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La pratique des opinions dissidentes au Canada- L'opinion dissidente : voix de l'avenir ?

Claire L'HEUREUX-DUBÉ - Juge à la Cour suprême du Canada

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8 (Dossier : Débat sur les opinions dissidentes) - juillet 2000

Je remercie mon clerc juridique, Laurie Sargent, pour son apport inestimable dans la recherche et préparation de ce texte. Je tiens également à remercier le professeur Silvio Normand pour sa généreuse contribution à la recherche sur les opinions dissidentes au Québec.

« A dissent in a court of last resort is an appeal to the brooding spirit of the law, to the intelligence of a future day, when a later decision may possibly correct the error into which the dissenting judge believes the court to have been betrayed(1). »

Il y a mille ans, les choeurs de l'Europe chantaient à l'unisson le Grégorien, dont les mélodies étaient belles, limpides et bien ordonnées. Mais l'esprit humain ne s'en est pas contenté et s'est doté de la polyphonie, qui a donné naissance à une multitude d'harmonies et de formes musicales. Les tribunaux peuvent eux aussi s'exprimer en unisson ou à plusieurs voix. Pour sa part, la tradition de dissidence dans les tribunaux des pays de common law admet, au moins dans une certaine mesure, une polyphonie de voix et de voies du droit.

À mon avis, les opinions dissidentes(2) au Canada ont favorisé le foisonnement de concepts et de solutions juridiques, sans toutefois condamner les tribunaux à une dissonance dysfonctionnelle. La tradition de la dissidence est profondément enracinée au Canada. Les juges y exercent leur « droit précieux » à la dissidence lorsqu'ils l'estiment nécessaire(3), en respectant certaines contraintes qu'ils s'imposent volontairement pour assurer un minimum d'harmonie institutionnelle. Ils ont tendance à partager avec leurs collègues anglais(4) et américains(5) une vision positive, voire idéalisée parfois, des opinions dissidentes et citent encore avec admiration certaines « grandes dissidences » touchant la justice sociale et les droits de la personne.

Le juge Brennan de la Cour suprême des États-Unis a su transmettre avec éloquence(6) (W.J. Brennan Jr., « In Defense of Dissents », Mather O. Tobriner Memorial Lecture, reproduit dans H. Clark, Justice Brennan : The Great Conciliator, Birch Lane Press, 1995, à la p. 256) l'essence de cette vision dans son observation selon laquelle l'opinion dissidente idéale se distingue par ses qualités prophétiques et persuasives. Elle s'érige également en sauvegarde de l'intégrité des institutions judiciaires, car elle exige que la majorité justifie son raisonnement et les conséquences qui en découlent.

Toutefois, la grande majorité des opinions dissidentes ne répond pas à ces attentes, soit parce que, dans le fond, elles proposent une analyse peu différente de celle de la majorité, soit parce que la vision du droit qu'elles préconisent n'a aucun attrait pour les générations futures(7). Par ailleurs, même le plus ardent défenseur des opinions dissidentes ne peut nier que ce sont les opinions majoritaires qui éclairent le plus souvent le cheminement du droit.

Malgré cette réalité plus prosaïque, les juges canadiens, américains, anglais et autres tiennent profondément à leur droit à la dissidence. Pour leur part, ni les parlementaires ni les juristes n'ont fait preuve d'une volonté sérieuse de les priver de ce droit, quoiqu'ils aient parfois communiqué aux juges la nécessité de l'exercer avec plus de retenue. Par conséquent, si en France l'idée d'autoriser les dissidences aux membres du Conseil constitutionnel peut sembler révolutionnaire et même saugrenue pour certains juristes, dans ces pays on s'étonnerait qu'il soit question de les bannir.

Dans le but d'expliquer cette adhésion à la tradition de dissidence, nous nous attacherons à soutenir la thèse que les opinions dissidentes, mines de possibilités et de potentiel, peuvent contribuer de façon importante au développement du droit. Dans un premier temps, nous examinerons la tradition et la culture des opinions dissidentes au Canada(8) afin de fournir le cadre institutionnel de notre étude. Nous tenterons, dans un deuxième temps, de transcender ce contexte particulier et de réfléchir plus globalement au rôle des opinions dissidentes, afin d'en soupeser les avantages, tant pour les juges que pour les institutions judiciaires. Cette dernière réflexion sera axée sur les trois thèmes esquissés par le juge Brennan : la prophétie, le dialogue, et le rôle des opinions dissidentes dans la sauvegarde de l'intégrité du droit.

La tradition de l'opinion dissidente dans la culture juridique canadienne

Les origines institutionnelles de l'opinion dissidente au Canada remontent aux traditions des tribunaux anglais de la common law. Dès le xive siècle, semble-t-il, les juges des « Common Law Courts » anglais se prononçaient individuellement, par opinion seriatim, sur les pourvois en appel(9). Ces juges ont, de toute évidence, toujours tenu pour acquis que la majorité l'emportait et, par conséquent, que l'expression d'une opinion dissidente ne nuisait pas en elle-même à l'autorité du jugement ou de l'institution. Leur acceptation des opinions individuelles et des dissidences a été transplantée au Canada, où elle a subi toutefois quelques modifications, en vue d'atténuer certaines faiblesses du modèle qui se sont révélées dans le nouveau contexte institutionnel de la Cour suprême du Canada.

Dès leur premier arrêt en 1877(10), les juges de la Cour suprême du Canada ont rendu leur décision par voix plurielles et dissidentes. Ni les juristes ni les parlementaires n'ont été très impressionnés par les premières décisions de la Cour, les taxant d'être parfois incohérentes et répétitives(11). À preuve, vers la fin du xixe siècle, le premier - et le dernier - débat à la Chambre des communes canadienne eut lieu sur la question de savoir s'il fallait modifier les procédures de la Cour pour régler le problème. En définitive, la majorité des députés ne s'est pas laissée convaincre de la nécessité d'intervenir pour interdire les opinions seriatim et dissidentes(12).

En l'absence d'une réforme imposée de l'extérieur, les juges de la Cour suprême du Canada, et notamment les juges en chef Anglin, Cartwright et Laskin, ont entrepris petit à petit une réforme de leur procédure interne. Conscient des faiblesses du modèle des opinions seriatim tel qu'il fonctionnait au Canada, le juge en chef Anglin a décidé au cours des années 1920 qu'il était nécessaire pour les juges de coordonner leurs efforts afin d'éliminer les répétitions et les incohérences créées par leurs opinions individuelles. Il a donc exigé, dans la mesure du possible, la réunion en une seule opinion majoritaire d'un énoncé clair et concis des faits matériels, et de tous les principes de droit sur lesquels les juges étaient d'accord. Lorsque l'unanimité s'avérait impossible, une opinion de la majorité et une opinion de la minorité dissidente étaient rédigées(13).

C'est ainsi que, de 1930 à 1950, les opinions seriatim ont été peu à peu abandonnées. Toutefois, lorsque la Cour suprême est devenue la cour d'appel finale pour le Canada en 1949(14), les opinions multiples étaient encore assez fréquentes pour qu'on s'en plaigne(15) (Laskin, supra, note 4, à la p. 1047). Le juge en chef Cartwright, conscient de cet état de choses, a introduit, au cours des années 1960, la réunion en conférence des juges après chaque audition. Cette innovation a joué un rôle décisif dans la rédaction des opinions multiples ainsi que dans l'amélioration des relations entre les juges. Pour sa part, le juge en chef Laskin a emprunté aux Américains la forme de l'opinion unanime et anonyme rendue au nom « de la Cour » pour certaines causes jugées importantes et dans lesquelles l'unanimité était possible(16).

L'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés(17) en 1982 a été un moment charnière dans l'histoire de la Cour, car le législateur y introduisait un contrôle constitutionnel sur la base de droits et libertés fondamentaux. Ceci a augmenté presque immédiatement la visibilité et l'importance de la Cour au sein de la société canadienne(18). Peut-être est-ce en réaction à ce nouveau défi que les dissidences sont devenues encore moins fréquentes en moyenne totale pour la Cour(19), mais paradoxalement, plus fréquentes dans le domaine des droits fondamentaux(20).

En fait, les juges de la Cour suprême semblent avoir reconnu, peut-être inconsciemment, qu'ils devaient s'imposer une certaine discipline afin d'éviter que les opinions multiples et redondantes nuisent à la qualité de leurs décisions et portent atteinte à la légitimité de la Cour. Il n'a jamais été question, toutefois, de supprimer les opinions dissidentes et les juges préservent(21), surtout dans le domaine du droit constitutionnel.

Par ailleurs, la tradition institutionnelle n'est pas le seul élément vital de cette indépendance, qui puise également son inspiration dans la culture juridique de la common law(22).

Imprégnés d'une culture dans laquelle on privilégie la description narrative du raisonnement et le débat contradictoire quant aux solutions possibles au problème juridique soumis, les juristes formés en common law ont pris l'habitude de lire et de rédiger des opinions qui cherchent à justifier le choix d'une solution parmi plusieurs, ainsi que de montrer comment résoudre une question semblable à l'avenir(23). C'est donc une conception du droit et du rôle des décisions judiciaires qui admet facilement la possibilité d'opinions divergentes.

Si la rédaction de motifs dissidents s'imbrique profondément dans la tradition et la culture juridiques anglo-saxonnes, l'exemple du Québec tend à démontrer, toutefois, que la tradition et la culture ne sont pas entièrement déterminantes lorsqu'il s'agit d'opinions dissidentes. Bien que le système juridique au Québec soit un système hybride des traditions française et anglaise, l'influence française est demeurée très forte en droit privé, ainsi que dans l'approche civiliste de la hiérarchie des sources de droit. Pourtant, les cours d'appel au Québec ont accepté depuis le milieu du xixe siècle que l'on puisse intégrer la pratique des opinions dissidentes à leur système juridique, sans nuire à l'autorité de leurs décisions ni à la cohérence du droit(66).

L'acceptation d'opinions dissidentes dépend donc moins, à mon avis, de la tradition et de la culture juridiques que des trois postulats suivants. Premièrement, les opinions dissidentes ne compromettent pas la cohérence du droit lorsque celui-ci admet l'existence de plusieurs solutions possibles à une seule question, du moins en l'absence de dispositions législatives claires et précises. Deuxièmement, l'indépendance et l'impartialité individuelles des juges sont compatibles avec la légitimité institutionnelle des tribunaux. Troisièmement, le corollaire nécessaire des deux premiers postulats est qu'une majorité suffit pour faire autorité, et donc que l'unanimité n'est pas une condition sine qua non de la légitimité des tribunaux et de la stabilité du droit.

Dans une certaine mesure, le fait d'accepter ces postulats rend plus transparente la règle de droit, car cela permet aux décisions des tribunaux de traduire, à travers les opinions majoritaires et dissidentes, les idées et les principes qui se font souvent concurrence au sein d'un seul système normatif. Permettre les opinions dissidentes injecte également certains principes démocratiques, telles la liberté d'expression, la participation de chaque individu au processus décisionnel, et la règle de la majorité, dans le processus décisionnel des tribunaux.

Certains s'inquiéteront peut-être des incompatibilités potentielles entre démocratie - concept de la sphère politique - et règle de droit. Toute démocratie fonctionnelle comprend certaines limites internes, toutefois, qui servent à équilibrer les tensions entre l'ordre et la dissension, la collectivité et l'individu, la certitude et la flexibilité :

" [L] es valeurs et [l] es principes essentiels à une société libre et démocratique, [...] comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente à l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société. [...] Toutefois, les droits et libertés [...] ne sont pas absolus. Il peut être nécessaire de les restreindre lorsque leur exercice empêcherait d'atteindre des objectifs sociaux fondamentalement importants "(67).

De même, comme nous le suggère l'expérience canadienne, les opinions dissidentes ne risquent de déstabiliser les institutions judiciaires que si elles échappent complètement aux contraintes, volontaires ou autres, qui tendent à assurer le fonctionnement efficace des tribunaux. De surcroît, ces opinions, souvent orientées vers des interlocuteurs qui ne sont pas satisfaits de la décision majoritaire, peuvent même parfois devenir source de légitimité et de stabilité, de par leur orientation vers l'avenir et leur invitation au dialogue.

Dissidence et prophétie

Pour reprendre et adapter les propos du philosophe John Locke à la situation des juristes, on a souvent tendance à se méfier des opinions nouvelles en droit, et on s'y oppose pour la simple raison qu'elles ne sont pas encore partagées par la majorité des juristes(68). Pourtant, la société se transforme continuellement, avec entre autres les technologies nouvelles, la globalisation et le multiculturalisme croissant. Ces défis nouveaux appellent des idées nouvelles qui permettent au droit d'évoluer. Les exemples qui suivent démontrent que les opinions dissidentes sont pour les juges un mode d'expression possible d'idées ou d'approches alternatives et nouvelles qui n'imposent pas pour autant un changement immédiat du statu quo.

Avant l'adoption de la Charte, les décisions de la Cour suprême du Canada portaient surtout sur le droit privé et le partage des pouvoirs du gouvernement fédéral et de ceux des provinces. Même si elles orientaient parfois le droit dans une direction nouvelle, les opinions dissidentes des premières décennies de notre Cour ne captaient pas autant l'imagination des juristes et du public qu'elles ne le font aujourd'hui. Dès les années 1970, cependant, les dissidences commandaient déjà l'attention du public et des juristes, lorsqu'il s'agissait, par exemple, de la situation économique de la femme et des droits de l'accusé en droit pénal.

Le juge en chef Laskin, un des éminents juristes canadiens, était souvent dissident dans ces instances, du moins pendant ses premières années à la Cour. Son opinion dissidente dans l'arrêt Murdoch c/ Murdoch(69), par exemple, tentait de refaçonner un concept ancien du droit des biens anglais, le « constructive trust » (70), afin de donner aux femmes divorcées, qui avaient contribué aux biens matrimoniaux par leur travail non-rémunéré, le droit à une part de ces biens. Son opinion dissidente, adoptée par le juge Dickson et deux autres, pour devenir majoritaires dans l'arrêt Rathwell c/ Rathwell(71), a été reprise ensuite par la majorité dans l'affaire Pettkus c/ Becker(72), sous la plume du juge Dickson. Même si on n'en faisait pas expressément état à l'époque, l'opinion dissidente du juge en chef Laskin reflétait les préoccupations nouvelles de la société et du législateur quant aux droits des femmes, et notamment leur droit à l'égalité.

En droit criminel, le juge Dickson, plus tard juge en chef, était souvent dissident avant l'avènement de la Charte, généralement avec les juges Laskin et Spence. Dans R. c/ Leary(73), par exemple, le juge Dickson a exprimé son profond désaccord avec la majorité quant au maintien de la règle de common law selon laquelle un crime d'intention générale ne pouvait jamais être contré par une défense d'ivresse(74). Son opinion a été adoptée par le juge Wilson, auteur de l'opinion minoritaire de l'arrêt R. c/ Bernard(75), dont le raisonnement a éventuellement été retenu par l'opinion majoritaire de la Cour dans R. c/ Daviault(76), qui a déclaré que la règle stricte énoncée par la majorité dans Leary violait les garanties juridiques énoncées dans la Charte.

Cependant, ce sont surtout les « grands dissidents » américains des deux siècles derniers qui font la preuve de la puissance potentielle des opinions dissidentes quant à l'évolution du droit. Au xixe siècle, par exemple, le juge Harlan était dissident dans toutes les causes portant sur la protection constitutionnelle du droit à l'égalité dans le contexte de la discrimination raciale. Avec beaucoup de prescience, il avait saisi les conséquences sociales néfastes auxquelles mènerait la conception imparfaite de l'égalité qu'avait adoptée la majorité(77). L'esprit de ses dissidences est finalement devenu la voix de la majorité dans les années 1950, lorsque le juge en chef Warren a jugé que la ségrégation des races dans les écoles publiques constituait une violation du droit constitutionnel à l'égalité(78).

Les « grands dissidents » du début du xxe siècle, Oliver Wendell Holmes et Louis Brandeis, ont incarné, peut-être plus que tous les autres, le rôle du juge dissident prophétique, tout en respectant les limites du rôle du juge dans une démocratie. Ils étaient juges à un moment charnière du développement de l'État-providence aux États-Unis. En dépit de l'opinion contraire de la majorité des juges de la Cour, ils ont défendu vigoureusement leur conviction selon laquelle la Cour ne devait pas contrecarrer la volonté politique, exprimée par les lois, chaque fois que le gouvernement tentait de restreindre les droits individuels de propriété et de liberté du contrat, au nom de la justice sociale et des droits des démunis. Les juges Brandeis et Holmes n'ont pas manqué de discerner, cependant, les abus potentiels de l'exercice des pouvoirs étatiques. Ils se sont montrés prêts à leur tour à invalider des lois qui portaient trop atteinte aux libertés fondamentales d'expression et de religion(79).

Percival Jackson résume ainsi la contribution de ces juges :

" The years of the [Holmes and Brandeis] Court ? might well be termed the era of qualitative dissent, as those of later years became the eras of quantitative dissent. [...] [T] heir dissenting opinions cast beams that lighted the subsequent ways of the law.

So Justice Holmes and Hughes furnished the prologue in the Frank case(80) for Holmes's majority opinion in the Moore case(81). And it was Holmes and Brandeis whose dissents in the child labor case(82) found later affirmation by Congress and the Court ; [...] whose clear and present danger rule became the Court's guidance in the nineteen forties ;(83) [...]. Truly the White court attested the need and value of dissent(84). "

Nonobstant le succès éventuel de leurs idées, on peut valablement se demander si le droit aurait été sensiblement différent de ce qu'il est aujourd'hui si les juges Laskin et Dickson, ou les juges Harlan, Brandeis et Holmes n'avaient pu exprimer leurs opinions. Certains affirment que leurs opinions dissidentes ont joué un rôle clef dans le processus de libéralisation progressive de l'interprétation constitutionnelle(85), mais la réponse reste forcément conjecturale. Le fait qu'un juge de la Cour suprême se soit prononcé contre la discrimination, par exemple, n'a certainement pas mené directement aux victoires de la campagne pour les droits civiques aux États-Unis.

Toutefois, le fait qu'au moins une voix à la Cour tentait de promouvoir une vision de la Constitution qui favorisait l'avènement d'une société plus équitable a pu faire entrevoir aux juristes et au public la possibilité que cette vision devienne un jour réalité. D'une part, on pouvait conserver ainsi un certain espoir de renouvellement vers une société plus juste. D'autre part, il était moins difficile de faire valoir ces notions devant les tribunaux, puisque la jurisprudence contenait déjà la semence de cette transformation.

Outre cet aspect bénéfique des opinions dissidentes, elles ont permis aux juristes de l'époque de débattre et d'analyser les avantages et désavantages relatifs de l'approche minoritaire. De la même façon, les opinions dissidentes se sont souvent révélées très utiles dans le cas de pourvois qui soulèvent des questions inédites de droit constitutionnel, car elles peuvent identifier plusieurs axes de réflexion potentiels, lorsqu'il est encore trop tôt pour les parties et les tribunaux de prévoir toutes les ramifications possibles de l'approche majoritaire(86). Elles constituent donc une invitation explicite au dialogue sur le développement du droit dans ces domaines.

Plusieurs juges dissidents l'ont d'ailleurs constaté : une opinion dissidente vaut souvent pour les juristes de demain et non pas pour les juristes d'aujourd'hui(87). Il est important de pouvoir s'adresser aux générations futures, et de leur laisser entrevoir la possibilité d'une évolution interne du droit, du moins dans ses « interstices » (88). En l'absence de cette capacité de renouveau interne, les tribunaux risquent d'être perçus plutôt comme un obstacle qu'un recours.

Les opinions dissidentes et le dialogue

Les opinions dissidentes peuvent donc poser les fondations d'une jurisprudence future, qui sera érigée peu à peu par les juristes qui s'intéresseront à l'élaboration d'approches nouvelles au droit actuel. Elles suscitent ainsi un dialogue fructueux entre les tribunaux et les universitaires. Au Canada, ce dialogue joue un rôle important dans le développement du droit, car les universitaires ont l'habitude de commenter les arrêts et de faire valoir le mérite relatif des opinions, y compris des opinions dissidentes(89). Peu importe si ces commentaires cherchent à clarifier l'opinion de la majorité à la lumière de l'opinion dissidente, ou à amener une transformation de l'opinion dissidente en droit positif, ils sont toujours utiles aux tribunaux et à la communauté juridique et sont souvent cités dans les arrêts de la Cour suprême.

Les dissidences peuvent également enrichir le dialogue constant qui a lieu entre les tribunaux et les assemblées législatives(90). Au cours des deux dernières décennies au Canada, un dialogue presque constant s'est établi entre le Parlement fédéral et la Cour suprême, notamment en matière de poursuites d'infractions d'ordre sexuel y inclus les agressions sexuelles. Les dispositions législatives contestées et déclarées inconstitutionnelles par la Cour ont suscité un dialogue entre le Parlement et les tribunaux, en ce que le Parlement a adopté des lois qui, à l'occasion, ont transformé une approche judiciaire minoritaire en législation constitutionnelle.

Au début des années 1980, le Parlement avait ajouté des dispositions nouvelles au Code criminel, pour protéger les victimes d'agressions sexuelles contre la divulgation et l'exposé de leurs relations sexuelles antérieures. Dans R. c/ Seaboyer(91), la majorité de notre Cour a jugé que certaines des nouvelles dispositions étaient inconstitutionnelles, parce qu'elles portaient atteinte aux droits de l'accusé à une défense pleine et entière.

Le Parlement a légiféré à nouveau et a adopté les lignes directrices énoncées par la majorité dans Seaboyer(92). Peu après, la Cour a été saisie d'un aspect différent de la preuve dans ce type d'instance : la communication à l'accusé des dossiers médicaux et thérapeutiques des victimes. En l'absence de dispositions législatives portant directement sur la question, la majorité a établi dans l'arrêt R. c/ O'Connor(93) un seuil de recevabilité relativement bas pour la communication de ce type de preuve. L'opinion dissidente a formulé des critères plus stricts, fondés non seulement sur la règle de la pertinence de la preuve et le droit constitutionnel de l'accusé à une défense pleine et entière, mais aussi sur les droits constitutionnels des victimes à l'égalité et à la vie privée(94).

Le Parlement, rejetant l'approche de la majorité de la Cour qui permettait l'admission de faits souvent complètement dépourvus de pertinence, a légiféré encore une fois, adoptant un seuil d'admissibilité plus élevé comme l'avait proposé l'opinion dissidente dans O'Connor. Lorsque la constitutionnalité de ces dispositions a été contestée en 1999, la Cour a conclu unanimement que cette approche alternative et minoritaire, mais adoptée malgré cela par le législateur, ne violait pas les droits constitutionnels de l'accusé, avec une réserve relativement mineure exprimée par le juge en chef(95).

Les dissidences peuvent également susciter un dialogue dont la portée dépasse ces échanges avec les commentateurs d'arrêts et le législateur. D'une part, elles sont un outil pédagogique important dans les universités, où l'enseignement du droit dans la plupart des facultés canadiennes privilégie encore l'étude et la discussion des arrêts en relation avec la doctrine. On demande aux étudiants d'évaluer le mérite relatif des opinions majoritaires et dissidentes, les unes à la lumière des autres, afin de développer leur esprit analytique et les sensibiliser au fait que le droit permet souvent plusieurs solutions possibles à un même problème.

Par ailleurs, puisque les opinions dissidentes offrent souvent une perspective nouvelle ou nuancée de concepts familiers, elles sont particulièrement aptes à engager un dialogue avec les générations futures qui partagent cette même perspective. Il n'est peut-être pas surprenant, par exemple, qu'à la Cour suprême du Canada, les trois femmes qui y ont siégé depuis 1982(96) ont été plus souvent portées que la moyenne à rédiger ou à appuyer des opinions dissidentes(97), surtout dans l'interprétation des droits constitutionnels à l'égalité soulevés directement ou indirectement dans les domaines de droit pénal(98) et de droit fiscal(99) notamment.

Enfin, ces opinions peuvent même susciter un dialogue à l'échelle internationale, dans la mesure où des tribunaux étrangers, à la recherche de solutions à des problèmes sur lesquels ils n'ont pas encore de jurisprudence bien développée, peuvent choisir parmi les nombreuses approches formulées majoritairement ou minoritairement dans d'autres pays. Ainsi, certaines opinions dissidentes des juges de la Cour suprême du Canada ont été reprises, par exemple, par la majorité de la Cour constitutionnelle de l'Afrique du sud(100), qui cherchait à interpréter sa nouvelle loi constitutionnelle et notamment ses dispositions sur les droits à l'égalité.

L'opinion dissidente : sauvegarde de l'intégrité du droit et des institutions judiciaires

Au-delà de leur apport potentiel au développement du droit, les dissidences peuvent rehausser la légitimité des tribunaux, dans la mesure où elles préservent et renforcent l'indépendance judiciaire, favorisent la collégialité parmi les juges, et rehaussent la cohérence des décisions du tribunal.

Sur le plan individuel, les opinions dissidentes renforcent l'indépendance des juges, car elles assurent que les juges ne répondent en dernier ressort qu'à leur conscience individuelle. L'interdiction d'exprimer une dissidence risquerait, par opposition, de compromettre l'impartialité des juges, c'est-à-dire leur ouverture d'esprit(101), car s'il lui est impossible de recourir à la dissidence, un juge qui est susceptible d'être persuadé par la preuve et les arguments soumis ne pourra pas toujours agir en conformité avec sa propre appréciation du droit applicable, lorsqu'elle ne concorde pas avec celle de la majorité(102). En cas de discordance grave, l'impossibilité de pouvoir exprimer son opinion créerait une situation entièrement antithétique à la conception du rôle du juge au Canada.

Les opinions dissidentes tendent également à maintenir l'intégrité personnelle du juge, qui n'est pas obligé de signer des opinions avec lesquelles il n'est pas d'accord. Songeons simplement aux juges Thurgood Marshall et William Brennan Jr. aux États-Unis, par exemple, qui ont exprimé sans exception leur dissidence face à l'acceptation par la majorité de la constitutionnalité de la peine de mort(103). Il est facile alors de concevoir les conflits de conscience et la frustration que peuvent éprouver les juges face à une impossibilité totale d'exprimer leur opposition profonde au droit tel qu'il est énoncé par la majorité dans de telles instances.

De même, et sur le plan institutionnel, si les dissidences permettent aux juges d'être fidèles à eux-mêmes, elles peuvent également favoriser la collégialité parmi les juges. D'une part, les juges qui ont une perspective différente et minoritaire sur certaines questions ne sont pas obligés de livrer une bataille acharnée auprès de leurs collègues pour faire valoir leur point de vue, puisque leur opinion pourra tout de même leur être communiquée ainsi qu'au public au lieu d'être tuée dans l'oeuf. D'autre part, les juges majoritaires ne sont pas obligés non plus de rechercher constamment le compromis, au détriment parfois de leurs principes et de la cohérence de leurs motifs(104) (Hughes, supra note 2, aux pp. 67-68.).

Ce ne sont pas tellement les opinions dissidentes qui font l'objet de critiques, mais plutôt l'incohérence et le manque de clarté de certaines décisions majoritaires(105). Le public et les juristes semblent reconnaître qu'il ne serait pas réaliste de s'attendre à ce que les juges soient toujours unanimes, puisque les questions constitutionnelles qui leur sont soumises sont, presque inévitablement, parmi les plus controversées et souvent les plus difficiles à résoudre. La qualité de l'argumentation, et non pas l'unanimité en soi, constitue ainsi la meilleure sauvegarde de la légitimité de l'institution et de l'autorité de la décision.

On crée une fausse dichotomie d'ailleurs en assimilant les opinions unanimes à la clarté et à l'autorité, et les opinions dissidentes à l'incohérence. En cas de désaccord profond entre les juges, le droit lui-même est le principal bénéficiaire des dissidences, car au lieu de sacrifier la lucidité du raisonnement au besoin d'accommoder tous les points de vue divergents, chaque juge peut concentrer ses efforts sur la justification logique et persuasive de sa conception du droit, qu'elle soit majoritaire ou minoritaire.

Les opinions dissidentes permettent ainsi d'améliorer en principe la qualité des décisions, puisque le juge qui écrit au nom de la majorité sait qu'il doit persuader ses collègues de la justesse de son avis ou risquer de perdre publiquement la partie(106). De son côté, le juge qui rédige l'opinion dissidente s'évertue souvent à démontrer les faiblesses du raisonnement majoritaire, ce qui peut, dans certains cas, mener à des modifications importantes de ce raisonnement, et davantage, si le juge dissident réussit à persuader plusieurs de ses collègues de la justesse de ses critiques. De surcroît, le juge dissident doit lui aussi développer son analyse de façon rigoureuse, afin de tenter de convaincre ses collègues et ses lecteurs que son approche est préférable. Ainsi, dans toutes les opinions dissidentes importantes mentionnées plus haut, le raisonnement s'appuyait sur une recherche méticuleuse et était entièrement justifiable en droit, ce qui assurait également sa pérennité.

Toutefois, et comme le montre l'expérience canadienne à cet égard, un exercice sans discernement du droit de rédiger une opinion séparée risque de porter atteinte à l'intégrité du droit et des institutions judiciaires. Les exigences de la légitimité institutionnelle imposent donc certaines limites à l'exercice de ce droit pour prévenir les excès de l'individualisme. À cet égard, le juge Ruth Bader Ginsburg de la Cour suprême des États-Unis a raison de suggérer que les vrais dangers des opinions dissidentes sont le recours trop fréquent à ces opinions pour des raisons triviales et l'utilisation d'un langage excessivement critique envers la décision majoritaire(107). Elle observe que les dissidences les plus efficaces sont celles qui peuvent exister indépendamment de l'opinion majoritaire. Ces opinions font état des divergences avec la majorité, sans pour autant utiliser un langage susceptible de compromettre la collégialité des juges ou le respect et la confiance du public(108). En ce sens, les « grands dissidents » canadiens et américains sont encore des modèles, en ce qu'ils n'étaient dissidents que lorsqu'ils le jugeaient absolument nécessaire et appuyaient leurs motifs par une recherche rigoureuse(109).

Le fait qu'actuellement trente pour cent seulement des jugements de la Cour suprême du Canada(110) sont l'objet d'une dissidence indique bien que les juges ne rédigent des opinions dissidentes qu'en cas de différends importants. Ainsi, dans la plupart des pourvois, même les juges « férocement indépendants » acceptent que les avantages d'une décision unanime, pourvu qu'elle soit cohérente, l'emportent sur les préoccupations individuelles des juges. Ce fait est entièrement cohérent, par ailleurs, avec le constat d'une fréquence nettement plus élevée de dissidences dans le domaine du droit constitutionne(111), car il implique presque inévitablement des questions d'importance nationale qui suscitent, par conséquent, des divergences plus profondes.

Conclusion

Dans ce monde polyphonique, il me semble important de reconnaître la valeur d'une source potentielle de mélodies nouvelles, dont celle que constitue le plus haut tribunal constitutionnel du pays. L'expérience canadienne et américaine tend à démontrer, à mon avis, que les opinions dissidentes dans les jugements dont l'objet revêt une grande importance pour la société civile, ou qui soulèvent des questions de droit nouvelles, permettent au droit de s'adapter aux valeurs nouvelles de la société de façon graduelle, à travers l'exploration et l'explication par les juges, et par les juristes actuels et futurs, des diverses approches possibles face à une même problématique. Deuxièmement, elles tendent à renforcer la légitimité des institutions judiciaires, en ce qui a trait à l'impartialité des juges, leur collégialité et la cohérence de leurs décisions. En droit constitutionnel, les opinions dissidentes peuvent ainsi jouer un rôle considérable dans le développement d'une jurisprudence riche et capable d'évolution dans le domaine des droits et libertés fondamentaux.

Certes, les dissidences ne contribuent pas toujours au droit. Elles risquent souvent même de tomber en désuétude dès leur publication, car les tribunaux inférieurs citeront l'opinion majoritaire de la cour la plupart du temps(112), l'opinion dissidente n'ayant généralement aucun poids contraignant.

Parfois, cependant, elles conservent toute leur force, pour devenir ensuite des principes fondamentaux de droit qui n'auraient peut-être jamais vu le jour si les dissidences n'étaient pas possibles. Or, c'est peut-être précisément dans cette incertitude que réside leur justification la plus convaincante : en permettant les opinions dissidentes, on évite d'écraser, sous la pression de l'opinion majoritaire, les germes du droit en devenir, avant même qu'ils ne prennent racine dans l'esprit judiciaire.

(1) Citation du juge en chef Hughes de la Cour suprême des États-Unis. V. : C. Hughzq, The Supreme Court of the United States, New York, Columbia University Press, 1928, à la p. 68.
(2) Il nous incombe de cerner d'emblée la définition de l'opinion dissidente, afin de mieux cadrer la discussion qui suit. La dissidence peut porter soit sur le résultat auquel en arrive la majorité, soit sur les principes de droit qui le sous-tendent. Cette dernière forme de dissidence nous intéresse particulièrement, car elle est plus apte à avoir un impact significatif sur le droit de l'avenir que ne l'est une opinion qui ne conteste que le résultat. Il faut également préciser qu'au Canada, comme en Angleterre et aux États-Unis, il peut y avoir plusieurs opinions individuelles en accord ou en désaccord les unes avec les autres, ce qui peut aboutir à une décision « à la pluralité » (l'opinion qui obtient l'appui du plus grand nombre de juges), accompagnée de nombreuses autres opinions qui s'accordent peut-être sur le même résultat mais non sur le moyen d'y arriver. Il n'y a donc pas de motifs majoritaires. En fait, ce sont ces décisions - assez rares ces jours-ci au Canada - qui font l'objet des critiques les plus virulentes, car elles peuvent nuire à la clarté et à l'autorité de la décision. V. à ce sujet : C. L'Heureux-Dubé, « The Length and Plurality of Supreme Court of Canada Decisions », (1990) 28 (3), Alberta Law Rev. 581.
(3) L'ancien juge en chef du Canada, Bora Laskin, a parlé du « droit précieux » qu'est la dissidence. V. : B. Laskin, « The Supreme Court of Canada : A Final Court for Canadians » (1951) 29, Canadian Bar Rev. 1038, à la p. 1048. Au Canada, toutefois, il n'y a pas beaucoup de textes sur la tradition de l'opinion dissidente, bien qu'on commente très souvent les opinions dissidentes dans les articles de revue. V. infra, note 48.
(4) V. les commentaires de plusieurs des lords juges anglais pendant les années 1960-1970 dans : A. Paterson, The Law Lords, Toronto, University of Toronto Press, 1982, aux pp. 104-109.
(5) Aux États-Unis, on a beaucoup écrit sur la contribution des opinions dissidentes au droit américain. Pour ne donner que quelques exemples, voir : P. Jackson, Dissent in the Supreme Court, New York, William S. Hein & Co., 1991 ; D. E. Lively, Foreshadows of the Law, Westport, Praeger, 1992 ; R. Primus, Canon, Anti-Canon, and Judicial Dissent (1998) 48, Duke L. J. 243 ; K. Stack, The Practice of Dissent in the Supreme Court (1995) 105, Yale L. J. 2235 ; T. Shea, The Great Dissenters : Parallel Currents in Holmes and Scalia (1997) 67 (2) 397 ; F. P. O'Connor, The Art of Collegiality : Creating Consensus and Coping with Dissent (1998) 83 (3), Massachusetts Law Rev. 93 ; M. Mello, Adhering to our Views : Justices Brennan and Marshall and the Relentless Dissent to Death as a Punishment, (1995) 22 (3) Fla. St. U. L. Rev. 591 ; E. Gaffney Jr., The Importance of Dissent and the Imperative of Judicial Civility (1994) 28 (2) 583 ; M. Bergman, Dissent in the Judicial Process : Discord in the Service of Harmony (1991) 68 (1) 79.
(6) Ses mots précis étaient les suivants :

The dissent is « offered as a corrective - in the hope that the Court will mend the error of its ways in a later case. [...] The most enduring dissents are the ones in which the authors speak, [...] as »Prophets with Honor.« These are the dissents that often reveal the perceived congruence between the Constitution and the »evoloving standards of decency that mark the progress of a maturing society,« and that seek to sow seeds for future harvest. These are the dissents that soar with passion and ring with rhetoric. These are the dissents that, at their best, straddle the worlds of literature and law. [...] [T] he dissent [...] safeguards the integrity of the judicial decision-making process by keeping the majority accountable for the rationale and consequences of its decision. » (7) Jackson, supra, note 6, l'a bien dit ainsi :

Generally the dissenter has viewed the core of mass acceptance with skepticism and found it wanting. He has supplied the « con » in the debate that lies at the basis of modern democracy. He has borne the scorn of the herd whose collective thinking he challenges. He is the heretic whose heresy may not stand the rays of established thought or the spectrum of time. Or he may be the prophet whose heresy of today becomes the dogma of tomorrow (p. 3).
(8) Ces réflexions porteront surtout sur les décisions constitutionnelles de la Cour suprême du Canada, bien que la juridiction de la Cour suprême du Canada couvre tous les domaines du droit canadien. Il faut également noter que les cours d'appel provinciales rédigent aussi des décisions comprenant des opinions dissidentes de portée importante. Pour n'en donner qu'un exemple, les opinions dissidentes rendues en cour d'appel font partie intégrante du droit pénal procédural, puisque les accusés ont le droit automatique de porter en appel toute décision de la cour d'appel dans laquelle un des juges était dissident : Code criminel, LRC 1985, c. C-46, art. 691 (1) (a) et 691 (2) (a).
(9) V. à ce sujet, K. Zobell, Division of Opinion in the Supreme Court : A History of Judicial Disintegration (1959) 44 Cornell L. Q. 186, aux pp. 187-191. V. aussi Paterson, supra note 5, aux pp. 96-100. Le format seriatim n'était toutefois pas le seul en Angleterre. S'il est vrai que depuis le xixe siècle, les juges de la Chambre des lords rendent leurs décisions individuellement et parfois accompagnées d'opinions dissidentes, cela n'a pas toujours été le cas. Zobell, ibid., à la p. 189. De même, le Conseil privé, la cour de dernier ressort pour les anciennes colonies britanniques, rendait presque toujours ses décisions à l'unanimité, son rôle de « conseiller à sa Majesté » l'empêchant, semble-t-il, de donner des conseils contradictoires au chef d'état. V. : Laskin, supra note 4, à la p. 1073.
(10) Prince Edward Island (Commissioner of Public Lands) c/ Sulivan, [1877] 1 R.C.S. 3. Le banc était composé de cinq juges. Chaque juge a délivré une opinion, le juge Taschereau étant dissident.
(11) L'Heureux-Dubé, supra note 3, aux pp. 583-84.
(12) C'est peut-être parce qu'il existait encore à l'époque un recours au Conseil privé d'Angleterre, division de la Chambre des Lords qui entendait les appels des anciennes colonies britanniques. V. : J. Snell et F. Vaughan, The Supreme Court of Canada, Toronto, The Osgoode Society, 1985, à la p. 35. Il est intéressant ici de faire le contraste avec la situation aux États-Unis, où un des premiers juges en chef de la Cour suprême, John Marshall, voulait dès les années 1820 que les décisions soient rendues le plus souvent possible au nom « de la Cour », et donc de façon unanime. Il estimait que les opinions seriatim tendaient à promouvoir la dissension et l'incohérence. À la même époque, toutefois, le président Jefferson tentait de convaincre les autres juges, notamment le juge Johnson, qu'il fallait se battre pour conserver le format seriatim. Selon un auteur, le président tentair d'atténuer l'influence du juge en chef, dont il n'aimait pas beaucoup les opinions. V. Jackson, supra note 6, aux pp. 15 et 20-25. Depuis, la Cour suprême américaine n'est jamais retournée à l'énonciation systématique de décisions unanimes « de la cour ».
(13) L'Heureux-Dubé, supra note 3, à la p. 584.
(14) Snell et Vaughan, supra note 13, à la p. 142.
(15) V. par ex. ce que disait en 1951 le professeur Bora Laskin, qui est devenu juge en chef de la Cour suprême du Canada en 1973 :

« Some of the cases reported in 1950 would indicate that from time to time there is a serious effort to arrive at an opinion of the Court in the sense of having one judge speak for all. But there are enough other cases reported in the same year which indicate – if I may so say, with respect – a conspicuous waste of time and an unnecessary cluttering of the reports with separate reasons by individual judges amounting to mere repetition. A perusal of three recent cases – [Reference ce Wartime Leasehold Regulation, (1950) S.C.R. 124 ; A.-G. N.S. v. A.-G. Can., (1951) S.C.R. 31 ; and Reference re Validitiy of Section 5 (a) of the Dairy Industry Act, (1949) S.C.R. 1, aff'd [1950] 4 D.L.R. 689 (P.C.)] – reveals that, aside from the dissenting judgments in the last case, the judges of the majority could easily have said once what is set out several times to the same effect. » (16) P. McCormick, « The Supervisory Role of the Supreme Court of Canada », (1992) 3, Supreme Court Law Review (2nd series), 1, à la p. 27. Ce format est encore l'exception, et non la règle. Elle fut utilisée dans 1,6 % des décisions rendues par la Cour pendant que Laskin était juge en chef, et dans 9,8 % des décisions sous le juge en chef Dickson.
(17) Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11. [ci-après, la Charte.]
(18) V. par ex. : P. McCormick, Follow the Leader : Judicial Power and Judicial Leadership on the Laskin Court, 1973-1984 (1998) 24, Queen's, L.J. 237, à la p. 239 ; et B. Wilson, Decision-Making in the Supreme Court (1986) 36, University of Toronto, L.J. 227, à la p. 239.
(19) Ainsi, même si la Cour n'a jamais cherché à imposer l'unanimité dans toutes les instances, la fréquence des opinions dissidentes a diminué considérablement, passant de 41,3 % en 1949 à 20 % en 1990. De façon plus générale, la Cour rend de moins en moins d'opinions multiples concurrentes. V. : McCormick, supra note 17, aux pp. 24-25.
(20) La Cour suprême ne publie pas de statistiques sur la fréquence des opinions dissidentes dans les différents domaines couverts par la juridiction de la Cour. Une recherche préliminaire basée sur le recueil électronique des décisions publiées de la Cour, Quicklaw, nous permet toutefois de faire le calcul approximatif de la fréquence des opinions dissidentes dans les pourvois soulevant des questions de droit constitutionnel. La fréquence moyenne des dissidences pour les années 1877-1984 était de 50 %. La fréquence moyenne de 1985 à janvier 2000 était de 57 %. La fréquence moyenne des dissidences dans les pourvois soulevant des questions de droits fondamentaux sous la Charte de 1982 à janvier 2000 était de 78 %.
(21) Ontario Lawyers Weekly, 27 July 1984.
(22) À l'exception du Québec, le Canada reste assez proche du modèle britannique, dans la mesure où les décisions des tribunaux sont encore perçues comme des sources importantes de droit et de précédent, même si ceci est moins le cas aux États-Unis. V. M. Wells, « French and American Judicial Opinions » (1994) 19, Yale J. of Int'l. L. 81, aux pp. 116-117. V. pour un exposé très sommaire de la situation au Québec la note 25, infra.
(23) Wells, ibid., à la p. 86. Même si la majorité des opinions écrites n'a pas toujours ces qualités, elles correspondent bien aux attentes des juristes formés dans la tradition de la common law. D'après cet auteur, il y a plusieurs autres explications possibles aux différences de style entre les opinions françaises et anglo-américaines, dont : le raisonnement « formel » et déductif du modèle civiliste par opposition au modèle plus « substantiel » américain (motifs basés sur des valeurs sociales et la « politique judicaire »); le rôle des tribunaux dans la société, c'est-à-dire la portée beaucoup plus importante du contrôle constitutionnel par les tribunaux américains (et canadiens); l'histoire juridique de la France révolutionnaire et la culture de méfiance de ses citoyens envers les juges, par opposition à une considération un peu plus élevée pour les juges dans les pays de common law, qui se sont montrés plus enclins à soumettre le gouvernement à la règle de droit.
(66) La présentation des décisions de la Cour d'appel du Québec diffère légèrement du format plus common law des décisions de la Cour suprême du Canada, en ce qu'elles commencent par l'énonciation du résultat au nom de « La Cour ». Les décisions au Québec gardent, toutefois, le style narratif et didactique plus typiquement anglo-américain et admettent la possibilité qu'il y ait une opinion dissidente. V. : E. Deleury et C. Tourigny, « L'organisation judiciaire, le statut des juges et le modèle des jugements dans la province de Québec » dans H. P. Glenn, dir., Droit québécois et droit français : communauté, autonomie, concordance, Québec, éditions Yvon Blais, 1993, 191 à la p. 215. Étant donné que la publication des arrêts au Québec était très intermittente jusqu'au milieu du xixe siècle, il est difficile de savoir quand a été rendue la première opinion dissidente au Québec. V. R. Crête, S. Normand et T. Copeland, « Law Reporting in Nineteenth Century Quebec » (1995) 16, J. of Legal History 147. Il est donc très difficile d'établir la source des opinions dissidentes au Québec. Dès les années 1850, cependant, les recueils montrent régulièrement des opinions dissidentes. V. : Desbarats c/ La Fabrique du Québec (1851) 1, Lower Canada Reports/Décisions des tribunaux du Bas-Canada 79 (Banc de la Reine en appel, Dist. du Québec, le juge Rolland dissident); The British Fire and Life Assurance Company c/ McCuaig et al. (1851) 1, Décisions des tribunaux du Bas-Canada 157 (Banc de la Reine en appel, Dist. de Montréal, le juge Rolland dissident); Lina et al. c/ Boyer (1851) 1, Décisions des tribunaux du Bas-Canada 139 (Cour supérieure de Montréal, le juge Vanfelson dissident). Toutefois, on voit dans le même receuil au moins une décision rendue par une formation de trois juges per curiam (décision unanime et anonyme) : Bruneau c/ Fosbrooke (1851) 1, Décisions des tribunaux du Bas-Canada 92 (Cour supérieure de Montréal). On peut donc offrir au moins l'hypothèse que ce format hybride et non-standardisé révèle l'influence au Québec des traditions anglaise, française et américaine. Ces influences se retrouvent encore dans la forme actuelle des décisions de la Cour d'appel du Québec.
(67) R. c/ Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, à la p. 136, per le juge en chef Dickson. V. également à ce sujet : K. Stack, supra note 6, qui suggère que la justification des opinions dissidentes se trouve beaucoup plus dans la théorie de la démocratie délibérative que dans le concept de la règle de droit.
(68) J. Locke, An Essay Concerning Human Understanding, Oxford, Clarendon Press, 1894.
(69) [1975] 1 R.C.S. 423.
(70) Traduit au Canada par « la fiducie par interprétation ». C'est un concept par lequel on reconnaît le droit en equity d'une personne sur un bien, même si cette personne ne détient pas le titre de propriété légal du bien, dans les cas où la non-reconnaissance de ce droit donnerait lieu à un « enrichissement sans cause » du propriétaire.
(71) [1978] 2 R.C.S. 436. En fait, les juges Dickson, Laskin et Spence étaient avec la majorité quant au résultat, mais n'avaient pas l'appui de la majorité quant au moyen d'arriver à ce résultat, c'est-à-dire l'application du principe du « constructive trust ». Selon les deux autres juges qui étaient en accord avec Dickson, Laskin et Spence sur le résultat, il n'était pas nécessaire d'avoir recours à cette doctrine puisque le concept plus traditionnel et limité de la « fiducie par déduction » (resulting trust) était suffisant en l'espèce.
(72) [1980] 2 R.C.S. 834. C'est une évolution d'autant plus intéressante par le fait qu'on accepte dans ce pourvoi que le même raisonnement s'applique aux conjoints de fait. La Cour s'est également appuyée sur l'analyse du « constructive trust » dans Rawluk c/ Rawluk, [1990] 1 S.C.R. 70, l'intégrant dans son analyse des dispositions d'une nouvelle loi sur la division des biens matrimoniaux qui incorporait déjà le raisonnement des juges Laskin et Dickson.
(73) [1978] 1 R.C.S. 29.
(74) En droit pénal canadien, on distingue entre les crimes d'intention générale (y compris l'agression sexuelle) et les crimes d'intention spécifique (généralement des infractions graves telles le meurtre). En 1978, la défense de l'ivresse n'était disponible à l'accusé que lorsqu'il était question d'un crime d'intention spécifique. Le juge Dickson tentait d'élucider dans sa dissidence toutes les difficultés qui découlaient de cette distinction, dont le fait de priver l'accusé d'une défense possible à de nombreux crimes. Il jugeait la situation incompatible avec le principe fondamental « qu'en général la culpabilité [dépend] de la preuve par le ministère public que l'accusé avait l'intention d'accomplir les actes qu'on lui impute ». R. c/ Leary, ibid., aux pp. 32 et 43.
(75) [1988] 2 R.C.S. 833, les juges Wilson et L'Heureux-Dubé, majoritaires sur le résultat mais minoritaires sur le raisonnement. En fait, le juge en chef Dickson était dissident avec le juge Lamer, car il estimait que l'opinion du juge Wilson n'était pas allée assez loin quant à l'adoption de son opinion dissidente dans Leary.
(76) [1994] 3 R.C.S. 63.
(77) V. : Civil Rights Cases, 109 U.S. 3, 26-62 (1883), le juge Harlan dissident ; Plessy v. Ferguson, 163 U.S. 537 (1896), à la p. 559. Le juge Harlan, dissident, a jugé inconstitutionnelle une loi qui prohibait aux « citoyens de la race noire » de voyager dans les mêmes wagons de train que les passagers blancs, tandis que la majorité affirmait sa constitutionnalité, en vertu de la doctrine « separate but equal ». V. également : Gaffney, supra note 6, aux pp. 601-604.
(78) Brown v. Board of Education, 347 U.S. 483 (1954).
(79) V. par ex. : United States v. Schwimmer, 279 U.S. 644, 653-54 (1929), dans laquelle les juges Holmes et Brandeis, dissidents, tentaient de faire valoir que la décision de nier la citoyenneté à un étranger ne devait pas dépendre de ses opinions politiques, en l'occurrence, les croyances pacifistes d'une femme juive hongroise.
(80) Frank v. Mangum, 237 U.S. 309 (1915). Les juges dissidents soutenaient que les droits procéduraux de l'inculpé, propriétaire d'une entreprise et accusé d'avoir tué une de ses employées, avaient été violés lors de son procès, qui avait attiré l'attention de la nation et qui s'était déroulé dans un atmosphère de préjugés et sous la menace de foules violentes.
(81) Moore v. Dempsey, 261 U.S. 86, 91 (1923). Le juge Holmes, cette fois pour la majorité, a invoqué son opinion dissidente dans Frank, ibid., afin d'appuyer sa conclusion qu'un procès contre des Afro-américains accusés de meurtre avait violé leurs droits constitutionnels à un procès juste et équitable, car le tribunal avait été influencé par une « vague irrésistible de passion publique ».
(82) Hammer v. Dagenhart, 247 U.S. 251 (1918). Les juges Holmes, Brandeis et deux autres juges étaient dissidents dans ce pourvoi où la majorité a jugé inconstitutionnelle la prohibition par le Congrès du transport commercial de produits de l'industrie du coton ayant nécessité le travail d'enfants de moins de quatorze ans. Cette décision a été infirmée dans United States v. Darby, 312 U.S. 100 (1941), qui a jugé constitutionnel le Fair Labor Standards Act qui prohibait, entre autre, le transport et la livraison des produits fabriqués avec le travail des enfants de moins de 16 ans.
(83) Ce sont les mots du juge Holmes, dissident avec Brandeis dans Schenck v. United States, 249 U.S. 47 (1919), sur la question des limites à la liberté d'expression. À l'époque à laquelle ils écrivaient, ils cherchaient à limiter le pouvoir de l'État d'interdire l'expression d'opinions politiques en faveur du parti socialiste, entre autres.
(84) Jackson, supra note 6, à la p. 168.
(85) Pour les juges Laskin et Dickson, v. McCormick, supra note 19, à la p. 129 ; pour les juges américains, voir GaffneyY, supra note 6, à la p. 608.
(86) Au Canada, par exemple, le droit constitutionnel à la liberté d'expression a suscité de nombreuses opinions dissidentes. S'il est vrai que la première tentative de définir la portée de la nouvelle garantie à l'article 2 (b) de la Charte a été rendue unanimement (v. Ford c/ Québec (P.-G.), [1988] 2 R.C.S. 712), les juges de la Cour suprême se sont montrés beaucoup moins aptes, dans les décisions subséquentes, à se mettre d'accord sur les pouvoirs du gouvernement d'y imposer des limites en vertu de l'article premier de la Charte, qui permet la restriction des libertés pourvu que ce soit par « règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique ». V. par ex. : Irwin Toy Ltd. c/ Québec (P.-G.), [1989] 1 R.C.S. 927 (les juges Beetz et McIntyre dissidents); R. c/ Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697 (les juges La Forest, Sopinka et McLachlin dissidents); R. c/ Zundel, [1992] 2 R.C.S. 731 (les juges Gonthier, Cory et Iacobucci dissidents); RJR-MacDonald Inc. c/ Canada (P.-G.), [1995] 3 R.C.S. 199 (les juges LaForest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et Cory dissidents); Thomson Newspapers Co. c/ Canada (P.-G.), [1998] 1 R.C.S. 877 (les juges Lamer, L'Heureux-Dubé et Gonthier dissidents).
(87) V. Hughes, supra note 2 ; Clark, supra note 7.
(88) Le juge américain, Ruth Bader Ginsburg, emprunte ce terme au professeur Gunther, pour décrire le pouvoir limité, mais significatif, des tribunaux de faire évoluer le droit sans toutefois aller trop loin vers la législation judiciaire. R. Bader Ginsburg, « Speaking in a Judicial Voice » (1992) 67 N.Y.U., Law Rev. 1185, à la p. 1209.
(89) Les exemples de commentaires et articles sur les arrêts de la Cour, et notamment sur certaines opinions dissidentes, sont beaucoup trop nombreux pour les énumérer ici. Récemment, par exemple, il y a eu un nombre important de commentaires au sujet des décisions de la Cour sur des questions sociales importantes, qui ont suscité beaucoup d'attention dans les médias ainsi que parmi les juristes, tels : les droits constitutionnels de l'accusé et de la victime dans les poursuites d'agression sexuelle ; l'euthanasie ; le pouvoir du gouvernement fédéral de réglementer la publicité des compagnies de tabac ; le droit à l'égalité des homosexuels ; et les droits constitutionnels des peuples autochtones au Canada. V. par ex. sur le droit constitutionnel de l'accusé de contre-interroger la victime et de présenter une preuve sur le comportement sexuel antérieur des victimes d'agressions sexuelles : P. Kobly, « Rape Shield Legislation : Relevance, Prejudice and Judicial Discretion » (1992) 30 (3), Alta. L. Rev. 988 ; S. Martin, « Some Constitutional Considerations on Sexual Violence Against Women » (1994) 32 (3), Alta. L. Rev. 535 ; E. Shilton and A. Derrick, « Sex Equality and Sexual Assault : In the Aftermath of Seaboyer » (1991) 11, Windsor Y. B., Access to Justice 107 ; J. Mcinnes and C. Boyle, « Judging Sexual Assault Law Against a Standard of Equality » (1995) 29 (2), U.B.C.L.J. 341. Sur le droit de l'accusé d'accéder aux dossiers médicaux et thérapeutiques des victimes d'agressions sexuelles, les commentaires suivants qui tendent à appuyer les opinions dissidentes dans les nombreuses décisions de la Cour sur ce sujet : K. Busby, « Discriminatory Uses of Records in Sexual Violence Cases » (1997) 9, Can. J. of Women & the Law 148 ; J. Smith and R. Haigh, « Valorizing the Subjunctive, The Unfortunate Judicial Contribution of R. v. Carosella » (1998) 32, U.B.C. L. Rev. 127-151 ; L. Colton, « R. v. Stinchcombe : Defining Disclosure » (1995) 40, McGill L.J. 525. Sur le pouvoir du parlement fédéral de réglementer la publicité des fabricants de tabac et l'opinion dissidente dans R.J.R.-MacDonald Inc. c/ Canada (P.-G.), [1994] 1 R.C.S. 311 : M. Parrish, « On Smokes and Oakes : A Comment on RJR-MacDonald Inc. v. Canada (A.G.) » (1997) 24, Man. L.J. 665-696. Sur la question de l'euthanaisie et l'arrêt Rodriguez c/ Colombie Britannique (P.-G.), [1993] R.C.S. 519 : I. Dundas, « Case Comment : Rodriguez and Assisted Suicide in Canada » (1994) 32 (4), Alta. L. Rev. 811. Sur le droit à l'égalité des homosexuels et les opinions dissidentes dans les premiers arrêts de la Cour sur cette question, v. R. Wintermute, « Sexual Orientation Discrimination as Sex Discrimination : Same-sex Couples and the Charter in Mossop, Egan and Layland » (1994) 39, McGill L.J. 429 ; B. Donais, « Three Strikes and Human Rights is Out : Case Comment on Canada (Attorney General) v. Mossop » (1993) 57, Sask. L. Rev. 363. Sur les droits constitutionnels des peuples autochtones du Canada et les opinions dissidentes de certains juges de la Cour sur la question, v. par ex. : D. Elliott, « Fifty Dollars of Fish : A Comment on R. v. Van Der Peet » (1996) 35 (3), Alta. L. Rev. 759.
(90) Pour une discussion plus générale du dialogue tribunaux - assemblées législatives, v. P. Hogg and A. Bushell, « The Charter Dialogue » (1987) 35, Osgoode Hall L.J. 75.
(91) [1991] 2 R.C.S. 577. J'étais dissidente dans ce pourvoi. Pour une discussion utile des approches divergentes au sein de la Cour aux droits constitutionnels des victimes et des accusés tels que soulevés dont les poursuites pour l'agression sexuelle, v. S. Martin, « Some Constitutional Considerations on Sexual Violence against Women » (1994) 32 (3), Alberta Law Rev. 535.
(92) L.C. 1992, c. 38. Cette législation est présentement attaquée comme inconstitutionnelle devant la Cour suprême.
(93) [1995] 4 R.C.S. 410.
(94) V. R. c/ O'Connor, ibid., per le juge L'Heureux-Dubé.
(95) R. c/ Mills, [1999] S.C.J. No. 68 (disponible sur le site Internet de la Cour suprême du Canada, ainsi que toutes les décisions de la Cour rendues depuis 1989 : www.scc-csc.gc.ca ; ou également sur le site : www.droit.umontreal.ca). Cette fois, seul le juge en chef Lamer était en partie dissident, car il a jugé inconstitutionnelles certaines des nouvelles dispositions, en ce qu'elles portaient atteinte aux droits de l'accusé dans la mesure où elles s'appliquaient aux dossiers en la possession ou sous le contrôle du ministère public, par opposition aux dossiers en la possession de tiers.
(96) Les juges Bertha Wilson (qui a siégé de 1982 à 1991), Beverley McLachlin (nommée en 1989, maintenant juge en chef) et moi-même (nommée en 1987). Notre nouvelle collègue, le juge Louise Arbour, nommée en juin 1999, et n'a pas encore publié de motifs de jugement.
(97) F. L. Morton, P. H. Russell and T. Riddell, « The Canadian Charter of Rights and Freedoms : A Descriptive Analysis of the First Decade 1982-1992 » (1996) 5, N.J.C.L. 1, à la p. 39 ; P. McCormick, « The Most Dangerous Justice : Measuring Judicial Power in the Lamer Court, 1991-97 » (1999) 22 (1), Dalhousie L. J., à la p. 123.
(98) V. par ex., et encore dans le contexte de poursuites relatives à des infractions d'ordre sexuel : R. c/ Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, les juges LaForest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin, dissidents ; R. c/ O'Connor, supra note 52, les juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et McLachlin dissidents ; et R. c/ Esau, [1997] 5 R.C.S. 777, les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin dissidentes.
(99) V. Symes c/ Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin, dissidentes ; R. c/ Thibaudeau, [1995] 2 R.C.S. 627, les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin, dissidentes. Nous ne parlons pas toujours, cependant, d'une voix unanime. V. par ex. : R. c/ Seaboyer, supra note 49 ; et Gould c/ Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571.
(100) Hugo v. South Africa (President) 1997 (4) S.A. 1 (CC) au par. 41, arrêt dans lequel la Cour a approuvé en partie le raisonnement de l'opinion dissidente dans Egan c/ Canada, [1995] 2 R.C.S. 513. V. également : The National Coalition for Gay and Lesbian Equality and Others v. Minister of Home Affairs and Others, 1999 CCT 10/99 (Afrique du sud). Ces décisions sont disponibles sur le site Internet de la Cour constitutionnelle : www.law.wits.ac.za/.
(101) Au Canada, on définit l'impartialité comme étant « l'état d'esprit de l'arbitre désintéressé eu égard au résultat et susceptible d'être persuadé par la preuve et les arguments soumis. » R. c/ R.D.S., [1997] 3 R.C.S. 484.
(102) Ce n'est pas pour dire, toutefois, que les dissidences mettent fin complètement, ni qu'elles devraient mettre fin, au processus d'échange, et donc d'influence mutuelle, que comprend inévitablement l'acte de juger ensemble avec plusieurs collègues. Le juge Brandeis, par exemple, utilisait apparemment parfois des ébauches d'opinions dissidentes de façon stratégique, afin de convaincre le juge qui écrivait pour la majorité de réviser son opinion - non pas parce que Brandeis tenait tellement à être dissident, mais parce qu'il savait que le simple fait de se faire comparer à l'opinion dissidente convaincrait l'autre juge de l'importance de modifier ses motifs pour refléter l'analyse de Brandeis. V. : P. Strum, Louis D. Brandeis, Justice for the People, New York, Schocken Books, 1989, aux pp. 369-370.
(103) V. par ex. : Clark v. Arizona, 449 U.S. 1057 (U.S.) et Gaffney, supra note 6, aux pp. 620-621.
(104) Le juge en chef Hughes a écrit à ce sujet :

« When unanimity can be obtained without sacrifice of conviction, it strongly commends the decision to public confidence. But unanimity which is merely formal, which is recorded at the expense of strong, conflicting views, is not desirable in a court of last resort, whatever may be the effect upon the public at the time. This is so because what must ultimately sustain the court in public confidence is the character and independence of the judges. They are not there simply to decide cases, but to decide them as they think they should be decided. »
(105) Au Canada, c'était le problème créé par les opinions seriatim, qui diminuaient l'autorité des jugements parce qu'on ne pouvait pas déterminer quelle était véritablement la ratio approuvée par la majorité, puisque chaque juge l'énonçait de façon différente. V. Snell and vaughan, supra note 13, à la p. 35. Ce problème n'a toutefois pas disparu totalement avec l'abandon des opinions seriatim. Dans R. c/ Mills, [1986] 1 R.C.S. 863, par exemple, on aurait eu besoin d'une carte routière pour identifier les principes et le résultat approuvés par la majorité (les juges Beetz, McIntyre et Chouinard écrivant ensemble, avec le juge La Forest rédigeant une opinion séparée) et même ceux approuvés par les juges dissidents (le juge en chef Dickson et le juge Lamer écrivant ensemble, et le juge Wilson rédigeant une opinion dissidente séparée). Pour des exemples plus récents de ce phénomène, voir : R. c/ Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30 ; Thomson Newspapers c/ Canada, [1990] 1 R.C.S. 425 ; RJR-MacDonald Inc. c/ Canada (P.-G.), [1995] 3 R.C.S. 199 ; et R. c/ O'Connor, supra note 52. Ces décisions sont de plus en plus rares, cependant, et les difficultés qu'elles posent pour les juristes ne résident pas dans la présence d'une opinion dissidente, mais plutôt dans le fait qu'elles comportent plusieurs opinions, unanimes sur le résultat, mais non sur le raisonnement.
(106) V. : Wilson, supra note 19, à la p. 236. Cet article d'un juge retraité de la Cour suprême du Canada fournit une description détaillée et exacte de la manière dont la Cour fonctionne aux pp. 235-238. Les étapes principales incluent : (1) la conférence après l'audition, au cours de laquelle les juges échangent leurs idées et coordonnent la rédaction de l'opinion ou des opinions ; (2) la rédaction des opinions et la distribution des ébauches aux juges ; (3) les échanges de commentaires entre les juges et nouvelle distribution, si nécessaire, des opinions. Parfois ce n'est qu'à cette étape que, même si la conférence concluait à l'unanimité de la Cour, un ou plusieurs juges décident qu'ils ne peuvent souscrire à l'opinion majoritaire et rédigent donc une opinion séparée ; (4) en règle générale, les juges donnent leur accord sur l'une ou l'autre opinion après avoir pris connaissance de toutes les opinions.
(107) Bader Ginsburg, supra note 47, à la p. 1191.
(108) Ibid., à la p. 1196. Il semble qu'aux États-Unis, le problème de critiques démesurées commence à susciter une certaine inquiétude. Le Canada n'a pas encore vraiment connu ce genre de problème jusqu'à maintenant. V. également à ce sujet : Gaffney, supra note 6.
(109) V. Bader Ginsburg, supra note 47, à la p. 1191 ; Jackson, supra note 6, aux pp. 18-19. Même le juge Holmes, un des « grands dissidents », disait qu'il est inutile et généralement peu souhaitable d'exprimer sa dissidence, sauf lorsqu'on est profondément convaincu de son opinion. V. Northern Securities Co. v. United States, 193 U.S. 197, 400 (1904); O. W. Holmes, His Book Notices and Uncollected Letters and Papers, New York, Central Book Co., 1936, 196.
(110) V. Cour suprême du Canada, Statistiques : 1988 à 1998, disponible sur le site web : www.scc-csc.gc.ca.
(111) V. la note 21, supra.
(112) Les tribunaux inférieurs au Canada citent l'opinion majoritaire de la Cour suprême 90 % du temps. V. : P. McCormick, « The Most Dangerous Justice : Measuring Judicial Power » (1999) 22 (1), Dalhousie L. J. 93, à la p. 103.