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Le Tribunal constitutionnel espagnol

Francisco PÉREZ DE LOS COBOS ORIHUEL - Président du Tribunal constitutionnel espagnol

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 49 - octobre 2015 - p. 59 à 68

I – Le système espagnol de justice constitutionnelle

La Constitution espagnole de 1978 (ci-après désignée « CE ») a valeur de norme suprême de l’ordre juridique et prévoit, comme garantie essentielle de sa suprématie formelle et matérielle, l’existence d’un organe spécialisé, dénommé « Tribunal constitutionnel ».

A - L’adoption d’un modèle de juridiction constitutionnelle concentré, mais hybride

En Espagne, le Tribunal constitutionnel joue un rôle prépondérant en matière de contrôle de constitutionnalité sur l’ensemble du territoire national. Il s’agit en fait du seul organe compétent pour déclarer l’inconstitutionnalité des normes ayant force de loi, de sorte qu’il est communément admis que le système espagnol correspond au modèle de juridiction constitutionnelle concentrée ou modèle kelsénien. Néanmoins il ne s’agit pas d’un système concentré au sens strict, dans la mesure où il fait également appel à divers mécanismes et techniques de contrôle diffus.

En effet, l’ordre juridique espagnol n’institue pas, en faveur du Tribunal constitutionnel, de monopole concernant l’exercice du contrôle de constitutionnalité, qui peut également relever des juridictions ordinaires. Les organes judiciaires ordinaires sont compétents non seulement en matière de contrôle de constitutionnalité des normes infra-légales, mais aussi, comme on l’observera plus loin, pour engager les procédures de contrôle de constitutionnalité des normes juridiques. De plus, c’est à eux qu’il appartient, en premier lieu et à titre préférentiel de veiller à la protection des droits fondamentaux. Toutefois, en vertu de la Constitution, la pierre angulaire et ultime ressort de ce mécanisme de contrôle demeure le Tribunal constitutionnel.

B - Le Tribunal constitutionnel garant suprême de la Constitution : notions préliminaires

Placé au sommet du système espagnol de justice constitutionnelle, le Tribunal constitutionnel joue le rôle d’ultime garant et d’interprète suprême de la Constitution. Il est régi par les dispositions du texte constitutionnel lui-même (articles 159 à 165 de la CE) et par la loi organique 2/1979 du 3 octobre 1979 adoptée ultérieurement (ci-après désignée « LOTC »).

Dans sa configuration, l’ordre juridique espagnol s’est nourri de l’expérience d’autres États voisins, principalement de l’Allemagne et de l’Italie. Il a cependant fini par instaurer son propre modèle d’organe de contrôle constitutionnel qui, tout en présentant des similitudes évidentes avec celui de pays proches, possède un certain nombre de traits distinctifs. En tout état de cause, à l’intérieur des limites établies par la Constitution, cette réglementation du Tribunal constitutionnel se conçoit comme un processus dynamique qui a été et continue d’être remanié, lorsque le législateur ordinaire identifie des failles dans son fonctionnement ou de nouvelles réalités nécessitant l’adoption de mesures légales en vue d’une efficacité maximale. Ainsi, depuis son approbation en 1979, la LOTC a fait l’objet de huit révisions, lesquelles n’ont cependant pas toujours atteint pleinement les résultats escomptés.

Par conséquent, le texte ci-dessous a pour objet de présenter l’institution du Tribunal constitutionnel espagnol dans son état actuel, en mettant en évidence les principaux traits distinctifs du système de contrôle de constitutionnalité en vigueur dans notre pays. À cet effet et sans prétendre à une exhaustivité impossible à atteindre ci-dessous, le présent exposé vise à décrire, dans leurs aspects les plus importants, la composition et l’organisation du Tribunal constitutionnel, ainsi que son domaine de compétences et son mode de fonctionnement, pour enfin conclure par une réflexion sommaire sur cette institution.

II – Composition et organisation du Tribunal constitutionnel

Dans cette analyse, le premier point à souligner est que le Tribunal constitutionnel espagnol est indépendant des autres organes constitutionnels et ne constitue pas un organe politique (article 1.1 de la LOTC). Bien que ne faisant pas partie du pouvoir judiciaire, la Constitution le définit comme un organe juridictionnel, chargé de régler les différends dont il est saisi, en rendant des décisions dictées par le droit et non par des critères politiques. Cette nature juridictionnelle du Tribunal constitutionnel détermine sa composition et les critères de sélection des magistrats qui le composent, ainsi que les garanties qui lui sont propres et les principes qui régissent son organisation.

A - Les magistrats : nombre et procédure de sélection

Le Tribunal constitutionnel espagnol est composé de douze membres, soit un nombre pair ce qui, en cas d’égalité des voix dans les décisions, nécessite de recourir au président qui a voix prépondérante (articles 159 de la CE et 90.1 de la LOTC).

Tous les magistrats doivent être nommés parmi des citoyens espagnols exerçant en tant que magistrats, procureurs, professeurs d’université, fonctionnaires publics ou avocats, reconnus comme des juristes compétents et possédant plus de quinze ans d’ancienneté dans l’exercice de leur profession (article 18 de la LOTC).

En vertu de l’article 159.1 de la CE, les douze magistrats sont nommés par le Roi. Toutefois, leur sélection repose sur un mécanisme complexe, dans la mesure où différents organes constitutionnels y prennent part. Huit de ces magistrats sont soumis au vote du parlement : quatre sur la proposition du Congrès des députés, quatre sur celle du Sénat et dans les deux cas, à la majorité des trois cinquièmes. Cette règle de la majorité qualifiée était sans doute destinée à l’origine à faire en sorte que l’élection des magistrats soit le reflet d’un consensus entre les principales forces politiques, au sujet des candidats sélectionnés. Néanmoins, dans la pratique, il arrive que ce mécanisme glisse vers un système de quotas ou de répartition des candidats entre les principaux partis politiques, contournant ainsi l’effort de consensus recherché par la Constitution. Le modèle espagnol est particulier dans le sens où hormis ces huit membres, le reste des magistrats du Tribunal constitutionnel est nommé sur la proposition d’organes liés aux deux autres pouvoirs étatiques, à savoir deux par le gouvernement et deux par le Conseil général du pouvoir judiciaire(1).

B - Statut des magistrats, notamment concernant leurs garanties

Les magistrats finalement nommés doivent être indépendants et exercer leurs fonctions sur la base du principe d’impartialité (articles 159.5 de la CE et 22 de la LOTC). La garantie de cette nécessaire indépendance est un principe qui inspire à son tour le statut juridique des membres du Tribunal constitutionnel.

a) Durée de mandat – L’une des dispositions régies par ce principe est celle relative à la durée du mandat des magistrats, qui sont nommés pour une période de neuf ans (article 159.3 de la CE). Au moyen de cette disposition, les autorités constituantes espagnoles ont opté pour un mandat étendu (plus long que celui d’autres organes tels que le parlement -Cortes- ou le gouvernement), mais sans pour autant instaurer le système de mandat à vie qui est en vigueur dans d’autres systèmes juridiques, l’objectif étant de concilier l’exigence d’indépendance ou d’autonomie et la nécessité d’une adéquation ou d’une corrélation entre les orientations et la sensibilité des membres du Tribunal constitutionnel et celles de la société.

L’article 159.3 de la CE dispose que le Tribunal constitutionnel sera renouvelé par tiers tous les trois ans. Le respect de cette disposition n’a pourtant pas toujours été exemplaire, en raison du retard avec lequel le Congrès et le Sénat ont pu présenter parfois leurs propositions. Pour éviter cette anomalie et favoriser l’élection en temps voulu des magistrats, la LOTC a été modifiée en 2010, afin qu’en cas de renouvellement par tiers tardif, la durée du retard soit déduite du mandat des magistrats nouvellement nommés (article 16.5 de la LOTC). Toutefois, la pratique a montré par la suite qu’en dépit de l’adoption de cette disposition, les renouvellements tardifs continuent d’avoir cours ; par conséquent, non seulement cette mesure n’a pas conduit aux effets positifs recherchés, mais elle a en outre produit un effet négatif, à savoir la réduction du mandat des nouveaux magistrats. Dans tous les cas, les magistrats en poste continuent d’exercer leurs fonctions jusqu’à l’entrée en fonction de leurs successeurs (article 17.2 de la LOTC).

Les postes devenus vacants pour des raisons autres que l’expiration du mandat doivent être pourvus selon la même procédure que celle ayant régi la désignation de leurs titulaires et pour la durée restante du mandat de ceux-ci (article 16.5 de la LOTC). Par conséquent, ce dernier point peut également donner lieu à une durée de mandat du nouveau magistrat inférieure à la période de neuf ans visée à l’article 159.3 de la CE.

b) Inamovibilité – Le caractère inamovible des magistrats dans l’exercice de leur mandat est une autre garantie formelle de leur indépendance, les seuls motifs de destitution ou de suspension valables étant ceux énoncés dans la LOTC (articles 159.5 de la CE et 22 de la LOTC).

Plus précisément, les magistrats du Tribunal constitutionnel ne peuvent cesser leurs fonctions que pour l’un des motifs prévus à l’article 23 de la LOTC. Selon cet article, la cessation ou la vacance du poste concerné est décrétée directement par le président du Tribunal dans les cas suivants : décès, démission acceptée par le président du Tribunal ou expiration de la durée du mandat. Dans les autres cas, la cessation de fonctions est décidée par le Tribunal réuni en assemblée plénière – c’est-à-dire par tous ses magistrats –, à la majorité simple ou qualifiée selon le motif : survenance d’un des motifs d’incapacité prévus pour les membres du pouvoir judiciaire ; survenance d’une incompatibilité ; manque de diligence dans l’accomplissement de ses devoirs ; manquement à l’obligation de réserve propre à ses fonctions ; être déclaré civilement responsable pour dol ou condamné pour un délit dolosif ou une faute grave. L’une des spécificités de notre système réside donc dans le fait de laisser le Tribunal constitutionnel juger de l’existence de l’une des causes de cessation de fonctions, ce qui constitue une garantie supplémentaire de respect du mandat des magistrats

c) Incompatibilités – Le régime des incompatibilités constitue un autre mécanisme destiné à préserver l’indépendance des membres du Tribunal constitutionnel. Conformément à ce régime, la condition de membre du Tribunal constitutionnel est incompatible avec tout mandat représentatif, avec des fonctions politiques ou administratives, des fonctions de médiateur (Defensor del pueblo), des fonctions de direction au sein d’un parti politique, d’un syndicat, d’une association, d’une fondation ou d’un ordre professionnel et avec un emploi au service de ceux-ci, de même qu’avec l’exercice de fonctions judiciaires, de fonctions relevant du ministère public ou avec un emploi au sein d’un tribunal, et avec toute autre activité professionnelle ou commerciale. Pour le reste, les incompatibilités affectant les membres du Tribunal constitutionnel sont celles qui sont propres aux membres du pouvoir judiciaire (articles 159.4 de la CE et 19 de la LOTC).

d) Autres garanties et prérogatives – Le statut juridique des magistrats du Tribunal constitutionnel leur octroie d’autres garanties et prérogatives. Ainsi, outre la garantie explicite dont ils jouissent de ne pouvoir être poursuivis pour les opinions exprimées dans l’exercice de leurs fonctions, leur responsabilité pénale ne pourra être mise en cause que devant la chambre pénale du Tribunal suprême (articles 22 et 26 de la LOTC).

C - Aspects organisationnels

S’agissant de son fonctionnement interne, le Tribunal constitutionnel a le pouvoir de s’organiser de façon autonome, en édictant des règlements devant être approuvés en assemblée plénière, concernant son propre fonctionnement et son organisation ainsi que le régime de son personnel et de ses services, dans le cadre de la LOTC (article 2.2 de la LOTC). En outre, dans l’exercice de son autonomie en tant qu’organe constitutionnel, le Tribunal constitutionnel, réuni en assemblée plénière, établit son budget, lequel s’inscrit sous une rubrique indépendante dans le budget général de l’État (article 10.3 de la LOTC).

Pour le représenter et le présider, le Tribunal constitutionnel réuni en assemblée plénière élit, parmi ses membres, un président (dont il propose au Roi la nomination), ainsi qu’un vice-président. La durée du mandat du président et du vice-président est de trois ans (articles 160 de la CE et 9 et 15 de la LOTC).

Par ailleurs, afin de rationaliser le fonctionnement du Tribunal, les magistrats observent des règles d’attribution et de répartition du travail reposant sur la structure organisationnelle suivante (articles 6 à 14 de la LOTC). Dans un grand nombre d’affaires, les décisions sont adoptées en assemblée plénière, composée, comme indiqué plus haut, de l’ensemble des juges du Tribunal. Les magistrats sont répartis dans deux chambres : six dans la Première Chambre, et six dans la Deuxième Chambre, chacune des chambres possédant des compétences spécifiques. Enfin, pour mener à bien certaines tâches, le Tribunal opère dans les quatre Sections qui le constituent, chacune d’elles étant composée de trois magistrats.

III – Compétences du Tribunal constitutionnel

Cette configuration du Tribunal constitutionnel vise à garantir son efficacité dans l’exercice des vastes compétences qui lui sont conférées, afin de remplir sa fonction de garant et d’interprète suprême de la Constitution (article 2.1 de la LOTC). Ces compétences sont exercées au moyen de diverses procédures juridictionnelles, dans le cadre desquelles le Tribunal constitutionnel adopte des décisions qui peuvent revêtir plusieurs formes : ordonnances (providencias), décisions (autos), déclarations (declaraciones) et arrêts (sentencias) (article 86 de la LOTC) et ne peuvent faire l’objet d’un recours ultérieur auprès d’un autre organe juridictionnel de l’État (article 4.2 de la LOTC). Les magistrats ont la possibilité d’exprimer des opinions particulières (articles 164.1 de la CE et 90.2 de la LOTC).

Plus précisément, les compétences et procédures juridictionnelles propres au Tribunal constitutionnel sont celles énumérées ci-dessous.

A - Contrôle de constitutionnalité des normes ayant force de loi : recours et questions d’inconstitutionnalité

L’une des principales compétences du Tribunal constitutionnel est sans aucun doute le contrôle de constitutionnalité des normes ayant force de loi qui sont approuvées tant par l’État que par les Communautés autonomes. Comme indiqué plus haut, le Tribunal constitutionnel est dans notre système le seul organe compétent pour déclarer l’inconstitutionnalité d’une norme juridique et procéder, par conséquent, à son annulation. Mis à part certains cas particuliers – conflits relatifs à la défense de l’autonomie forale – le Tribunal dispose, pour ce travail de contrôle des normes ayant force de loi, des voies de procédure suivantes, pour lesquelles il se réunit habituellement en assemblée plénière, bien que, dans certaines circonstances, il ait la possibilité de déférer sa décision aux chambres (articles 161.1.a], 162.1.a], 163 de la CE ; et articles 27 à 40 et cinquième disposition supplémentaire de la LOTC).

La principale de ces procédures est le recours en inconstitutionnalité, qui peut être introduit par le président du gouvernement, le médiateur (Defensor del pueblo), cinquante députés ou cinquante sénateurs ainsi que par les gouvernements et assemblées législatives des Communautés autonomes.

Une autre voie possible est la question d’inconstitutionnalité, qui peut être soulevée par les juges et les tribunaux ordinaires, d’office ou à la demande des parties, quand ils considèrent qu’une norme ayant force de loi, s’appliquant à l’affaire dont ils sont saisis et dont la validité est de nature à déterminer le sens de leur décision, peut être contraire à la Constitution. Dans ce cas, la procédure judiciaire dans laquelle la question est soulevée est suspendue dans l’attente de la décision du Tribunal constitutionnel dont dépendra la résolution du litige.

De même, dans le cadre d’autres procédures constitutionnelles évoquées ci-après (à savoir, les recours en amparo et les conflits relatifs à la défense de l’autonomie locale), le Tribunal constitutionnel peut soulever une question interne d’inconstitutionnalité (« autoquestion ») dont le but sera également de contrôler la constitutionnalité de normes ayant force de lois (articles 55.2 et 75 quinquies.6 de la LOTC).

B - Protection des droits fondamentaux : recours en amparo

La défense des droits fondamentaux des citoyens est l’une des compétences majeures dévolues au Tribunal constitutionnel. La protection de ces droits peut être mise en œuvre par le biais des recours et questions d’inconstitutionnalité mentionnés ci-dessus. Cependant, la voie la plus commune à cet effet est sans aucun doute le recours dit en amparo qui est généralement déposé devant les Chambres et qui vise à réparer la violation par les pouvoirs publics des droits fondamentaux reconnus par la Constitution – à savoir, ceux visés aux articles 14 à 29 de la CE, ainsi que le droit à l’objection de conscience garanti par l’article 30 de la CE – (articles 53.2, 161.1.b] et 162.1.b] de la CE et articles 41 à 58 de la LOTC).

Bien que d’une portée plus large (recours en amparo contre des décisions parlementaires sans force de loi), le cas le plus fréquent est celui de l’amparo formé en cas de violations des droits fondamentaux découlant de décisions administratives et judiciaires. Ont qualité pour introduire un tel recours tant le médiateur (Defensor del pueblo), et le ministère public, que les personnes intéressées et parties au procès en question. Néanmoins, dans de tels cas, le recours en amparo se conçoit comme une procédure subsidiaire qui ne peut être engagée qu’après qu’aient été préalablement épuisés tous les recours disponibles devant la juridiction ordinaire, sans avoir obtenu la réparation de la violation incriminée.

En dépit de ce caractère subsidiaire, le nombre de recours en amparo formés devant le Tribunal constitutionnel est très élevé, donnant lieu au fil du temps à une importante surcharge de travail et entraînant un retard fâcheux dans le règlement des litiges. Pour remédier à ces effets négatifs, le législateur a apporté, en 2007, un certain nombre de modifications à la LOTC, dans le but d’accélérer le déroulement de cette procédure. La plus significative de ces modifications réside dans l’ajout d’une nouvelle exigence concernant le recours en amparo. Pour être recevable, celui-ci doit désormais non seulement être fondé sur la violation d’un droit fondamental, mais le requérant doit également justifier que le contenu de sa requête présente une « importance constitutionnelle particulière » qui requiert une décision sur le fond de la part du Tribunal (articles 49.1 et 50.1.b] de la LOTC). L’arrêt 155/2009 du 25 juin 2009 rendu par le Tribunal constitutionnel a tenté de délimiter la portée de cette exigence, en dressant, à titre d’exemple, une liste de cas où est appréciée l’importance constitutionnelle du problème juridique posé. Plus récemment, dans son arrêt du 20 janvier 2015, rendu dans l’affaire Arribas Antón, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que l’exigence de justification de cette importance particulière est conforme à l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’expérience montre que, en dépit de ses bonnes intentions, la réforme de 2007 n’a pas réussi à réduire le nombre élevé des recours en amparo (7 663 en 2014, soit plus de 97 % de l’ensemble des procédures constitutionnelles engagées cette même année) dont le seul examen de recevabilité mobilise beaucoup d’énergies. La réforme de 2007 a toutefois le mérite d’avoir diminué la zone de friction entre les juridictions constitutionnelle et ordinaire, en apaisant ainsi des tensions institutionnelles.

C - Résolution des conflits constitutionnels

Le Tribunal constitutionnel est également compétent pour résoudre certains conflits constitutionnels (articles 161.1.c] de la CE et 59 à 75 quinquies de la LOTC).

En premier lieu, il appartient au Tribunal, statuant en formation plénière, de connaître des conflits d’attribution entre les organes constitutionnels de l’État, à savoir ceux nés entre le gouvernement, d’une part et le Congrès, le Sénat ou le Conseil général du pouvoir judiciaire, d’autre part, ou entre ces derniers.

En deuxième lieu, le Tribunal joue le rôle d’arbitre dans les conflits de compétence, qu’ils soient positifs ou négatifs, opposant l’État et les Communautés autonomes, ou ces dernières entre elles, et qui découlent de dispositions, de décisions ou d’actes n’ayant pas force de loi. La question des conflits peut être soulevée par le gouvernement ou par les organes collégiaux exécutifs des Communautés autonomes et, dans le cas des conflits négatifs, par les personnes physiques ou morales concernées.

Enfin, il appartient au Tribunal constitutionnel de connaître des conflits relatifs à la défense de l’autonomie locale, dont il est saisi par les communes et les provinces s’opposant à l’État ou à une Communauté autonome.

D - Autres compétences diverses

Pour clore ce tour d’horizon des compétences du Tribunal constitutionnel, il convient de mentionner d’autres tâches qui lui sont également dévolues soit par la Constitution soit par des lois organiques (article 161.1.d] de la CE) et qui sont principalement : le règlement des contestations formulées par le gouvernement au sujet de dispositions normatives sans force de loi et de résolutions émanant de tout organe des Communautés autonomes (article 161.2 de la CE et articles 76 et 77 de la LOTC) ; la déclaration de constitutionnalité des traités internationaux, préalablement à leur ratification, à la demande du gouvernement, du Congrès ou du Sénat (articles 95.2 de la CE et 78 de la LOTC) ; ainsi que le règlement des conflits de compétences ou d’attributions de la Cour des comptes (article 8.1 de la loi organique 2/1982) ou la connaissance des recours et des questions portant sur la validité des normes forales fiscales basques (cinquième disposition additionnelle de la LOTC).

IV – Réflexion finale

L’exposé ci-dessus décrit dans ses grandes lignes le Tribunal constitutionnel espagnol qui célèbre cette année son trente-cinquième anniversaire. Les anniversaires ont toujours été une bonne occasion pour les bilans, et c’est rendre un service appréciable au Tribunal constitutionnel que de dresser aujourd’hui un bilan pondéré et juste de cette institution et de la manière dont elle a rempli le rôle qui lui est assigné.

Comme nous l’avons brièvement vu, au nombre des singularités du Tribunal constitutionnel espagnol, quant à sa configuration institutionnelle, figure l’ambitieuse étendue des fonctions constitutionnelles et juridiques qui lui sont assignées, donnant lieu à un faisceau de compétences particulièrement vastes et variées. S’agissant des principales tâches qui lui incombent, non seulement le Tribunal constitutionnel exerce un contrôle de constitutionnalité des normes juridiques émanant du législateur, tant au niveau de l’État que des Communautés autonomes, mais il lui appartient également de résoudre les conflits de répartition territoriale et fonctionnelle des pouvoirs entre les entités et les organes constitutionnels, à quoi s’ajoute son action au service de la protection des droits fondamentaux.

Fort de l’étendue de ses compétences juridictionnelles, le Tribunal constitutionnel a favorisé l’imprégnation de notre ordre juridique et de son interprétation par les valeurs et principes constitutionnels, ce qui constitue une contribution essentielle et décisive. S’il est un mérite à porter au crédit du Tribunal constitutionnel, c’est sans nul doute celui d’avoir agi comme la principale sentinelle veillant au respect et à l’application de la Constitution de 1978, en jouant au travers de ses décisions un rôle prépondérant concernant le respect et l’ancrage du texte constitutionnel dans notre système juridique et d’une manière générale, dans notre société.

Toutefois, il convient d’inscrire à son passif le fait de ne pas avoir trouvé la formule permettant de mieux rationaliser l’énorme charge de travail qui pèse sur l’institution et qui occasionne trop souvent un retard excessif dans la résolution des procédures ouvertes. Cette anomalie trouve essentiellement son origine dans les milliers et les milliers de recours en amparo qui affluent chaque année, créant une inflation que la réforme de 2007 n’a pas réussi à juguler. Il n’est pas raisonnable qu’aujourd’hui encore le Tribunal consacre une grande partie de son temps et de ses efforts à l’examen des demandes d’amparo qui visent généralement à faire réviser des décisions de la juridiction ordinaire avec laquelle il partage le rôle de protecteur des droits fondamentaux et qui, dans leur immense majorité, ne parviennent même pas à dépasser la phase de l’examen de recevabilité. À cela s’ajoute, ces dernières années, une augmentation sensible du nombre des questions d’inconstitutionnalité soulevées (en Espagne, tout juge peut soulever une telle question, dans le cadre de n’importe quelle procédure) qui, si elle persiste pourrait nécessiter des réajustements de la configuration de cette procédure. À mon sens, pour que le Tribunal constitutionnel remplisse efficacement sa fonction d’interprète ultime et de garant suprême de la Constitution, il est nécessaire, dans sa configuration institutionnelle, de privilégier le règlement des conflits qu’il est seul à pouvoir résoudre, jouissant en la matière d’une compétence exclusive, à savoir : le contrôle de constitutionnalité des normes ayant force de loi et le règlement des conflits constitutionnels, et plus précisément territoriaux qui, dans un État composite et complexe comme le nôtre, revêtent aujourd’hui une importance capitale.

Revue doctrinale

Allemagne– Fercot, Céline. « Précision et droits de l’Homme dans les ordres juridiques allemand et suisse », La Revue des droits de l’homme, juin 2015, n° 7, 18 p.

– Joop, Olivier. « Une première : la Cour constitutionnelle fédérale allemande pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Acte d’allégeance ou ultimatum ? [Bundesverfassungsgericht, 14 janvier 2014, programme OMT de la Banque centrale européenne, aff. 2 BvR 2728/13] », Revue trimestrielle de droit européen, janvier-mars 2015, n° 1, p. 221-226.

– Peyrou, Sylvie. « Cour constitutionnelle allemande et pouvoirs de la Banque centrale européenne : le premier renvoi préjudiciel à la Cour de Justice de l’Union européenne (décision du 14 janvier 2014). [BVerG, 2 BvR 2728/13, 14 janvier 2014] », Revue française de droit constitutionnel, avril 2015, n° 101, p. 145-163.

Belgique – Hachez, Isabelle. « Précision et droits de l’homme dans l’ordre juridique belge : focus sur la notion polysémique d’effet direct », La Revue des droits de l’homme, juin 2015, n° 7, 18 p.

– Leval, Georges de ; Van Compernolle, Jacques. « La responsabilité de l’État du fait de la méconnaissance du droit national par une Cour suprême », Recueil Dalloz, 18 juin 2015, n° 22, p. 1281-1282.

Djibouti – Bahdon, Mohamed. « Fonctions et rôles de la justice constitutionnelle. Étude du Conseil constitutionnel djiboutien », Revue française de droit constitutionnel, avril 2015, n° 101, 27 p.

Égypte – Mohamed Afify, Ayman. « La Constitution égyptienne de 2014 : entre traditions et tendances révolutionnaires », Revue française de droit constitutionnel, avril 2015, n° 101, p. 121-144.

Espagne – Peyró Llopis, Ana. « La résistance du Tribunal constitutionnel espagnol face à l’arrêt Melloni de la CJUE. [Tribunal Constitucional [Tribunal constitutionnel espagnol], 13 février 2014, arrêt n° 26/2014] », Revue trimestrielle de droit européen, janvier-mars 2015, n° 1, p. 230-231.

États-Unis – Coutant, Arnaud. « Dred Scott v. Sandford, quand la Cour suprême consacrait l’esclavage », Revue française de droit constitutionnel, avril 2015, n° 101, p. 27-52.

– Mbongo, Pascal. « L’industrie des votations populaires aux États-Unis », Revue française de droit constitutionnel, avril 2015, n° 101, p. 97-120.

Italie – Ambrosio, Luca d’ ; Vozza, Donato. « Le “dialogue des juges” à l’épreuve du ne bis in idem : quelques réflexions à partir de l’expérience italienne. (Corte di Cassazione, I sezione penale [Cour de cassation, 1re chambre criminelle], arrêt n° 19915 du 17 décembre 2013, publié le 14 mai 2014 ; Corte di Cassazione, V sezione pénale [Cour de cassation, 5e chambre criminelle], ordonnance n° 3333 du 10 novembre 2014) », Revue trimestrielle de droit européen, janvier-mars 2015, n° 1, p. 235-241.

– Laleure-Lugrezi, Jeanne. « Le principe d’égalité dans le jugement incident de constitutionnalité en matière fiscale en France et en Italie », Revue française de finances publiques, avril 2015, n° 130, p. 251-279.

Québec – Robitaille, David. « L’interprétation du droit à un niveau de vie décent dans la Charte québécoise : rhétorique littérale ambiguë sur une disposition “clair-obscur” », La Revue des droits de l’homme, juin 2015, n° 7, 16 p.

République tchèque – Bures, Pavel. « Des conséquences d’une collision entre un avion et un oiseau (Cour constitutionnelle tchèque [Ústavní soud], décision du 20 novembre 2014, III.ÚS 2782/14) », Revue trimestrielle de droit européen, janvier-mars 2015, n° 1, p. 241-244.

Royaume-Uni – Duffy, Aurélie ; Scoffoni, Guy. « L’actualité constitutionnelle dans les pays de common law et de droit mixte : Royaume-Uni », Revue française de droit constitutionnel, avril 2015, n° 101, p. 223-260.

– Saulnier-Cassia, Emmanuelle. « Ne pas saisir, telle n’est plus la question pour la Cour suprême britannique : la préférence accordée à l’ordre constitutionnel national au détriment de la protection de l’environnement. (Supreme Court, 22 janvier 2014, UKSC 42, HS2 Action Alliance Limited) », Revue trimestrielle de droit européen, janvier-mars 2015, n° 1, p. 226-229.

Suisse – Fercot, Céline. « Précision et droits de l’Homme dans les ordres juridiques allemand et suisse », La Revue des droits de l’homme, juin 2015, n° 7, 18 p.

(1) Organisme du gouvernement des juges, chargé de la sélection, de la formation, du perfectionnement, de l’affectation, des mutations et de la gestion des carrières des juges et magistrats [NdT].