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Colloque sur la question de constitutionnalité

Jean-Louis DEBRÉ - Formation « Droit constitutionnel et question de constitutionnalité » avec les Avocats à la cour, 19 juin 2009


Monsieur le Président (du Conseil national des barreaux), Messieurs les Bâtonniers,

Mesdames et Messieurs, Chers amis,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir au Conseil constitutionnel aujourd'hui. C'est la première fois que nous organisons ainsi une journée de travail avec les avocats à la Cour. Cette première s'inscrit, bien sûr, dans la perspective de l'entrée en vigueur prochaine de la question de constitutionnalité. Elle fait aussi suite à l'ouverture de cette maison à votre profession. Je vais y revenir.

Vous savez que le Conseil constitutionnel a récemment fêté son cinquantième anniversaire. Cet événement a permis de mesurer tout le chemin parcouru depuis sa création en 1958.

- Alors qu'il n'avait à l'origine que deux missions précisément définies (juge des élections parlementaires et gardien de la séparation entre le domaine de la loi et celui du règlement), le Conseil a d'abord, en 1971, élargi le champ de son contrôle en intégrant dans le bloc de

constitutionnalité la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946. Depuis 2005, le constituant a ajouté à ce bloc la Charte de l'environnement. Le Conseil est ainsi devenu, non plus seulement le gardien de la procédure constitutionnelle, mais le protecteur des droits fondamentaux.

- Ensuite, depuis la réforme constitutionnelle de 1974, le Conseil constitutionnel peut être saisi par l'opposition parlementaire avant la promulgation d'une loi définitivement adoptée. Il s'agit là d'un contrôle efficace puisque la loi qui porte atteinte aux droits fondamentaux disparaît avant d'être appliquée.

Cette évolution a permis une constitutionnalisation croissante des droits et libertés des citoyens. Pour ne donner qu'un exemple très récent, l'examen de la loi HADOPI nous a permis de juger, le 10 juin dernier, que la liberté de communication et d'expression, énoncée à l'article 11 de la Déclaration de 1789, implique aujourd'hui la liberté d'accéder à Internet. Il ne peut donc revenir qu'au juge de restreindre l'exercice, par toute personne, de son droit de s'exprimer et de communiquer librement par la voie d'Internet.

Aujourd'hui, la loi a donc cessé d'être toute-puissante : elle n'est l'expression de la volonté générale que dans le respect de la Constitution. Toutefois, la saisine du Conseil constitutionnel reste

facultative pour les lois ordinaires. Or il arrive que, parfois pour des raisons d'opportunité politique, les acteurs politiques décident de ne pas saisir le Conseil. Par ailleurs les lois antérieures à 1958 n'ont par définition jamais été soumises au Conseil. Il se peut donc que subsiste, dans l'ordre juridique, des lois promulguées qui portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution sans que les citoyens puissent faire trouver un juge pour constater cette atteinte.

La France était ainsi devenue un des derniers pays d'Europe à ne pas permettre au justiciable de saisir, directement ou indirectement, le juge constitutionnel pour faire respecter ses droits fondamentaux.

Le constituant a voulu faire évoluer cette situation en remettant la Constitution au sommet de l'ordre juridique. Par la révision du 23 juillet 2008, il a créé, avec l'article 61-1 de la Constitution, la question préalable de constitutionnalité. Il a ainsi ouvert aux justiciables un droit nouveau, en permettant que le Conseil constitutionnel puisse être saisi, à l'occasion des procès intentés devant les juridictions administratives et judiciaires, s'ils estiment qu'une disposition législative promulguée porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

La mise en œuvre de ce nouveau mécanisme de contrôle de constitutionnalité par la voie de l'exception nécessite une loi organique, afin d'en déterminer les conditions d'application. Le texte,

qui a été délibéré en conseil des ministres et qui sera, je l'espère, adopté par le Parlement cette année, garantit un large accès à ce mécanisme tout en évitant qu'il ne puisse être utilisé à des fins dilatoires.

La question de constitutionnalité pourra être soulevée au cours de toute instance, devant toute juridiction relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, y compris pour la première fois en appel ou en cassation.

La juridiction saisie du litige procédera à un premier examen, destiné à vérifier que l'argumentation présente un minimum de consistance, avant de renvoyer la question de constitutionnalité à la juridiction suprême dont elle relève. Si elle est saisie de moyens contestant la conformité de la disposition à la Constitution et aux engagements internationaux de la France, elle devra examiner en premier la question de constitutionnalité.

Le Conseil d'État ou la Cour de cassation saisira le Conseil constitutionnel de la question de constitutionnalité si la disposition contestée soulève une question nouvelle ou présente une difficulté sérieuse.

Si le Conseil constitutionnel juge que la disposition législative porte effectivement atteinte aux droits et libertés, il prononcera son

abrogation et cette disposition disparaîtra de l'ordonnancement juridique. La décision aura alors un effet erga omnes.

Il s'agit là d'une avancée majeure pour la protection des droits et libertés et d'un important progrès de l'État de droit. Cette avancée impliquera de faire toute leur place aux avocats dans la procédure devant le Conseil constitutionnel.

Vous savez que nous avons déjà beaucoup innové en la matière, depuis deux ans, dans le contentieux électoral. Ainsi, lorsque les parties le sollicitent, nous organisons désormais, le cas échéant, une audition de celles-ci avec leurs avocats. Nous l'avons fait en 2007 et en 2008 dans plusieurs contentieux délicats qui ont pu donner lieu à l'annulation des résultats des scrutins. Ces plaidoiries nous ont été très utiles. Je peux même dire qu'elles ont, dans certains cas, été décisives pour emporter notre décision d'annulation ou de rejet. Parmi nos innovations, j'indique également que le rôle de ces séances électorales du Conseil est désormais systématiquement rendu public sur notre site Internet 48 heures avant les séances.

Demain, dans ce cadre de la question de constitutionnalité, nous reprendrons ces innovations. Bien sûr les avocats viendront plaider leurs affaires dans une audience publique. Les parties choisiront librement l'avocat de leur choix, au Conseil ou à la Cour. Mais seuls les avocats auront accès à notre barre. Nous sommes d'ailleurs en train

de leur aménager, non pas une bibliothèque comme au Palais, mais une salle de réunion qui leur sera propre. Nous aménageons également une salle pour le public.

Mesdames et Messieurs,

Vous le voyez le Conseil constitutionnel est en mouvement, ceci afin d'assurer sa fonction de garant des droits et libertés dans notre pays. Le Conseil est votre maison. Vous y êtes les bienvenus. J'espère que cette journée va vous permettre de mieux nous connaître pour mieux exercer demain votre rôle. Merci de votre attention.