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Hommage à Guy Carcassonne

Jean-Louis DEBRÉ, président du Conseil constitutionnel

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 41 - octobre 2013

Cimetière de Montmartre – 2 juin 2013

Aux côtés de Claire, Marie, Nuria, Martin nous sommes rassemblés autour de vous, cher Guy, pour vous exprimer un vif sentiment de reconnaissance et d'admiration.

Une admiration pour votre intelligence si vive, votre compétence juridique, votre passion de l'enseignement, votre imagination toujours renouvelée. En bref pour votre immense talent. Au-delà, c'est bien sûr votre générosité, votre humour, votre attention aux autres, votre optimisme qui nous manquent déjà.

Depuis plusieurs jours, vos nombreux amis vous ont rendu de merveilleux hommages, au premier rang desquels celui d'Olivier Duhamel et de Jean Veil. Vous me permettrez aujourd'hui de dire quelques mots sur la place unique qui était devenue la vôtre au sein de nos institutions et notamment du Conseil constitutionnel.

Vous aviez la conviction qu'une bonne Constitution ne peut suffire à faire le bonheur d'une Nation mais qu'une mauvaise peut entraîner son malheur. Vous mettiez donc tout en oeuvre pour que la Constitution française soit améliorée et surtout respectée. Initialement votre influence s'est exercée par le magistère traditionnel des professeurs, celui des écrits et du verbe. Mais votre tempérament vous a poussé aussi à agir pour obtenir des résultats et servir votre idéal de démocratie, de justice et de la liberté. Vous êtes ainsi devenu à la fois constituant, requérant et juge constitutionnel.

Constituant, vous l'avez été profondément notamment lors de la « Commission Avril » de 2002 et du « Comité Balladur » de 2008. Trois réformes portent votre empreinte : le quinquennat, la revalorisation des droits du Parlement de 2008 et la question prioritaire de constitutionnalité. Cette dernière a été votre engagement pendant vingt ans. Vous n'avez pas ménagé vos efforts pour la faire aboutir et pour accompagner le Conseil constitutionnel dans son évolution.

Avec la QPC, vous touchiez au coeur de votre idéal de droits et libertés au profit de tous les citoyens. Jusqu'alors la Constitution n'était que la chose des gouvernants, par eux appliquée ou contournée. Elle est alors devenue notre bien commun indivis, le socle de notre rêve d'avenir partagé. Bâtissant ainsi une bonne Constitution au service de tous, vous entendiez qu'elle soit respectée.

A ce titre de requérant, si la loi ne vous semblait pas bonne, vous écriviez les saisines du Conseil constitutionnel par les parlementaires. C'est ainsi que, dès 1979, vous avez déposé le mémoire conduisant à la seule censure intégrale d'une loi de finances. Depuis lors, vous prêtiez votre plume chaque fois qu'une loi vous semblait contraire à notre pacte républicain. Pour ne citer qu'un seul chiffre extraordinaire vous aviez ainsi produit des mémoires devant le Conseil constitutionnel, depuis un an et demi, dans 30 % des contentieux a priori. Le Conseil a ainsi lu des centaines de pages de vos analyses constitutionnelles, ce qui n'est jamais arrivé avant vous et n'est pas prêt d'être égalé.

Constituant, requérant, vous étiez aussi devenu, pour ainsi dire, un membre à part entière du Conseil constitutionnel. Bien sûr, vous n'étiez pas encore un membre nommé. D'ailleurs cela faisait bien plus de neuf ans que vous étiez présent presqu'à chacun de nos délibérés. Vous étiez en quelque sorte un membre coopté, à peine caché et en tout cas toujours invoqué. Vos productions ont influé sur tant de nos décisions. Depuis celle sur le port intégral du voile à celle sur la contestation du génocide arménien en passant par la fiscalité confiscatoire. Notre jurisprudence porte votre marque au moins autant que celle de Georges Vedel votre maître.

Cher Guy,

Constituant, requérant, membre à part entière du Conseil constitutionnel, vous occupiez une place singulière dans notre République. Celle d'un homme d'influence qui avait aussi rejoint le parti de l'action.A`la fois idéaliste et sage. Partisan du mouvement et des institutions. Homme de conviction mais toujours à l'écoute de l'autre.

Désormais, soyez indulgent avec nous. Nous ne vous avons plus pour nous guider, nous conseiller, nous aiguillonner mais nous allons chercher à poursuivre sur le chemin tracé avec vous, en faisant vivre votre idéal.