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Élections (Observatoire de jurisprudence constitutionnelle)

Bernard Maligner

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 30 - Janvier 2011

La présente chronique a pour objet d'identifier et de retracer l'influence que peuvent avoir auprès des juridictions, mais aussi du gouvernement, des parlementaires et d'autres instances, la jurisprudence ainsi que la « doctrine »(1) du Conseil constitutionnel en matière électorale au cours d'une période d'environ une année, allant de l'été 2008 au début de l'automne 2009. Cette influence est certaine, bien que variable dans ses expressions, tant sur le droit électoral écrit en construction (I) que sur la jurisprudence électorale du Conseil d'État (II).

I - L'influence du Conseil constitutionnel sur les réformes de droit électoral

La doctrine et la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne manquent pas d'exercer une influence certaine sur les réformes projetées en droit électoral dans deux domaines : la législation sur le financement des campagnes électorales d'une part, la délimitation des circonscriptions législatives d'autre part.

A - L'influence du Conseil constitutionnel sur la législation relative au financement des campagnes électorales

La « doctrine » du Conseil constitutionnel en la matière a fortement influencé les réflexions de la « Mission Mazeaud » récemment publiées ainsi que le dépôt d'un projet de loi organique relatif à l'élection des députés.

Il est devenu traditionnel pour le Conseil constitutionnel de formuler, après les échéances électorales, des « Observations » comportant des invitations à la réforme du droit électoral. Certaines de celles qui ont été faites à la suite des élections législatives de 2007 (J.O. 4 juin 2008, p. 9205), concernant le financement des campagnes électorales, ont retenu l'attention de la Mission présidée par M. Pierre Mazeaud dont les propositions ont été récemment publiées (Pierre Mazeaud, Propositions de réforme sur le financement des campagnes électorales pour les élections législatives, La Documentation française 2009). C'est ainsi que, parmi les seize propositions que nous avons recensées, émises par les membres de la Mission, certaines sont directement inspirées des remarques du Conseil constitutionnel. Celles-ci portent sur la garantie d'un droit au compte bancaire pour le mandataire financier, sur l'exclusion de l'obligation de dépôt du compte de campagne pour les candidats ayant réuni moins de 1 % des suffrages exprimés (ibidem, p. 23) ou encore sur l'adaptation de la sanction d'inéligibilité en donnant toute sa place à la bonne foi et au principe de proportionnalité des sanctions ainsi que sur la modulation de la sanction du remboursement forfaitaire (ibidem, p. 24).

Par ailleurs, c'est en se référant expressément aux observations du Conseil constitutionnel relatives aux élections législatives des 9 et 16 juin 2002 (Observations du 17 mai 2003), aux échéances électorales de 2007 (Observations du 7 juillet 2005) et aux élections législatives des 10 et 17 juin 2007 (Observations du 29 mai 2008), qui préconise cette réforme en vue de réduire les cas d'inéligibilité, que le Gouvernement à déposé à l'Assemblée nationale le 29 juillet 2009 un projet de loi organique relatif à l'élection des députés(2) visant, en particulier, à étendre aux candidats aux élections législatives la notion de « bonne foi », introduite dans notre droit du financement électoral par la loi (simple) n° 96-300 du 10 avril 1996. Il s'agit à cet effet de modifier les dispositions de l'article L.O. 136-1 du code électoral afin d'autoriser le Conseil constitutionnel à « ne pas prononcer l'inéligibilité, eu égard à la bonne foi du candidat. Celle-ci s'apprécie notamment au regard du faible degré de gravité des manquements commis » (article 2 du projet de loi). Cette réforme, vivement souhaitée par le Conseil constitutionnel, absolument nécessaire pour unifier les règles applicables aux candidats à toutes les élections dans les circonscriptions de 9 000 habitants et plus, ne mériterait cependant pas à notre avis d'être appliquée(3) – mais sera appliquée, il n'en faut pas douter – dans le cas où sera en cause le règlement direct de dépenses électorales par le candidat lui-même, sans passer par son mandataire financier. On notera que le législateur, s'il retient cette recommandation, donnera à la notion de bonne foi un contenu nettement différent de celui que lui a donné le Conseil d'État jusqu'ici(4). Ce dernier a en effet retenu la « bonne foi » dans cinq cas : l'ambiguïté des règles applicables (CE 26 juillet 1996, El. mun. de Sainte-Marie ; Dr. adm. 1996, n° 524) ; le caractère imprécis du droit applicable et la possibilité qu'il prête à confusion (CE Ass. 30 octobre 1996, El. mun. de Fos-sur-Mer ; RFDA 1997, p. 59, concl. L. Touvet) ; l'existence d'indications erronées données par l'administration (CE 18 octobre 1996, Élections municipales de Cavaillon (Vaucluse), req. n° 177313) ; la commission d'une irrégularité substantielle à l'insu du candidat ou de la tête de liste qui n'a pas été en mesure de s'y opposer et de la prévenir (CE 8 janvier 1997, Élections municipales d'Istres, AJDA 1997. 812 ; LPA 25 avril 1997, n° 50, p. 15, note J.-P. Camby) ; et les circonstances de l'espèce (CE 20 janvier 1999, CNCCFP c/ M. Alie, Rec. T. p. 797). C'est sur le même fondement – les circonstances de l'espèce – qu'aux conclusions de Melle Anne Courrèges la 1re sous-section de la section du contentieux statuant seule a reconnu la bonne foi d'une candidate à une élection cantonale en étant sensible d'une part « à la modicité des fonds utilisés pour sa campagne » et « à sa situation personnelle » (CE 18 juin 2008, El. du conseiller général de Saint-Trivier-sur-Moignans (Ain), Mme Ginette X··· : req. n° 311 829 : en l'occurrence le compte de campagne n'avait pas été présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables et comptables agréés).

B - L'influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la délimitation des circonscriptions législatives

(5)

L'influence de la décision n° 2009-573 DC du 8 janvier 2009(6) sur la délimitation des circonscriptions électorales pour l'élection des députés entrepris par le Gouvernement et contrôlée par la commission prévue par l'article 25 de la Constitution est incontestable. Cette décision a inspiré le découpage des circonscriptions législatives spécialement préparé par M. Alain Marleix, les observations faites à ce sujet par la commission présidée par M. Guéna, et alimenté les débats parlementaires au cours desquels le Gouvernement, la majorité et l'opposition se sont affrontés.

La commission indépendante(7), dite « commission Guéna », chargée de donner un avis public sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions, a été installée par le Premier ministre 22 avril 1009. Elle a été saisie le 30 avril 2009 du projet d'ordonnance portant redécoupage des circonscriptions pour l'élection des députés. Elle a tenu 23 réunions en formation plénière dans le délai de deux mois que la Constitution lui a accordé pour statuer et a remis un premier avis au Premier ministre le 23 juin 2009(8).

La commission a été particulièrement attentive à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et n'a d'ailleurs pas manqué d'observer que ses travaux étaient encadrés juridiquement par la décision n° 2009 – 573 DC du 8 janvier 2009 principalement. Ainsi, elle a considéré qu'il résultait clairement de cette décision que la répartition des sièges de députés doit s'opérer sur des bases essentiellement démographiques, fondées sur les résultats du dernier recensement connu. Elle a aussi être été attentive au fait que ce principe fondamental s'accompagne d'un certain nombre de précisions, qui « le renforcent, le précisent ou l'atténuent ». Parmi ces précisions, figure une ancienne tradition, remise en cause par le Conseil constitutionnel : celle suivant laquelle chaque département était représenté par deux députés au moins. Cette tradition n'est plus retenue par le Conseil constitutionnel comme un impératif d'intérêt général. Et la commission a jugé utile de rappeler que cette nouvelle orientation a été déterminée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2009-573 DC. Elle a également tenu compte d'une précision du Conseil constitutionnel d'après laquelle l'application de la règle – fondamentale – du découpage selon des bases essentiellement démographiques ne saurait aller jusqu'au découpage, entre deux ou plusieurs circonscriptions, de villes de moins de 5000 habitants ou de cantons de moins de 40 000 habitants, sauf à Paris, Lyon et Marseille. Par ailleurs, la commission a estimé, dans la ligne directe de la jurisprudence Conseil constitutionnel, qu'il semblait conforme à la Constitution que Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et- Futuna disposent chacune d'un député, en raison de leur isolement géographique et en dépit de la faiblesse de leur population, mais qu'il était également conforme aux principes du redécoupage que les îles de Saint-Martin et Saint Barthélemy élisent un seul député. Il faut aussi noter que, comme l'avait implicitement admis le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2009 – 573 DC, la « commission Guéna » a validé le niveau du chiffre de la population moyenne, établi en divisant la population totale à représenter par le nombre de sièges à pourvoir, qui a été fixé par le gouvernement à 125 000 habitants (contre 106 000 antérieurement). Elle a, de plus, admis que soit retenue, afin de procéder à la répartition des sièges de députés entre la métropole et les départements d'outre-mer, les collectivités d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et les députés représentant les Français de l'étranger, la méthode dite de la « tranche », autrement dénommée « méthode de Adams », déjà utilisée lors des précédents redécoupages, qui consiste à attribuer un nombre de sièges correspondant à la partie entière du quotient plus un siège pour tout le reste, de telle sorte que – par exemple – pour un département comprenant 125 001 habitants, le nombre de sièges de députés est fixé à 2. La commission s'est expliquée sur le choix de cette méthode. Elle a en effet considéré que la « méthode de Adams » permettait « la meilleure synthèse entre une règle de calcul reposant sur des critères exclusivement démographiques et une approche tenant également compte de la réalité historique et humaine. Le choix de méthodes plus strictement fondées sur une représentation proportionnelle aurait en effet conduit à augmenter sensiblement le nombre de départements n'élisant plus qu'un seul député ». L'application de la méthode dite de Sainte-Lagüe (qui attribue un nombre de sièges correspondant à la partie entière du quotient arrondi au plus proche entier) aurait porté de deux à dix le nombre de départements qui n'auraient la possibilité d'élire que deux députés(9). Mais, la commission s'est montrée, à certains égards, plus exigeante que le Conseil constitutionnel. En effet, alors que la Haute instance avait admis qu'un écart de plus ou moins 20 % par rapport à la moyenne départementale puisse subsister, la commission s'est efforcée de ramener les écarts « sensiblement en dessous de l'écart maximal de 20 % »(10).

Dans son premier avis, la commission a formulé différents types d'observations selon les départements. Elle a émis un avis favorable au découpage proposé dans quarante-sept départements, a fait des suggestions – « dont la Gouvernement pourra utilement s'inspirer, dans l'immédiat ou à l'avenir » dans dix-sept départements ou a formulé des propositions - qui peuvent être « complémentaires voire alternatives au projet qui lui a été soumis » - dans trente-six autres départements (ces propositions s'accompagnant dans six cas de suggestions). Elle a également émis un avis favorable au découpage retenu pour les dix circonscriptions correspondant aux collectivités d'outre-mer et à la Nouvelle-Calédonie ainsi pour les onze circonscriptions destinées à élire des députés représentant les Français de l'étranger.

La commission s'est à nouveau réunie le 30 juin 2009 pour se prononcer sur de nouveaux projets de découpage présentés par le Gouvernement concernant sept départements. Elle a formulé un avis(11) favorable dans trois cas (Finistère, Pyrénées- Orientales et Vienne), défavorable dans trois autres (Loir-et-Cher, Pas-de-Calais, Val-d'Oise) et favorable sous réserve d'un découpage différent de celui proposé pour une seule circonscription dans le cas de Paris (la 3ème circonscription).

Après avoir été soumis à l'avis de la commission, l'avant-projet d'ordonnance a été soumis à l'avis du Conseil d'État. De nouvelles modifications ont été introduites par rapport au deuxième avant-projet soumis à la commission. La plupart de ces modifications ont pris en compte les avis émis par la commission et ont conduit à proposer de nouvelles délimitations des circonscriptions dans neuf départements que le Gouvernement n'avait pas envisagé, dans un premier temps, de remodeler.

En revanche, la « commission Guéna » n'a pas été consultée sur les modifications introduites par le Gouvernement après avoir recueilli l'avis du Conseil d'État car elles correspondaient soit à des propositions ou suggestions formulées par la commission elle-même, soit à des propositions du Conseil d'État(12).

Au final, selon M. Charles de La Verpillière, rapporteur du texte à l'Assemblée nationale(13), le texte de l'ordonnance est totalement conforme aux propositions émises par la commission dans quatorze départements, partiellement conforme à ces propositions dans neuf autres départements. En revanche, demeure le cas de treize départements pour lesquels les propositions de la commission n'ont pas été retenues. Le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 29 juillet 2009 a été adopté par l'Assemblée nationale le 20 octobre 2009 par 302 voix contre 215.

Il est probable que les députés socialistes, qui ont déclaré leur intention de déposer un recours devant le Conseil constitutionnel contre la loi de ratification de l'ordonnance, se fondent sur les deux avis de la commission Guéna pour contester la constitutionnalité du découpage(14).

On notera que le Conseil d'État a été invité à se prononcer sur l'application par le gouvernement de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-573 DC. Il lui a été demandé, en effet, de suspendre l'exécution de l'ordonnance du 29 juillet 2009, spécialement en ce qui concerne le redécoupage du département du Tarn qui a réduit de 4 à 3 le nombre de circonscriptions. Il était soutenu que ce remodelage méconnaissait, outre l'avis de la commission présidée par M. Guéna, les réserves d'interprétation émises par le Conseil constitutionnel notamment en ce qui concerne l'écart démographique entre les circonscriptions. Le juge des référés du Conseil d'État ne s'est pas prononcé expressément sur cette question (CE ord. Référé, 7 septembre 2009, M. Philippe Folliot, req. n° 330661). Si, du strict point de vue du droit du contentieux électoral, la décision Folliot est intéressante en ce qu'elle admet la recevabilité de l'intervention de M. Hauchemaille, qui se prévalait de sa qualité d'électeur (des Yvelines) pour contester le découpage dans le Tarn, elle rejette la requête formée sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative. Après avoir indiqué « que l'urgence ne justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif que pour autant que son exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre », le Conseil d'État considère que le requérant se bornant à soutenir que, faute de suspendre dans l'urgence l'exécution de l'ordonnance, l'impossibilité dans laquelle la prochaine ratification de l'ordonnance le mettra de la contester devant un juge prive d'effectivité son droit au recours est une « circonstance, qui ne résulte en rien de l'exécution de l'acte attaqué, (et) n'est pas constitutive d'une situation d'urgence relevant de l'article L. 521-1 du CJA ». Cette solution a été rééditée peu de temps après à propos de la délimitation de la sixième circonscription de Loire-Atlantique, sans que soit invoquée une méconnaissance de la décision précitée du Conseil constitutionnel (CE ord. Référé, 10 septembre 2009, M. Michel Hunault, req. n° 331490).

Si le Conseil constitutionnel inspire ou marque de son empreinte les réformes portant sur le droit électoral, il influence également la jurisprudence électorale du juge administratif.

II - L'influence de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la jurisprudence électorale administrative

La jurisprudence électorale du Conseil constitutionnel influence de diverses manières la jurisprudence électorale du juge administratif. Au cours de la période ici étudiée, pendant laquelle le Conseil d'État a eu à connaître en appel du contentieux des élections locales, ceci s'est vérifié, sauf dans un cas, dans trois domaines : la révision des listes électorales, la propagande sur Internet et le financement des campagnes électorales.

A - La révision des listes électorales

Il est des cas, assez rares en vérité, où une jurisprudence du Conseil constitutionnel est expressément citée dans la décision du juge administratif de l'élection elle-même. Cette citation peut être faite pour fonder la motivation ou une partie de la motivation d'une décision du juge administratif de l'élection ou pour répondre à un moyen présenté par l'une des parties. C'est à cette seconde catégorie de citations qu'appartient un des considérants de la décision du Conseil d'État du 18 septembre 2009, Élections municipales de Paris (5ème ) (req. n° 322130, à paraître aux Tables du Recueil Lebon, AJDA 2009. 1684, obs. S. Brondel). En l'espèce, les adversaires du maire d'arrondissement, M. Jean Tiberi, avaient contesté l'élection municipale en faisant notamment valoir que les listes électorales étaient entachées de graves irrégularités, que le maintien sur la liste électorale, depuis 1997, de faux électeurs était constitutive d'une manœuvre de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin de 2008. Ils invoquaient un argument de poids, en apparence tout au moins : dans sa décision n°s 97-2113/2119/2146/2154/2235/2242/2243 du 20 février 1998, A.N. Paris, 2e circ., M. B. Brasilier, M. B. Raquin, Mme L. Cohen-Solal, M. Y. Fremion-Danet, M. R. Cazamayou, M. Ch. Lançon, Rec. Cons. const. p. 159, le Conseil constitutionnel avait relevé notamment que l'enquête qu'il avait diligentée, avait établi que dans le cinquième arrondissement de Paris, un nombre important d'électeurs était domicilié dans des logements sociaux de la ville de Paris, alors qu'ils étaient inconnus des organismes gestionnaires de ces immeubles, que, dans certains cas, il s'avérait que ces personnes résidaient en réalité dans des logements de la Ville de Paris situés dans d'autres arrondissements, que des électeurs étaient domiciliés dans des bâtiments inexistants ou insusceptibles d'accueillir le nombre d'électeurs inscrits et qu'un nombre anormal d'électeurs était domicilié dans les appartements de la mairie. Le Conseil constitutionnel avait, en outre, estimé que les particularités qui s'attachent aux changements de domicile dans les grandes villes ne suffisaient pas à expliquer toutes ces constatations, que l'instruction avait par ailleurs révélé que des certificats d'hébergement de complaisance avaient été établis par des personnes liées aux candidats élus, que ces constatations n'étaient explicables, pour beaucoup d'entre elles, qu'en raison des agissements ou de l'inaction d'organismes liés à la mairie de Paris ou à celle du cinquième arrondissement, ou encore en raison du comportement de personnes liées ou apparentées au maire élu. Aussi bien, le Conseil avait considéré (5e considérant) que « le cumul de ces faits, graves et répétés,···, était de nature à accréditer l'existence d'une manœuvre dans les conditions d'établissement de la liste électorale ». Mais, la Haute instance avait aussi considéré que le nombre des électeurs dont l'inscription pouvait être suspectée de fraude et qui avaient voté au second tour du scrutin contesté était sensiblement inférieur à l'écart des voix entre les candidats à ce tour qui était de 2725 voix. Au total, le Haut Conseil avait considéré « que la manœuvre en cause, aussi condamnable soit-elle, (n'avait) pu dès lors inverser le résultat du scrutin » (6e considérant). Or, prétendaient les adversaires de M. Tiberi, depuis cette décision du Conseil constitutionnel, dotée de l'autorité de la chose jugée et s'imposant à toutes les autorités notamment administratives en application des dispositions de l'article 62 de la Constitution, les commissions administratives qui ont été chargées de réviser les listes électorales n'ont jamais donné son plein effet à cette décision et n'ont pas davantage procédé à une révision totale des listes électorales du Ve arrondissement de Paris, de telle sorte que ces listes comportent toujours des « faux électeurs », indûment maintenus··· Le Conseil d'État a écarté cette argumentation. Il a considéré que contrairement à ce que soutenaient les requérants les dispositions pertinentes du code électoral (L. 16, R. 7, L. 40, L. 25) conféraient à la commission administrative compétente des pouvoirs lui permettant de remédier, à l'occasion des révisions annuelles, aux irrégularités que présenterait une liste électorale et qui ne font état d'aucun élément susceptible de démontrer que la commission n'en aurait pas fait usage à cette fin depuis les opérations électorales des 25 mai et 1er juin 1997 à l'issue desquelles un contentieux avait été formé devant le Conseil constitutionnel. Se référant expressément à cette décision, le Conseil d'État considère « que, dès lors, les constatations faites par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 février 1998, quant à l'existence de manœuvres ayant entaché la constitution de la liste électorale du cinquième arrondissement de Paris en vue de ces opérations, ne sont pas, par elle-même, de nature à établir l'existence de manœuvres lors de la constitution de la liste en vue des opérations électorales des 9 et 16 mars 2008 objet du présent litige (···) ».

B - La propagande électorale par Internet

En 2007, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la question de savoir si en créant un lien publicitaire sur Internet renvoyant vers le site présentant ses activités de parlementaire un candidat à une élection législative transgresse les dispositions de l'article 52-1, 1er alinéa du code électoral, aux termes duquel « pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite ». À cette question, le Conseil constitutionnel a très clairement répondu par la négative en considérant que « eu égard au contenu et à l'objet de ce site », l'intéressé n'a pas méconnu le texte en question (Cons. const. décision n° 2007-3532, 22 novembre 2007, A.N. Paris, 15e circ., Mme Ghislaine Salmat, Rec. Cons. const. p. 369). Il nous semble que le Conseil d'État s'est écarté de cette jurisprudence en 2009. Celui-ci a en effet jugé que, dans le cas où une liste a acheté un lien commercial permettant un meilleur référencement du site Internet qu'elle avait spécialement réalisé dans les semaines qui ont précédé les élections municipales et où ce lien commercial apparaissait en haut à droite sur la première page de résultats du moteur de recherche Google pour des recherches réalisées notamment à partir du seul terme : « fuveau », la réalisation et l'utilisation d'un site Internet par la liste en question ont le caractère d'une forme de propagande électorale par voie de communication audiovisuelle pour l'application de l'article L. 52-1 du code électoral ; dès lors que le référencement commercial d'un site à finalité électorale sur un moteur de recherche sur Internet a pour finalité d'attirer vers lui des internautes qui effectuent des recherches, même dépourvues de tout lien avec les élections municipales, ce référencement revêt le caractère d'un procédé de publicité commerciale, interdit par l'article L. 52-1. Le juge administratif suprême décide, en conséquence, que l'irrégularité ainsi commise a été, compte tenu de la très faible majorité qui a permis l'élection de la liste concernée au premier tour de scrutin, de nature à fausser les résultats du scrutin (CE 13 février 2009, Él. mun. de la commune de Fuveau (Bouches-du-Rhône), req. n° 317637, AJDA 2009. 287, note Biget ; ibid. 835, note Delzangles ; LPA 17 septembre 2009, n° 186, p. 11, note J.-P. Camby). Si notre lecture de l'arrêt est exacte, on se trouve dans un cas rarissime de divergence entre les deux hauts Conseils
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C - Le financement des campagnes électorales

La jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de financement des campagnes électorales a trouvé matière à s'appliquer en ce qui concerne le règlement direct des dépenses de campagne par les candidats aux élections.

On sait que l'article L. 52-4 du code électoral fait obligation aux candidats de régler les dépenses qu'ils exposent en vue de l'élection par l'intermédiaire d'un mandataire financier qui peut être une personne physique ou une association de financement électoral(e). Il leur est donc interdit de procéder eux-mêmes directement au règlement de ces dépenses. En présence d'une pratique contraire, qui n'est pas aussi courante qu'on le croit, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la régularité du règlement de dépenses par le candidat sans passer par son mandataire financier. Par sa décision n° 97-2209 du 6 février 1998, A.N. Var, 1ère circ.(15), la Haute instance a adopté une formule de principe en admettant que le candidat puisse payer lui-même des dépenses, pour des raisons pratiques, à la condition que « ces dépenses restent d'un montant modeste ». En 2001, elle a affiné cette jurisprudence en tolérant cette pratique dans le cas où le montant des dépenses en cause était faible au regard du montant des dépenses de l'intéressé et négligeable au regard du plafond des dépenses fixé dans la circonscription (Cons. const. 20 septembre 2001, décision n° 2001-2593, A.N. Haute-Garonne, 1re circ., Mme Aline Pailler (16)). Le Conseil d'État s'est progressivement aligné sur cette jurisprudence(17). Par conséquent, lorsque ce montant n'est point « faible » et « négligeable », le compte de campagne est rejeté, le candidat fautif est privé du droit au remboursement de ses dépenses, est déclaré temporairement inéligible et, s'il s'agit du candidat élu, son élection est annulée (ou il est déclaré démissionnaire d'office, si son élection n'a pas été contestée). Au cours de la période prise ici en considération, cette jurisprudence a été appliquée sans faiblesse à maintes reprises à l'occasion du contentieux des élections locales de 2008 quand, par exemple, des candidats ont réglé directement des dépenses d'un montant de 2522 € (dont 2122 € avant la désignation du mandataire et 400 € après) représentant 12,67 % du total des dépenses et 7,07 % du plafond (CE 19 juin 2009, Mme Noachovitch, El. mun. de Villiers-le-Bel (Val d'Oise), req. n° 322647) ou 2 262 €, correspondant à 6,6 % du total des dépenses et 5,4 % du plafond (CE 27 juillet 2009, M. Lechat : req. n° 323152) ou encore 2 111,61 €, dont 1 346,33 € avant la désignation du mandataire et 765,28 € au titre des dépenses réglées après, représentant 14,6 % du total des dépenses et 7,2 % du plafond (CE 19 juin 2009, Mme Pelissier, El. mun. de Saint-Ouen-l'Aumône (Val d'Oise) : req. n° 323481 ; AJDA 2009.1619, concl. J.-Ph. Thiellay : dépenses n'ayant pas fait l'objet d'un remboursement effectif par le mandataire et qui ne figurent donc pas dans son compte bancaire ; démission d'office prononcée) ou enfin de 1898 € (856 € avant la désignation du mandataire ; 1042 € après), équivalent à 9,1 % des dépenses totales de l'intéressé et à 4,2 % du plafond (CE 12 octobre 2009, Madame Ursula B···, req. n° 325 685 : inéligibilité d'un an, démission d'office ; proclamation du suivant de liste).

La jurisprudence actuelle ou plus exactement la construction sur laquelle elle repose a été critiquée par M. Jean-Philippe Thiellay dans ses conclusions sur l'affaire Mme Pélissier, Élections municipales de Saint-Ouen l'Aumône (Val-d'Oise) (préc.). Le rapporteur public a pu la juger « d'un formalisme excessif de nature à piéger les candidats », susceptible au demeurant d'encourager les candidats « à adopter des pratiques (···) critiquables en masquant les dépenses engagées avant comme après la désignation du mandataire ». Selon lui, « dès lors que la campagne est largement autofinancée et que le compte de campagne du candidat est pour l'essentiel approvisionné par des versements du candidat lui-même, le bon sens peut militer en faveur de cette compensation ou cette contraction entre le remboursement par le mandataire et les apports du candidat ». Enfin, ajoutait-il, « nous trouvons la sanction tout à fait disproportionnée : un candidat dont toutes les dépenses figurent au compte de campagne et qui aurait procédé, en pur bon sens et de bonne foi, à cette compensation, se voit non seulement privé du remboursement par l'État du montant forfaitaire, mais aussi déclaré inéligible. Le parallèle avec un candidat, éventuellement élu, reconnu coupable de fraude électorale, qui n'entraîne pas nécessairement l'inéligibilité, a quelque chose de choquant ». L'argument n'est pas nouveau : c'est l'un de ceux que le Conseil constitutionnel a invoqué dans ses observations sur les scrutins de 2007 ; mais il n'a pas convaincu. En effet, le Conseil d'État n'a jamais tenu compte de la « bonne foi » invoquée par les candidats désireux d'échapper à l'inéligibilité annale dans l'hypothèse considérée. Dans une espèce M. Bonnieux (CE 1er juillet 2009, M. Bonnieux : req. n° 324300), la bonne foi n'est pas retenue dans un cas où le candidat a réglé directement, sans passer par son mandataire financier une seule dépense, regardée comme importante, de 1042,45 euros, soit 16,3 % du total de ses dépenses et 5,1 % du plafond des dépenses autorisées. Cette solution est adoptée alors que l'intéressé faisait valoir que le règlement direct était intervenu parce que le mandataire financier n'avait pu disposer à temps d'une formule de chèque en raison d'une erreur de sa banque. La bonne foi est écartée parce que le Conseil d'État estime « qu'il ne résulte pas de l'instruction, ni que d'autres moyens de paiement n'auraient pas pu être utilisés par le mandataire financier pour régler la dépenses litigieuse, ni que (le candidat concerné) ait pris les dispositions nécessaires pour désigner plus tôt son mandataire financier et celui-ci l'établissement bancaire teneur du compte, afin de prévenir les difficultés imprévues pouvant survenir ». De même, le Conseil d'État confirme le rejet d'un compte de campagne et ne retient pas la bonne foi d'un candidat qui avait réglé sans passer par son mandataire financier une dépense électorale alors qu'étaient invoqués le retard mis par la banque à délivrer un chéquier au mandataire et le refus de certains fournisseurs de faire crédit au candidat (CE 27 juillet 2009, M. Lechat, req. n° 323152).

Si le projet de loi soumis au Parlement en juillet 2009 est adopté (V. supra I. A) et étend le bénéfice de la « bonne foi » aux candidats aux élections législatives, la question se posera de savoir si le Conseil constitutionnel la retiendra au cas où un candidat aura réglé directement des dépenses électorales. Tout porte à croire que ce sera le cas, compte tenu de la position qu'il a exprimée dans ses Observations relatives aux scrutins de 2007, qui est rejointe par les membres de la Mission Mazeaud (op. cit. spécialement p. 18 à 20), alors même qu'on peut, à notre avis, estimer inutile d'accorder le bénéfice de la bonne foi au cas du règlement direct de menues dépenses par le candidat, dès lors qu'il s'agit d'une obligation substantielle, et qu'il existe des risques de divergences de jurisprudence avec le Conseil d'État sur la notion même de bonne foi··· Quand, comme c'est probable, la bonne foi aura été étendue aux candidats aux élections législatives, le Conseil constitutionnel la recherchera-t-il proprio motu sans que l'intéressé l'invoque nécessairement ou faudra-t-il que ce dernier la fasse valoir ? À cette question, la réponse du Conseil d'État est claire : le juge de l'élection doit rechercher d'office si un candidat est de bonne foi (CE 8 juillet 2009, M. Brocard : req. n° 322708 : à propos d'un candidat dont le compte de campagne n'a pas été présenté par un membre de l'ordre des experts-comptables et comptables agréés).

En définitive, la « doctrine » et la jurisprudence électorales du Conseil constitutionnel ont été, du printemp. 2008 à l'automne 2009, très largement respectées par le juge administratif suprême et ont guidé l'action de ceux qui, à des titres divers, sont appelés à les prendre en considération et à les appliquer, qu'il s'agisse des instances de réflexion, du Gouvernement ou du Parlement.

(1) Par « doctrine », nous entendons la position adoptée par le Conseil constitutionnel autrement que dans ses décisions, par des recommandations, usuellement dénommées « observations ».
(2) Projet de loi organique, document Assemblée nationale, n° 1887, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 juillet 2009.
(3) Maligner (B), Réflexions sur l'état du droit relatif aux comptes de campagne, RDP 2009, p. 1080 spécialement.
(4) Maligner (B), Droit électoral, Ellipses, 2007, no 898.
(5) Le terme « délimitation » des circonscriptions, parfois aussi dénommée « charcutage » des circonscriptions par les parlementaires de l'opposition, recouvre en fait deux situations. La commission présidée par M. Guéna parle de « redécoupage », lorsque l'opération a pour objet d'ajouter ou de supprimer une ou plusieurs circonscriptions, et de « remodelage », lorsqu'il s'agit de « modifier la délimitation de certaines circonscriptions à nombre de députés constant » (Délimitation des circonscriptions électorales. Commission consultative prévue par l'article 25 de la Constitution (J.O. Éd. lois et décrets, Annexe au no 147, samedi 27 juin 2009, p. 51 et s.).
(6) Sur les décisions no 2008-572 DC et no 2008-573 DC du 8 janvier 2009, J.O. 14 janvier 2009, p. 724. V. aussi Les Cahiers du Conseil constitutionnel, 2009, no 26, p. 96 ; _AJDA 2009._645, note B. Maligner ; JCP A. 2009 (11-12), p. 52, com. V. Barbé ; RFDA 2009.580, chron. A. Roblot-Troizier ; RFDC 2009.576, comm. R. Ghevontian et S. Lamouroux.
(7) La commission a cru devoir interpréter le « principe d'indépendance » « auquel elle doit se conformer en application de l'article 25 de la Constitution », comme l'obligeant à ne recevoir aucune délégation de parti ou de groupement politique. Mais elle a cependant examiné « les courriers et réclamations qui lui ont été adressés » (J.O. du 27 juin 2009, préc., p. 51).
(8) Cet avis a été publié au Journal officiel le samedi 27 juin 2009 (Délimitation des circonscriptions électorales. Commission consultative prévue par l'article 25 de la Constitution (J.O. Éd. lois et décrets, Annexe au no 147, samedi 27 juin 2009, p. 51 et s.).
(9) En plus de la Creuse et de la Lozère, les départements suivants auraient été concernés : Alpes-de- Haute-Provence, Hautes-Alpes, Ariège, Cantal, Corse du Sud, Haute-Corse, Lot, Territoire de Belfort.
(10) J.O. Annexe au no 147, 27 juin 2009, p. 51.
(11) Publié au Journal officiel du 3 juillet 2009, p. 11047.
(12) Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, M. Charles de La Verpillière, a expliqué : « Une telle consultation n'aurait été nécessaire que dans l'hypothèse où le Gouvernement aurait souhaité introduire dans l'ordonnance des modifications qui n'auraient été évoquées ni au stade de l'avis de la commission ni à celui de l'avis du Conseil d'État » (Document Assemblée nationale, no 1949, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 6 octobre 2009, p. 15).
(13) Document Assemblée nationale, n° 1949, enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 6 octobre 2009.
(14) La loi ratifiant l'ordonnance a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. V. Cons. const., Décision no 2010-602 DC, 18 février 2010, Loi ratifiant l'ordonnance no 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés, J.O. 24 février 2010, p. 3385, AJDA 2010, no 20, p. 1196, note B. Maligner ; JCP Éd. G. 2010.11, p. 522, note A. Levade.
(15) Rec. Cons. const., p. 126.
(16) Rec. Cons. const., p. 118, JCP 2001.II.10630, note J.-C. Zarka, LPA 2001, no 198, p. 21, note J.-E. Schoettl.
(17) V., sur ce point, Maligner (B), Dépenses de campagne engagées par le candidat : « menues », « faibles » et « négligeables ». À propos de l'arrêt CE 17 juin 2005, Denoual, AJDA 2006.130.