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Chronique de droit économique et fiscal

Stéphane AUSTRY - Avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre, Professeur associé à l'École de Droit de la Sorbonne

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 47 - avril 2015 - p. 215 à 230

Finances Publiques

  • Contributions publiques

Distinction entre cotisations sociales et impositions de toute nature (décision n° 2014-706 DC 18 décembre 2014, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2015)

Dans sa décision sur la loi de financement de la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a de nouveau réaffirmé les critères de distinction entre impositions de toute nature et cotisations sociales pour relever d’office la non-conformité à l’article 34 de la Constitution de l’article 12 de la loi qui modifiait les dispositions de l’article L. 834-1 du code de la sécurité sociale relative aux prélèvements affectés au Fonds national d’aide au logement (FNAL).

Rappelons qu’en application de cette jurisprudence désormais traditionnelle, le Conseil constitutionnel distingue clairement les impositions de toutes natures des cotisations de sécurité sociale en définissant ces dernières comme des « versements à caractère obligatoire ouvrant des droits aux prestations et avantages servis par un régime obligatoire de sécurité sociale »(1). Faisant application de cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel, a considéré que la cotisation FNAL, dès lors qu’elle « n’a pas pour objet d’ouvrir des droits à des prestations et avantages servis par un régime obligatoire de sécurité sociale » mais participe au financement d’un organisme d’administration centrale, est une imposition de toute nature.

Or, dès lors que cette « cotisation » constituait en réalité une imposition de toute nature, il revenait au législateur de définir dans la loi les règles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement de l’impôt. Tant le texte soumis au Conseil constitutionnel que celui, déjà en vigueur, issu de l’article 2 de la loi de financement rectificative pour la sécurité sociale du 8 août 2014, que l’article 12 de la loi soumise au Conseil constitutionnel avait pour objet de modifier renvoyant la fixation du taux de la cotisation FNAL au décret sans aucun encadrement, il en résultait que le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence. Le Conseil constitutionnel a donc déclaré non conforme à la Constitution l’article 12 de la loi mais également, faisant application de sa jurisprudence dite « néo-calédonienne »(2), les dispositions de l’article L. 834-1 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction issue de la loi du 8 août 2014 qui devaient s’appliquer à compter du 1er janvier 2015.

Il ne résulte toutefois de cette décision aucun vide juridique puisque le législateur a pris soin, par l’article 29 de la loi du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 applicable à compter du 1er janvier 2015, de fixer désormais dans la loi le taux de la contribution. Il est en revanche permis de s’interroger sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L. 834-1 dans leur rédaction antérieure à l’article 2 de la loi de financement rectificative pour la sécurité sociale du 8 août 2014, dispositions qui étaient ainsi applicables jusqu’au 31 décembre 2014.

Droits et Libertés

  • Principes généraux applicables aux droits et libertés constitutionnellement garantis

Sécurité juridique (décision n° 2014-435 QPC du 5 décembre 2014)

On sait que, par sa décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013 relative à la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014, le Conseil constitutionnel a complété sa jurisprudence relative aux incidences des législations nouvelles sur les situations légalement acquises. Après avoir rappelé sa jurisprudence traditionnelle suivant laquelle « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles », le Conseil constitutionnel a étendu les hypothèses dans lesquelles de telles exigences seraient méconnues en précisant que le législateur « ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations ». Cette jurisprudence apporte un complément intéressant qui permet de préciser les obligations auxquelles est soumis le législateur quant à l’application dans le temps des dispositions législatives, au-delà même du cas des dispositions juridiquement rétroactives.

La décision n° 2014-435 QPC du 5 décembre 2014 constitue la première application positive à l’occasion d’une QPC de cette nouvelle exigence qui permet au Conseil constitutionnel de donner un nouvel exemple de ce qu’il considère comme une remise en cause inconstitutionnelle des effets qui peuvent être attendus de situation acquise.

Étaient en cause les dispositions de l’article 2 de la loi du 28 décembre 2011 instituant une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), et prévoyant que cette contribution était applicable « à compter de l’imposition des revenus de l’année 2011 ». Ces dispositions n’étaient pas juridiquement rétroactives, puisqu’elles étaient entrées en vigueur avant le fait générateur de l’impôt sur les revenus de 2011 qui, pour l’application de la CEHR, était constitué par le 31 décembre de cette même année 2011. Le Conseil constitutionnel ne pouvait ici faire application des principes qu’il avait dégagés, dans une situation assez similaire, par sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 à propos des dispositions de l’article 9 de la loi de finances pour 2013 qui prévoyaient d’assujettir au barème de l’IR des revenus qui avaient déjà été soumis au prélèvement forfaitaire libératoire de l’IR en cours d’année. Le Conseil avait alors jugé, s’agissant de la suppression du caractère libératoire de l’IR du prélèvement forfaitaire versé en 2012 pour certains revenus, que cette suppression présentait, en ce qui concerne la détermination de l’IR dû sur les revenus soumis à ce prélèvement, un caractère rétroactif qui, faute d’être fondé sur un motif d’intérêt général suffisant, méconnaissait les exigences constitutionnelles.

La situation était ici différente de ce précédent dans la mesure où les dispositions relatives à la CEHR ne remettaient pas en cause le fait que les revenus soumis à ce prélèvement libératoire étaient effectivement libérés de l’IR au titre de l’année 2011. Ces dispositions instituaient une nouvelle imposition qui n’existait pas à la date à laquelle ces revenus étaient soumis au prélèvement libératoire. La question était donc ici de savoir si, pour les revenus soumis à prélèvement libératoire, les contribuables « pouvaient légitimement attendre de l’application de ce régime légal d’imposition d’être, sous réserve de l’acquittement des autres impôts alors existants, libérés de l’impôt au titre de ces revenus ».

Le Conseil constitutionnel en a estimé ainsi en considérant sans doute que les contribuables ne pouvaient pas anticiper l’institution postérieure de la CEHR, et il a donc jugé « qu’en appliquant cette nouvelle contribution aux revenus ayant fait l’objet de ces prélèvements libératoires de l’impôt sur le revenu, le législateur a remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus par les contribuables de l’application du régime des prélèvements libératoires ». Aucun motif d’intérêt général suffisant ne justifiant une telle remise en cause, le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d’interprétation en jugeant que les dispositions contestées « ne sauraient, sans porter une atteinte injustifiée à la garantie des droits proclamée par l’article 16 de la Déclaration de 1789, être interprétés comme permettant d’inclure dans l’assiette de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus due au titre des revenus de l’année 2011 les revenus de capitaux mobiliers soumis aux prélèvements libératoires de l’impôt sur le revenu ».

  • Principes de droit pénal et de procédure pénale

Principe de légalité des délits et des peines, exercice par le législateur de sa compétence en matière d’impositions de toute nature et lutte contre l’évasion fiscale (décision n° 2014-70 DC du 29 décembre 2014, cons. 50 à 56)

Comme cela avait déjà été le cas à l’occasion de l’examen de la loi de finances pour 2014, le Conseil constitutionnel a de nouveau eu l’occasion, au cours de l’examen de la loi de finances pour 2015, de se prononcer sur la conformité à la Constitution d’un dispositif qui avait pour objet de sanctionner non les contribuables eux-mêmes, en cas de manquement à leurs obligations fiscales, mais les conseils de ces contribuables. L’article 79 de la loi de finances pour 2015 prévoyait en effet d’instituer une amende de 5 % « du chiffre d’affaires ou des recettes brutes » mises à la charge de « toute personne qui, avec l’intention de faire échapper autrui à l’impôt » a apporté son assistance à des manquements passibles de la majoration pour abus de droit prévue par le b) de l’article 1729 du CGI.

Comme il l’avait fait en censurant par sa décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 l’article 96 de la loi de finances pour 2014 qui introduisait une lourde sanction en cas d’absence de déclaration des « schémas d’optimisation fiscale », c’est au nom de l’imprécision des concepts fondant cette nouvelle sanction que, sur le terrain du principe de légalité des délits et des peines, le Conseil constitutionnel censure ce nouveau dispositif.

Deux imprécisions sont relevées par le Conseil. D’une part, la rédaction ne permet pas de déterminer si l’infraction fiscale instituée est constituée en raison de l’existence d’un abus de droit, que la personne poursuivie serait recevable à contester indépendamment du sort des majorations appliquées au contribuable, ou si l’infraction est constituée par le seul fait qu’une telle majoration a été prononcée. D’autre part, en prévoyant que l’amende qui peut être prononcée à l’encontre de la personne visée est égale à 5 % du chiffre d’affaires ou des recettes brutes « qu’elle a réalisés à raison des faits sanctionnés au titre du présent article », cet article ne permet pas de déterminer si le taux de 5 % doit être appliqué aux recettes ou au chiffre d’affaires que la personne poursuivie a permis au contribuable de réaliser ou s’il doit être appliqué aux recettes ou au chiffre d’affaires que la personne poursuivie a elle-même réalisés. Il est intéressant d’observer que, selon le commentaire fait de cette décision, cette dernière imprécision, qui n’apparaissait pas avec évidence à la lecture du texte, résultait des observations du Gouvernement qui faisait valoir que l’assiette de l’amende devait être constituée du chiffre d’affaires ou des recettes brutes « perçues en raison des faits sanctionnés par la procédure d’abus de droit ».

Principe de nécessité et de proportionnalité des peines (décision n° 2014-704 DC du 29 décembre 2014, cons. 44 à 49)

À l’occasion de ses décisions n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 et n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, le Conseil constitutionnel a censuré des amendes et sanctions fiscales dont le montant était déterminé en fonction du chiffre d’affaires. Il avait en particulier sur ce fondement jugé contraire à l’article 8 de la Déclaration de 1789 l’amende de 0,5 % du chiffre d’affaires qui avait été introduite par l’article 97 de la loi de finances pour 2014 pour sanctionner la méconnaissance par les contribuables de l’obligation de documentation en matière de prix de transferts prévue par l’article L. 13 AA du LPF. Le Conseil constitutionnel avait à cette occasion précisé de nouveau que le contrôle qu’il exerçait à cet égard portait non seulement sur la proportionnalité entre la sanction et le manquement, mais également sur l’existence d’un lien suffisant entre la nature de l’infraction et l’assiette du calcul. Il avait estimé dans sa décision que s’agissant du manquement à une obligation de documentation, un tel lien avec le chiffre d’affaires faisait défaut.

Par l’article 78 de la loi de finances pour 2015, le législateur avait pris soin d’introduire une nouvelle amende de 0,5 % établie non en fonction du chiffre d’affaires mais en proportion « du montant des transactions concernées par les documents ou compléments qui n’ont pas été mis à disposition de l’administration après mise en demeure ». Apportant une précision intéressante à sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a estimé conforme aux exigences de l’article 8 de la Déclaration de 1789 cette nouvelle rédaction. Il a en effet observé qu’en retenant pour la fixation de l’amende de 0,5 % une assiette limitée aux seules transactions pour lesquelles les documents ou compléments spécialement désignés et réclamés par mise en demeure de l’administration n’ont pas été mis à sa disposition ou ne l’ont été que partiellement, « le législateur a retenu un critère de calcul du maximum de la peine encourue en lien avec les infractions réprimées ». Le commentaire de la décision précise que non seulement l’existence de ce lien mais également le fait qu’il s’agit non d’une peine fixe mais d’un plafond sous lequel la peine est fixée en fonction de la gravité des faits ont été déterminants dans la décision du Conseil constitutionnel.

Question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

  • Critères de transmission ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel

Caractère sérieux ou difficulté sérieuse de la question : interprétation de la loi conforme au droit de l’UE privant d’objet la QPC (Conseil d’État, 15 décembre 2014, n° 380942, SA Technicolor)

On sait que, dès lors que selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, c’est en fonction de l’interprétation jurisprudentielle d’une disposition législative que s’apprécie la conformité de cette dernière à la Constitution(3), le Conseil d’État ou la Cour de cassation peuvent fonder une décision de non-transmission d’une QPC sur la circonstance que l’interprétation qui a été retenue de ces dispositions les purgeait de leur inconstitutionnalité, soit que cette interprétation préexiste à la QPC(4), soit qu’elle soit formulée précisément à l’occasion de l’examen de cette QPC(5). Le Conseil d’État a également récemment précisé que, sans être fondée à proprement parler sur une interprétation neutralisante des textes contestés, cette jurisprudence trouve aussi à s’appliquer lorsque l’interprétation retenue prive d’objet la critique formée à l’encontre de cette disposition(6).

Une récente décision du Conseil d’État vient de donner une nouvelle illustration intéressante de cette jurisprudence dans un contexte inédit, puisque l’interprétation neutralisante qui a pour conséquence de priver d’objet la QPC a pour fondement non les règles constitutionnelles mais le droit de l’Union européenne (UE). Étaient en cause devant le Conseil d’État les dispositions de l’article 145 du CGI qui précisent les conditions que doivent satisfaire de la participation d’au moins 5 % du capital détenue par une société soumise à l’IS pour ouvrir droit à l’exonération des dividendes reçus par cette société dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le « régime mère-fille ». Depuis l’intervention d’une directive du 23 juillet 1990(7), ces conditions doivent être conformes aux principes fixés par cette directive pour ce qui est des dividendes distribués à une société mère française par sa filiale située dans un autre État membre de l’Union européenne.

La question qui opposait le contribuable à l’administration portait sur l’interprétation de la condition subordonnant le bénéfice du régime mère-fille à la conservation pendant deux ans des titres y ouvrant droit : l’administration soutenait que le régime mère-fille ne pouvait s’appliquer qu’à la condition que tous les titres ouvrant droit au paiement des dividendes soient conservés pendant deux ans, alors que la société faisait valoir que cette condition ne s’appliquait que pour les titres donnant la qualité de société mère, c’est-à-dire les titres représentant 5 % du capital de la filiale distributrice. Or, il était clair que dans une situation entrant dans le champ de la directive du 23 juillet 1990, une conservation de l’ensemble de la participation n’aurait pas été nécessaire, compte tenu de la rédaction du texte européen. Mais tel n’était pas le cas de la situation dans laquelle se trouvait la société Technicolor, les distributions provenant d’une autre société française. La société avait fait valoir la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle, alors même que la situation ne relève pas du champ d’application de la directive, il était nécessaire de lire le texte de l’article 145 à la lumière du droit de l’Union européenne en vue de lui donner une signification uniforme et conforme à la volonté du législateur de transposer la directive et d’en étendre le régime à toutes les situations, qu’elles relèvent ou non du champ d’application de cette directive(8). Mais, la Cour administrative d’appel de Versailles, à laquelle le litige avait été soumis(9), avait considéré que les conditions d’application de cette jurisprudence n’étaient pas réunies dès lors que, selon elle, le texte de l’article 145 du CGI était clair et n’appelait pas une telle lecture à la lumière de la directive(10).

À la suite de cet arrêt, la société avait saisi le Conseil d’État non seulement d’un pourvoi en cassation mais aussi d’une QPC tendant à faire reconnaître qu’à supposer que l’interprétation de la Cour administrative d’appel de Versailles soit correcte, une telle interprétation aurait pour effet de créer une discrimination « à rebours » contraire aux principes d’égalité devant la loi et les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet, dans une telle hypothèse, il aurait suffi que la condition de conservation des titres de 2 ans soit satisfaite pour les seuls titres représentant 5 % de la participation pour que, conformément à la directive, les dividendes distribués à des sociétés françaises par des filiales situées dans d’autres États membres de l’UE soient exonérés, alors que l’exonération n’aurait pas été possible pour des dividendes de source française(11) puisque la condition de conservation devait être remplie, selon l’interprétation retenue par la Cour, pour l’ensemble de la participation.

Comme le relevait Edouard Crépey en concluant sous la décision du Conseil d’État, le raisonnement développé à l’appui de la QPC n’allait pas de soi : le principe d’égalité ne joue en principe que lorsque c’est de la loi elle-même que procède la discrimination critiquée, et non, comme en l’espèce, la combinaison de la loi avec les exigences du droit de l’UE(12). Cette question nouvelle et délicate a été cependant soigneusement réservée par le Conseil d’État, qui a jugé que cette question ne présentait pas « en tout état de cause » un caractère sérieux(13) après avoir, contrairement à ce qu’avait fait la Cour administrative d’appel de Versailles, jugé que les dispositions en cause devaient être interprétées à la lumière des objectifs de la directive, dès lors qu’une telle interprétation n’est pas contraire à leur lettre, si bien que la condition tenant à l’engagement de conserver les titres pendant deux ans ne pouvait être regardée que comme s’appliquant, conformément aux dispositions de la directive du 23 juillet 1990, aux seuls titres de participation donnant droit à la qualité de société mère. Aucune discrimination à rebours ne résultant de cette interprétation des dispositions contestées, la QPC ne pouvait qu’être jugée non sérieuse.

  • Critères de transmission ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel

Notion de dispositions législatives : « codification infidèle » et validation législative postérieure (décision n° 2014-431 QPC du 27 novembre 2014)

On sait qu’une QPC ne peut porter que sur la conformité à la Constitution de dispositions législatives, ce qui fait obstacle à la recevabilité d’une QPC dirigée contre des dispositions réglementaires. Cette précision peut paraître incongrue, particulièrement en matière fiscale, dès lors que la conformité à la Constitution de dispositions réglementaires peut parfaitement être contestée devant le juge de l’impôt, qui est compétent pour apprécier la conformité de telles dispositions à la Constitution. Les exemples de dispositions réglementaires jugées contraires à la Constitution ne manquent d’ailleurs pas dans la jurisprudence, bien avant l’introduction de la QPC.

Mais il est parfois délicat de déterminer la nature législative ou réglementaire de dispositions qui figurent dans la partie législative de certains codes, et particulièrement du code général des impôts. En effet, de nombreuses dispositions du CGI y ont été introduites par des décrets ayant pour objet d’incorporer au code des dispositions législatives qui n’avaient pas été adoptées par voie de codification directe. Or il arrive que ces décrets de codification modifient la portée des dispositions législatives qu’ils prétendent incorporer au CGI : ce qu’il est convenu d’appeler la « codification infidèle » de certains textes conduit donc à faire apparaître dans le CGI des dispositions qui, formellement, se présente comme étant de nature législative mais qui, en réalité, sont issues de dispositions réglementaires. Le juge de l’impôt a depuis longtemps établi sa jurisprudence sur cette question en écartant l’application de dispositions infidèlement codifiées pour revenir à l’application du texte législatif d’origine(14).

Cette problématique a fait son apparition dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel à l’occasion de la décision n° 2011-152 QPC du 22 juillet 2011 par laquelle le Conseil constitutionnel a refusé d’examiner les dispositions de l’article L. 238 du LPF, au motif précisément que cet article, qui figurait pourtant dans la partie législative du LPF, avait en réalité pour origine un décret de codification qui s’était écarté des dispositions législatives qu’il avait pour objet d’incorporer dans le LPF.

La même question se posait à l’occasion de la décision n° 2014-431 QPC car le Conseil constitutionnel avait identifié, à l’issue d’un soigneux processus de reconstitution de l’origine des dispositions du premier alinéa du II de l’article 209 du CGI, sur lesquelles portait la QPC qui lui avait été transmise par le Conseil d’État, que ces dernières avaient pour origine un décret de 1963 et présentaient donc une nature réglementaire. Le Conseil constitutionnel ayant soulevé d’office la question de la recevabilité de la QPC, tant le Gouvernement que la société requérante ont fait valoir, en réponse à la communication de ce grief, que les dispositions en question, bien qu’elles trouvent leur origine dans un décret, présentaient en réalité une nature législative car elles avaient fait l’objet d’une validation implicite par le législateur. Il résulte en effet d’une jurisprudence subtile du Conseil d’État que lorsque la loi modifie(15) ou même se réfère indirectement à une disposition figurant dans la partie législative d’un code(16), cette modification ou simple référence conduit à la validation implicite de cette disposition, à laquelle il est alors conféré valeur législative à compter de la date de promulgation de la loi emportant validation implicite(17).

Tel était ici le cas car, comme le relève en définitive la décision du Conseil constitutionnel les dispositions du second alinéa du paragraphe II de l’article 209 fixaient initialement une échéance à l’application des dispositions réglementaires figurant au premier alinéa de ce paragraphe. Or, ainsi que le Conseil le relève « les dispositions du premier alinéa de ce paragraphe ont été reconduites par le législateur, d’abord à titre provisoire par les modifications successives de l’échéance fixée au second alinéa puis de manière pérenne, par l’effet de la suppression de cet alinéa par le paragraphe V de l’article 38 de la loi du 30 décembre 1986 susvisée ». Le Conseil en conclut donc logiquement qu’en reconduisant ainsi les dispositions faisant l’objet de la QPC, « le législateur leur a implicitement, mais nécessairement, conféré un caractère législatif ». La QPC, qui était relative à l’application du texte à des faits postérieurs à la promulgation des dispositions législatives conférant implicitement valeur législative aux dispositions issues du décret de 1963, portait donc bien sur des dispositions législatives au sens de l’article 61-1 de la Constitution et était donc recevable.

Revue Doctrinale

Articles relatifs aux décisions du Conseil constitutionnel

9 août 2012
2012-653 DC

Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire

– Querol, Francis. « Le Conseil constitutionnel et la loi de programmation des finances publiques (quand les sages ne prennent par l’exacte mesure du caractère intègre des finances publiques) », in Le pouvoir, mythes et réalité : mélanges en hommage à Henry Roussillon, Tome II, Toulouse, Presses de l’université Toulouse 1 Capitole, 2014, p. 1069-1092.

13 décembre 2012
2012-658 DC

Loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques

– Querol, Francis. « Le Conseil constitutionnel et la loi de programmation des finances publiques (quand les sages ne prennent par l’exacte mesure du caractère intègre des finances publiques) », in Le pouvoir, mythes et réalité : mélanges en hommage à Henry Roussillon, Tome II, Toulouse, Presses de l’université Toulouse 1 Capitole, 2014, p. 1069-1092.

14 février 2014
2013-366 QPC

SELARL PJA, ès qualités de liquidateur de la société Maflow France [Validation législative des délibérations des syndicats mixtes instituant le « versement transport »]

– Deumier, Pascale. « Les lois de validation et le dialogue des juges », RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil, juillet-septembre 2014, n° 3, p. 604-610.

28 mars 2014
2014-386 QPC

Collectivité de Saint-Barthélemy [Dotation globale de compensation]

– Verpeaux, Michel. « Les limites contentieuses de l’autonomie des collectivités ultra-marines. À propos d’un angle mort dans la jurisprudence constitutionnelle », La Semaine juridique. Administrations et collectivités territoriales, 15 décembre 2014, n° 50, p. 25-29.

6 juin 2014
2014-400 QPC

Société Orange SA [Frais engagés pour la constitution des garanties de recouvrement des impôts contestés]

– Durand, Philippe. « La distinction entre intérêts moratoires et intérêts de retard a-t-elle encore un sens ? », Revue administrative, juillet-août 2014, n° 400, p. 379-382.

20 juin 2014
2014-404 QPC

Époux M. [Régime fiscal applicable aux sommes ou valeurs reçues par l’actionnaire ou l’associé personne physique dont les titres sont rachetés par la société émettrice]

– « [Note sous décision n° 2014-404 QPC] », Revue de jurisprudence fiscale, octobre 2014, n° 10, p. 906.

26 juin 2014
2014-2 LOM

Syndicats mixtes ouverts en Polynésie française

– Verpeaux, Michel. « Les limites contentieuses de l’autonomie des collectivités ultra-marines. À propos d’un angle mort dans la jurisprudence constitutionnelle », La Semaine juridique. Administrations et collectivités territoriales, 15 décembre 2014, n° 50, p. 25-29.

6 août 2014
2014-698 DC

Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014

– « Cotisation du régime général – Exonérations ou réductions – Réductions dégressives de cotisations salariales – Conformité à la Constitution », Revue de jurisprudence sociale, novembre 2014, n° 11, p. 683-684.

– Barilari, André. « La définition traditionnelle des cotisations sociales ou l’arbre qui cache la forêt », Revue française de finances publiques, novembre 2014, n° 128, p. 217-226.

– Barthélemy, Jacques. « Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 : le Conseil constitutionnel et la réduction des cotisations sociales des bas salaires », Droit social, octobre 2014, n° 10, p. 867-869.

– Collet, Martin. « Le Conseil constitutionnel et la distinction des impôts et des cotisations sociales », Revue de droit fiscal, 2 octobre 2014, n° 40, p. 8-14.

8 octobre 2014
2014-418 QPC

Société SGI [Amende pour contribution à l’obtention, par un tiers, d’un avantage fiscal indu]

– Robert, Jacques-Henri. « Squatters de niches fiscales », Droit pénal, décembre 2014, n° 12, p. 27-28.

9 octobre 2014
2014-420/421 QPC

M. Maurice L. et autre [Prolongation exceptionnelle de la garde à vue pour des faits d’escroquerie en bande organisée]

– Botton, Antoine. « L’inconstitutionnalité du régime dérogatoire de garde à vue en matière d’escroquerie en bande organisée », Recueil Dalloz, 13 novembre 2014, n° 39, p. 2278-2287.

– Maron, Albert ; Haas, Marion. « Gagnant-perdant et gagnant-gagnant », Droit pénal, novembre 2014, n° 11, p. 31-34.

– Touillier, Marc. « “Retour vers le futur”, ou le remake inopportun d’une trilogie opéré par le Conseil constitutionnel dans l’approche des règles procédurales spécifiques à la criminalité organisée », Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 30 octobre 2014, 12 p.

24 octobre 2014
2014-423 QPC

M. Stéphane R. et autres [Cour de discipline budgétaire et financière]

– Bourrel, Romain. « Quand le Conseil constitutionnel sauve une illustre inconnue », La Semaine juridique. Administrations et collectivités territoriales, 22 décembre 2014, n° 51-52, p. 19-22.

21 novembre 2014
2014-429 QPC

M. Pierre T. [Droit de présentation des notaires]

– Hartman, Fanny. « Constitutionnalité du droit de présentation : une courte victoire pour le notariat », Les Petites Affiches, 9 décembre 2014, n° 245, p. 16-22.

2014-430 QPC

Mme Barbara D. et autres [Cession des œuvres et transmission du droit de reproduction]

– Hartman, Fanny. « Constitutionnalité du droit de présentation : une courte victoire pour le notariat », Les Petites Affiches, 9 décembre 2014, n° 245, p. 16-22.

28 novembre 2014
2014-431 QPC

Sociétés ING Direct NV et ING Bank NV [Impôts sur les sociétés - agrément ministériel autorisant le report de déficits non encore déduits]

– Hartman, Fanny. « Constitutionnalité du droit de présentation : une courte victoire pour le notariat », Les Petites Affiches, 9 décembre 2014, n° 245, p. 16-22.

5 décembre 2014
2014-435 QPC

M. Jean-François V. [Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus]

– Pando, Annabelle. « Contribution exceptionnelle sur les hauts revenus : une rétroactivité partiellement censurée », Les Petites Affiches, 16 décembre 2014, n° 250, p. 5-6.

Articles Thématiques

Droit des affaires– Canivet, Guy. « Prolégomènes à l’étude de la doctrine du Conseil constitutionnel en matière de concurrence », in À quoi sert la concurrence ? Compétitivité, innovation, emploi, relance 100 personnalités répondent, Institut de droit de la concurrence, 2014, p. 153-159.

– Debré, Jean-Louis. « Liberté d’entreprendre et droit de la concurrence dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », in À quoi sert la concurrence ? Compétitivité, innovation, emploi, relance 100 personnalités répondent, Institut de droit de la concurrence, 2014, p. 673-678.

– Lecaroz, Jean. « Renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC critiquant les pouvoirs du juge dans le cadre de l’action en comblement de passif. [Cass. com, 27 juin 2014, n° 13-27317] », Recueil Dalloz, 6 novembre 2014, n° 38, p. 2198-2201.

– Le Fur, Anne-Valérie ; Schmidt, Dominique. « Non bis in idem : un jugement attendu ! », Recueil Dalloz, 23 octobre 2014, n° 36, p. 2059-2060.

– Roussille, Myriam. En l’absence de saisine d’office, la procédure AMF ne peut être sérieusement contestée. [Cass, com., 25 février 2014, n° 13-18871]. Revue des sociétés, novembre 2014, n° 11, p. 670-675.

Droit fiscal / Finances publiques– Ayrault, Ludovic. « Le renforcement des sanctions : Acte de colloque “La répression fiscale” organisé par le CNAM le 13 juin 2014 », Revue de droit fiscal, 18 décembre 2014, n° 51-52, p. 59-65.

– Bazex, Michel. « Le Conseil constitutionnel, régulateur du marché », in Le pouvoir, mythes et réalité : mélanges en hommage à Henry Roussillon, Tome II, Toulouse, Presses de l’université Toulouse 1 Capitole, 2014, p. 803-811.

– Bohnert, Benoît. « Renvoi d’une QPC sur l’application rétroactive de la contribution sur les très hauts revenus aux revenus de capitaux mobiliers perçus en 2011 », Revue de droit fiscal, 23 octobre 2014, n° 43-44, p. 29-32.

– Camby, Jean-Pierre. « Impositions, cotisations, Constitution », Revue française de finances publiques, novembre 2014, n° 128, p. 227-237.

– Deboissy, Florence. « Retour sur un principe controversé : l’indépendance des procédures pénale et fiscale », Revue de droit fiscal, 18 décembre 2014, n° 51-52, p. 9-16.

– Detraz, Stéphane. « Les sanctions de la fraude fiscale à l’épreuve des principes constitutionnels et européens », Revue de droit fiscal, 13 novembre 2014, n° 46, p. 50-55.

– Duclercq, Jean-Baptiste. « L’identification de la fonction réelle de l’impôt : une gageure ? », La Semaine juridique. Administrations et collectivités territoriales, 22 décembre 2014, n° 51-52, p. 13-19.

– Fouquet, Olivier ; Legras, Claire. « La définition jurisprudentielle de l’abus de droit n’est pas inconstitutionnelle », Revue de droit fiscal, 23 octobre 2014, n° 43-44, p. 32-37.

– Gutmann, Daniel. « Regard sur la jurisprudence fiscale du Conseil constitutionnel », Pouvoirs, novembre 2014, n° 151, p. 129-140.

– La Mardière, Christophe de. « La question prioritaire de constitutionnalité en matière fiscale : un espoir déçu », in Le contentieux fiscal en débats : actes du colloque organisé les 15 et 16 novembre 2013, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso éditions, 2014, p. 29-38.

– La Mardière, Christophe de. « La notion d’abus de droit, arme de répression fiscale : Acte de colloque “La répression fiscale” organisé par le CNAM le 13 juin 2014 », Revue de droit fiscal, 18 décembre 2014, n° 51-52, p. 55-58.

– Lopez, Christian. « Le droit de visite et de saisie, une procédure d’investigation de l’administration fiscale : Acte de colloque “La répression fiscale” organisé par le CNAM le 13 juin 2014 », Revue de droit fiscal, 18 décembre 2014, n° 51-52, p. 44-49.

– Montay, Benoit. « La morale saisie par le droit : principe de sincérité et dol budgétaire », Droits, 2013, n° 58, p. 215-234.

– Oliva, Éric. « La lutte contre la fraude fiscale : principe à valeur constitutionnelle ou simple objectif ? », in Le contentieux fiscal en débats : actes du colloque organisé les 15 et 16 novembre 2013, Issy-les-Moulineaux, LGDJ-Lextenso éditions, 2014, p. 5-28.

– Pichet, Éric. « La trajectoire des finances publiques de 2014 à 2017 : impuissance du droit et vérité des comptes », Revue de droit fiscal, 27 novembre 2014, n° 48, p. 49-62.

(1) Voir décisions nos 2014-698 DC du 6 août 2014, Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, cons. 12 ; 2012-659 DC du 13 décembre 2012, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, cons. 12 ; 2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012, cons. 11 et 57.

(2) Décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985.

(3) Décision n° 2010-39 QPC du 6 octobre 2010 et décision n° 2010-52 QPC du 14 octobre 2010.

(4) CE, 24 juin 2013, n° 366492, France Télécom ; CE, 23 mai 2014, n° 374056, Société Financière du Pin.

(5) CE, 29 septembre 2010, n° 341065, Sté SNERR Théâtre de Paris.

(6) CE, 11 juillet 2014, n° 377999, Sté Linklaters LLP.

(7) Directive 90/435/CEE du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (aujourd’hui directive 2011/96/UE du 30 novembre 2011).

(8) CE, 17 juin 2011, n° 324392, SARL Méditerranée Automobiles.

(9) CAA Versailles, 18 mars 2014, SA Technicolor.

(10) La Cour entendait faire application des principes de la décision CE, 30 janvier 2013, n° 346683, Ambulances de France.

(11) Tel aurait été également le cas pour des dividendes provenant de filiales établies dans des États tiers.

(12) Il est même permis de se demander si en refusant de voir un changement dans les circonstances de fait ou de droit qui justifierait le réexamen de la conformité de dispositions législatives à la Constitution dans l’intervention d’un arrêt de la Cour de justice qui interdisait l’application de ces dispositions aux situations régies par le droit de l’UE, le Conseil d’État n’a pas déjà pris implicitement parti dans un sens défavorable à cette thèse – CE, 19 septembre 2011, n° 346012, Billon.

(13) Comme on le sait l’adjonction de la formule rituelle « en tout état de cause » a précisément pour objet de faire obstacle à une lecture a contrario des motifs de la décision : la question du bien-fondé du raisonnement de la discrimination « à rebours » est donc réservée par la Haute assemblée

(14) CE, Section, 15 novembre 1972, Lebon p. 734 ; CE, 25 juillet 1986, n° 41921 ; CE Plén., 22 mai 1989, n° 68832.

(15) CE, 25 janvier 1957, n° 30726, Société Établissements Charlionais, Lebon p. 54.

(16) CE Plén., 10 juin 1977, n° 97965.

(17) Contrairement au cas des ordonnances de l’article 38 de la Constitution, la validation implicite d’une codification infidèle ne confère pas rétroactivement valeur législative à une disposition de nature réglementaire.