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Responsabilité et irresponsabilité pénale

Valérie MALABAT - Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Institut de sciences criminelles (IEDCP)

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 26 (Dossier : La Constitution et le droit pénal) - août 2009

Le bloc de constitutionnalité et plus exactement la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 expriment le principe fondamental de la matière pénale à savoir le principe de la légalité criminelle. Ce principe dirige évidemment les règles de la responsabilité pénale en posant que « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée »(1). Mais, il est frappant de relever que les rédacteurs de la Déclaration des droits de l'homme se sont attachés à préciser le support de la norme pénale sans ressentir le besoin de poser des prescriptions concernant le contenu même de cette norme c'est-à-dire pour la responsabilité pénale elle-même.

Sans doute peut-on relever comme exception l'article 8 de la Déclaration qui fonde l'exigence de nécessité des peines en imposant que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires » ainsi que l'article 5 disposant que « la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ». Ces deux textes impliquent non seulement de vérifier la proportionnalité de la peine prévue mais aussi la nécessité de l'incrimination elle-même(2). Toutefois n'ayant jamais utilisé l'article 5 en ce sens, c'est sur le fondement de l'article 8 que le Conseil constitutionnel peut exercer son contrôle sur l'infraction créée par le législateur, à la fois dans son principe même et dans sa mesure. Ce contrôle se révèle toutefois limité pour, semble-t-il, au moins deux raisons.

Tout d'abord, on s'aperçoit que le Conseil se consacre davantage au principe de proportionnalité des incriminations qu'à celui de leur nécessité. Le Conseil constitutionnel a certes pu poser « qu'il est loisible au législateur de prévoir de nouvelles infractions en déterminant les peines qui leur sont applicables ; que, toutefois, il lui incombe d'assurer, ce faisant, la conciliation entre les exigences de l'ordre public et la garantie des droits constitutionnellement protégés »(3) faisant ainsi implicitement référence au principe de nécessité des incriminations. Mais il se contente en réalité de vérifier la nécessité des peines à travers le contrôle de leur seule proportionnalité. Ce contrôle est par ailleurs limité, le Conseil constitutionnel considérant qu'en l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue, il ne lui « appartient pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des peines attachées aux infractions définies par celui-ci »(4).

Ensuite le contrôle de la nécessité des infractions n'implique pas un contrôle des principes et mécanismes généraux de la responsabilité pénale. Or, ce contrôle paraît justement indispensable s'agissant des principes gouvernant l'engagement et le régime de la responsabilité pénale. Autrement dit, on peut considérer qu'il ne sert par exemple pas à grand-chose de veiller à ce que les infractions soient strictement définies et sanctionnées de manière proportionnée si toute personne, quelle que soit sa participation ou son absence de participation à cette infraction, peut se la voir imputer.

Il serait alors souhaitable que tous les principes gouvernant la responsabilité pénale tant dans ses conditions (I) que dans ses limites (II) reçoivent la même consécration. Or, sur ces deux points, le contrôle de constitutionnalité opéré se révèle lacunaire.

I. L'insuffisance du contrôle de constitutionnalité des conditions de la responsabilité pénale

La particularité de la responsabilité pénale, notamment par rapport à la responsabilité civile est de ne pouvoir être engagée que du fait personnel (A) et qu'après avoir établi la culpabilité de l'auteur de l'infraction (B). Ces deux spécificités, parce qu'elles sont liées au caractère punitif de la responsabilité pénale, devraient faire l'objet d'une consécration constitutionnelle.

A - La condition d'un fait personnel

Si le code pénal affirme dès son article 121-1, soit le premier des textes consacrés à la responsabilité pénale, que « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait », aucun principe identique ne se trouve expressément dans la Déclaration des droits de l'homme ou tout autre texte de valeur constitutionnelle. Pourtant ce principe fondamental de la responsabilité pénale peut être facilement déduit de celui de la nécessité des peines tant une peine qui ne frapperait pas l'auteur de l'infraction ne pourrait apparaître comme strictement et évidemment nécessaire. Ce principe a donc été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue le 16 juin 1999 qui a pu ainsi poser comme principe résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration que nul n'est punissable que de son propre fait(5). Le principe est ainsi rattaché non seulement à celui de la nécessité des peines mais aussi à la présomption d'innocence portée plus spécifiquement par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Le principe ainsi affirmé doit être bien compris : il implique qu'une personne ne puisse se voir infliger une sanction pénale si elle n'a pas pris part personnellement à la commission de l'infraction. Il peut donc également être techniquement exprimé en terme d'imputation, imposant qu'une infraction et la responsabilité pénale qui s'en suit ne puissent être rattachées qu'à une personne qui a personnellement commis ou participé à cette infraction. Force est alors de constater que dès la décision même qui a consacré constitutionnellement ce principe de responsabilité du fait personnel, le Conseil a aussitôt admis que des aménagements puissent lui être apportés. Il a ainsi validé la disposition de la loi du 18 juin 1999 relative à la sécurité routière prévoyant que le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est redevable pécuniairement de l'amende encourue pour une contravention à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un vol ou de tout autre événement de force majeure, ou qu'il n'apporte tous les éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction(6). La décision du Conseil constitutionnel du 16 juin 1999 n'a pas relevé l'inconstitutionnalité de cette disposition jugeant que s'il découle de l'article 9 de la Déclaration « qu'en principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive », « à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité »(7). Le Conseil admet donc par là-même non pas une présomption de culpabilité comme il semble le croire(8) mais une présomption d'imputation, rattachant par principe le comportement reproché au titulaire du certificat d'immatriculation. Cette présomption d'imputation n'est toutefois reconnue qu'à certaines conditions dont la première est qu'elle repose sur des éléments la rendant vraisemblable et la seconde qu'elle puisse être renversée(9).

Il est toutefois à noter que le Conseil lie également la validité de cette présomption à l'exigence d'une culpabilité personnelle du titulaire du certificat d'immatriculation. Le considérant 7 de la décision du 16 juin 1999 pose en effet « qu'en l'absence d'événement de force majeure tel que le vol de véhicule, le refus du titulaire du certificat d'immatriculation d'admettre sa responsabilité personnelle dans la commission des faits, s'il en est l'auteur, ou, dans le cas contraire, son refus ou son incapacité d'apporter tous éléments justificatifs utiles seraient constitutifs d'une faute personnelle ; que celle-ci s'analyserait, en particulier, en un refus de contribuer à la manifestation de la vérité ou en un défaut de vigilance dans la garde du véhicule ; qu'est ainsi respecté le principe, résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ». C'est ainsi poser qu'un comportement peut-être reproché à un individu et entraîner des sanctions pécuniaires dès lors qu'il a commis une faute personnelle, sans que cette faute personnelle ne caractérise toutefois un acte de participation personnelle au fait reproché. Ce n'est pas en effet parce que le titulaire du certificat d'immatriculation refuse de dénoncer l'auteur de l'infraction qu'il prend part personnellement à la commission de cette infraction.

Loin de consacrer une simple présomption aménageant la preuve de la responsabilité du fait personnel, il semble donc que le Conseil constitutionnel pose une véritable exception au principe de responsabilité pénale du fait personnel qui, bien compris, implique un acte de participation personnelle au fait reproché. Sans doute pourrait-on faire observer qu'en l'espèce il ne s'agit pas d'une responsabilité pénale, la loi du 18 juin 1999 ne posant qu'une obligation pécuniaire mais cet argument ne vient qu'en troisième lieu dans la décision du Conseil constitutionnel(10), impliquant donc que les points précédemment soulevés concernent bien les présomptions d'imputation en matière pénale. La consécration par conséquent toute relative du principe de responsabilité pénale du fait personnel n'est donc pas de nature à remettre en cause les solutions jurisprudentielles ayant admis que la responsabilité pénale d'un chef d'entreprise, ou plus largement d'un commettant, peut naître du fait d'autrui, dans les cas exceptionnels où certaines obligations légales imposent le devoir d'exercer une action directe sur les faits d'un subordonné(11).

B - La condition de culpabilité

Parce qu'il s'agit avant tout de punir une personne, la responsabilité pénale ne peut être prononcée que si cette personne a commis une faute, justifiant par là-même la sanction qui lui est infligée. C'est donc là encore le principe de nécessité des peines qui conduit à la nécessaire reconnaissance de l'exigence de culpabilité. C'est ce que semble avoir posé le Conseil constitutionnel, toujours dans la décision du 16 juin 1999 rendue à propos de l'examen de la loi du 18 juin 1999 et relative à la sécurité routière. Cette décision affirme en effet « qu'il résulte de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, s'agissant des crimes et délits, que la culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d'actes pénalement sanctionnés ; qu'en conséquence, et conformément aux dispositions combinées de l'article 9 précité et du principe de légalité des délits et des peines affirmé par l'article 8 de la même Déclaration, la définition d'une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l'élément matériel de l'infraction, l'élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci »(12). Il résulte de cette affirmation l'exigence d'un élément moral pour la constitution des infractions, permettant d'établir la culpabilité de l'auteur de l'infraction.

L'affirmation doit cependant être précisée dans sa portée. Il convient en effet de remarquer en premier lieu que le Conseil ne vise ici que la matière délictuelle. Sans doute l'affirmation devait-elle paraître évidente pour les crimes mais on ne peut que saluer la décision du 13 mars 2003 qui vient conforter cette évidence en visant « le principe selon lequel la définition des crimes et délits doit comporter un élément intentionnel »(13). En revanche, l'exigence d'une culpabilité n'est pas posée pour les contraventions ce qui laisse entière la question de savoir si ces contraventions sont constituées indépendamment d'un élément moral ou si cet élément moral est simplement présumé dans cette catégorie d'infractions(14), l'article 121-3 dernier alinéa du code pénal n'étant pas ici d'un grand secours puisqu'il se contente de disposer qu'« il n'y a point de contravention en cas de force majeure ».

En second lieu se pose la question du contenu de la culpabilité exigée, les deux décisions précitées du Conseil constitutionnel ne retenant pas exactement les mêmes formulations. Si la décision du 16 juin 1999 exige en effet un élément moral pour l'infraction que celui-ci soit intentionnel ou non, la décision du 23 mars 2003 est plus restrictive visant l'exigence d'un élément intentionnel pour la constitution des crimes et des délits. Sans doute ne faut-il voir dans la dernière décision citée que la consécration du contenu de l'article 121-3 du code pénal qui dispose qu'en principe les crimes et délits sont intentionnels mais permet au législateur de déroger expressément à ce principe seulement en matière délictuelle et en exigeant au moins une faute d'imprudence ou de négligence. L'article 121-3 du code pénal était d'ailleurs visé expressément par ces deux décisions(15), ce texte étant même élevé au rang de réserve d'interprétation des articles déférés(16).

Si l'exigence d'un élément moral, intentionnel ou non, est donc imposée par le Conseil constitutionnel, l'affirmation de ce principe d'exigence d'une culpabilité n'empêche pas pour autant le même Conseil de reconnaître les présomptions de culpabilité(17). Certes ces présomptions ne remettent pas en cause, à condition qu'elles soient réfragables, le principe d'exigence d'une culpabilité mais elles peuvent en revanche apparaître à tout le moins en contradiction avec le principe de la présomption d'innocence. Le Conseil est cependant sur ce point en accord avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme(18) faisant ainsi de la présomption d'innocence une règle de fond (exigeant la culpabilité de la personne dont on veut engager la responsabilité pénale) non doublée d'une règle de preuve contrairement à ce que son nom laissait supposer (et imposant que la preuve de la culpabilité soit rapportée par le juge).

On voit donc que les principes posés par le Conseil constitutionnel quant aux conditions de la responsabilité pénale peuvent parfois apparaître insuffisants tout au moins en ce qui concerne leur valeur contraignante pour le législateur. L'étude du contrôle de constitutionnalité des causes permettant d'exclure la responsabilité pénale fait également apparaître des défaillances et plus exactement une variabilité dans le contrôle mis en œuvre.

II. La variabilité du contrôle constitutionnel des limites de la responsabilité pénale

Si le principe d'égalité devant la loi implique que toute personne puisse voir sa responsabilité pénale engagée pour des faits incriminés, des raisons tant individuelles que fonctionnelles peuvent justifier de poser des limites à cette responsabilité. Il est ainsi classiquement avancé que l'exercice des plus hautes fonctions politiques et la séparation des pouvoirs impliquent que les gouvernants ne puissent être soumis au pouvoir judiciaire. De même l'idée que certaines personnes, compte tenu de leurs insuffisances intellectuelles, doivent échapper à une responsabilité pénale impliquant de disposer de son libre arbitre est admise sans contestation. La spécificité fonctionnelle de la première limite (A) devrait justifier de lui appliquer un domaine étroit tandis que le caractère général de la seconde limite (B) devrait impliquer que l'on pose le principe de l'exigence de conditions strictes de discernement à l'application d'une sanction pénale. Pourtant le contrôle du Conseil constitutionnel semble aller en sens contraire sur chacun de ces deux points.

A - Les limites fonctionnelles de la responsabilité pénale

Saisi pour déterminer si la ratification du traité portant statut de la Cour pénale internationale et signé à Rome le 18 juillet 1998, nécessitait une révision de la Constitution, le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue le 22 janvier 1999 a posé qu'il « résulte de l'article 68 de la Constitution que le président de la République, pour les actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions et hors le cas de haute trahison, bénéficie d'une immunité ; qu'au surplus, pendant la durée de ses fonctions, sa responsabilité pénale ne peut être mise en cause que devant la Haute Cour de Justice, selon les modalités fixées par le même article »(19). En interprétant de la sorte l'article 68 de la Constitution, qui ne vise pourtant aucunement la responsabilité pénale du chef de l'État, le Conseil constitutionnel étendait ainsi le bénéfice de l'immunité de juridiction aux actes ne relevant pas de l'exercice des fonctions. Cette interprétation extensive d'une situation pourtant exceptionnelle allait notamment à l'encontre du principe selon lequel les exceptions -- et donc les compétences pénales dérogatoires -- sont de droit strict(20) et il n'est alors pas étonnant que la Cour de cassation ait ensuite adopté une toute autre position. Dans un arrêt rendu le 10 octobre 2001(21), l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a en effet pu juger que la compétence de la Haute Cour est limitée aux actes de haute trahison et que, s'agissant des actes extérieurs à l'exercice de ses fonctions, le président relève des juridictions ordinaires avec la précision toutefois que, pour garantir l'exercice du pouvoir, les poursuites pénales contre le président de la République ne peuvent être exercées pendant la durée de son mandat.

La modification de la Constitution opérée par la loi constitutionnelle du 23 février 2007(22) reprend la solution posée par la Cour de cassation en distinguant nettement, quoiqu'implicitement, les actes accomplis en qualité de chef de l'État pour lesquels aucune responsabilité n'est encourue (sauf éventuellement devant la Cour pénale internationale(23) ou devant la Haute Cour(24)), des autres actes pour lesquels seule une inviolabilité est accordée pendant la durée du mandat présidentiel. L'article 67 de la Constitution dispose ainsi aujourd'hui que « Le président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions. ».

La seule incertitude reste donc dans les critères de détermination des actes qui ne sont pas pris en qualité de chef de l'État et qui peuvent ainsi donner lieu à des poursuites pénales après la cessation des fonctions. La réponse à cette question ne pourra d'ailleurs être fournie que par le juge répressif, qui, saisi de poursuites contre un ancien président, devra alors se prononcer sur la nature des actes accomplis pendant les fonctions pour pouvoir retenir éventuellement sa responsabilité pénale. Sans qu'il soit possible de préjuger de l'interprétation qui sera donnée à l'article 67 de la Constitution et plus exactement à la notion « d'actes pris en qualité de », rappelons simplement que le juge pénal est guidé par le principe d'interprétation stricte de la loi pénale(25)...

B - Les limites individuelles de la responsabilité pénale

Parce que la responsabilité pénale vient sanctionner par une peine l'auteur d'une infraction, elle ne peut se concevoir que pour les individus capables de comprendre et de vouloir leurs actes. Le principe de nécessité des peines affirmé dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aurait ainsi permis, par une interprétation constructive (reposant par exemple sur l'idée qu'une peine nécessaire est une peine qui a du sens et qui est utile), l'affirmation d'un tel principe au bénéfice des personnes non douées de discernement. Or, cette affirmation n'est au mieux qu'indirecte, pouvant se comprendre à travers l'exigence d'une culpabilité en matière pénale(26).

En revanche se sont développées des solutions garantissant un régime particulier à la responsabilité pénale des mineurs. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 août 2002 « Loi d'orientation et de programmation pour la justice »(27), a en effet consacré deux règles du droit pénal des mineurs comme principe fondamental reconnu par les lois de la République. « Ces règles sont les suivantes : la responsabilité pénale des mineurs doit être atténuée en fonction de leur âge ; la réponse des pouvoirs publics aux infractions que commettent les mineurs doit rechercher, autant que faire se peut, leur relèvement éducatif et moral par des mesures appropriées prononcées, en fonction de leur âge et de leur personnalité, par des juridictions spécialisées ou selon des procédures adaptées »(28).

La consécration de ces principes, relatifs tant à la responsabilité pénale des mineurs (principe d'atténuation de responsabilité, d'adaptation de la sanction à la minorité mais aussi principe de finalité éducative de leur sanction) qu'à la justice pénale des mineurs (spécialisation des juridictions) est évidemment louable, mettant en avant l'autonomie du droit pénal des mineurs. La portée de cette décision est toutefois limitée dans la mesure où, d'une part, cette autonomie est par ailleurs affirmée par des engagements internationaux(29) et, d'autre part, la mise en œuvre de ces principes n'aboutit pas à faire peser sur le législateur un contrôle constitutionnel strict. Il est d'ailleurs significatif que ces principes se soient vus reconnaître une valeur constitutionnelle à propos de l'examen d'une loi marquant le retour à une finalité nettement plus répressive du droit pénal des mineurs et prévoyant notamment la possibilité de prononcer des sanctions éducatives à l'encontre des mineurs âgés d'au moins 10 ans. Dans la même décision et après avoir reconnu les principes ci-dessus énoncés, le Conseil constitutionnel les a en effet fortement limités en considérant que « la législation républicaine antérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives »(30) et en validant les sanctions éducatives portées par la loi du 9 septembre 2002 « lesquelles ont toutes, au demeurant, une finalité éducative ». Or, il a déjà été largement observé d'une part que la finalité éducative de ces sanctions n'était pas une évidence, s'agissant de sanctions par ailleurs souvent prévues comme peines complémentaires par le code pénal(31) et, d'autre part, que le Conseil constitutionnel ne semble pas avoir perçu que le non-respect de ces sanctions éducatives pouvait donner lieu à un placement dans un établissement(32), mesure dont le caractère éducatif aurait sans doute mérité un examen plus approfondi(33).

On peut donc regretter une position plutôt timorée du Conseil constitutionnel ayant certes reconnu des principes relatifs au droit pénal des mineurs mais sans mettre en œuvre un contrôle approfondi des mesures les concernant et sans être allé jusqu'à la reconnaissance d'un principe de non-reponsabilité pénale des personnes privées de discernement qui aurait également pu profiter aux majeurs(34). Cette solution pourrait pourtant se déduire du principe de nécessité des peines et de l'examen des conditions posées quant à l'exigence de culpabilité comme condition de la responsabilité pénale, principes à propos desquels il a d'ailleurs été observé que l'apport du droit constitutionnel paraît également perfectible.

(1) Art. 8 DDH, 26 août 1789.
(2) Pour des auteurs rattachant le principe de nécessité des infractions à l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, v. Renoux (T. S.) et Villiers (M. de), Code constitutionnel, Juris Code Litec, éd. 2005, n° 0155, p. 80.
(3) Cons. const., déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, cons. n° 60.
(4) V. notamment, Cons. const., déc. n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981, cons. n° 13.
(5) Cons. const., déc. n° 99-411 DC du 16 juin 1999, cons. n° 7.
(6) Art. 121-3 du code de la route dont le domaine d'application a d'ailleurs depuis été étendu à l'hypothèse du non-respect des distances de sécurité entre les véhicules par la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003.
(7) Cons. const., déc. du 16 juin 1999, précité, cons. n° 5.
(8) Il n'est pas présumé que le titulaire du certificat d'immatriculation a commis une faute.
(9) V. le cons. n° 6 de la déc. précitée relevant qu'en l'espèce il s'agit d'une « présomption simple, qui repose sur une vraisemblance raisonnable d'imputabilité des faits incriminés » et que « le législateur permet à l'intéressé de renverser la présomption de faute (c'est nous qui soulignons puisqu'à notre sens il s'agit d'une erreur du Conseil constitutionnel) par la preuve de la force majeure etc. ».
(10) Cet élément n'est en effet abordé que dans le cons. n° 8 de la déc. du 16 juin 1999 précitée.
(11) Cass. crim., 28 février 1956, JCP 1956, II, 9304, note de Lestang. Sur la responsabilité pénale dite du fait d'autrui, v. par exemple Bouloc (B.), Droit pénal général, Précis Dalloz, 21ème éd., 2009, n° 345 et s.
(12) Cons. const., déc. du 16 juin 1999, précitée, cons. n° 16 .
(13) Cons. const., déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, relative à la loi sur la sécurité intérieure, cons. n° 64 et 65.
(14) V. par exemple sur cette question, Bouloc (B.), Droit pénal général, op. cit., n° 253, p. 234 et 235.
(15) Cons. const., déc. du 16 juin 1999, précitée cons. n° 16 ; Cons. const., déc. du 13 mars 2003, précitée, cons. n°17.
(16) V. par exemple, Cons. const., déc. du 13 mars 2003, précitée, cons. n° 17 : « Considérant qu'en l'espèce, en l'absence de précision sur l'élément moral de l'infraction prévue à l'article L. 4-1 du code de la route, il appartiendra au juge de faire application des dispositions générales de l'article 121-3 du code pénal aux termes desquelles « il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » ; que, sous cette stricte réserve, l'article 7 est conforme aux prescriptions constitutionnelles ci-dessus rappelées ».
(17) V. ainsi Cons. const., déc. du 16 juin 1999, et les développements qui lui sont consacrés supra à propos du principe de responsabilité personnelle.
(18) Cour EDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/France.
(19) Cons. const., déc. n° 98-408 DC du 22 janvier 1999, cons. n° 16 : D. 1999, p. 285, note Chrestia (P.) ; RD publ. 1999, p. 457, Comm. Luchaire (F.) et p. 1669, obs. Chagnollaud (D.).
(20) V. tout particulièrement en ce sens Rassat (M.-L.), La certitude du statut pénal du président de la République pour les infractions sans rapport avec la fonction, JCP G 2007, libres propos, p. 303.
(21) Ass. plén., 10 octobre 2001 : RTDciv 2002, p. 169, obs. Molfessis (N.) ; RFD adm. 2001, p. 1169, Jouanjan (O.), Wachsmann (P.) et Beaud (O.).
(22) Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution, JO n° 47 du 24 février 2007, p. 3355.
(23) Art. 53-2 de la Constitution.
(24) Art. 68 de la Constitution.
(25) Art. 111-4 du code pénal.

(26) Il peut en effet être difficile de caractériser qu'une personne privée de discernement a commis une faute. Sur l'exigence de culpabilité, v. supra.
(27) Cons. const., déc. n° 2002-461 DC du 29 août 2002 : JO du 10 septembre, p. 14953 (Loi d'orientation et de programmation pour la justice) ; Rev. sc. crim. 2003, p. 606 et s., obs. Bück. (V.). V. également Cons. const., déc. n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 : JO 19 mars, p. 4789 (Loi pour la sécurité intérieure n° 2003-239 du 18 mars 2003).
(28) Cons. const., déc. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, op. cit.
(29) V. notamment la Convention internationale sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Sur cette reconnaissance internationale de l'autonomie du droit pénal des mineurs, v. également Renucci (J.-F.), « Le droit pénal des mineurs entre son passé et son avenir », Rev. sc. crim. 2000, p. 79 et s. ; Bonfils (P.) et Gouttenoire (A.), Droit des mineurs, Précis Dalloz, 1re éd. 2008, n° 1245 et s., p. 696 et s.
(30) Cons. const., déc. n° 2002-461 DC du 29 août 2002, op. cit., cons. n° 9.
(31) Sur l'hypocrisie de la distinction entre mesures éducatives, sanctions éducatives et peine, V. par exemple Malabat (V.), Le statut pénal du mineur, in La condition juridique du mineur, Aspects internes et internationaux. Questions d'actualité, sous la dir. Lemouland (J-J), Juris-Classeur, coll. Carré Droit, 2004, p. 25 et s., spéc. p. 35 et s.
(32) Art. 15-1 de l'Ordonnance du 2 février 1945.
(33) En ce sens, v. Lamy (B. de), Le cadre constitutionnel de la responsabilité pénale, in Constitution et responsabilité, collection Grands colloques, Montchrestien, 2009, à paraître.
(34) Cette absence de reconnaissance de principe rend évidemment plus aisée la conformité des mesures de sûreté fondée sur la seule dangerosité à la Constitution, même s'il est nié que ces mesures présentent le caractère d'une peine. Voir Cons. const., déc. n° 2008-562 DC du 21 février 2008.