.

On peut évoquer les trois principales interrogations émises par les « internautes » à la veille ou au lendemain du premier tour :

  1. Le contenu des documents de campagne, qu'ils soient écrits (affiches, déclarations) ou audiovisuels (émissions de la campagne officielle) a parfois suscité émotion ou critiques.

Si la jurisprudence électorale fait obstacle à toute interférence des autorités administratives et juridictionnelles dans le débat électoral proprement dit, le contenu de ces documents, une fois le scrutin clos, peut faire l'objet de recours dès lors qu'il tombe sous le coup des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, par exemple en ce qu'il serait diffamatoire ou inciterait à la violence ou à la haine raciale.

  1. Un certain nombre de personnes pourront bénéficier, entre les deux tours, d'une décision du juge d'instance leur donnant droit à être inscrites sur la liste électorale. Il va de soi, en pareil cas, que la production de cette décision du juge d'instance leur permettra de voter le 5 mai 2002.

  2. Plusieurs électeurs ont cru devoir indiquer au Conseil constitutionnel que, compte tenu des résultats du premier tour, ils regrettaient le choix qu'ils avaient fait. Estimant avoir été abusés par les médias et les instituts de sondages, certains ont même été jusqu'à demander l'annulation des opérations électorales dans leur ensemble, au motif qu'ils auraient fait un choix différent au premier tour si les résultats de celui-ci avaient été correctement « prévus » . Faut-il rappeler que le vote de chacun lui appartient et qu'il est irrévocable ? que les sondages d'opinion ont pour ambition de « photographier » l'état de l'opinion et non de faire des prévisions ? En tout état de cause, le Conseil ne peut exercer que les attributions que lui confèrent la Constitution et ses textes d'application. Il ne saurait donc examiner des réclamations de particuliers, formées au lendemain d'un scrutin présidentiel ou référendaire, et tendant à l'annulation de celui-ci.