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Faut-il maintenir la jurisprudence issue de la décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 ?

Guy CARCASSONNE - Professeur de droit public à l'Université de Paris X (Nanterre)

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 7 (Dossier : La hiérarchie des normes) - décembre 1999

Elle a déjà changé. Le Conseil constitutionnel, en 1975, donnait à la condition de réciprocité une portée qu'il a spectaculairement réduite en 1998 et 1999 (1). Trois conséquences en résultent.

La première est de reformuler la question. Elle n'est déjà plus de savoir s'il faut maintenir la jurisprudence de 1975, mais de s'interroger sur la nécessité d'en conserver quelque chose.

La deuxième conséquence est qu'a disparu du même coup le pilier principal sur lequel reposait l'édifice, qui flotte désormais dans une curieuse lévitation.

La troisième conséquence est qu'un premier accroc rend les suivants moins pénibles, surtout dans un tissu largement passé, et pas seulement de mode.

Voilà donc une jurisprudence qu'on peut interroger sans révérence, puisque ceux qui l'avaient inventée ont eux-mêmes buté sur ses limites.

D'autres, et avec quel talent (2), ont déjà détaillé les désordres de toutes sortes que cette décision a provoqués. On ne quitte les labyrinthes que pour entrer dans des impasses, et toutes les contorsions imaginées pour justifier cette décision plaident plus pour la fécondité de leurs auteurs que pour la pertinence de la cause qu'ils ont épousée.

Mais, après tout, il est des désordres fertiles, dans lesquels la nature libérée reprend ses droits, d'où naît un ordre nouveau. Rien de tel ici. À qui donc, ou à quoi, profitent la multiplication des incertitudes, la diversification des voies de droit contre la loi française, l'aléa judiciaire, sans parler du chagrin des théoriciens ?

Au moins, en n'exerçant pas le contrôle de conventionnalité, le Conseil constitutionnel est-il à l'abri des désaveux que, dans le cas contraire, pourraient lui infliger des juridictions supranationales. Son « prestige » est sauvegardé à n'être pas soumis, entre autres, au « contrôle indirect de la Cour européenne des droits de l'homme » (3). Voire ! L'on peut trouver que laver son linge sale en famille, quitte à se faire occasionnellement reprocher quelque tache inaperçue, reste plus digne que négliger l'hygiène.

Si le prestige d'une juridiction dépendait de l'impossibilité qu'elle fût contredite, par quiconque, en quelque circonstance que ce soit, il se fonderait sur un simple argument d'autorité, auquel on a pris l'heureuse habitude de préférer la légitimité. Au cas précis, ce n'est pas de sa position, acquise dès l'origine, que le Conseil a tiré son aura, mais bien de sa jurisprudence. Passée la politesse, le respect qu'on inspire est toujours une conquête. Le Conseil a su mener la sienne à bien, par le contenu de ses décisions bien plus que par l'autorité que leur attribue l'article 62.

L'intérêt, cependant, de l'inquiétude ainsi évoquée est celui d'un indice.

Il est vrai que, statuant sur l'une des deux premières saisines que lui adressaient des parlementaires, le Conseil était fondé à se soucier de son image. À peine ébauchée à l'époque, il lui fallait le temps de la fixer, sans que vînt la brouiller ce qu'un excès de témérité eût pu avoir d'intempestif. Mais il n'en est plus là. Nous n'en sommes plus là. Et le fait que, pourtant, cet élément soit encore évoqué dans des écrits contemporains montre combien le débat est daté.

1975, c'était il y a un siècle ! La loi, pour l'essentiel, restait l'expression de la volonté générale sans que quiconque se fût assuré qu'elle se situât dans le respect de la Constitution. Elle demeurait l'écran infranchissable disposé devant les pas de la Cour de cassation comme du Conseil d'État. Les traités, hors le droit international privé, ne créaient aucun droit subjectif. Les juridictions n'avaient pas découvert la compétition. La Constitution ignorait l'Europe.

Pour juger autrement qu'il le fit alors, le Conseil eût dû faire preuve d'une admirable prescience, d'un indomptable courage, d'une bonne dose d'inconscience. Il a manqué au moins la dernière.

Mais, pour maintenir aujourd'hui cette jurisprudence d'hier, il lui faudrait une myopie singulière, une étonnant timidité et, toujours, une bonne dose d'inconscience.

À bien y réfléchir, la décision de 1975 non seulement ne repose sur aucun fondement solide mais en réalité surcharge de subtilités inutiles une lecture de l'article 55 qui gagnerait à être plus simple et plus roborative.

Il suffit, comme aiment à dire les tacticiens du sport, d'en revenir aux fondamentaux, précepte que reprennent les économistes américains sous la forme back to basics (I). Et il apparaît alors que tous les motifs avancés pour fuir ce choix ne sont que de commodité, moyennant quoi quelques efforts de souplesse et d'imagination permettent de conclure dans un sens opposé la nécessaire enquête de commodo et incommodo (II).

I. Back to basics

Si l'article 55 affirme la supériorité du traité par rapport à la loi, il ne prescrit cependant pas que le contrôle du respect de ce principe doive être assuré dans le cadre de l'article 61, commence par écrire la décision de 1975. Soit ! Mais quel est donc le principe auquel serait explicitement incorporée une telle prescription ? Le Conseil a-t-il eu besoin d'être textuellement contraint pour soumettre à sa vérification le respect du principe d'égalité, du droit de propriété ou de toute autre norme de valeur constitutionnelle ? L'article 61, en visant la « conformité à la Constitution », opère une prescription suffisamment générale pour dispenser de prescriptions particulières. Fallait-il donc que le Conseil fût conscient du caractère discutable de son abstention pour commencer par rappeler qu'il n'était pas explicitement contraint d'agir ! Mais passons. Il y a là comme la trace d'une gêne à faire un choix que seules les circonstances pouvaient légitimer. Car, pour défendable qu'il pouvait être alors, il s'agissait bien d'un mauvais choix (A), opéré pour de mauvaises raisons (B).

A. Un mauvais choix

Il n'est pas question de reprendre ici le détail des critiques très solidement articulées dans de nombreux commentaires. L'encre de la décision était à peine sèche que Jean Rivéro avait déjà pointé du doigt sa faiblesse principale (4), en soulignant l'incongruité de la condition de réciprocité appliquée aux conventions de protection des droits de l'homme. Il n'y avait plus alors qu'un pas modeste à faire pour appliquer la même observation, sur une terre plus roturière, à l'ensemble des engagements multilatéraux.

L'on concédera immédiatement que la décision de 1975 est totalement justifiée s'agissant des traité bilatéraux, mais l'on ne concédera que cela et, pour le reste, l'on se rangera sans hésiter derrière l'argumentation implacable que contiennent l'examen clinique et l'étiologie du malaise qu'a décrit Denys de Béchillon(5).

L'essentiel étant ainsi fait, ou plutôt emprunté, l'on se bornera à évoquer quelques arguments complémentaires, que l'on n'a pas trouvés développés ailleurs, faute peut-être d'avoir bien cherché.

Premier argument complémentaire : n'est-il pas étrange, même en adoptant un instant la logique de 1975, de paraître accorder à la chose jugée par le Conseil constitutionnel une essence particulière ? Bien sûr, l'article 62 est insistant. Mais n'est-ce pas simplement parce que des nécessités pédagogiques l'obligeaient à l'être ?

L'innovation, proprement révolutionnaire, qu'était l'institution du contrôle de constitutionnalité en 1958 imposait, sauf à ce qu'elle manquât son but, que, de la manière la plus nette comme la plus ferme, fût indiquée à tous, et d'abord à ceux qui seraient les plus tentés de la méconnaître (pouvoirs publics et autorités administratives, voire juridictionnelles), l'autorité attachée aux décisions du Conseil. Mais dans des pays moins traditionnellement réticents à ce contrôle, le premier alinéa de l'article 62 aurait suffi, comme en Espagne ou en Italie (6), à moins que cela aille sans dire, comme en Allemagne. Aussi cette disposition traduit-elle sans doute moins un spécificité du Conseil que la marque d'une idiosyncrasie française.

Car, enfin, les décisions prises par la Cour de cassation ou le Conseil d'État n'ont-elles donc pas, elles aussi, « un caractère absolu et définitif » ? On ne manquera pas de chipoter sur l'absolu : d'une part, l'article 1351 du code civil introduit un relatif, d'autre part, l'absolu constitutionnel semble seul erga omnes. Mais il demeure, d'abord, que, au moins en droit pénal (7), l'autorité qui couvre les décisions des juges suprêmes a bien, dans leur sphère, un caractère absolu et définitif, dont l'essence ne paraît pas fondamentalement différente de celle des décisions du juge constitutionnel. Et il demeure, ensuite, que, au moins en ce qui concerne l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte réglementaire, le juge administratif prend également des décisions revêtue d'une autorité absolue de chose jugée, et ce erga omnes.

Dès lors, si la condition de réciprocité dressait un véritable obstacle au contrôle de conventionnalité, cet obstacle ne disparaîtrait pas devant les juridictions ordinaires, aux décisions desquelles peut aussi s'attacher un caractère absolu et définitif, à l'égard des parties en tout état de cause, et très au-delà d'elles assez souvent.

Deuxième argument complémentaire : à contingent, contingent et demi !

Défendant la jurisprudence de 1975, Louis Favoreu et Loïc Philip observent que « le traité, en tant que norme de référence a un contenu variable dans le temps et dans l'espace, alors que la Constitution a un contenu immuable et définitif (sous réserve de révision) valable à l'égard de tous » (8). Sans doute avaient-ils raison dans la première édition de leur célèbre ouvrage, en 1975, mais plus dans la neuvième, en 1997. N'était-elle pas finalement contingente l'inconstitutionnalité que le Conseil a sanctionnée dans sa décision 93-325 DC du 13 août 1993 à propos du droit d'asile (9), tout comme l'est devenue depuis celle dont il avait tiré les conséquences, alors légitimes, dans sa décision 82-146 DC du 18 novembre 1982, à propos des quotas par sexe (10)? Tout est dans la parenthèse, « sous réserve de révision ». Ce qui est « immuable et définitif » peut-il être sous réserve ? La contradiction dans les termes a, depuis, relevé son éclat au rythme de révisions multiples.

En outre, si l'on sait que la Constitution peut être amendée, il reste à démontrer qu'on puisse unilatéralement dénoncer une partie d'un traité, par exemple l'un des protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme, sans dénoncer le tout (11), ce qui est politiquement pratiquement impossible, de sorte que, tout bien considéré, certains engagements internationaux au moins peuvent se révéler sensiblement plus immuables et définitifs que la Constitution.

Quant à la relativité des traités, tenant au caractère limité de leur champ d'application, en quoi se distingue-t-elle, au juste, de celle de la Constitution ? Jusqu'à plus ample informé, celle-ci est bien limitée au seul pays qui l'a adoptée, tout comme les traités sont limités aux seuls pays qui les ont ratifiés. En sens inverse, pour ces pays, et comme le Conseil l'a rappelé lui-même à propos de la règle Pacta sunt servanda (12), ces traités sont un absolu comme, pour la France, l'est sa Constitution.

En fait, la Constitution change finalement plus que la majeure partie des conventions internationales. Exeunt immuabilité et permanence. En droit, la valeur d'une norme, comme référence d'un contrôle, ne tient de toutes façons ni aux limites de son champ géographique d'application, ni à la fréquence des changements qui l'affectent. Exeunt relativité et contingence.

Troisième et dernier argument accessoire : n'est-il pas contradictoire de veiller au respect d'une supériorité qui n'est qu'implicite, tout en s'abstenant de veiller au respect d'une supériorité qui, elle, est explicite ? Sauf à avoir lu la Constitution trop vite, l'on n'y a pas trouvé la disposition indiquant que « les loi organiques régulièrement adoptées ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois ». Cela n'a pas empêché le Conseil constitutionnel de prendre les positions que l'on sait, dès 1960. L'implicite parlait si fort que la jurisprudence l'a évidemment entendu. Mais l'explicite de l'article 55 s'exprimait-il donc à voix si basse qu'on pût y faire la sourde oreille ? À cela on rétorquera aisément que l'implicite est inconditionnel. Soit, mais alors il faut admettre aussitôt que l'explicite aussi est devenu inconditionnel, au moins pour les conventions multilatérales, et accepter d'en tirer les conséquences logiques.

Ces trois remarques pourraient certes ne pas suffire à emporter la conviction. Aussi bien n'y aspirent-elles pas, mais seulement à ajouter quelques éléments aux démonstrations déjà faites, allant dans le même sens.

Et c'est de celles-ci avant tout que l'on retient le sentiment troublant d'une jurisprudence en état d'apesanteur. Qu'est-ce donc, aujourd'hui, qui fonde en droit cette formule de 1975, au moins depuis que s'est effondré le support qui lui donnait une apparence ? Rien, en vérité, et elle ne se maintient que par fidélité à certaines des causes qui l'avaient fait naître.

Ce n'est pas une argumentation juridique solide qui a conduit à refuser le contrôle de conventionnalité, c'est le refus du contrôle de conventionnalité qui avait forcé à le justifier par une argumentation juridique fragile.

C'est donc sur les raisons de ce refus qu'il faut maintenant se pencher, juste le temps de constater qu'elles sont mauvaises.

B. De mauvaises raisons

Louis Favoreu et Loïc Philip sont ceux qui les expriment le mieux, en dressant la liste des « conséquences considérables et inacceptables qu'aurait eues l'introduction des accords internationaux dans le bloc de constitutionnalité » (13). La liste en est longue, mais ce n'est pas en trahir l'esprit de dire qu'elle se ramène à deux idées essentielles : la quantité des normes rend impossible la qualité du contrôle.

1) La quantité des normes

« Plusieurs milliers d'engagements internationaux sont en vigueur dans notre pays à l'heure actuelle » soulignent nos auteurs, qui ajoutent un peu plus loin que cette masse s'alourdit encore de celle, considérable, du droit communautaire dérivé. C'est parfaitement exact, mais ce n'est pas dirimant.

D'abord, il faut retrancher tous les traités ou accords bilatéraux, dont a vu que la supériorité par rapport à la loi demeure effectivement contingente, parce que logiquement liée à la condition de réciprocité, ce qui peut justifier pleinement que la jurisprudence de 1975 soit maintenue à leur égard. De quelques milliers, le total des engagements internationaux multilatéraux fond à quelques dizaines seulement, sans doute moins encore.

Ensuite, le champ ainsi logiquement restreint ne laisse subsister, pour l'essentiel, que quelques conventions majeures, au premier rang desquelles, bien sûr, la convention européenne des droits de l'homme. Or, s'il arrive évidemment — sinon le sujet n'aurait aucun intérêt — que le droit international soit plus généreux que l'interne, pour l'essentiel ils se superposent l'un à l'autre, dans les pays assez démocratiques, dont le nôtre, pour n'être pas en retard de liberté. De ce fait, le complément de références qu'apporterait le contrôle de conventionnalité serait fort loin d'être aussi envahissant qu'on le donne à penser.

Reste, enfin, la question du droit communautaire dérivé. D'une part, elle ne pose pas de problèmes effectifs tels qu'ils soient insurmontables. D'autre part, quelle que puisse être leur importance, le Conseil constitutionnel lui-même oblige à s'en accommoder.

Sur le premier point, Denys de Béchillon a tout dit en écrivant que l'on « ne songerait pas à confronter la conformité d'une législation de procédure pénale à un règlement communautaire précisant la notion d'escalope de poulet » (14). De fait, seuls quelques textes pertinents, ici aussi, seraient susceptibles d'être invoqués à l'encontre de lois qui, elles-mêmes, se soucient assez peu de courbure du concombre.

Sur le second point, et quelles que puissent être les difficultés que laisserait subsister le premier, la constitutionnalisation (15), via le préambule de 1946, de la règle Pacta sunt servanda paraît difficilement compatible avec le fait de se résigner à laisser promulguer une loi que l'on saurait contraire aux engagements européens librement souscrits par la France, de surcroît lorsque l'on se rappelle que celle-ci, le plus souvent, a de nouveau explicitement acquiescé aux décisions de droit dérivé adoptées avec son concours ou, pour le surplus, y a au moins consenti par avance. Et lorsque la France s'oblige, chacune de ses institutions en a sa part, le Conseil constitutionnel comme les autres.

Il est bien incorporé, au regard du droit international, à l'unité de la personnalité juridique de l'État, astreint donc, comme chacun de ses démembrements, au respect de ce droit, qui implique même que l'action de ses juridictions peut engager la responsabilité internationale de la Nation toute entière. Le Conseil constitutionnel est assujetti au droit international, et lui aussi tenu à la règle Pacta sunt servanda, ajoutons volens, nolens.

Mais, objectera-t-on, même après les coupes claires évacuant les conventions bilatérales, même après les coupes sombres, touchant tous les textes dont l'invocation serait sans pertinence, le maquis des normes de référence demeurerait trop touffu pour s'accommoder des contraintes résultant de l'article 61. Bôf.

2) La qualité du contrôle

Exercer un contrôle abstrait, qui plus est en un mois, sur des lois qui peuvent être très longues, par référence à des textes susceptibles de le devenir aussi, serait ou impossible ou téméraire.

S'agissant des normes de référence, si loin qu'il se soit élargi, le bloc de constitutionnalité conserve des dimensions humaines. Le dispositif, plus 1789 et 1946 et leurs dérivés, plus les lois organiques, voilà un corpus suffisamment connu pour qu'il soit possible d'y soumettre utilement les lois déférées. Au contraire, l'irruption soudaine, dans la supra-légalité, de conventions multilatérales et de l'ensemble du droit communautaire rendrait impossible toute délivrance d'un brevet de conformité.

De cela, on conviendra aisément. Mais est-ce parce que l'on ne peut pas faire tout qu'il faudrait ne rien faire ? Des solutions techniques existent (infra, II, B), couramment employées dans d'autres domaines, qui permettraient aisément de surmonter cette difficulté. On ne s'y arrêtera donc pas, puisqu'on y reviendra.

Mais quand cela serait réglé, demeurerait l'autre problème : n'est-il pas doublement téméraire, d'une part, de statuer in abstracto, d'autre part, de courir le risque d'être déjugé par une autre juridiction à laquelle, de surcroît, l'on ne pourrait adresser de question préjudicielle ?

Le contrôle a priori a ses inconvénients, mais il a également ses mérites, et la sécurité juridique qu'il apporte est le premier d'entre eux. L'on ne peut donc logiquement, ici pas plus qu'ailleurs, opposer ceux-là en oubliant ceux-ci. Au contraire, le contrôle de conventionnalité pourrait enfin permettre de cumuler les vertus des deux systèmes (infra, II, B).

Quant au risque d'être contredit, il existe déjà. Sur tous les droits et libertés clonés, consacrés ou protégés dans des termes proches à la fois en droit interne et international, la Cour européenne des droits de l'homme, par exemple, pourrait dès à présent condamner une disposition législative que le Conseil constitutionnel aurait préalablement jugée n'être pas contraire au même principe, explicitement invoqué devant lui 15bis.

S'agissant enfin de l'absence de questions préjudicielles, effectivement incompatibles avec le délai impérativement imposé au pavillon Montpensier, la difficulté n'est pas insurmontable. D'une part, les renvois en interprétation ou en appréciation de validité sont loin d'être toujours indispensables. La jurisprudence du Conseil d'État en atteste déjà (16) : il est bien des cas dans lesquels la contradiction, ou son absence, est suffisamment visible et peu douteuse pour que le juge national soit en mesure de prendre sur lui la solution. D'autre part, la censure a posteriori, par l'autorité compétente, d'une norme internationale à laquelle une loi française aurait été déclarée non conforme serait une mésaventure regrettable, mais pas irrémédiable. En premier lieu, c'est le risque couru, en permanence, pour toute norme (loi ou décret) censurée pour violation d'une norme supérieure (Constitution ou loi) qui, changeant à son tour, fait disparaître la contrariété pourtant déjà sanctionnée. Alors on recommence, et ce n'est pas un drame. En second lieu, à l'égard des justiciables, le Conseil d'État s'est d'ores et déjà donné les moyens de revenir sur ce qu'une telle situation pourrait avoir d'inconvenant, en ouvrant la possibilité, nouvelle et féconde, de tenir directement compte d'un « changement dans la situation de droit » (17).

Mais, finalement, le plus important est sans doute ailleurs.

Il tient aux caractéristiques communes à toutes les objections avancées qui sont, en dernière analyse, de se fonder non pas sur des motifs de droit, mais bien sur des considérations d'opportunité.

Le droit, lorsqu'il s'abstient d'acrobaties, conduit à une lecture utilement fruste de l'article 55 : puisque la Constitution dispose que les engagements régulièrement approuvés ou ratifiés ont une valeur supérieure à celle des lois, la loi qui méconnaît cette supériorité viole du même coup la Constitution. Il s'agit là, comme le souligne à juste titre Dominique Rousseau, d'un « raisonnement, d'une évidente simplicité » (18). Paraphrase : ce n'est que dans le respect des engagements internationaux qui lui sont supérieurs que la loi est conforme à la Constitution.

C'est au retour à cette simplicité, benoîte, que l'on voudrait appeler — back to basics — car enfin si, comme on en a le sentiment, les motifs qui ont conduit à s'en éloigner étaient de pure opportunité, politique ou juridictionnelle, nul doute qu'il soit temps de les reconsidérer, et d'observer alors que d'autres solutions existent, en fait nettement moins incommodes et sans doute plus satisfaisantes en droit.

II. Commodo et incommodo

C'est en effet à l'un des partisans du maintien de la jurisprudence de 1975, et des plus éminents, que l'on doit la plus extrême franchise, qui l'a conduit à évoquer quelques uns des motifs d'opportunité pour en déduire la nécessité de maintenir cette jurisprudence « même si la hiérarchie des normes voulue par la Constitution (n'y) trouve pas pleinement son compte, au moins devant le juge constitutionnel » (19).

Pour sortir de ce qui, chaque jour passant, est plus qu'un inconfort, plusieurs solutions ont été avancées qui, sans aucun doute, permettraient de redonner au paysage une plus grande harmonie. Disons-le tout de suite, elles seraient théoriquement parfaites, mais cette perfection même oblige à rappeler aussitôt que le mieux (A) peut être ennemi du bien (B).

A. Le mieux

Elle est indubitablement logique l'idée qui consiste à plaider pour l'adoption, enfin, de l'exception d'inconstitutionnalité, qui pourrait d'ailleurs offrir l'occasion de créer simultanément, comme une variante à ajouter en option, une exception d'inconventionnalité. C'est intellectuellement facile, politiquement difficile, logiquement inutile.

La majeure partie des objections, essentiellement techniques, à l'exercice du contrôle de conventionnalité par le Conseil constitutionnel, tomberait d'elle-même avec l'introduction d'une procédure a posteriori. La rencontre du concret sécuriserait l'appréciation à porter. La disparition du délai de trente jours donnerait le temps de faire le tour de la question. Les modalités à retenir pourraient même ménager, en tant que de besoin, la possibilité de questions préjudicielles. Bref, sans qu'il y ait lieu à détailler ici, l'achèvement de la procédure lancée en 1990(20) permettrait aisément de redonner au Conseil constitutionnel le rôle qui doit être le sien et l'autoriserait à l'exercer dans des conditions assez satisfaisantes.

De plus, si l'on devait s'engager dans la voie d'une nouvelle révision, celle-ci pourrait se conformer aux nécessités que l'expérience a fait apparaître, et concevoir un contrôle de conventionnalité, qui pourrait obéir à des règles spécifiques liées à son objet, sur mesure donc, distinctes de celles applicables au contrôle de constitutionnalité. On notera, toutefois, qu'une telle perspective aurait quelque chose de contradictoire : si le contrôle de conventionnalité, comme on peut à le penser, trouve sa source dans l'article 55, il se fond dans le contrôle de constitutionnalité et n'a nulle bonne raison d'en être distingué ; s'il s'en distingue, c'est qu'il est un greffon, ce qui ne suffit pas à le disqualifier mais interdit de le considérer comme une partie naturellement intégrante du dispositif actuel qu'il ne s'agirait que d'améliorer.

Mais, après tout, peu importe ! L'on peut à l'infini disserter sur les mérites de l'exception, d'inconstitutionnalité ou d'inconventionnalité, et demeurer gêné du caractère académique de la discussion. Y a-t-il, peut-il y avoir, à échéance raisonnable, un Premier ministre pour proposer, un Président pour accepter, deux assemblées pour voter, un congrès pour ratifier une révision sur ce sujet ? Non, et nul ne l'ignore.

Plus exactement, la réforme n'est pas à proprement parler impossible — elle pourrait même intervenir à tout moment si une heureuse conjonction astrale la faisait correspondre aux intérêts politiques de qui a le pouvoir de l'introduire — mais elle est beaucoup trop aléatoire pour que l'on puisse entretenir par elle des espoirs lucides. Au mieux, et sauf miracle, il y faudra du temps, et c'est justement lui qui manque.

Le temps manque, en effet, car à poursuivre dans la voie actuellement tracée le Conseil constitutionnel se trouvera irrémédiablement dépossédé bien avant que la Constitution puisse le rétablir dans ses droits.

Le Conseil d'État est déjà passé du grignotage sur le préambule, dans Moussa Koné (21) à la voracité sur les articles 11, 53, 55 et 89 dans Sarran (22) Finis les faux semblants ou les subtilités sucrées, le juge administratif s'est emparé du contrôle de constitutionnalité que la loi suprême ne lui a pas dévolu, mais que son voisin du Palais Royal a eu l'imprudence de lui offrir obligeamment, comme l'a opportunément démontré et rappelé Jean-François Flauss (23).

À ne pas reprendre sa part du contrôle de conventionnalité, à continuer de s'exclure lui-même des « divers organes de l'État » auxquels « dans le cadre de leurs compétences respectives, il incombe ? de veiller à l'application des conventions internationales » (24), le Conseil risque de s'aviser trop tard que, les libertés s'étant découvert des protecteurs plus accessibles, le principe de son prestige s'est volatilisé, que son temps aura pris fin, ne laissant le souvenir évanescent que d'une parenthèse intéressante et rapidement refermée.

En soi, pourquoi pas ? Seul le résultat compte, et si l'État de droit s'en trouve raffermi, il importe peu que cela passe par une aile ou une autre du même monument historique placé au c ? ur du premier arrondissement de Paris.

Mais il se trouve que la question ne se pose pas en ces termes, et que le contrôle de constitutionnalité a présenté une innovation d'une importance telle, et l'irruption de celui qui en a la charge une stabilisation à ce point déterminante, que l'on ne peut se résigner à la perte de substance du premier, ni au repli progressif du second, sans parler des dérèglements de toutes sortes dont l'inéluctable multiplication des bouches de la Constitution fait peser la menace.

Le temps est donc compté pour réagir. L'introduction d'une exception serait une solution intellectuellement aisée. On l'a vue politiquement difficile. Le paradoxe est qu'elle est devenue de surcroît logiquement inutile.

Quels ont toujours été les arguments principaux des tenants de cette révision ? Que les loi antérieures à 1958, ou 1974, ou celles qui postérieures, n'ont pas été déférées au Conseil constitutionnel, ne bénéficient plus d'une immunité éventuellement abusive ; qu'il soit possible, comme l'exigerait une logique saine, de traquer l'inconstitutionnalité où qu'elle gise ; que nul ne puisse se voir appliquer une disposition législative dont la conformité à la loi fondamentale puisse être jugée douteuse ; enfin, surtout, que le contrôle abstrait ne permet pas forcément d'identifier la totalité des éléments d'inconstitutionnalité, que le contrôle concret autorise à percevoir tous. Les ressources inégalées de la réalité, qui en droit aussi dépasse la fiction, l'imagination des plaideurs, et il en est de très féconds, offrent au contrôle concret des ressources que même le plus génial des juges ne peut prétendre approcher, dans l'exercice d'un contrôle abstrait.

Mais, justement, il n'y a plus besoin d'une exception pour cela. Qui avait à se plaindre de la loi Verdeille n'a pas eu à attendre une réforme hypothétique pour faire trancher la question (25). Le justiciable, un peu compétent et déluré, est aujourd'hui en mesure, s'il y a lieu, de trouver la norme internationale qui, dupliquant à sa manière l'un de nos principes constitutionnels, s'oppose à une loi française, puis à convaincre le juge qui pourra l'attester et en tirer les conséquences utiles. Et s'il s'agit d'une incompatibilité avec une norme européenne, le circuit pour la faire constater sera plus court encore. Bref, moyennant quelques sinuosités, ils sont désormais disponibles, les moyens d'atteindre les objectifs que se donnerait une exception d'inconstitutionnalité. La procédure est-elle encore nécessaire, quand on en a la substance ?

Voilà pourquoi ce mieux, que serait une réforme, peut être doublement illusoire. Une première fois par la difficulté à l'atteindre, une seconde fois par l'affaiblissement de l'intérêt qu'elle présente désormais, et qui pourrait ne pas justifier les efforts qu'elle supposerait. Renonçons donc, quitte à y revenir, à ce mieux douteux pour ne pas en faire l'ennemi d'un bien réel.

B. Le bien

L'alternative, en effet, n'est pas nécessairement celle, grossière, entre un contrôle absent ou un contrôle complet. Des solutions existent, qu'il ne dépend que du juge de mettre en ? uvre, qui lui permettraient simultanément d'exercer un contrôle effectif, conforme à la logique constitutionnelle, et plus respectueux du rôle et de la dignité tant de lui-même que du Parlement. Il n'y faut qu'un peu de pragmatisme.

1) Un contrôle effectif

Commençons par évacuer les problèmes d'intendance. Pour ce faire, il suffit que le Conseil exige que toute contestation au titre de la conventionnalité ait été préalablement soulevée dans la discussion parlementaire. Il l'a déjà fait. Il peut le refaire de manière plus légitime encore.

C'est bien lui, de façon purement prétorienne qui, depuis sa décision 77-82 DC du 20 juillet 1977 (26), refuse que soit invoquée directement devant lui la violation de l'article 40 et, ce faisant, contraint les parlementaires à évoquer auparavant la question durant les débats.

Cette exigence est discutable, s'agissant d'une irrecevabilité présentée par ailleurs comme absolue. Mais elle offre un précédent précieux. Le juge peut parfaitement prévoir, et faire savoir, que toute invocation d'une violation de l'article 55 devrait, à peine d'irrecevabilité, avoir elle aussi été préalablement évoquée durant les débats.

Ce que l'article 40 ni ne commande ni n'induit, peut au contraire se déduire sans abus de l'article 55. Dès lors, en effet, que le juge a insisté, au premier considérant de sa décision de 1975, sur le fait qu'il ne détient pas, selon la formule consacrée depuis, « un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement », il est fondé à faire en sorte que son propre pouvoir d'appréciation et de décision ne s'exerce pas dans des conditions plus favorables que celles dont a bénéficié le Parlement et, partant, fondé à exiger que ce dernier ait eu son attention attirée, en temps utiles, sur une possible contradiction entre le traité et la loi, qui pourrait peser d'une poids déterminant sur la décision qu'il s'apprête à prendre.

D'une part, le Conseil serait ainsi efficacement mis à l'abri des moyens inopinés, que ses délais de jugement ne lui permettent pas d'affronter convenablement (27). D'autre part, alerté de la sorte, il serait en mesure, comme cela se pratique déjà couramment, d'anticiper sur la saisine future, et de commencer à en étudier le dossier.

Sans doute n'irait-il pas au-delà de ses attributions en prévoyant une condition de plus, logiquement déduite à la fois de l'article 55, à nouveau, et des contraintes que fait peser l'article 61 : que l'invocation d'une violation de celui-là mentionne précisément la norme internationale dont la méconnaissance est alléguée, et, au moins sommairement, le raisonnement qui permet de le soutenir. Cela, somme toute, serait nettement moins prétorien que de réécrire l'article 40, comme le Conseil l'a pourtant fait sans états d'âme visibles.

Muni de ce viatique, il peut avancer sans crainte. Le fantasme de normes de référence innombrables, à découvrir puis à traiter en moins d'un mois, est aussitôt dissipé. Il l'est même de manière telle qu'elle permet de faire l'économie de divisions toutes discutables, entre incompatibilités manifestes par opposition à celles qui ne le seraient pas, entre droit international classique et droit communautaire, entre droit originaire et droit dérivé, etc. L'obligation d'une identification précise et préalable de la norme internationale — en fait, l'article pertinent , à peine d'irrecevabilité, circonscrit le débat, le rend possible, mais encore, du même coup, circonscrit également les effets qui s'attachent à son issue.

Car, bien entendu, cette méthode multiplie les questions : quid si les saisissants s'abstiennent, ou invoquent à tort une norme respectée alors qu'une autre serait violée, ou si la norme méconnue change elle-même au lendemain de la censure d'une loi qui a ainsi cessé de lui être contraire ?

Et l'on pourrait poursuivre ainsi longtemps la liste inépuisable des interrogations. Mais à toutes il existe une réponse dont le principe est unique.

Il réside dans la mise au point d'un considérant de principe qui, en cas de rejet du moyen, ne vaille pas délivrance d'un brevet de constitutionnalité. L'on n'aura pas l'outrecuidance d'en proposer une rédaction, et le Conseil a déjà fait la preuve de sa capacité à forger les formules adéquates. Tout au plus devrait-il prendre une précaution, pour tenir compte des possibles changements de la norme supérieure : un « en l'état de celle-ci » peut largement y suffire.

Deux hypothèses alors.

Premièrement :

les saisissants ont décelé une contradiction, sur un point précis, entre la loi en cours d'adoption et une norme, également précise, qui lui est supérieure ; ils en ont saisi le juge constitutionnel, dans le cadre de l'article 61, qui constate cette contradiction et la sanctionne comme contraire à l'article 55.

Deuxièmement : les saisissants n'ont pas été assez prompts, ou assez compétents, ou simplement l'objection n'était finalement pas fondée, le Conseil le constate, s'il y a lieu, dans des termes qui n'excluent pas qu'une contradiction puisse exister, mais se bornent à prendre acte de ce que, en l'état, elle n'est pas apparue.

Ne resterait alors que la question de savoir si le Conseil pourrait soulever d'office un moyen tiré de l'article 55. Laissons-la en suspens pour l'immédiat, en observant seulement, d'une part, qu'une réponse affirmative serait peut-être contraire au souci d'une information préalable du Parlement et, d'autre part, qu'une utilisation astucieuse des réserves d'interprétation pourrait aider à surmonter des obstacles éventuels.

Simple et pratique, n'est-il pas ?

Trop simple et pas assez pratique dira-t-on aussitôt : ce serait se donner bien de la peine pour un bien faible résultat. Objection : ce serait au contraire rétablir le Parlement et le Conseil dans la dignité et l'originalité de leurs rôles.

2) Une remise en ordre

Que la loi votée ait cessé d'être inconditionnellement l'expression de la volonté générale, fut dans l'ensemble salué plutôt comme un progrès. Mais n'en est plus un la situation dans laquelle elle devient une sorte de paillasson, sur lequel n'importe quel juge, à l'invitation de n'importe quel justiciable, peut s'essuyer les pieds.

Que se soit répandue ce qu'on a pu appeler une culture de constitutionnalité (28), chacun peut s'en féliciter, les constitutionnalistes en premier. Mais que les principes constitutionnels soient devenus produits de grande consommation, commercialisables sans licence et disponibles en self-service, tandis que l'organe légitime, seul habilité à délivrer les labels de qualité et à lutter contre les faux, serait réduit à l'impuissance, est une tout autre histoire.

Que le Conseil se ressaisisse de ses attributions, et tout rentrera progressivement dans l'ordre. Prenons celui de la chronologie dans la fabrication des normes.

L'approbation ou la ratification d'un engagement international : le revirement de jurisprudence, tardif mais bienvenu, que le Conseil d'État a opéré dans son arrêt du 18 décembre 1998 (29), permet de penser que les assemblées seront effectivement saisies chaque fois qu'il y a lieu à ce qu'elles le soient.

L'adoption de la loi : le Parlement, dûment averti par tel ou tel de ses membres, devra réfléchir à la portée de ses choix, sachant que les mauvais pourront être aussitôt sanctionnés. Il lui faudra donc prendre ses responsabilités et, quoi qu'il en souffre parfois, c'est encore ce qui peut lui arriver de mieux, ne serait-ce que parce que c'est la condition de sa dignité.

Le contrôle a priori de la loi : le Conseil constitutionnel pourra l'exercer dans des conditions proches de celles qui entourent les autres manifestations de son contrôle de constitutionnalité. Et l'intérêt de l'exercice excédera de loin le nombre des censures qu'il prononcera de ce chef. D'une part, chacune de celles-ci sera en elle-même un bienfait, qui n'est pas négligeable, à la fois en ce qu'elle assurera la rigueur et le fera préventivement. D'autre part, et surtout, le Conseil réinvestira ainsi l'entier domaine de la constitutionnalité, sur lequel il pourra réaffirmer sa primauté, nécessaire non à l'ego de l'institution mais à l'unité de la matière.

Le contrôle a posteriori de la loi : il subsistera, dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, s'imbriquant harmonieusement avec le précédent. Mais il n'aura plus qu'un rôle subsidiaire, pour les seules lois, ou les seuls moyens, dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas eu auparavant à connaître, ou pour les cas, assez rares, dans lesquels la norme internationale aura varié dans l'intervalle.

Ne reste alors que la question ultime : le contrôle de conventionnalité étant probablement contraire aux intentions initiales des constituants(30), le Conseil peut-il opérer un revirement d'une telle ampleur ?

L'insertion du préambule dans les normes de référence, elle aussi, était parfaitement contraire aux intentions initiales des constituants. C'est en la décidant quand même que le Conseil est véritablement né en 1971. C'est en faisant de même pour le contrôle de conventionnalité, mais en pouvant s'appuyer de plus sur le texte même de l'article 55, qu'il va renaître en ?

(1) Décision 98-400 DC du 20 mai 1998, Rec. p. 251, considérant n° 5 et surtout, 98-408 DC du 22 janv. 1999, cons. n° 12.
(2) En particulier, Denys de Béchillon, « De quelques incidences du contrôle de la conventionnalité internationale des lois par le juge ordinaire (Malaise dans la Constitution) », RFD adm., 1998, p. 225 et s., et Olivier Cayla, « Le coup d'État de droit ? », Le Débat, n° 100, 1988, p. 108 et s., et bien sûr, pour une approche comparée, la thèse d'Olivier Dord, Cours constitutionnelles nationales et normes européennes, Paris X, 1996, multigraphiée, 714 p.
(3) Bruno Genevois, « Normes de référence du contrôle de constitutionnalité et respect de la hiérarchie en leur sein », Mélanges Braibant, D. 1996, p. 339 et s.
(4) AJDA, 1975, p. 134 et s.
(5) Art. préc.
(6) Art. 164 de la Constitution espagnole et 136 de la Constitution italienne.
(7) Après tout, la révision en matière pénale est nettement plus rare que le changement jurisprudentiel en matière constitutionnelle ?
(8) « Les grandes décisions du Conseil constitutionnel », 9e éd., D. 1997, p. 318, n° 17.
(9) Loi constitutionnelle n° 93-1256 du 25 novembre 1993 relative aux accords internationaux en matière d'asile.
(10) Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l'égalité entre les femmes et les hommes.
(11) V. Jean-François Flauss, « De la dénonciation partielle de la Convention européenne des droits de l'homme », Mélanges Velu, Bruylant, Bruxelles, 1992, t. II, p. 1253 et s. La démonstration de cette impossibilité, en outre, atténue d'autant la force de l'objection, évoquée notamment par L. Favoreu et L. Philip (op. cit., p. 319, n° 19), selon laquelle « une simple dénonciation par le pouvoir exécutif seul, suffit pour mettre fin à (l')application en France » des engagements internationaux au respect desquels la loi serait contrainte.
(12) Déc. 92-308 DC du 9 avr. 1992, Rec. p. 55, considérant n° 7
(13) Op. cit., p. 318, n° 19.
(14) Art. préc., p. 237.
(15) Cf. note 12. / 15 bis. La menace se précise, d'ailleurs, avec la requête Zielinski-Pradal qui pourrait conduire la Cour européenne des droits de l'homme à sanctionner la France pour une validation législative que le Conseil constitutionnel avait explicitement admise dans sa décision 93-332 DC du 13 janvier 1994.
(16) Jean-Paul Markus, « Le contrôle de conventionnalité des lois par le Conseil d'État », AJDA, 1999, p. 99 et s.
(17) Conseil d'État, 2 juin 1999, Meyet, AJDA 1999, p. 560, chron. Fabien Raynaud et Pascale Fombeur, ibid., p. 560 et s.
(18) Droit du contentieux constitutionnel, 4e éd., Montchrestien, 1995, p. 104.
(19) Bruno Genevois, art. préc., p. 339.
(20) Projet de loi constitutionnelle déposé le 30 mars 1990, Doc. AN 2623.
(21) CE, Ass., 9 juin 1996, Koné, Rec. p. 255.
(22) CE, Ass., 30 oct. 1998, Sarran et Levacher et autres, AJDA 1998, p. 1039, chron. Fabien Raynaud et Pascale Fombeur, ibid., p. 962 et s.
(23) RD publ., 1999, p. 919 et s.
(24) Déc. n° 91-293 DC du 23 juill. 1991, Rec. p. 77, considérant n° 5.
(25) CEDH, 29 avr. 1999, Mme Chassagnou et a. c/ France, RFD adm. 1999, n° 3.
(26) Rec. p. 37, considérant n° 5.
(27) Il n'y a nul lieu de craindre que ceci puisse devenir un vecteur d'obstruction. Premièrement, l'obstruction est une pathologie, et non une tentation à laquelle on céderait par cela seul qu'on en a les moyens. Deuxièmement, aucune procédure particulière n'étant nécessaire à l'invocation d'une violation de l'article 55, l'arsenal des obstructeurs ne s'en trouverait pas enrichi. Troisièmement, l'opposition, toujours désireuse de glaner quelques succès auprès du Conseil constitutionnel, n'a nul motif à lui compliquer artificiellement la tâche.
(28) Le Conseil constitutionnel a 40 ans, CC-LGDJ, 1999, p. 84 et s.
(29) CE, Ass., 18 déc. 1998, SARL du parc d'activités de Blotzheim, Rec., Légis-France, n° 198, p. 366.
(30) L. Favoreu, L. Philip, op. cit., p. 319, n° 20.