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La primauté du droit communautaire : une révision tacite de la Constitution italienne

Ricardo GUASTINI - Professeur à l'Université de Gênes

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 9 (Dossier : Souveraineté de l’Etat et hiérarchie des normes) - février 2001

(1)


La Constitution italienne est essentiellement (et tacitement) « dualiste ». Elle prévoit, en son article 10, alinéa 1er, que l'ordonnancement juridique italien s'adapte automatiquement au droit international général, c'est-à-dire coutumier. En revanche, elle ne prévoit aucun automatisme pour l'adaptation au droit international conventionnel. Par voie de conséquence, les traités internationaux ne peuvent être introduits dans l'ordonnancement juridique interne que par le biais d'actes internes (lois ou règlements) qui en ordonnent l'exécution.

Naturellement, une loi est nécessaire chaque fois que l'exécution d'un traité exige la dérogation ou l'abrogation de lois antérieures. Et naturellement tout traité acquiert, dans l'ordonnancement juridique interne, la « force » - c'est-à-dire la place dans la hiérarchie des sources - de l'acte qui en a ordonné l'exécution. Dans l'ordonnancement juridique italien, les traités n' ont pas « une autorité supérieure à celle des lois » (comme dans l'ordre juridique français : art. 55, Const. de 1958).

Les traités communautaires ont été introduits dans l'ordonnancement juridique italien par le biais d'autant de lois d'exécution : des lois ordinaires, il faut le préciser. À la lumière de l'article 11 de la Constitution, aux termes duquel la République consent aux « limitations de souveraineté nécessaires à un ordonnancement qui assure la paix et la justice entre les nations », on n'a pas estimé nécessaire de procéder à une révision constitutionnelle ; on n'a pas non plus pensé donner exécution aux traités communautaires par le biais de lois formellement constitutionnelles (au sens de l'art. 138 de la Constitution, qui régit la procédure de formation des lois de révision constitutionnelle et des « autres lois constitutionnelles »).

Néanmoins, il est indéniable que l'article 189, alinéa 2, du traité CE(2) (comme les dispositions analogues des autres traités communautaires) - en conférant « force obligatoire » et « applicabilité directe » aux règlements communautaires dans chaque État membre (3) - a une incidence profonde sur le cadre constitutionnel (interne) des pouvoirs normatifs et des sources du droit (comme l'a reconnu la Cour constitutionnelle italienne, dès son arrêt n° 98 de 1965). En d'autres termes, même si la loi d'exécution du traité CE met en oeuvre l'article 11 de la Constitution, elle déroge, néanmoins, également à de nombreuses autres normes constitutionnelles. La question est alors de savoir si l'article 11 de la Constitution suffit, à lui seul, à justifier de telles dérogations.

Dans cette étude, il sera défendu la thèse selon laquelle la loi ordinaire d'exécution du traité CE est - malgré l'article 11 de la Constitution - inconstitutionnelle, et, partant, l'exécution de ce traité aurait dû nécessiter une loi de révision constitutionnelle. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne en matière communautaire, qui justifie (à la lumière de l'art. 11, Const.) la primauté du droit communautaire même en l'absence de révision constitutionnelle, est privée de fondement et constitue une sorte de révision tacite de la Constitution en vigueur.

I. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle en matière communautaire

Les orientations de la Cour constitutionnelle italienne en matière communautaire peuvent être synthétisées de la manière suivante.

1) Limitations de souveraineté

Dès la première décision qu'elle a rendue en matière communautaire (Cour const., n° 14 de 1964), la Cour constitutionnelle a reconnu sans difficultés que les traités communautaires comportent une limitation de souveraineté et, plus précisément, un transfert partiel aux organes communautaires de la fonction législative du Parlement (Cour const., n° 183 de 1973), ainsi qu'une limitation de l'autonomie constitutionnellement garantie aux organes législatifs régionaux (Cour const., no 120 de 1969 et 182 de 1976).

Toutefois, selon l'interprétation de la Cour, non seulement l'article 11 de la Constitution autorise l'État à consentir à des limitations de souveraineté, mais permet également que de telles limitations soient opérées par la loi ordinaire (Cour const., n° 14 de 1964, n° 183 de 1973, n° 170 de 1984, etc.). Selon le raisonnement développé par la Cour, si une loi constitutionnelle était nécessaire pour consentir à des limitations de souveraineté, l'article 11 de la Constitution serait inutile ou redondant (Cour const., n° 183 de 1973). Par conséquent, sous cet angle, les lois d'exécution des traités ne soulèvent pas de problèmes de constitutionnalité. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour est constante : on ne relève aucun revirement.

2) Limites et « contre-limites »

L'article 11 de la Constitution autorise des « limitations de souveraineté » sans autres précisions, mais cela ne signifie pas qu'il autorise n'importe quelle limitation de la souveraineté. Le transfert à la Communauté européenne de pouvoirs souverains n'implique pas une privation radicale d'efficacité de la « volonté souveraine des organes législatifs des États membres » (Cour const., n° 232 de 1975). Se pose, donc, le problème de savoir quelles limitations sont permises et quelles limitations sont interdites, ou, en d'autres termes, dans quelles limites les limitations de souveraineté sont acceptables. Dans le langage de la doctrine italienne, ces limites sont appelées des « contre-limites ».

Dans les années soixante (Cour const., n° 98 de 1965), la Cour estimait que les lois d'exécution des traités étaient, comme toute autre loi ordinaire, suceptibles d'être soumises au contrôle de constitutionnalité et pouvaient, donc, être déclarées inconstitutionnelles en cas de contrariété avec toute norme constitutionnelle. Par conséquent, selon cette jurisprudence, les limitations de souveraineté rencontraient, à leur tour, une limite dans la Constitution (la Constitution dans toutes ses dispositions) : les limitations de souveraineté ne pouvaient pas aller jusqu'à porter atteinte aux normes constitutionnelles.

En revanche, la jurisprudence plus récente exclut que les lois d'exécution puissent être déclarées inconstitutionnelles, comme toute autre loi ordinaire, en raison de l'atteinte portée à n'importe quelle norme constitutionnelle. L'opinion, désormais consolidée, de la Cour est que, au contraire, ces lois peuvent déroger aux normes constitutionnelles (Cour const., n° 182 de 1976) et peuvent être déclarées inconstitutionnelles seulement si elles portent atteinte aux principes constitutionnels suprêmes et aux droits inviolables de la personne (Cour const., n° 183 de 1973, n° 170 de 1984, n° 168 de 1991 et n° 93 de 1997).

En d'autres termes, les limitations de souveraineté ne rencontrent d'autre limite que celle des principes suprêmes et des droits inviolables. Dès lors les lois d'exécution des traités peuvent déroger à toutes les autres normes constitutionnelles (c'est-à-dire les normes qui n'établissent pas de principes suprêmes et qui ne confèrent pas de droits inviolables).

Cela revient à dire que les lois d'exécution des traités sont équivalentes (sinon supérieures) à la Constitution ou, au moins, à une partie de la Constitution. En somme, les lois d'exécution des traités, tout en étant des lois ordinaires, ont la même « force » que les lois de révision constitutionnelle (ces dernières, en effet, ne peuvent pas non plus aller jusqu'à modifier les principes suprêmes et/ou les normes qui confèrent des droits inviolables : Cour const., n° 1146 de 1988). Nous sommes, donc, en présence d'un phénomène surprenant, celui d'une révision constitutionnelle réalisée par la loi ordinaire, et ce malgré l'article 138 de la Constitution, qui exige, pour la révision constitutionnelle, une procédure « aggravée ».

3) Les lois d'exécution dans la hiérarchie des sources

Dans les années soixante (Cour const., n° 14 de 1964), la Cour constitutionnelle considérait que des lois ordinaires postérieures pouvaient légitimement abroger des lois d'exécution des traités ou y déroger, et ce conformément au principe lex posterior priori derogat (art. 15 des dispositions préliminaires du code civil). Cette manière de voir supposait que les lois en question ne jouissaient d'aucun statut privilégié dans la hiérarchie des sources.

Plus récemment (Cour const., n° 232 de 1975 et n° 170 de 1984), la Cour a changé d'avis. Désormais, selon la Haute instance, les limitations de souveraineté posées par les lois ordinaires d'exécution des traités ne peuvent être remises en cause par des lois ordinaires postérieures : une loi ordinaire qui prétendrait abroger (ou déroger à) des lois d'exécution des traités serait jugée inconstitutionnelle pour violation de l'article 11 de la Constitution.

Cette manière de voir suppose que l'article 11 de la Constitution confère aux lois d'exécution des traités une « force » - semi-constitutionnelle - supérieure à celle de toute autre loi ordinaire, en sorte que la violation de ces lois constituent une violation indirecte de l'article 11 de la Constitution. Dans le langage de la doctrine italienne, les lois d'exécution des traités se présentent, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité, comme des « normes interposées ».

4) Droit communautaire dérivé et lois internes

Dans les années soixante (Cour const., n° 14 de 1964), comme nous l'avons vu, la Cour constitutionnelle estimait que les lois (postérieures) pouvaient déroger aux lois d'exécution des traités, selon les principes traditionnels qui régissent la succession des lois dans le temps. Il faut ainsi considérer, à plus forte raison, que des lois ordinaires postérieures pouvaient également déroger aux règlements communautaires : et ce de la même manière que les règlements de l'Exécutif, qui, précisément comme les règlements communautaires, trouvent leur fondement dans la loi et, partant, constituent des sources subordonnées à la loi.

À partir d'une décision des années soixante-dix (Cour const., n° 183 de 1973), la Cour affirme, toutefois, que les règlements communautaires ont, dans l'ordonnancement juridique interne, « force et valeur de loi » : ils doivent alors avoir plein effet et recevoir une application uniforme sans qu'il soit nécessaire d'adopter des lois de réception.

La Cour précise, cependant, que le droit communautaire et le droit interne de chaque État membre sont des « systèmes juridiques autonomes et distincts, quoique coordonnés ». Il en découle que les règlements communautaires ne sont, en aucune manière, soumis au régime constitutionnel réservé, en droit interne, aux lois : en particulier, ils ne peuvent être soumis ni à référendum populaire abrogatif (art. 75, Const.) ni au contrôle de constitutionnalité (art. 134, Const.). La Cour ajoute même que les règlements communautaires ne peuvent pas non plus être reproduits par des lois, puisque cela pourrait en conditionner ou en différer l'efficacité (Cour const., n° 183 de 1973, n° 180 de 1974 et n° 232 de 1985).

Mais, si les règlements communautaires ont « force de loi », comment faut-il résoudre les éventuelles antinomies entre règlements communautaires et lois nationales (antérieures et postérieures)?

Dans les années soixante-dix (Cour const., n° 232 de 1975, n° 182 de 1976 et n° 163 de 1977), la Cour constitutionnelle estimait : (a) que les lois antérieures incompatibles avec les règlements communautaires étaient abrogées ; (b) que les lois postérieures incompatibles avec les règlements communautaires étaient inconstitutionnelles pour violation (directe) des traités - ou, mieux, des lois d'exécution des traités - et pour violation par voie de conséquence (indirecte) de l'article 11 de la Constitution.

À partir des années quatre-vingt (Cour const., n° 170 de 1984, n° 399 de 1987, etc.), la Cour a développé, de manière cohérente, la thèse selon laquelle l'ordonnancement communautaire et l'ordonnancement interne sont des ordonnancements distincts et séparés, bien que coordonnés, et elle en a tiré la conséquence qu'ils ne pouvaient y avoir des phénomènes d'abrogation ou d'annulation (pour invalidité) entre normes appartenant à des ordonnancements différents. Les normes communautaires, parce qu'« elles restent extérieures au système des sources internes », ne peuvent pas « être appréciées selon les schémas établis pour la solution des conflits entre normes de notre ordonnancement juridique » (Cour const., n° 170 de 1984). Le règlement communautaire, précisément en tant qu'acte communautaire, « ne peut ni abroger, modifier ou déroger aux normes nationales avec lesquelles il entre en conflit, ni entraîner l'invalidité de leurs dispositions » (Cour const., n° 170 de 1984).

Ainsi, selon la Cour constitutionnelle, les lois incompatibles avec les règlements communautaires - qu'elles soient antérieures ou postérieures - ne sont ni abrogées ni invalides, mais sont, au contraire, inapplicables par les juges nationaux (Cour const., n° 170 de 1984 et n° 168 de 1991), comme également par l'administration (Cour const., n° 389 de 1989). En somme, le règlement communautaire doit toujours être appliqué, « soit qu'il suive soit qu'il précède dans le temps les lois avec lesquelles il est incompatible ». La norme interne incompatible, de son côté, ne peut être prise en considération « pour la définition de la controverse devant le juge national » (Cour const., n° 170 de 1984).

Ainsi les juges ordinaires se voient confier une sorte de contrôle diffus de la conformité du droit interne au droit communautaire dérivé. Les lois internes en contrariété avec le droit communautaire dérivé restent, toutefois, valides et en vigueur, mais entrent dans un état de léthargie, à partir du moment où le juge national ne peut plus les appliquer : il doit les écarter et « préférer » les normes communautaires (les lois en question pourraient de nouveau être pleinement applicables, si les normes communautaires étaient, au niveau communautaire, abrogées ou annulées).

La Cour constitutionnelle adhère, donc, totalement à la doctrine de la primauté du droit communautaire (dérivé), élaborée par la Cour de justice de la Communauté européenne à partir de l'arrêt du 15 juillet 1964, C-6/64, Costa, et de l'arrêt du 9 mars 1978, C-106/77, Simmenthal.

5) Droit communautaire dérivé et Constitution

L'article 134 de la Constitution soumet au contrôle de constitutionnalité « les lois et les actes ayant force de loi de l'État et des régions ». Mais, évidemment, les règlements communautaires, même s'ils ont « force de loi », ne sont des actes ni de l'État, ni des régions. Par conséquent, selon la jurisprudence constante de la Cour (au moins à partir de l'arrêt n° 183 de 1973), ils ne sont pas soumis au contrôle de constitutionnalité confié à la Cour.

Il est, toutefois, possible que les règlements communautaires soient incompatibles avec des normes constitutionnelles. Comment faut-il alors résoudre ce type de conflit de normes ?

La Cour considère, sur ce point, qu'en application de l'article 11 de la Constitution, les règlements communautaires peuvent déroger non seulement aux lois, mais encore aux normes constitutionnelles (Cour const., n° 399 de 1987, n° 168 de 1991 et n° 177 de 1994). Cette manière de voir suppose que les normes communautaires soient tout bonnement « équivalentes » (Cour const., n° 399 de 1987) aux normes constitutionnelles.

Cependant, les règlements communautaires - à l'instar des traités - ne peuvent pas aller jusqu'à contredire les principes constitutionnels suprêmes et/ou les droits inviolables (Cour const., n° 168 de 1991). Il faut, semble-t-il, comprendre que, si un règlement violait une de ces normes « supra-constitutionnelles », la Cour constitutionnelle déclarerait l'inconstitutionnalité (partielle) de la loi d'exécution du traité CE, « dans la partie où » elle donne exécution à l'article 189, alinéa 2, du traité CE (Cour const., n° 232 de 1995). Plus précisément, cette disposition serait inconstitutionnelle « dans la partie où » elle permet l'introduction dans l'ordonnancement juridique interne d'un acte communautaire contraire aux principes constitutionnels suprêmes et/ou aux droits inaliénables de la personne.

II. Observations critiques

Après avoir analysé la doctrine de la Cour constitutionnelle, il convient, dans les développements qui suivent, d'argumenter la thèse de l'incompatibilité de cette doctrine avec la Constitution en vigueur et de démontrer que cette doctrine aboutit à une sorte de révision tacite de la Constitution elle-même.

La question peut être envisagée sous deux angles différents : la théorie des sources (A) et le concept de souveraineté (B).

A. Le droit communautaire dans la hiérarchie des sources

Selon la doctrine de la Cour constitutionnelle, aussi bien le traité CE que le droit communautaire dérivé (par la suite, pour simplifier, seuls les règlements communautaires seront envisagés) l'emportent, en cas de conflit, sur les lois internes, même postérieures, et même sur les normes constitutionnelles, à la seule exception de celles qui constituent des principes constitutionnels suprêmes et/ou confèrent des droits inviolables. En passant, on peut noter que, de toute évidence, pour la Cour constitutionnelle, la souveraineté populaire n'appartient pas à la catégorie des principes suprêmes, ce qui est quelque peu surprenant.

Il en découle le phénomène suivant :

i) Puisque le traité CE a été introduit dans l'ordonnancement juridique par la loi ordinaire, il a force de loi (disons, pour simplifier, qu'il est « incorporé » dans une loi, par le biais d'un renvoi matériel). Néanmoins, d'un côté (a), il résiste à l'abrogation et à la dérogation par des lois postérieures, et, de l'autre (b), il est capable de déroger même à cette source, la Constitution, d'où la loi elle-même tire son fondement et sa légitimité.

ii) Les règlements communautaires tirent, à leur tour, leur validité du traité CE ou, mieux, de la loi d'exécution qui s'y rapporte. Néanmoins, d'un côté (a), ils résistent à l'abrogation et à la dérogation par des lois postérieures et, de l'autre (b), ils sont capables de déroger même à cette source, la Constitution, d'où la loi d'exécution tire son fondement.

Il faut alors se demander si tout cela est plausible.

Pour commencer, il convient de distinguer deux types de relations hiérarchiques.

On peut dire qu'une certaine source S2 est « formellement » (ou structurellement) subordonnée à une autre source S1, lorsque S2 est le fruit d'un pouvoir normatif qui tire son fondement ou sa légitimité de S1. En ce sens, par exemple, la loi est formellement subordonnée à la constitution même sous un régime de constitution souple, puisque la loi est le fruit de l'exercice du pouvoir législatif, qui trouve son fondement précisément dans la constitution.

On peut dire qu'une norme N2 est « matériellement » (ou substantiellement) subordonnée à une autre norme N1, lorsque - en vertu d'une troisième norme N0 - N2 ne peut être en contraste avec N1, sous peine d'invalidité ou, tout au moins, d'inefficacité. En ce sens, par exemple, la loi est matériellement subordonnée à la constitution seulement sous un régime de constitution rigide.

Bien entendu, les relations hiérarchiques connaissent la transitivité : si, par exemple, la source A est supérieure à la source B et si B est de rang égal ou est supérieure à C, alors A est supérieure à C.

Par conséquent, pour ce qui concerne le droit communautaire, la situation est la suivante.

1) Le traité et la Constitution

Dans l'ordonnancement juridique italien, il ne fait aucun doute que la loi (ordinaire) est formellement (art. 70 et s., Const.) et matériellement (art. 134 et s., Const.) subordonnée à la Constitution. Mais le traité CE a précisément dans l'ordonnancement juridique interne valeur de loi ordinaire. Quelle est, donc, sa place dans la hiérarchie des sources internes ? En fait, la réponse semble vraiment évidente.

Pour ce qui concerne les relations entre le traité CE et la Constitution, les choses se présentent ainsi : ayant valeur de loi ordinaire, le traité CE est formellement et, ce qui compte le plus, matériellement subordonné à la Constitution. Il n'existe aucun argument pour soutenir qu'il est matériellement équivalent à la Constitution. La thèse selon laquelle le traité - ou la loi d'exécution qui s'y rapporte - peut déroger à des normes constitutionnelles est tout simplement un non-sens : elle nie le caractère indiscutablement rigide de la Constitution en vigueur, d'où il découle que seules les lois de révision constitutionnelle (art. 138, Const.) peuvent déroger à des normes constitutionnelles.

2) Le traité et la loi

Si le traité CE a - et il a - valeur de loi, il ne peut alors qu'être matériellement équivalent à la loi. S'il est équivalent à la loi, des lois postérieures peuvent alors y déroger. Il faut souligner que le principe lex posterior est implicitement contenu dans l'article 70 de la Constitution : si la Constitution attribue, de manière permanente, le pouvoir législatif au Parlement, alors le Parlement ne peut pas limiter le pouvoir législatif des Parlements à venir (sauf révision de l'article 70 lui-même). Une loi qui prétendrait lier les Parlements à venir serait ou bien dépourvue d'effets ou bien inconstitutionnelle (car contraire à l'art. 70, Const.). Tant que le pouvoir législatif reste intact, les lois postérieures abrogent les lois précédentes ou y dérogent.

En vérité, il n'est pas rare, dans l'ordonnancement juridique italien, qu'un acte ayant force de loi doive respecter un acte de rang égal dans la hiérarchie matérielle des sources. Par exemple, il est incontestable qu'un décret législatif (délégué) doit être conforme à la loi de délégation (art. 76, Const.), bien que ces actes aient, tous les deux, force de loi ; de même, les lois régionales doivent être conformes aux principes fondamentaux des matières ressortant à la compétence des régions posés par les lois de l'État (art. 117, al. 1er, Const.), bien qu'il n'existe aucune relation hiérarchique entre lois nationales et lois régionales ; comme il est évident que les lois relatives à la condition juridique de l'étranger doivent être conformes aux traités internationaux (art. 10, al. 2, Const.), bien que les traités n'aient pas une valeur supérieure à celle des lois. Mais, dans tous ces cas, il en est ainsi parce qu'une norme constitutionnelle l'exige expressément. En revanche, il n'existe aucune norme constitutionnelle qui impose le respect par le législateur des lois d'exécution des traités internationaux en général.

On peut convenir que la loi d'exécution du traité CE jouisse, dans l'ordonnancement juridique italien, d'un statut axiologique privilégié, à partir du moment où elle met en oeuvre une norme constitutionnelle programmatique (l'art. 11, Const.). Mais cela n'altère, en aucune manière, la position de cette loi dans le système des sources : une supériorité axiologique ne peut se transformer en une supériorité matérielle en l'absence d'une norme positive qui l'établit.

3) Les règlements communautaires et la loi

Puisqu'ils tirent leur fondement (dans l'ordonnancement juridique interne) de la loi d'exécution du traité CE, il ne fait aucun doute que les règlements communautaires sont formellement subordonnés à la loi. Mais quelle est leur place dans la hiérarchie matérielle des sources ?

On se souvient que, selon la Cour constitutionnelle, (a) les règlements communautaires peuvent déroger aux lois antérieures ; (b) des lois postérieures ne peuvent déroger aux règlements communautaires, ce qui revient à dire (c) que les règlements communautaires peuvent déroger à des lois postérieures.

Or, la thèse selon laquelle les règlements communautaires peuvent déroger à des lois antérieures revient à soutenir qu'ils sont de rang égal à la loi. La thèse selon laquelle les règlements communautaires peuvent déroger à des lois postérieures, alors que ces dernières ne peuvent déroger aux règlements communautaires, revient, elle, à soutenir qu'ils sont tout simplement supérieurs à la loi. Le problème est, donc, le suivant : une source (la loi) peut-elle donner vie à une source (les règlements communautaires) matériellement de rang égal ou carrément supérieure à elle-même ?

3.1. Il n'est pas inconcevable qu'une source S1 puisse instituer une source S2 de rang égal à elle-même. C'est ce qu'il se produit avec les constitutions souples. La Constitution confère, d'un côté, le pouvoir législatif à un organe et, de l'autre, elle ne prévoit aucune procédure de révision constitutionnelle ; on suppose, donc, que l'on puisse changer la Constitution ou y déroger par la procédure législative ordinaire. En sorte que le législateur, qui exerce un pouvoir que lui confère la Constitution, est autorisé à déroger à la Constitution elle-même : la loi est, donc, de rang égal à la Constitution dans la hiérarchie matérielle des sources.

Toutefois, dans l'ordonnancement constitutionnel en vigueur, la loi ne peut pas validement instituer une source de rang égal à elle-même : encore une fois, l'obstacle se trouve dans l'article 70 de la Constitution. Si le Parlement instituait, par la loi ordinaire, une source de rang égal à la loi, il se dépouillerait, ce faisant, (d'une partie) de la fonction législative. Or, la fonction législative est, de par la Constitution, conférée - et réservée - aux Chambres. C'est pourquoi conférer (une partie de) cette fonction à tout autre organe constitue une violation de la Constitution.

3.2. Indubitablement, on ne saurait concevoir qu'une source S1 puisse instituer une source S2 non pas simplement de rang égal, mais de rang supérieur au sien. Effectuons un petit exercice mental.

Le souverain Rex édicte deux lois, L1 et L2. Par L1, Rex réglemente une conduite des citoyens : par exemple, il autorise la pêche à la truite dans la rivière du village. Par L2, Rex confère à son homme de confiance, Minister, le pouvoir de prendre des décrets normatifs, même en dérogation aux lois édictées par Rex. Par la suite, Minister prend un décret D1, par lequel il interdit la pêche à la truite, en dérogeant ainsi à L1. À ce stade, deux possibilités se présentent.

a) Première possibilité : Rex cesse d'exercer ses pouvoirs normatifs : les pouvoirs normatifs de Rex, pour ainsi dire, s'assoupissent. En vertu de L2, D1 a dérogé validement à L1, qui, par là-même, perd toute efficacité. Le pouvoir normatif de Minister est désormais, de fait, supérieur à celui de Rex : pour la bonne raison qu'il s'y est, de fait, substitué.

b) Deuxième possibilité : Rex continue d'exercer ses pouvoirs normatifs et édicte L3, par laquelle il rétablit l'autorisation de pêcher la truite. Faut-il alors considérer que L3 est dépourvue d'efficacité, à partir du moment où Minister détient le pouvoir de déroger aux lois ? Ou bien faut-il, au contraire, considérer que D1 est abrogé par L3 ? Si l'on répond que L3 a abrogé D1, alors les décrets de Minister seront de rang égal, mais non supérieurs aux lois de Rex. Si, au contraire, l'on répond que L3 est dépourvue de toute efficacité, alors les décrets de Minister seront non pas de rang égal aux lois de Rex, mais ils seront supérieurs à celles-ci. Mais sur quels arguments pourrait-on s'appuyer pour soutenir une thèse pareille ? Le pouvoir normatif de Minister découle exclusivement de l'autorité de Rex : puisque Rex a conféré ce pouvoir normatif, il peut, sauf s'il abdique, le révoquer, même tacitement et partiellement. Précisément, L3 constitue une (tacite) révocation partielle du pouvoir de Minister de déroger aux lois.

De te fabula narratur. Un pouvoir normatif peut instituer un autre pouvoir normatif supérieur à lui-même à la seule condition de s'éteindre ou, à tout le moins, de se taire. Le législateur national pourrait conférer aux règlements communautaires une force supérieure à celle des lois, à la seule condition de se suicider ou de s'assoupir (ce qui, du reste, lui serait interdit par la Constitution). Mais, si le pouvoir législatif des Chambres reste vivant et actif, alors les règlements communautaires ne peuvent pas déroger à des lois postérieures.

4) Les règlements communautaires et la Constitution

Si la thèse selon laquelle la loi d'exécution du traité CE peut déroger à des normes constitutionnelles est un non-sens, la thèse selon laquelle les règlements communautaires peuvent déroger à des normes constitutionnelles est un non-sens au carré. Comme on l'a vu précédemment, les règlements communautaires ne peuvent pas être matériellement supérieurs à la loi. Mais, en vertu du caractère rigide de la Constitution en vigueur (art. 134, 136 et 138, Const.), la loi est, à son tour, subordonnée à la Constitution. Et, de ce fait, par transitivité des relations hiérarchiques, les règlements communautaires ne peuvent pas être supérieurs à la Constitution. La thèse contraire est tellement invraisemblable qu'elle ne mérite pas plus de commentaires.

B. Les deux concepts de « souveraineté »

Le terme de « souveraineté » est utilisé dans différents contextes avec des significations différentes. En particulier, la « souveraineté » désigne :

a) tantôt un attribut de l'État (considéré comme un tout) dans ses relations avec les autres États ;

b) tantôt un attribut d'un organe de l'État dans ses relations avec les autres organes de cet État.

Dans la première acception, « souveraineté » signifie, grosso modo, indépendance : il s'agit alors d'un concept (et d'une institution) de droit international. Dans la seconde acception, « souveraineté » signifie plutôt « pouvoir suprême », et il s'agit alors d'un concept (et d'une institution) de droit interne constitutionnel. Par ailleurs, en droit constitutionnel moderne, le pouvoir suprême n'est rien d'autre que la fonction législative, structurellement et fonctionnellement supérieure aux autres fonctions de l'État, exécutive et juridictionnelle.

Dans la première acception, c'est-à-dire « souveraineté de l'État », l'attribut de la souveraineté ne dit rien sur l'organisation de l'État en question. Dans la seconde acception, c'est-à-dire « souveraineté d'un organe de l'État », l'attribut de la souveraineté ne dit rien sur la position de l'État dans l'ordonnancement international : il dit seulement à qui appartient le pouvoir législatif.

L'indépendance de l'État exclut des limites ab extra. La suprématie de l'organe auquel est conférée la fonction législative exclut que le législateur puisse rencontrer des limites dans les lois d'un législateur précédent.

Dans la Constitution italienne, le terme de « souveraineté » est utilisé dans ces deux acceptions.

1) L'article 11 de la Constitution dispose que « l'Italie répudie la guerre comme moyen d'attenter à la liberté des autres peuples et comme mode de résolution des controverses internationales ; elle consent, sous condition de réciprocité avec les autres États, aux limitations de souveraineté nécessaires à un ordre qui assure la paix et la justice entre les nations ; elle promeut et favorise les organisations internationales qui poursuivent un tel objectif ».

Cette disposition formule, à l'évidence, un programme de politique internationale. Elle se réfère à une entité appelée « Italie », dans un contexte où l'on parle d'« autres États », de paix et de justice « entre les nations », d'organisations et de controverses « internationales ». L'entité dénommée « Italie » est, bien évidemment, l'État, la République ou, si l'on préfère, la « nation » (dans l'un des sens de ce terme). C'est, par conséquent, à la souveraineté de l'État que se réfère la Constitution, lorsqu'elle dispose que « l'Italie [...] consent [...] aux limitations de souveraineté [... ».

Par conséquent, il faut retenir que la « souveraineté » à laquelle il est fait allusion à l'article 11 de la Constitution, est bien la souveraineté de l'État dans l'ordonnancement international. Afin d'éviter des confusions, ce concept sera désigné, dans les développements qui suivent, par l'expression « souveraineté de l'État ».

La souveraineté de l'État inclut la capacité d'assumer des obligations internationales (et, bien entendu, également la capacité de ne pas déférer aux engagements pris, avec la responsabilité internationale qui en découle, mais sans effets sur le droit interne). On peut considérer comme un cas paradigmatique de limitation de la souveraineté de l'État un traité qui, à l'instar des traités communautaires, confère effet direct - sans que des actes internes de réception soient nécessaires - à des normes produites au niveau international.

2) L'article 1er dispose, quant à lui, dans son alinéa 1er , que « l'Italie est une République démocratique [... » et, dans son alinéa second, que « la souveraineté appartient au peuple, qui l'exerce dans les formes et dans les limites fixées par la Constitution ».

Cette disposition ne dit manifestement rien des relations internationales : elle se réfère à l'organisation constitutionnelle de l'État et non à sa position face aux autres États. Le titulaire de la souveraineté qu'elle indique expressément, c'est « le peuple » et non l'État.

Par conséquent, la souveraineté dont il est question dans cette disposition, n'est pas la souveraineté mentionnée à l'article 11 de la Constitution : il s'agit non pas de la souveraineté de l'État (ou « nationale », si l'on préfère), mais de la souveraineté « populaire », c'est-à-dire du peuple au sein de l'État (ou de la nation).

Naturellement, le peuple n'est pas, à proprement parler, un organe de l'État. Mais conférer la souveraineté au peuple permet, sur un mode emphatique, de conférer la fonction législative à un organe élu. Legislation presents itself to us as being above all things an expression of the will of the people (James Bryce).

Au reste, l'article 1er, alinéa 2, précise que la souveraineté populaire s'exerce « dans les formes et dans les limites fixées par la Constitution ». Afin de savoir quelles sont ces « formes » et ces « limites », il suffit d'analyser les dispositions constitutionnelles relatives à la fonction législative. En simplifiant quelque peu, les choses se présentent ainsi.

i) S'agissant des formes, la souveraineté populaire s'exerce essentiellement : (a) par les deux Chambres élues au suffrage universel, auxquelles est attribuée la fonction législative (art. 70, Const.); (b) par le référendum populaire abrogatif (art. 75, Const.). Si l'on fait abstraction du référendum abrogatif, il est alors impossible de distinguer juridiquement la souveraineté populaire de la souveraineté du Parlement.

ii) S'agissant des limites, la souveraineté populaire - et donc la fonction législative - ne peut pas s'exercer en portant atteinte à la Constitution, dont le caractère rigide est posé par l'article 138 de la Constitution et garanti par les articles 134 et 136 de ce même texte.

Comme on le voit, « souveraineté » signifie, ici, pouvoir suprême (au sein de l'État), mais non pas pouvoir illimité. Au contraire, dans l'ordonnancement en vigueur, la souveraineté populaire (ou parlementaire) est limitée par une Constitution rigide.

Il convient de souligner, cependant, que la disposition en question n'impose pas à la souveraineté populaire d'autres limites que celles « fixées par la Constitution ». Ce qui revient à dire que l'on ne peut pas admettre d'autres limites à la souveraineté populaire que celles que la Constitution elle-même établit précisément : les limites qui découleraient d'autres sources que la Constitution seraient inconstitutionnelles.

L'efficacité dans l'ordonnancement interne de normes (ou de décisions) internationales constitue une limitation de la souveraineté de l'État. En fait, tout traité international - avec le respect des obligations internationales qui en découle - produit une limitation de la souveraineté de l'État. Mais une limitation de la souveraineté de l'État ne se traduit pas nécessairement par une limitation de la souveraineté populaire, puisque le traité peut toujours être dénoncé, et, même sans dénonciation expresse, le Parlement peut toujours adopter des lois qui contredisent le traité. Toute limitation de la souveraineté n'est, à bien voir, rien de plus qu'une autolimitation.

L'efficacité directe du droit communautaire dérivé (« directe », c'est-à-dire sans que des actes de réception soient nécessaires) constitue une limitation de la souveraineté de l'État. Mais la suprématie du droit communautaire dérivé sur le droit interne constitue une limitation de la souveraineté populaire.

Si cette interprétation est correcte, alors limiter la souveraineté de l'État dont parle l'article 11 de la Constitution est une chose et limiter la souveraineté populaire prévue par l'article 1er de la Constitution en est une autre.

De par elle-même, la limitation de la souveraineté de l'État n'a pas (ou, à tout le moins, n'a pas nécessairement) d'incidence sur les normes constitutionnelles, puisque la souveraineté de l'État découle non pas de normes constitutionnelles, mais de normes internationales. Par conséquent, l'article 11 de la Constitution n'autorise aucune dérogation aux normes constitutionnelles.

En revanche, la limitation de la souveraineté populaire - ou, plus précisément, toute limitation de la souveraineté populaire autre que celles fixées directement par la Constitution - a fatalement une incidence sur les normes constitutionnelles : en premier lieu, sur la norme constitutionnelle qui la proclame expressément comme principe, et qui prévoit dans la seule Constitution la source de ses limitations éventuelles (art. 1er, al. 2); en second lieu, sur la norme constitutionnelle qui, pour ainsi dire, la concrétise, en conférant la fonction législative aux Chambres (art. 70, Const.); en troisième lieu, sur la norme constitutionnelle qui prévoit la soumission du juge à la loi et à elle seule (art. 101, al. 2); et ainsi de suite.

Il en découle que la souveraineté de l'État, en vertu de l'autorisation contenue dans l'article 11, peut être limitée par la loi ordinaire, puisqu'une limitation de la souveraineté de l'État ne constitue pas une dérogation aux normes constitutionnelles. Il n'en est pas ainsi de la souveraineté populaire : toute limitation de la souveraineté populaire constitue une dérogation à différentes normes constitutionnelles. Une telle dérogation n'est pas autorisée par l'article 11 de la Constitution et, donc, ne peut être opérée que par une révision constitutionnelle. Une loi ordinaire qui limite (non seulement la souveraineté de l'État, mais également) la souveraineté populaire est inconstitutionnelle, parce que contraire aux articles 1er (al. 2), 70, 101 (al. 2), etc.

Ainsi, les traités européens - selon l'interprétation désormais dominante, dégagée par la Cour de justice de la Communauté et reprise à son compte par la Cour constitutionnelle - comportent des limitations non seulement de la souveraineté de l'État, mais également de la souveraineté populaire. En particulier, si on limite le propos au régime des sources : l'efficacité directe des sources communautaires dans l'ordonnancement interne constitue une limitation de la souveraineté de l'État, mais la primauté des sources communautaires sur la loi nationale constitue, elle, une limitation de la fonction législative des Chambres, et, partant, de la souveraineté populaire.

La primauté du droit communautaire présente deux aspects complémentaires : (a) la primauté des normes communautaires sur les lois antérieures ; (b) la primauté des normes communautaires sur les lois postérieures.

La primauté sur les lois antérieures constitue une dérogation évidente et directe à l'article 70 de la Constitution. Un acte capable de déroger à la loi a « force de loi » dans l'ordonnancement interne ; par conséquent, il traduit substantiellement (bien que non formellement) l'exercice de la fonction législative. Mais l'article 70 de la Constitution confère l'exercice de la fonction législative exclusivement aux Chambres et à personne d'autre : il n'admet pas que cette fonction puisse être exercée par les organes communautaires. En l'absence d'une révision constitutionnelle expresse, les normes communautaires ne peuvent pas prévaloir sur les lois nationales antérieures, sauf à être réceptionnées par des lois.

La primauté sur les lois postérieures constitue une dérogation au principe lex posterior derogat legi priori (art. 15 des dispositions préliminaires au code civil). Mais, à bien voir, le principe lex posterior est contenu implicitement dans l'article 70 de la Constitution. Cette disposition confère, en effet, aux Chambres la fonction législative non pas pour un temps déterminé, mais bien de manière permanente, pour un temps indéterminé. Le caractère permanent de la fonction législative implique précisément le principe lex posterior : un législateur qui ne pourrait pas déroger à des lois antérieures, ou les abroger, ne disposerait plus de la fonction législative (à tout le moins, il n'en disposerait plus dans sa plénitude). Il faut le répéter : en l'absence de révision constitutionnelle expresse, les normes communautaires ne peuvent pas prévaloir sur les lois nationales postérieures, sauf à être reprises par des lois.

Mais, en vérité, la primauté des normes communautaires constitue également une dérogation à d'autres normes constitutionnelles. Les normes communautaires, même en ayant « force de loi », ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un référendum abrogatif : par dérogation à l'article 75 de la Constitution. Les normes communautaires, même en ayant « force de loi », ne sont pas susceptibles d'être soumises à un contrôle de constitutionnalité : par dérogation aux articles 134 et 136 de la Constitution. Selon la jurisprudence constitutionnelle, les normes communautaires peuvent régir également des matières que la Constitution réserve à la loi, comme la matière fiscale (Cour const., n° 183 de 1973).

Au total, la primauté des normes communautaires (dérivées) - dans la mesure où elle n'est pas prévue par une loi de révision constitutionnelle - est non conforme à la Constitution. En particulier, est entachée d'inconstitutionnalité la loi d'exécution du traité CE en tant qu'elle donne exécution à l'article 189, alinéa 2, du traité, dans son interprétation selon laquelle les règlements communautaires sont applicables, dans l'ordonnancement interne, sans qu'il soit nécessaire d'adopter des lois de réception et même s'ils sont contraires à des lois antérieures et/ou postérieures.


[Note 1] * Traduit de l'italien par M. Baudrez, maître de conférences à l'université de Toulon et du Var, et Th. Di Manno, professeur à l'université Jean Monnet de Saint-Étienne, directeurs du CDPC Jean-Claude Escarras (CNRS-UMR 6055).

[Note 2] Article 249, alinéa 2, du traité, dans sa rédaction issue des modifications introduites par le traité d'Amsterdam.

[Note 3] Pour simplifier, le propos est limité ici au traité CE et aux règlements qu'il prévoit. Mais, naturellement, ce qui est dit pour les règlements est valable aussi pour les autres actes communautaires à caractère normatif, et en particulier pour ces directives qui, selon la jurisprudence de la Cour de justice de la Communauté européenne, sont susceptibles d'application directe, même si cela ne peut se produire que dans les rapports « verticaux » entre État et citoyens (CJCE, 4 déc. 1974, C-41/74, van Duyn c. Home Office; CJCE, 5 avr. 1979, C-148/78, Ratti; CJCE, 15 déc. 1983, C-5/83, Rienks; CJCE, 26 févr. 1986, C-152/84, Marshall; CJCE, 19 nov. 1991, C-6-9/1991, Francovich).

(1) Traduit de l'italien par M. Baudrez, maître de conférences à l'université de Toulon et du Var, et Th. Di Manno, professeur à l'université Jean Monnet de Saint-Étienne, directeurs du CDPC Jean-Claude Escarras (CNRS-UMR 6055).
(2) Article 249, alinéa 2, du traité, dans sa rédaction issue des modifications introduites par le traité d'Amsterdam.
(3) Pour simplifier, le propos est limité ici au traité CE et aux règlements qu'il prévoit. Mais, naturellement, ce qui est dit pour les règlements est valable aussi pour les autres actes communautaires à caractère normatif, et en particulier pour ces directives qui, selon la jurisprudence de la Cour de justice de la Communauté européenne, sont susceptibles d'application directe, même si cela ne peut se produire que dans les rapports « verticaux » entre État et citoyens (CJCE, 4 déc. 1974, C-41/74, van Duyn c. Home Office ; CJCE, 5 avr. 1979, C-148/78, Ratti ; CJCE, 15 déc. 1983, C-5/83, Rienks ; CJCE, 26 févr. 1986, C-152/84, Marshall ; CJCE, 19 nov. 1991, C-6-9/1991, Francovich).