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Le contentieux des actes préparatoires à un référendum

En matière de référendum, le Conseil constitutionnel a considéré jusqu'au 25 juillet 2000 que ses pouvoirs consultatifs étaient exclusifs de ses pouvoirs juridictionnels.

Ainsi, dans la décision du 23 décembre 1960 « Le Regroupement national », il avait estimé irrecevable une requête présentée contre l'absence d'inscription d'un parti sur la liste des organisations participant à la campagne référendaire.

Avec quelques nuances, cette décision fut confirmée à l'occasion du référendum sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie (25 octobre 1988, Diémert et Bannel) et, à nouveau, par trois décisions relatives au référendum de 1992 sur le traité de Maastricht (MM. Caldaguès, Lederman et Le Pen).

Dans ces trois décisions, le Conseil constitutionnel jugeait qu'il ne pouvait statuer au contentieux sur les actes préalables au référendum avant la tenue des opérations. Le terme « réclamation », considérait-il, devait être entendu dans le sens que lui donne la législation applicable en matière électorale : « il vise exclusivement les contestations formulées à l'issue du scrutin à l'encontre des opérations effectuées ».

Le Conseil d'Etat avait occupé la zone ainsi laissée « vacante ». A l'exception du décret de convocation des électeurs, dans lequel il voyait un acte de Gouvernement, le Conseil d'Etat acceptait en effet de statuer sur les actes d'organisation de la campagne.

Cette jurisprudence a connu plusieurs cas d'application. Pour s'en tenir au référendum de 1992, on citera deux décisions du 10 septembre 1992 (Meyet et Galland).

Cette distribution des rôles a suscité interrogations ou réserves de la part d'une partie de la doctrine (Cf. note O. Schrameck sur l'élection présidentielle de 1995, AJDA, 20 janvier 1996, p. 13), notamment parce que contraire à celle esquissée par le Conseil constitutionnel pour l'élection présidentielle (Durand, 6 avril 1995), alors que le texte qui définit les attributions du Conseil constitutionnel, s'agissant des actes préparatoires, est le même dans l'un et l'autre cas (art. 46 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958).

Elle se trouve substantiellement modifiée par les décisions « Hauchemaille » (25 juillet, 23 août et 6 septembre 2000), « Larrouturou » du 23 août 2000, « Pasqua » du 6 septembre 2000 et « Meyet » du 11 septembre 2000 (voir notes JE Schoettl aux « Petites affiches » des 1er août, 29 août, 13 septembre et 21 septembre 2000).

La compétence juridictionnelle exceptionnelle du Conseil constitutionnel comprend désormais les décrets relatifs à la convocation et à l'organisation du référendum. Il en résulte un retrait corrélatif de la compétence du juge administratif. Cette nouvelle répartition de compétences entre les deux ailes du Palais-Royal a été ratifiée par le Conseil d'Etat (Mégret, Meyet et autres, Assemblée, 1er septembre 2000, conclusions H. Savoie).

Quels sont les fondements et les suites du revirement de jurisprudence opéré le 25 juillet 2000 ?

1. Fondements de la jurisprudence Hauchemaille

Le fondement essentiel de la jurisprudence Hauchemaille tient à une observation toute pratique : compte tenu du faible délai qui s'écoule entre l'intervention des décrets propres à un référendum déterminé, lesquels conditionnent la régularité d'ensemble des opérations référendaires, et le scrutin, le contrôle de constitutionnalité et de légalité n'a de sens qu'a priori.

Ainsi, dans le cas du référendum sur le quinquennat, une annulation prononcée le 1er septembre 2000 (date à laquelle le Conseil d'Etat s'est prononcé sur les requêtes Mégret, Meyet et autres) eût obligé à différer le scrutin prévu pour le 24 septembre.

Mais, précisément, la Constitution (art. 60) et l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 (art. 46) instituent un contrôle a priori des actes préparatoires à un référendum et le confient au Conseil constitutionnel.

Même si ces textes ne prévoient pas un avis conforme du Conseil constitutionnel, cet avis est, de facto, un avis conforme.

Aussi, en pratique, le Conseil est-il coauteur de ces décrets. Leur élaboration fait d'ailleurs l'objet de « navettes » entre le Gouvernement et la rue Montpensier.

S'agissant donc des décrets de convocation et d'organisation d'un référendum déterminé, il n'y a en vérité, avant le scrutin, de contrôle juridictionnel possible qu'à titre exceptionnel et pour un seul motif : éviter que le Gouvernement ne fasse fi de la position du Conseil constitutionnel et ne s'émancipe du contrôle a priori :

  • Soit en maintenant des dispositions écartées par le Conseil constitutionnel, lors de sa consultation, comme non conformes à la Constitution ou à la loi ;
  • Soit en introduisant des dispositions non soumises préalablement au Conseil constitutionnel.

Or , compte tenu de son objet (vérifier que l'avis du Conseil constitutionnel a bien été suivi, du moins lorsqu'il s'est prononcé en droit), ce contrôle juridictionnel ne peut être que le fait du Conseil constitutionnel lui-même. Le Conseil d'Etat ne disposerait pas des données nécessaires pour opérer une telle vérification puisque l'avis du Conseil constitutionnel est secret.

Nous nous trouvons ici dans un cas , heureusement exceptionnel dans un Etat de droit, où le même collège est appelé à se prononcer à titre consultatif et juridictionnel sur le même acte. Mais c'est par la force des choses.

Le même raisonnement ne vaut pas :

  • Pour les actes préparatoires qui ne conditionnent pas la régularité d'ensemble des opérations électorales (désignation par le Premier ministre des partis habilités à participer à la campagne, arrêté de répartition des temps d'antenne de la campagne radiotélévisée officielle, délibérations du Conseil supérieur de l'audiovisuel relatives au référendum, circulaires ministérielles et préfectorales') car leur annulation par le juge naturel des actes administratifs ne compromet pas la tenue du scrutin (il est encore temps de « corriger le tir ») et que, pour cette raison, le Conseil constitutionnel rend sur eux un avis qui n'a pas la valeur d'une garantie absolue ;
  • Pour les actes de portée permanente (par exemple le décret pénal n° 2000-731 du 1er août 2000), car n'ayant pas été adoptés spécialement en vue du scrutin à venir et généralement entrés dans l'ordre juridique depuis un temps appréciable, ils n'ont pas à recevoir une garantie de bonne fin particulière du Conseil constitutionnel.

Seuls sont donc soustraits à la compétence naturelle du Conseil d'Etat les décrets spécifiques à un référendum donné et qui en conditionnent la régularité d'ensemble.

Ils le sont pour la raison déjà énoncée : le Conseil constitutionnel les a « garantis » en amont et définitivement. La seule justification d'un contrôle juridictionnel préalable au scrutin est de vérifier que le pouvoir exécutif n'a pas été infidèle au Conseil constitutionnel. Mais, cela, seul ce Conseil peut le faire.

À cette raison principale on peut en ajouter cinq autres, plus secondaires :

Il ne serait pas conforme à l'équilibre des institutions voulu par la Constitution que le Conseil d'Etat soit dans la position de censurer un décret dont le Conseil constitutionnel est le coauteur ;

Si le Conseil d'Etat connaît des actes préparatoires au référendum c'est en quelque sorte par dérogation à l'article 60 de la Constitution, aux termes duquel : « Le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum' », ce qui pourrait être interprété comme lui attribuant compétence pleine et exclusive sur toutes les mesures concourant au scrutin ;

En tout état de cause, le Conseil constitutionnel peut, au lendemain du scrutin, statuer sur des réclamations mettant en cause, par voie d'exception, la légalité des actes préparatoires (cf art. 50 de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958). En statuant préventivement, le Conseil constitutionnel exerce donc par anticipation une compétence qui lui est constitutionnellement dévolue ;

La jurisprudence Hauchemaille-Pasqua-Larrouturou est un a fortiori par rapport à la jurisprudence Delmas du 11 juin 1981 relative aux élections législatives. Dans ce dernier cas, en effet, la rue Montpensier n'est pas saisie à titre consultatif des actes préparatoires et ne décerne donc aucun « label de légalité ». Par ailleurs, le Conseil d'Etat s'étant reconnu compétent depuis 1993 (Parti des travailleurs), l'intervention de son voisin ne vise plus à prévenir un déni de justice ;

Si, comme l'a souhaité le Conseil constitutionnel dans ses observations sur le référendum du 24 septembre 2000, les règles d'organisation du référendum étaient fixées non plus « au coup par coup » mais de manière permanente, elles seraient pour l'essentiel de nature législative et leur contentieux lui incomberait naturellement.

2. Suites de la jurisprudence Hauchemaille

a. Compétence du Conseil constitutionnel pour statuer sur des actes de Gouvernement

Le Conseil constitutionnel a statué sur le décret de convocation du 12 juillet 2000, dans lequel le Conseil aurait vu un acte de Gouvernement et pour lequel il aurait décliné sa compétence (29 avril 1970, comité des chômeurs de la Marne).

Il s'agit là non d'un transfert de compétence juridictionnelle d'une aile à l'autre du Palais Royal, mais de l'apparition d'une voie de recours là où il n'en existait aucune. Il y a progrès de l'Etat de droit. Les commentateurs ne s'y sont pas trompés (cf articles de Bernard Malignier au jurisclasseur administratif d'octobre 2000 et de Richard Ghevontian au numéro d'octobre 2000 de la RFDA).

Même s'il n'a eu à répondre en l'espèce qu'à des moyens classiques de légalité (absence de contreseing de certains ministres), le Conseil constitutionnel s'est reconnu ipso facto compétent pour statuer sur des moyens beaucoup plus délicats tirés de la méconnaissance de l'article 89 de la Constitution (par exemple du moyen tiré de ce que le texte soumis au référendum n'a pas été voté par le Parlement selon une procédure régulière ou même qu'il porte atteinte à la forme républicaine du Gouvernement).

Le Conseil constitutionnel pourrait-il se reconnaître semblablement compétent sur d'autres actes de Gouvernement ?

On a tout lieu de le penser pour le décret de convocation d'un référendum de l'article 11.

C'est beaucoup moins probable mais possible pour un décret de dissolution : on pourrait soutenir à cet égard que celui-ci constitue une mesure préalable à une élection législative, dont le contentieux appartient au Conseil constitutionnel. Mais celui-ci n'en a pas jugé ainsi en 1997 (Abraham, 10 juillet 1997).

En tout état de cause, le Conseil constitutionnel ne pourrait se prononcer sur tout acte de Gouvernement. Il faudrait que le lien entre cet acte et une des attributions que lui confie explicitement la Constitution soit suffisamment fort. Et, en pareille hypothèse, les normes de contrôle devraient avoir un ancrage constitutionnel incontestable.

b. Partage des rôles entre les deux ailes du Palais Royal

Ce partage a été redessiné à la suite d'un « dialogue des juges » conclusif et fécond.

En matière référendaire, la division des tâches est désormais claire et elle ne comprend ni lacune, ni chevauchement.

Elle est de plus opportune puisque :

  • S'agissant des principaux actes préparatoires, elle conforte la sécurité juridique des opérations électorales et prévient toute divergence entre les deux Conseils ;
  • S'agissant des autres actes, elle « laisse la main » au juge de l'excès de pouvoir, beaucoup mieux armé pour statuer sur des requêtes émanant de particuliers et qui agit dans un cadre juridictionnel clair et balisé : le recours pour excès de pouvoir.

Contrairement à ce qu'indiquent certains commentateurs, la compétence du Conseil d'Etat ne s'est pas ainsi réduite comme une peau de chagrin. Comme le montrent les déconvenues de la récente élection présidentielle américaine, beaucoup de mesures préparatoires (qui, en France, ne relèveraient pas du décret, par exemple la conception du matériel électoral) peuvent en effet jouer un rôle décisif dans le déroulement d'un scrutin.

Ce partage des rôles en matière référendaire paraît transposable aux actes préparatoires à l'élection présidentielle, puisque la loi organique du 6 novembre 1962 sur l'élection du Président de la République au suffrage universel renvoie aux articles 46 et suivants de l'ordonnance organique du 7 novembre 1958 pour ce qui est des pouvoirs du Conseil constitutionnel.

En revanche, il n'est pas certain que la redistribution des rôles soit achevée pour le contentieux des actes préparatoires aux élections législatives.

Les difficultés qui pourraient subsister dans la répartition des compétences en matière référendaire disparaîtraient complètement si, comme l'a souhaité le Conseil constitutionnel dans ses observations du 28 septembre 2000, les règles d'organisation des référendums étaient fixées par des textes de portée permanente.

Ceux-ci existant pour l'élection présidentielle (loi organique du 6 novembre 1962 et décret du 14 mars 1964), il ne devrait pas y avoir de conflit de compétence juridictionnelle à l'avenir s'agissant de cette élection.

Dernière remarque : si le contrôle juridictionnel des décrets référendaires par le Conseil constitutionnel a, comme on l'a dit, pour portée essentielle de vérifier que son avis (non public) a été suivi par le pouvoir exécutif, il a également comme intérêt de dévoiler les motifs pour lesquels il admet telle ou telle règle d'organisation contestée (ainsi, en 2000, des conditions de participation des partis politiques à la campagne).

c. Restent quelques motifs d'insatisfaction

La nouvelle jurisprudence s'est formée non sans quelques hésitations.

Pour fonder la compétence juridictionnelle exceptionnelle du Conseil constitutionnel, la première décision Hauchemaille faisait référence à la nature des griefs cumulativement avec celle de l'acte attaqué. Le critère tiré de la nature des griefs a été à juste titre abandonné dans les décisions suivantes.

Par ailleurs, dans la deuxième décision Hauchemaille, le Conseil constitutionnel n'a pas estimé devoir s'astreindre à la discipline du juge de l'excès de pouvoir consistant à analyser tous les moyens de la requête (requête, il est vrai, fantaisiste et foisonnante). Dans ses décisions ultérieures (troisième décision Hauchemaille par exemple), il s'est en revanche plié scrupuleusement à cette discipline.

En outre, il n'est pas certain qu'une motivation inspirée du précédent Delmas du 11 juin 1981 soit la meilleure façon de fonder la compétence juridictionnelle du Conseil constitutionnel.

Le considérant central de cette motivation est, rappelons-le, le suivant : « Considérant, cependant, qu'en vertu de la mission générale de contrôle de la régularité des opérations référendaires qui lui est conférée par l'article 60 de la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de statuer sur les requêtes mettant en cause la régularité d'opérations à venir dans les cas où l'irrecevabilité qui serait opposée à ces requêtes risquerait de compromettre gravement l'efficacité de son contrôle des opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics' ».

Cette motivation suggère un « cas de force majeure juridique » (Vedel) obligeant les neuf sages à intervenir pour éviter un déni de justice. Or ce risque n'existait pas à l'été 2000, puisque le Conseil d'Etat s'était reconnu compétent depuis 1961 (Le Regroupement national).

La vérité se trouve plutôt dans le rôle consultatif du Conseil constitutionnel qui conduit celui-ci à donner un aval juridique sur les décrets de convocation et d'organisation.

Dans l'intérêt général qui s'attache à ce que les opérations électorales se déroulent sans heurt majeur, cet aval doit constituer, pour les pouvoirs publics comme pour les acteurs de la vie politique et pour les citoyens, une garantie ferme et définitive.

Enfin, et surtout, en se faisant juge de la légalité d'actes administratifs, le Conseil constitutionnel a été conduit à mettre en oeuvre une procédure sui generis qui, sans être celle du recours pour excès de pouvoir, s'en inspire dans une large mesure. La « vraie nature » de ce recours reste en partie à élucider et ses règles à préciser.